Titre : L'insupportable attente
Auteur : Lorelei (Participant.e 18)
Pour : MoustiCat (Participant.e 22)
Fandom : Our flag means death
Persos/Couple : Ed/Stede
Rating : T
Disclaimer : Our Flag Means Death appartient à David Jenkins
Prompt : Ce qu’a pu imaginer Ed en ne voyant pas Stede le rejoindre ép.9, avant de se résoudre à partir sans lui, les conclusions qu’il en a tirées et ce qu’il ressent à cet égard, comment cela l’a amené à rendosser le rôle de Barbe Noire dont il cherchait jusque-là à se débarrasser.
- Peut revenir sur leur relation et l’importance qu’elle a prise pour lui. S’est-il d’abord inquiété que Stede ait pu avoir un souci ? Pourquoi ne pas être retourné au camp pour le trouver ? A-t-il su pour Chauncey ? Comment en est-il venu à l’idée que Stede l’avait finalement abandonné et était parti sans lui ? Et comment pense-t-il qu’il ait pu réussir, techniquement parlant ? Aurait-il repéré des canots abandonnés, quelque part, que Stede aurait pu prendre ?
La mer était d'un calme parfait, idéal pour fuir sur la barque qu'Ed leur avait trouvée. Le moment était venu, celui du nouveau départ, qu'Ed avait attendu toute sa vie sans même le savoir, parce qu'il croyait ne pas lui avoir droit.
Stede lui avait appris ça, que tout le monde avait droit au bonheur, même un monstre comme lui. Ed avait mit longtemps à se laisser convaincre. Après des années à s'être entendu cracher le contraire au visage, c'était encore dur d'y croire, mais il n'avait qu'à croiser le doux regard de Stede pour que ses doutes s'envolent. Stede avait cet effet sur lui. Il faisait battre son cœur si vite qu'Ed en avait le tournis. De toutes petites choses qui l'auraient agacé chez un autre faisait naître au fond de son estomac quelque chose qui n'avait rien à voir avec la noirceur qui y rôdait habituellement. Ed aimait tout chez Stede, sa douceur, ses rêveries, sa capacité à garder toujours la tête dans les nuages et à penser avec son cœur, ses robes de chambres en soie et ses souliers vernis. Et ce baiser, quelles journées et quelles nuits il promettait ! Ed n'avait pas le talent de Stede avec les mots, mais s'il devait le comparer à quelque chose, ce serait à une nuit comme celle-là, fraîche et calme, avec la promesse d'une journée magnifique.
Ed aurait voulu que toutes les nuits soient comme celle-là.
Sauf que...
Sauf que Stede n'arrivait pas.
Malgré lui, de noires pensées s'insinuaient dans sa tête et essayaient de crier assez fort pour étouffer toute contestation. Ces pensées lui disaient qu'il savait très bien pourquoi Stede n'était pas encore là, alors qu'il aurait du arriver juste après Ed sur le ponton.
Ed se mordit la lèvre. Non, il ne devait pas envisager le pire. Stede pouvait bien avoir eu un contretemps. Ed le connaissait bien, depuis le temps. Ce doux rêveur pouvait être tombé sur une rarissime espèce de papillons de nuit et avoir suivi un spécimen au cœur de la forêt. Ou alors il avait trébuché sur une branche et boitillait jusqu'à leur point de rendez-vous. Oui, ça devait être ça. Il y avait une explication logique à son retard. Il devait y en avoir une, ou sinon...
Quelque chose bougea dans les entrailles d'Ed, quelque chose qu'il ne connaissait que trop bien.
Le Kraken voulait se réveiller.
Une pensée suffit à Ed pour le renvoyer là d'où il venait. C'était si facile, ces derniers temps. Stede lui avait fait comprendre que s'il voulait, il pouvait être le maître du Kraken au lieu de laisser celui-ci le dominer et le contrôler jusqu'à ce qu'Ed ne soit plus qu'une boule d'instincts meurtriers et incontrôlables. Il détestait le Kraken autant qu'il le craignait, mais désormais, il n'avait plus besoin de lui pour survivre.
Tant qu'il avait Stede, souffla le Kraken avait de se rendormir. Si celui-ci le trahissait...
Non. Stede ne le trahirait pas. Dieu et le Diable seuls savaient pourquoi, mais Stede l'aimait. En retour, Ed devait croire en lui. Son retard devait avoir une explication. Ce n'était qu'un contretemps. Il fallait que ce ne soit qu'un contretemps. Si Stede était seulement en retard, tout irait bien.
Pour qui, Ed n'aurait su le dire.
Un long moment passa avant qu'Ed ne réussisse à calmer suffisamment ses inquiétudes pour penser, mais enfin, il comprit ce qui s'était passé. Stede s'était perdu. Son sens de l'orientation était déplorable, sur terre comme sur mer. Il devait tourner en rond au milieu du bois. Sacré Stede. Heureusement, ce bois là n'était pas bien grand, il finirait par tomber sur la côte et n'aurait plus qu'à la remonter pour tomber droit sur Ed qui l'attendait. Ed le prendrait dans ses bras, écouterait en levant les yeux aux ciels ses justifications maladroites et l'emmènerait où Stede le désirais, mais hors d'atteinte des Anglais et de l'ombre de Barbe Noire.
Rassuré, Ed se remit à planifier. Normalement, Stede devrait être là en une demi-heure. Une heure, grand maximum. Mais comme on parlait de Stede, mieux valait compter large. Dans trois heures, ils s'éloigneraient de la côte. Personne ne les retrouverait jamais. Ed n'avait qu'à s'asseoir sur le ponton et rêver des lendemains heureux en l'attendant.
Ce serait tellement merveilleux. Plus de responsabilités, plus de meurtres, plus de tortures plus d'exemples à donner, plus de pirates à terroriser pour garder l'aura de Barbe Noire. Il n'y aurait plus qu'Ed et Stede, deux hommes qui s'aimaient. Peut être une maison au bord de la plage. Ed s'imaginait mal vivre loin du clapotis des vagues. Ils liraient de la poésie jusqu'au bout de la nuit, Ed apprendrait à cuisiner, Stede et lui porteraient des robes de chambre de soie assorties pour regarder les navires passer au loin et imaginer leur histoire. Ils y feraient l'amour, souvent. Peut être qu'ils adopteraient un chien. Les gens normaux faisait ça, non ? Ed devrait demander à Stede.
Bien sûr, l'équipage de la Revanche viendrait leur rendre visite de temps en temps. L'époque où ils étaient co-capitaines leur manquerait une fois de temps en temps, mais l'équipage viendrait et ils se raconteraient des histoires en mangeant des marrons grillés. Le reste du temps, cependant, il n'y aurait qu'Ed et Stede et cela leur suffirait.
Barbe Noire avait toujours ricané en entendant dire que certains comptaient vivre « d'amour et d'eau fraîche ». Il avait peut être même forcer des gens à lui prouver cette théorie. Ils étaient morts, évidemment, mais Ed, lui, prouverait que c'était possible.
Il s'assit pour attendre.
Il attendit longtemps.
Une heure passa, puis deux, puis les trois qu'il avait envisagé. Stede n'approchait toujours pas. L'oreille tendu, Ed guettait le moindre bruit qui pouvait indiquer une présence humaine, en vain. C'est tout juste si le vent faisait du bruit en passant dans les feuilles.
Même Stede ne pouvait pas se perdre aussi longtemps. Et il savait qu'ils devaient partir urgemment, il n'aurait pas suivi un insecte. La cheville foulée était toujours possible. Non, même pas. Stede était trop gauche pour se faire une attelle ou une béquille, mais il pouvait s'appuyer aux arbres pour avancer. Ed attendait depuis quatre heures maintenant, même en rampant tout du long ce n'était pas un si long trajet. Tout était toujours faisable, quand on s'en donnait la peine.
Une mauvaise rencontre dans le bois ? Stede pouvait se vider de son sang à une centaine de pas sans qu'Ed le réalise, s'il n'avait plus la force de crier. La théorie ne marchait cependant pas. Avant de trouver ce chemin de fuite pour Stede, Ed s'était bien renseigné. Il n'y avait pas la moindre bête sauvage dans ce bois, la couronne anglaise l'avait fait nettoyer depuis longtemps.
Pourquoi le faire attendre, alors ?
Ed refusait de l'entendre, mais Barbe Noire et le Kraken le savaient très bien, eux. Ils se moquaient de lui depuis l'autre côté des barreaux derrière lesquels Ed les avait enfermé.
Stede l'avait abandonné.
Stede s'était moqué de lui.
Stede ne l'aimait pas et ne l'avait jamais aimé. Ed était seul au monde, comme il le méritait.
Quel idiot il avait été ! Bien sûr que Stede ne voulait pas de lui ! Les signes étaient évidents, maintenant qu'il y pensait ! Il y avait cette fois où Stede s'était reculé alors qu'Ed allait l'embrasser, la fois où il avait retiré la main qu'Ed avait prit dans la sienne. Et cette après-midi encore, Ed l'avait vu, Stede avait grimacé en voyant son menton rasé.
Ed ne savait pas ce qui était le pire, que cette grimace signifie que Stede avait enfin réalisé à quel être répugnant et laid il avait à faire, ou bien que celui qui l'attirait ce n'était pas Ed, mais Barbe Noire. À la réflexion, le deuxième était pire, bien pire. Avec Stede, Ed avait cru être enfin remarqué et aimé pour lui même, pas pour cet horrible alter ego qu'il s'était créé. Il n'avait pas besoin que Stede désire Barbe Noire. Il y avait déjà Izzy pour ça. Ed voulait être aimé pour lui. Personne n'avait jamais offert d'amour à Ed, même pas sa mère et surtout pas son père.
Non. C'était le Kraken qui le forçait à penser ça. Stede ne l'avait pas trahi. Ed avait juste besoin de réfléchir un peu et il le réaliserait lui-même. S'il se prouvait à lui même que Stede n'avait pas pu le trahir, tout irait bien. Il n'y aurait plus qu'à attendre Stede et fuir ensemble, comme prévu. C'était le plan, ça avait toujours été le plan.
D'abord, Stede était trop honnête pour le tromper. Ed aurait vu clair dans son jeu, forcément. La voix sinistre dans ses oreilles, celle qui appartenait à Barbe Noire et au Kraken lui souffla ce qu'Ed savait déjà, qu'il avait vu Stede tromper sans peine des gens de son propre monde, et même des pirates. Stede était incapable de mentir, mais quand il s'en donnait la peine, il savait danser autour de la vérité comme s'il avait fait ça toute sa vie.
Ed lâcha cette idée dangereuse et s'accrocha à un autre argument. Stede n'aurait jamais réussi à quitter l'île sans lui. Le seul moyen de partir était de s'emparer d'un canot et ceux-ci étaient sous bonne garde de la marine royale. Ed avait réussit à s'emparer de l'un d'entre eux, mais il était le meilleur et le plus dangereux des pirates du monde. Stede n'aurait jamais... Ed émit un ricanement qui ressemblait à un sanglot. Bien sûr que Stede pouvait y arriver seul. C'était lui qui avait mis au point le plan du phare dans la nuit. À l'heure qu'il était Stede pouvait être très loin de l'île.
Et si ce n'était pas le cas, si Stede était toujours sur l'île, qu'il n'était pas mort tué par une bête sauvage, ni ralentit par une foulure et encore moins perdu dans un bois qu'on traversait en vingt minutes... Les anglais l'avaient capturé. Stede avait été exécuté immédiatement comme déserteur, ou croupissait dans un cachot avant un procès et une exécution rapide à l'aube.
Mais alors, les bois et la plage seraient couverts d'Anglais à sa recherche. Ils savaient qu'ils étaient arrivés ensemble et ils auraient tout de suite compté les troupes à la recherche d'un autre déserteur. Comme tout dormait encore au fort et dans la forêt, Stede n'était pas prisonnier.
La seule explication qui restait était celle qu'Ed craignait plus que tout. Stede l'avait laissé derrière. Il était parti seul sur son propre canot ou riait dans le dortoir avec les autres futurs corsaires de Barbe Noire, le pirate assez stupide pour s'être mis à croire à l'amour...
Ed était nouveau seul au monde. Un étau enserra sa poitrine. Il sut aussitôt que ce poids était là pour toujours.
Stede l'avait abandonné, et c'était sa propre faute. Ed aurait du écouter Izzy. Pas quand celui-ci lui disait d'égorger Stede, non, surtout pas, Ed en serait incapable, même maintenant, mais quand Izzy lui disait de ne pas s'attacher. Aimer quelqu'un, c'était accepter de s'arracher le cœur à mains nues. Et maintenant qu'Ed tenait son cœur dans ses mains, il n'avait plus que ses yeux pour pleurer. Il s'était rendu vulnérable, parce qu'il n'en pouvait plus de la torpeur dans laquelle il était enfermé. Maintenant s'il souffrait, il était le seul coupable. Ed refusait de pleurer sur lui même ou sur son amour assassiné. Il méritait qu'on se moque de lui, du pirate meurtrier qui avait joué au jeu de l'amour et perdu.
Il aurait du rester Barbe Noire. Il aurait du...
Non, Ed ne voulait pas rester Barbe Noire. Il avait retrouvé Edward Teach grâce à Stede, mais pas pour Stede, ou du moins, pas que pour lui. Ed ne voulait plus jamais être cet homme-là, mais maintenant. C'était mauvais pour lui. Mieux valait avoir le cœur brisé que pas de cœur du tout. Mieux valait être une moitié d'homme plutôt qu'un monstre. Stede lui avait permis de le voir. Ed devrait l'en remercier au lieu de lutter contre les larmes.
Ed voulait haïr Stede, sans en être capable. L'homme l'avait ramené d'un endroit terrible où Ed se mourrait à petit feu. Et Stede avait raison de refuser d'aimer un homme comme lui. Ed aurait juste voulu qu'on lui donne une chance, pour une fois. Une seule chance dans une vie, ce n'était quand même pas énorme à demander, si ?
Il fallait croire que si.
Un semblant de lueur finit par atteindre ses yeux clos. Ed ne savait depuis combien de temps il se tenait allongé sur ce ponton. La seule chose dont il était sûr, c'est que cela faisait trop de temps. Il s'était assez ridiculisé comme ça à attendre un homme qui l'avait rejeté. Il serait temps de retrouver un peu de dignité, de l'accepter et de passer à la suite.
Alors quoi maintenant ?
Le premier instinct d'Ed était de se mettre à l'eau et d'attendre que celle-ci l'entraîne vers les ténèbres familières, mais il était trop bon nageur pour ne pas se débattre. Sinon, il pouvait retourner au fortin et y mettre le feu en tuant tous ceux qui croyaient avoir enchaîné Barbe Noire. Ce ne serait pas difficile. Il avait commis des crimes bien pires et c'était comme de monter sur le grand mât, ça ne s'oubliait pas. Un claquement de doigts et Ed redeviendrait cet homme-là
Ed se passa une main sur ses paupières closes. Non, il n'avait pas la force d'être un monstre aujourd'hui. Il ne voulait plus jamais en être un, même avec ce que Stede lui avait fait subir. Tout ce qu'il voulait, c'était ne plus rien ressentir, ni rage, ni chagrin, ni rien. Ed voulait être mort.
Hélas, il n'avait jamais été capable de se tuer lui-même. Il n'avait jamais réussi qu'à jouer avec cette idée. S'il voulait mourir, il devait laisser quelqu'un le tuer, mais personne n'avait jamais réussi à approcher d'assez prêt Barbe Noire pour le tuer. Il faudrait quelqu'un de très proche de lui pour y arriver.
Quelqu'un comme Izzy. Quand il le verrait si faible, Izzy lui rendrait bien le service de le tuer, non ? Il ne serait pas assez fou pour tenter de réveiller le Kraken en voyant Ed dans cet état là. Dans ses entrailles, Ed sentait ce dernier se tourner et se retourner, prêt à jaillir à la moindre occasion, mais il pouvait le contenir, assez longtemps pour qu'Izzy craque et le tue.
Malheureusement, cela voulait dire retourner sur la Revanche et risquer de libérer le Kraken sur l'équipage adoré de Stede. Ed les aimait presque autant que Stede lui même, il ne voulait pas leur faire de mal.
Ou peut être que c'était exactement ce qu'il voulait faire. S'il devait sombrer, le Kraken voulait emporter un maximum de monde avec lui et en particulier tout ce que Stede avait jamais aimé.
Les bras lourds, Ed s'empara des rames et commença à voguer vers la Revanche, priant toutes les forces de la mer et de l'Enfer qui pouvaient l'entendre de laisser Izzy le tuer avant qu'il ne commette l'irréparable.
Tout au fond de lui, il savait que c'était un vain espoir. Le Kraken s'agitait déjà.