[Fic] Telles des fêlures dans un miroir, Contes, La reine+le miroir [Lorelei à Clair de Véronèse]

Aug 14, 2022 17:01

Titre : Telles des fêlures dans le miroir
Auteur : Lorelei (Participant.e 18)
Pour : Clair de Véronèse (Participant.e 14)
Fandom : Blanche-Neige
Persos/Couple : la Reine, le Miroir
Rating : K
Disclaimer : Blanche-Neige est un conte appartenant au domaine public
Prompt : J'ai été intrigué par la proposition de retourner la morale à l'envers, du coup je te propose comme prompt : Une version de Blanche-Neige où c'est le culte de la jeunesse qui est pointé du doigt, abordé du point de vue de la reine (la marâtre) qui voit sa position remise en question à cause de son âge, son apparence, le fait qu'elle vieillisse etc.
Notes : J'ai trouvé ce prompt des plus intéressant. J'espère que cette réponse te conviendra, même si je n'ai vraiment reprit la forme du conte.


Le Miroir était un présent.
Elle avait souhaité toute sa vie le posséder et voilà qu'elle le recevait en cadeau pour ses noces. Il était arrivé dans une grande charrette, debout et enfermé dans un coffre de bois et de fer. Elle ne l'avait même pas fait ouvrir. À quoi bon, quand elle savait parfaitement ce qui se cachait à l'intérieur, protégé par des couches et des couches de tissus afin qu'aucun choc ne vienne à le briser ? Son cœur s'était mis à battre plus vite dès qu'elle avait vu le tout approcher.
Un serviteur accompagnait le chargement. Il s'inclina devant elle, lui tendant une lettre cachetée de rouge en transmettant la consigne qui était de ne l'ouvrir qu'une fois que le Miroir serait installé dans sa nouvelle demeure. Comme elle s'apprêtait à monter dans sa calèche, elle se contenta de désigner une de ses servantes pour prendre en charge la lettre et donna le signal du départ. La charrette transportant le Miroir prit sa place dans le cortège, juste derrière sa calèche. Chaque fois qu'elle le désirait, elle pouvait soulever un rideau et contempler sa nouvelle possession avec ravissement.
Le Miroir avait été ce que sa mère possédait de plus précieux. Elle ne savait pas comment il était entré dans la famille. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'enfant, sa mère la laissait parfois s'y mirer. Mère la laissait enfiler des robes et des bijoux trop grands pour elle et se pavaner devant, jusqu'à ce que la reine se lasse de ce spectacle. Un pincement au bras la rappelait alors à sa place. Les bijoux et les robes de brocart finissaient au sol et elle se retrouvait devant la porte, collant la tête au lourd montant de bois pour écouter la formule magique et la répéter en silence en même temps que Mère interrogeait son miroir.
Un jour, elle avait osé demander quand le Miroir serait à elle. Le bruit de la claque qu'elle reçut ce jour là était toujours dans sa mémoire. Jamais elle n'avait reposé la question. Le message était bien clair, le Miroir appartenait à Mère et à personne d'autre. Après cet épisode, elle n'avait même plus eu le droit de rentrer dans la chambre maternelle.
Quand Mère avait quitté le palais, le Miroir était partit avec elle. Le second avait été plus regretté que la première, toujours froide et plus cassante que le verre. Il avait fallu des années pour qu'elle comprenne que Mère n'avait pas volontairement quitté le palais. C'était Père qui l'avait chassée et lui avait ordonné de vivre dans le vieux palais d'hiver ou personne n'allait plus. Il ne supportait plus sa présence, ce qui n'était pas difficile à comprendre. Père était quelqu'un de joyeux qui n'aimait à s'entourer que de gens beaux et heureux. La joie était à jamais étrangère au cœur de Mère, depuis aussi loin qu'elle se souvienne.
Et pourtant, Mère lui avait offert le Miroir pour ses noces. Le doute entra dans son cœur. Mère n'offrait jamais rien gratuitement et encore moins son Miroir chéri. Un tel cadeau ne pouvait s'accompagner que d'un revers terrible. De plus en plus souvent, elle souleva le rideau pour regarder le Miroir qui la suivait dans sa caisse. Se pouvait-il qu'il soit brisé ? Voilà un cadeau que Mère aurait pu lui offrir, un Miroir brisé par ses soins et à jamais utilisable. Mais non, Mère n'aurait jamais été capable de briser le Miroir. Elle lui accordait bien trop d'importance. Alors, où était le piège ?
Après trois semaines d'un long voyage à travers les montagnes, le cortège arriva à destination. Elle découvrit alors son époux qu'elle n'avait jusqu'ici vu qu'en portrait. C'était un bel homme à l'air triste, qui tenait la main d'une minuscule petite fille comme si c'était le plus précieux des trésors.
Elle s'inclina devant eux et récita les compliments qu'elle avait préparé pour le père et la fille. La petite balbutia le sien en retour d'une voix frêle de bébé. Son père la présenta sous le nom de Blanche-Neige. L'un et l'autre était forts aimables. Elle pouvait les aimer. Il serait bon d'avoir une petite fille si jolie à choyer avant d'avoir les siens. Elle leur sourit, comme on l'attendait d'elle, mais toute son attention était désormais fixée sur la caisse qu'on descendait de la charrette et s'excusa. Le voyage avait été long et si elle était aussi pressée que le Roi que leurs noces aient lieu, elle lui serait tellement gré de pouvoir se reposer trois heures et de veiller à l'installation de ses affaires, particulièrement à ce présent qui lui venait de sa mère. Le roi céda à toutes ses demandes avec un sourire plein de compréhension. Elle n'eut plus qu'à se laisser guider vers ses nouveaux appartements où elle veilla d'un œil attentif au ballet des servantes qui remplissaient les armoires de robes pendant que quatre hommes déballaient le présent tant espéré.
Le Miroir était intact.
Elle recommença à respirer et demanda qu'on lui retrouve la lettre de sa mère. Quand on le lui eut apporté, elle le décacheta d'une main à peine tremblante. Au lieu de la longue lettre de recommandation qu'une mère était censée écrire à sa fille à l'occasion de son mariage qu'elle s'attendait à y trouver, la missive ne contenait qu'un court message.
« Combien de temps dure le pouvoir d'une femme ?
Combien de temps dure le pouvoir d'une reine ?
La réponse repose dans les reflets d'un miroir. »
Elle froissa le message et le jeta au feu avant d'exiger qu'on la laisse seule quelques instants avant qu'elle ne rejoigne son futur époux. Elle allait être la reine, aussi tous les serviteurs s'inclinèrent devant ses ordres. Une fois seule, elle se plaça devant le Miroir et admira son reflet. On l'avait déjà habillée, coiffée et ornée pour la cérémonie. Rien ne paraissait de la fatigue du voyage sur ses traits ou son visage. Au contraire, les pierres et les belles étoffes qu'elle portait rehaussaient sa beauté. Elle était plus belle que sa mère ne l'avait jamais été. Cette pensée la fit sourire jusqu'à ce que les mots de sa mère lui reviennent en tête. Elle devait savoir et pour cela ne voyait qu'une question à poser, celle qui obsédait jadis Mère.
-Miroir, Miroir au mur, quelle est la plus belle de tous le pays ?
Et le miroir de lui répondre :
-Princesse, vous êtes la plus belle.
Oui. Le miroir ne mentait pas et elle comprenait maintenant pourquoi sa mère lui avait fait ce présent empoisonné. Elle révoqua le pouvoir du Miroir et rouvrit sa porte. Tous s'inclinèrent devant elle tandis qu'elle descendait à la chapelle. Un concert d'éloges la suivit quand elle pénétra dans la chapelle. L'enfant qui allait devenir la sienne dans quelques instants applaudit en la voyant. Son père se déclara à court de mots devant une si grande beauté.
Quelques instants plus tard, elle était la reine. Elle n'en tira nul plaisir.
Le reste des festivités se prolongea au bout de la nuit. Le roi la rejoignit dans sa chambre et lui fit part de son plaisir d'avoir une aussi belle et bonne reine pour servir de mère à sa fille. La nouvelle reine sourit, mais son cœur était désormais aussi dur que le verre du miroir. Quand le roi la laissa, une fois leur union consumée, elle retourna auprès du Miroir et se mira dedans, nue. Là encore, elle ne tira nul plaisir de cette vision.
-Miroir, Miroir au mur, quelle est la plus belle de tous le pays ?
Et le miroir de lui répondre :
-Ma reine, vous êtes la plus belle.
Elle l'était, oui. Mais la Reine comprenait mieux désormais certains détails de son enfance. Mère aussi avait été vantée pour sa beauté, et pourtant, Père l'avait exilée avec défense de jamais se représenter devant lui. Père n'aimait que les gens joyeux et beaux, et Mère commençait à avoir des cheveux gris et des pattes d'oie au coin des yeux. Son ventre n'était plus si ferme qu'avant la naissance de sa fille qui l'avait entendue s'en plaindre à de nombreuse reprises. Et du jour où elle avait quitté le château, combien de jeunes et belles jeunes filles s'y étaient installées pour être bien tôt remplacées quand elles n'avaient plus l'heur de plaire au roi son père ? Si un prince n'était pas né avant elle, y aurait-il eu un exil pour Mère, ou un couteau sur la gorge avant de trouver une belle princesse pour la remplacer dans le lit et le cœur du roi ? Un tel destin pouvait encore être le sien, réalisait sa fille chaque fois qu'elle se contemplait dans le Miroir.
« Combien de temps dure le pouvoir d'une femme ?
Combien de temps dure le pouvoir d'une reine ?
La réponse repose dans les reflets d'un miroir. »
Aujourd’hui, tous aimaient la nouvelle Reine et s'inclinaient sur son passage. Elle était jeune, belle et aimable. Le temps, hélas, ferait ses ravages sur elle comme il les avait fait sur Mère. Un jour, des rides se dessineraient son front. Son corps vieillirait, quelles que soient les crèmes qu'elle utiliserait pour réduire les dégâts du temps. Elle pouvait se montrer aimable, bonne, douce, compatissante, joyeuse, elle pouvait être dotée de toutes les vertus. Mais un jour, elle vieillirait. Son nouvel époux cesserait de témoigner du plaisir d'être en sa présence. Ce jour-là, les regards se détourneraient d'elle. Le pouvoir changerait de mains pour aller dans celles d'une maîtresse ou d'une belle-fille. La Reine ne serait plus que la vieille sorcière dans sa tour.
Pour les hommes, toutes les vieilles femmes étaient des sorcières, laides et dangereuses. Et ils croyaient que les femmes avaient peur de vieillir car cela voulait dire perdre leur beauté ? Non pas. Les femmes savaient simplement qu'elle risquaient de tout perdre au moindre cheveu blanc.

Cadeau empoisonné, le Miroir conserva sa place au centre des appartements de la Reine. Elle se refusa à en devenir obsédée comme l'était Mère et se força à ne le consulter qu'une fois l'an, quand revenait la date anniversaire de son mariage. Ce jour-là, le roi la gâtait de manière excessive et ils pleuraient ensemble sur le malheur qu'ils avaient de ne pas encore avoir d'enfant. Puis, la Reine remontait dans sa tour et souriait face à son miroir.
D'enfant, il n'y en aurait point. Elle ne laisserait pas un enfant lui enlaidir le corps, au risque que ce soit une fille qui viendrait un jour la concurrencer. Le chagrin qu'elle partageait avec le roi renforçait le pouvoir qu'elle avait sur lui. De toute manière, elle n'avait aucun amour particulier pour les enfants et ne voyait sa belle-fille que lorsqu'elle n'avait d'autre choix que d'aller constater d'elle même qu'elle recevait l'éducation qui seyait à une princesse. Comme le roi, par contre, aimait tendrement sa fille, la Reine se proposait souvent de le remplacer au conseil pour lui permettre de jouer avec Blanche-Neige, en lui conseillant de profiter de ces moments précieux qui s'enfuyaient si vite. Le roi lui était gré, et elle devenait irremplaçable à la Cour.
Six ans durant, le pouvoir de la Reine grandit. Six ans durant, le Miroir la rassura sur le fait qu'elle restait la plus belle du royaume. D'ailleurs, elle n'en avait même pas trente. Son pouvoir sur le roi et la cour durerait longtemps encore. Il n'y aurait point d'exil pour elle.
Ainsi se rassurait-elle, jusqu'au jour où Blanche-Neige courut vers elle au jardin pour lui montrer un bouquet. L'enfant devait avoir entre sept et neuf ans.
-Quelle charmante attention, s'exclama-t-elle en souriant pour leur entourage. L'as tu fait pour moi ?
-Non. Ce sont les jardiniers qui me les ont données, une chacune pour la plus belle des princesses ! N'est-ce pas que je suis bien jolie avec
Le sourire de la Reine se figea. Elle tapota le crâne de l'enfant et fit ôter le jour même tous les miroirs des appartements de Blanche-Neige. Quand son époux s'amusa de cette lubie, elle tâcha bien de lui faire voir raison.
-Mon époux, votre fille est bien jeune pour accorder de l'importance à sa beauté. Ne vaut-il pas mieux qu'elle grandisse en accordant de l'importance à la bonté et à la vertu plutôt qu'à l'apparence ? Vous la gâtez déjà avec ces robes et ces bijoux qui ne sont pas de son âge !
D'un geste de la main, elle désigna la robe que portait présentement Blanche-Neige, qui lui créait une taille menue à la mode peut être, mais ridicule sur le corps d'une enfant.
-Quel mal y a-t-il à ce qu'une princesse se sente belle ?, demanda le Roi.
Aucun, sauf qu'alors elle se mettait à guetter sur sa mère les signes que son règne s'achèverait bientôt. Blanche-Neige commençait à faire preuve d’orgueil devant sa beauté. La Reine trouvait cela déplorable, car cela lui rappelait une autre enfant qui avait accueilli en souriant le départ de sa mère, en sachant que désormais la première place lui reviendrait dans le cœur des gens du royaume. Et maintenant, elle avait fort à faire pour empêcher des vieillards de placer leurs filles de quinze ans sur le chemin du Roi. Les mots de sa mère la poursuivaient avec un éclat de rire mauvais.
« Combien de temps dure le pouvoir d'une femme ?
Combien de temps dure le pouvoir d'une reine ?
La réponse repose dans les reflets d'un miroir. »
Il n'y avait pas moyen de faire entendre raison au père. La Reine laissa Blanche-Neige être traitée en demoiselle à marier quand on aurait du la laisser être une enfant.
Ce soir-là, le Miroir rassura la Reine. Son emprise sur le Roi restait entière. Mais pour combien de temps ? L'hiver dernier, il lui avait offert des crèmes pour sa peau plutôt que des bijoux comme à son habitude. Blanche-Neige avait reçu peu de temps après un diamant à porter en pendentif. Un diamant, pour une enfant de même pas dix printemps !
Des bruits de couloir commençaient à remonter à ses oreilles. Serviteurs et courtisans parlaient dans son dos. Il était question d'un cheveu blanc qu'on avait trouvé sur sa brosse à cheveux un matin, comme s'il n'en poussait pas parfois sur les têtes d'enfants. On riait de voir que le roi s'était un peu moins attardé dans ses appartements un soir d'été où il devait partir tôt à la chasse le lendemain. D'aucun se félicitaient que bientôt l'étrangère perdrait de son emprise sur le roi. Tous guettaient le moment où la jeune princesse deviendrait le centre de la vie de la cour, car n'était-il pas temps de voir le jeune sang remplacer l'ancien ? La Reine vieillissait, il était temps qu'une princesse la remplace afin que la vie de cour redevienne joyeuse.
La Reine sentait la rage entrer dans son cœur. Elle vivait au château depuis bientôt dix ans. Elle était arrivée âgée de dix-sept printemps. Blanche-Neige n'en avait même pas douze et déjà elle traînait derrière elle une ribambelle de cœurs soit-disant brisés de jeunes nobliaux encouragés par leurs parents à attirer l'attention de l'unique héritière du trône. On vantait la beauté de la princesse en comparant chacun de ses attraits à ceux de la Reine. Ses bras étaient plus blancs, ses lèvres plus rouges, ses cheveux plus soyeux, son pas plus léger. Les courtisans abandonnaient la reine pour une princesse même pas sortie de l'enfance, trop naïve pour ne pas servir leurs intérêts. Ils tournaient l'enfant contre sa belle-mère et la petite les écoutait, la bouche en cœur.
Désormais, la Reine interrogeait le Miroir trois fois par an. Chaque année elle ressemblait un peu plus à sa mère obsédée par sa beauté finissante. La Reine vieillissait, ni dans son corps, ni dans son esprit, mais dans le regard des autres.
Son âge réel, sa beauté, son intelligence n'importaient déjà plus. On s'inclinait moins bas à son passage, on riait en se cachant derrière des éventails. Le pouvoir lui échappait, lambeau par lambeau.
Le jour des quatorze ans de Blanche-Neige, le Miroir asséna sa vérité fatale.
-Ma Reine, Blanche-Neige est déjà mille fois plus belle que vous.
La Reine hocha la tête en se demandant quel âge elle avait le jour où Mère s'était entendue dire la même chose. Peut importait qu'elle soit plus jeune ou plus vieille que Blanche-Neige, qu'elle même ait été dix fois, cent fois ou mille fois plus belle que sa mère. Elle résista à l'envie de détruire le Miroir comme sa mère l'avait fait avant elle.
« Combien de temps dure le pouvoir d'une femme ?
Combien de temps dure le pouvoir d'une reine ?
La réponse repose dans les reflets d'un miroir. »
Si peu. Il fallait si peu de temps avant que la magie s'étiole et que le pouvoir s'en aille. La Reine avait cru sa beauté garantie pour des décennies. Elle n'avait pas réalisé que le cœur des hommes était trop changeant pour voir la vérité. Hommes et miroirs ne voyaient la beauté que dans la jeunesse la plus rayonnante. Et comme de juste, c'était à cette seule jeunesse qu'ils reconnaissaient la moindre importance.
Très bien. S'ils voulaient la priver de ce pouvoir et la reléguer dans la catégorie des vieilles biques et des sorcières avant même qu'elle n'ait commencé à vieillir, qu'ils essaient, mais qu'ils ne s'étonnent pas si la Reine ne se laissait pas faire. Sa mère se trompait, le pouvoir d'une femme ne durait pas seulement jusqu'à ce qu'elle cesse de plaire ou que les premières rides apparaissent sur son visages comme des fêlures dans un miroir. Tant qu'elle se battrait pour le conserver, la Reine aurait du pouvoir.
Elle appela le Chasseur.

contes, pour:clair de véronèse, fic, auteur:lorelei

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