Titre : Les gens du bois dormant
Auteur : Douceur de Soie (Participant.e 14)
Pour : Pain au Raspout (Participant.e 10)
Fandom : Contes - La belle au bois dormant
Persos/Couple : OCF/OCF, le prince, la princesse
Rating : G
Disclaimer : le conte de la belle au bois dormant appartient au domaine public
Prompt : Une aventure qui se déroule au sein de ce conte, mais où la princesse et le prince qui vient la réveiller ne sont que des persos secondaires : une jeune femme (A) qui n’habite pas au château est amoureuse d’une autre jeune femme (B) qui, elle, réside/travaille au château. Lorsque la princesse se pique et que le château entier s’endort, A est épargnée mais B s’endort. A devra trouver/amener un prince pour rompre le sortilège et délivrer sa bien-aimée.
- ça peut être l’occasion de ne pas forcer la relation prince/princesse, peut-être que le prince peut “embrasser la princesse” pour rendre service, débloquer la situation mais sans être in love
Notes : je ne sais pas si cette version correspond à ce que tu avais en tête avec ce prompt mais j’espère qu’elle te plaira :) Et désolée pour les prénoms, je n’étais pas très inspirée x)
Il était une fois une jeune femme que la nature avait gâtée en force et en détermination et que le travail des champs avait rendue endurante et solide. Perle - car tel était son nom - avait tout pour assurer son bonheur. Elle avait la chance d’avoir des parents aimants et des frères et sœurs avec lesquels elle était complice. Bien que de condition modeste, sa famille ne manquait de rien car les terres étaient riches et fécondes et, de fait, les récoltes assuraient aisément leur subsistance. Ils vivaient dans un pays dont les souverains étaient bons et généreux. Et enfin, elle connaissait l’amour avec une autre jeune femme, Myosotis. Celle-ci travaillait au château comme domestique et y disposait d’un logement. Comme Perle vivait dans un village à proximité, elle lui rendait régulièrement visite. Aucune n’avait encore avoué ses sentiments à l’autre, bien que toutes deux sussent ce que l’autre ressentait. Cependant, elles estimaient qu’il n’y avait nul besoin de se presser et qu’elles avaient le temps de se connaitre et d’approfondir leur inclination pour l’autre, avant de l’admettre ; elles avaient toute la vie devant elles, après tout, et il n’y avait aucune raison pour qu’un malheur leur tombât dessus et abrégeât leur félicité.
Une seule chose venait ternir ce charmant tableau : la malédiction qui pesait sur la princesse, unique enfant du roi et de son épouse, et qui menaçait de la tuer sitôt qu’elle se serait piqué le doigt. Cependant, par chance, une autre fée avait atténué les effets du sortilège et offert une solution de secours au cas où il se réaliserait. Malgré cela, le roi avait fait bannir tout objet susceptible de le déclencher et la princesse était constamment surveillée et protégée. De ce fait, peu y croyaient encore tant la survenue d’un tel événement paraissait improbable, et Perle n’était pas de ceux-là. Rien n’était susceptible d’entacher son bonheur, donc.
Ce jour-là, elle eut l’occasion de déchanter.
Elle était encore aux champs lorsque la princesse se piqua le doigt, et s’était à peine engagée sur la route qui menait à la forteresse lorsque la fée commença à endormir l’ensemble des gens qui s’y trouvaient pour accompagner la jeune fille dans son long sommeil. Elle ne put qu’en constater les effets à son arrivée. L’absence d’activité l’alerta en premier, et un pressentiment la gagna, l’assurant que ce n’était pas normal. Voir les premiers corps assoupis l’inquiéta. Elle se mit alors à la recherche de sa bien-aimée, angoissée par le silence ambiant et par toutes ces personnes qu’elle croisait, allongées sur le sol.
Elle finit par la retrouver dans les cuisines, aussi immobile que les autres. Elle se précipita vers elle avant de s’échiner à la réveiller. Rien de ce que Perle fit ne fonctionna. Epuisée par la route et par ses tentatives infructueuses, elle tomba en pleurs, terrifiée. Voilà que la malédiction s’était finalement réalisée, malgré toutes les précautions des deux souverains ! Mais pourquoi tout le monde était-il endormi avec la princesse ? C’était terriblement injuste ! Myosotis se réveillerait-elle un jour ? Que devait-elle faire ?
Prise dans ses sanglots, elle n’aperçut pas la fée apparaitre près d’elle. Une main douce et chaude se posa sur son épaule.
- Mon enfant, il te faut t’en aller.
Perle sursauta au son de sa voix, leva la tête puis bondit sur ses pieds lorsqu’elle la reconnut.
- Madame la bonne fée !
La fée lui rendit un sourire triste. Ravalant ses sanglots, Perle la supplia de faire quelque chose pour sa bien-aimée. La fée prit un air compatissant.
- Je ne peux rien faire de plus que ce que j’ai déjà fait, mon enfant. Pour réveiller tout le monde désormais, il faudra qu’un prince aux intentions pures et sincères vienne embrasser la princesse.
Trouver un prince ? Mais où désirait-elle le trouver, ce prince ? Qui viendrait réellement dans le seul but de les aider ?
- N’y a-t-il pas un autre moyen ?
- Non. J’en suis désolée, c’est le seul subterfuge qui me soit venu à l’esprit pour détourner la malédiction originelle, s’excusa la fée. A présent, il te faut partir ; je vais ériger une forêt de ronces autour du château pour le protéger d’éventuels bandits et pilleurs. Ainsi, seuls les plus valeureux oseront se mesurer à elle - et la forêt ne laissera tranquille qu’un candidat honnête. Va, mon enfant ; il n’y a rien d’autre à faire.
Perle voulut prendre sa bien-aimée dans ses bras mais la fée la dissuada d’aller plus loin.
- L’emmener n’arrangera pas les choses pour elle. Aucun moyen, même magique, ne permettra de la réveiller, hormis ce que je t’ai dit. Tu ne ferais qu’exposer son corps au temps, aux éléments et aux mauvais hommes ; ici, elle sera protégée et, comme pour les autres, le temps sera suspendu. Quand elle se réveillera - si elle se réveille - tu la retrouveras comme tu l’as retrouvée aujourd’hui.
Perle acquiesça et se redressa. Sur les ordres de la fée, elle partit, la gorge nouée et les yeux rouges. Elle se retourna pour voir se dresser la forêt de ronces comme promis avant de prendre le chemin du retour chez elle. Le temps semblait s’écouler de manière bien étrange, et l’environnement lui parvenir de manière floutée ; sa famille s’inquiéta de la voir revenir dans cet état. Quand ils réussirent à l’extirper de ses songes, elle leur apprit ce qu’il s’était produit au château. Tous s’en lamentèrent. Comment se porterait le royaume sans ses souverains ? Que se passerait-il pour eux, pauvres hères livrés à eux-mêmes ? Risquaient-ils l’arrivée de quelques bandits ou d’une troupe ennemie qui saurait profiter de leur détresse ?
Tout cela, Perle ne le perçut pas ; elle était déjà retournée dans ses pensées. Le corps endormi de Myosotis la hantait, ainsi que les paroles de la fée. La seule solution que celle-ci lui avait donnée - le prince. Cela lui paraissait si hasardeux. Combien de temps mettrait-il à arriver ? Quelques semaines, quelques mois ? Un an, quelques années ? Davantage ? Pour la première fois, Perle se rendit compte à quel point la vie était courte, tandis qu’elle mesurait le temps qui risquait de s’écouler entre ce jour et celui du potentiel réveil de sa bien-aimée ; si celle-ci resterait la même, ce ne serait pas son cas. Elle vieillirait et dans peut-être vingt, trente ou cinquante ans, elle serait morte. Peut-être ne la reverrait-elle jamais si elle attendait sans rien faire.
Sa nuit fut des plus agitées. Cependant, elle porta ses fruits car le lendemain, Perle était décidée : coûte que coûte, elle trouverait ce prince et le ramènerait pour délivrer sa bien-aimée.
**
Plusieurs années s’écoulèrent. La rumeur du château endormi s’était répandue sur l’ensemble du continent et, si les sujets du royaume avaient eu la chance de ne pas voir leur pays sombrer dans la guerre, la promesse des richesses cachées derrière la forêt de ronces avait suscité de vifs intérêts. Comme le roi avait tout fait pour éviter ce drame, si la malédiction était connue, sa solution non ; peu étaient au courant et l’essentiel de ces personnes étaient désormais plongées dans un sommeil magique.
Plusieurs hommes, princes, barons ou simples errants, en avaient ainsi tenté la traversée, attisés par la convoitise, mais tous avaient dû rebrousser chemin, quand ils s’en étaient sortis vivants ; ainsi, les mois puis les années passant, les candidats s’étaient amoindris pour se restreindre aux plus motivés ou désespérés, mais même ceux-là avaient fini par abdiquer. Peu se lançaient désormais dans l’entreprise ; l’on disait que l’endroit était maudit. Pour beaucoup, la forêt faisait partie intégrante de la malédiction ; selon certains, elle aspirait les âmes des malheureux qui mourraient entre ses épines, leur sang, voire parfois leur chair et leur moelle pour ne laisser que des os creux. Elle ne faisait rien de tel, même aux êtres les plus mauvais. Peu avaient conscience qu’en réalité, il s’agissait d’une protection contre l’avidité de ces individus.
Perle avait beaucoup voyagé durant ces années. Elle avait quitté son foyer et sa famille, tout ce qu’elle connaissait, à peine armée de quelques maigres affaires, pour gagner la route et sillonner le pays puis le continent, traversant plaines et montagnes à la recherche d’un prince courageux et altruiste qui aurait la bonté d’âme de venir délivrer la princesse et le château sans rien réclamer en retour. En vain. Ceux qu’elle avait croisés étaient trop lâches ou trop cupides pour convenir. Perle désespérait et sa vie actuelle, en plus de la crainte de ne jamais revoir sa bien-aimée, ne l’aidait pas à garder espoir : son errance impliquait de vivre au jour le jour, alternant travails courts et mal payés, mendicité et solitude. La faim était devenue sa seule véritable compagne. Plus elle découvrait les Hommes, plus elle avait honte d’eux et de leur égoïsme - et les élans de générosité dont elle était témoin ne parvenaient pas à balayer ce sentiment affreux.
Perle avait parfois songé à abandonner sa quête ; mais que serait sa vie sans Elle ? Alors elle continuait, même si l’espoir la quittait régulièrement. Parfois, elle songeait que la seule issue de cette histoire serait sa mort sur un chemin, ignorée et oubliée de tous comme les pauvres âmes prisonnières du château. Cependant, elle s’efforçait de refréner ces élans amers et de poursuivre sa route.
Un jour, alors qu’elle déambulait dans un village en quête de nourriture ou de quelques pièces, affaiblie et affamée, souvent évitée à cause de son allure sale et de son air triste, une vieille dame la prit en pitié et l’interpella :
- Eh bien, ma jeune dame ! Vous voilà dans un bien triste état. Venez chez moi, il me reste du ragoût, quelques pommes et du pain ; c’est que mon appétit s’amenuise, avec l’âge.
Perle hésita, méfiante, mais la faiblesse de son corps était telle qu’elle se sentit incapable de refuser. Elle accepta et suivit la vieille dame jusque chez elle où, comme promis, elle reçut du ragoût, des pommes et du pain, qu’elle dévora avec avidité, ainsi que de l’eau pour étancher sa soif. La vieille dame lui offrit ensuite un baquet d’eau où elle put se laver et lui montra l’emplacement du lavoir où elle put nettoyer ses vêtements. Comme seule compensation, elle demanda à ce que Perla l’aidât à faire ses courses en portant son panier, car cela devenait compliqué pour elle avec ses articulations. Son aide la soulagerait donc d’un grand poids. Avec tout cela, la nuit tomba et la vieille dame lui offrit son toit pour dormir, ainsi que le diner, qui se composa d’une soupe de haricots et d’une tranche de pain garnie de pâté.
Les deux femmes discutèrent après le repas. Mise en confiance par la générosité que lui avait témoignée son ainée, Perle se mit à lui conter son histoire et à lui expliquer la raison de son errance et donc de sa présence au village, loin de chez elle. Elle n’attendait rien d’autre que de la pitié impuissante, habituelle ; ce ne fut pas le cas.
- Eh bien, voilà une bien triste histoire - et l’on peut dire que vous n’avez pas eu de chance. Je ne puis me proposer mais si je peux me permettre, il y a bien un nom qui me vient à l’esprit quand vous me décrivez le portrait de celui qu’il vous faudrait.
Perle eut un soubresaut d’espoir qu’elle peina à contenir ; cela lui paraissait presque impossible mais, en même temps, elle ne voyait pas la vieille dame lui mentir. Et au point où elle en était, une piste, même vouée à l’échec, n’était pas négligeable.
- Vraiment ? A qui pensez-vous donc ?
- Eh bien, j’imagine que vous n’en avez jamais entendu parler si ce nom ne vous est jamais venu à l’esprit. Connaissez-vous le Méridor ?
Le Méridor était un petit pays côtier coincé entre son pays de naissance, celui dans lequel elle se trouvait et la mer. Jusque-là, elle n’avait pas eu l’occasion de s’y rendre. Elle ne connaissait rien de ce pays hormis qu’il se composait de plaines sèches et de falaises monstrueuses et que leurs guerriers étaient réputés pour leur force et leur combativité à toute épreuve. De ce fait, elle avait pensé y croiser plutôt des mercenaires et n’avait pas considéré ce pays comme une piste potentielle ; elle l’avait donc remisé dans un coin de son esprit, en tant que dernière alternative. Elle ne savait même pas si ce peuple avait des régents ou se composait plutôt de clans hétéroclites, comme dans les terres les plus au nord.
- Vaguement, oui.
- Le roi et la reine de ce pays ont trois fils. Les deux ainés sont sans doute trop axés sur la politique pour convenir - ils auraient des exigences en retour, si tant est que vous parveniez à les rencontrer - mais le cadet a de nombreuses qualités. Il a mené plusieurs fois leurs troupes sur les champs de bataille et y a montré sa valeur. Il est très généreux envers le peuple et se mêle volontiers à eux pour les aider. Il ne profite pas de son statut pour asseoir son autorité ou semer ses exigences, bien au contraire. En vérité, il passe davantage de temps hors qu’entre les murs du château et il est davantage habitué à une vie d’austérité que d’opulence. Ainsi, s’il doit exister un prince susceptible d’accepter d’affronter ces dangers uniquement dans l’idée d’aider autrui, sans rien réclamer en retour, ce serait lui.
Perle la remercia abondamment pour cette piste et obtint le nom de ce prince si prometteur. Elle fut tant enthousiaste qu’elle peina à rester tranquille mais la vieille dame l’enjoignit à se reposer, en vue du long voyage qui l’attendait encore. Sur ses conseils, elle alla dormir et contrairement à ce qu’elle croyait, le sommeil lui vint vite. Pour la première fois depuis longtemps, il ne fut pas troublé par ses doutes et ses craintes.
Elle se réveilla le lendemain, sinon fraiche et vaillante, du moins en meilleur état que la veille - son corps protestait contre les mauvais traitements qu’il subissait depuis des mois et mettrait du temps à s’en remettre complètement. La vieille dame lui proposa du pain, du beurre et de la confiture en guise de petit-déjeuner, avec un bol de lait. Perle fut émue de découvrir le baluchon rempli de victuailles que la vieille dame lui avait préparé ainsi que la carte qu’elle avait dessinée sur un large morceau de cuir. L’heure suivante, celle-ci lui expliqua le chemin le plus simple et le moins dangereux pour se rendre à sa destination. Ensuite vint le moment des adieux, où Perle la remercia encore de toute l’aide qu’elle lui avait apportée, puis elle reprit la route.
Il lui fallut plusieurs jours avant d’atteindre la frontière entre les deux pays, et davantage encore pour atteindre la capitale et son château. La traversée des villages voisins l’avait rassurée sur le fait qu’à l’heure actuelle, le prince qu’elle recherchait s’y trouvait. Au moins, elle savait où il était.
Pénétrer à l’intérieur de la forteresse ne fut pas chose aisée mais pas impossible ; concernant le château, il en fut tout autre.
Méprisée et insultée, elle fut jetée dehors, sous prétexte qu’elle ressemblait à une mendiante et qu’elle était une étrangère. Elle demanda une audience avec le prince mais sa requête fut balayée, car le prince revenait depuis peu de voyage et qu’à l’heure actuelle, il ne recevait personne. Personne ne l’autorisa à pénétrer seulement dans la grande salle. Perle désespéra. Quelles chances avait-elle de rencontrer le prince, si elle ne devait compter que sur le hasard d’une éventuelle sortie de ce dernier ?
Alors qu’elle errait près du château, réfléchissant à des options qui ne lui venaient pas, elle croisa une jeune femme qui sortit d’une entrée de service, peu surveillée. Perle s’arrêta, hésitante. Devait-elle… ? Cependant, une telle entreprise était illégale et tout ce qu’elle y gagnerait serait de se faire arrêter, jeter en prison et d’être considérée comme une criminelle ou une voleuse si elle était attrapée ! Si ses chances de voir le prince étaient déjà minces, la probabilité pour qu’il l’écoutât et acceptât de l’aider serait alors réduite à néant.
- Excusez-moi ? Demoiselle ? Dame ?
Perle remarqua alors que la jeune femme qu’elle avait vu sortir lui faisait désormais face. Elle cilla. S’était-elle doutée de la pensée qu’elle avait eue ? Allait-elle en avertir les gardes ?
Cependant, elle s’aperçut ensuite du regard de pitié qu’elle posait sur elle et comprit que ce ne serait pas le cas.
- Excusez-moi mais vous paraissez si chamboulée…
La simple affirmation, prononcée d’un ton amical et conciliant, mit Perle en émoi. Il ne fallut que quelques secondes pour qu’elle fondît en larmes, affaiblie par la fatigue et le désespoir. Elle n’en pouvait plus de cette errance sans fin ! Avec cet énième échec, elle avait l’impression qu’on lui arrachait le dernier espoir qui lui restait et, bien qu’elle pensât y être habituée à présent, cela était très douloureux.
Face à elle, la jeune femme était désemparée.
- Oh, je suis désolée ! Je ne voulais pas…
Après un instant d’hésitation, ne sachant que faire, elle lui proposa de s’asseoir et de lui confier ses peines. Perle lui expliqua alors sa situation. A aucun moment son interlocutrice ne mit en doute ses paroles, ne témoignant que de la compassion à son égard durant son récit. Lorsque Perle acheva avec la raison de sa présence en ces lieux et l’écueil qu’elle venait d’essuyer, la jeune femme rebondit aussitôt :
- Eh bien, si ce n’est que cela, alors je peux vous aider !
Perle écarquilla les yeux.
- Comment ?!
- Comme vous devez déjà vous en douter, je travaille comme domestique au château, et il se trouve que je travaille justement dans les appartements du prince Opale ! Je peux donc vous aider à vous introduire et également vous mener directement à lui - car, soyons honnête, vous ne passerez jamais en demandant une audience officielle ; si ce ne sont pas les gardes qui vous repoussent, le majordome s’en chargera et ignorera votre demande.
- Mais n’est-ce pas risqué de procéder ainsi ? s’inquiéta Perle.
Cependant, elle s’abstint de refuser net ; il s’agissait de l’unique espoir qui se présentait à elle ! Et cela ne revenait-il pas au même que l’idée qu’elle avait eue ?
- Pas vraiment, non ; vous ne seriez pas la première que je présenterai ainsi à Opale !
- Vous… vraiment ? Mais comment -
- Le prince Opale n’est pas comme les autres princes et ne s’embarrasse pas du protocole - du moins, pas dans le cadre privé. Comme je le côtoie depuis plusieurs années, j’ai la chance de bénéficier de sa confiance et de son affection.
- Oh, je vois.
Perle n’aurait pas cru cela possible mais ne mit pas en doute les paroles de la jeune femme. Cela la rassura et elle la remercia pour son aide et pour la confiance qu’elle lui témoignait. Son interlocutrice lui assura que, de toute façon, si elle se trompait sur son compte et que Perle désirait en vérité faire du mal au prince, elle en viendrait à le regretter ; il était loin d’être un individu oisif, faible et inoffensif.
Comme c’était loin d’être son objectif, Perle ne tint pas compte de cet avertissement voilé et accepta sa proposition.
- Mais d’abord, allons chez moi que vous puissiez vous lavez et vous vêtir avec des vêtements propres ; même ma bonne foi ne suffira pas à vous introduire si vous restez dans cet état. Vous laisserez vos affaires chez moi et vous les reprendrez plus tard.
La jeune femme la conduisit donc chez elle pour lui permettre de se laver et de se changer. Perle dut se presser car sa pause ne tarderait pas à se terminer ; elle avait juste pensé à s’aérer l’esprit lorsqu’elle avait croisé Perle. Heureusement, son logement se situait dans un bâtiment qui jouxtait le château.
- Au fait, quel est votre nom ?
Perle se rendit alors compte qu’aucune d’entre elles ne s’était encore nommée à l’autre.
- Perle. Et vous ?
- Lavande.
Une fois que Perle eut terminé, elles quittèrent la demeure et gagnèrent l’entrée de service. Elles pénétrèrent à l’intérieur puis Lavande la guida dans le dédale de couloirs. Plus elles avançaient, moins Perle était confiante en leur plan, notamment lorsqu’elles croisèrent des gardes ; cependant, aucun ne réagit à sa présence et elle finit par se détendre. Après une dizaine de minutes, elles parvinrent aux appartements du prince. Quelques minutes plus tard, elles se tenaient dans son bureau et lui faisaient face.
Aussitôt qu’elle le vit, Perle fut certaine d’avoir devant elle un autre type de prince que ceux qu’elle avait vus jusqu’à présent. Tout, de son attitude paisible à son sourire rassurant la mettait en confiance. Son regard chaleureux l’assurait qu’il la considérait comme une égale et qu’il ne prenait pas ombrage de sa venue impromptue, ni n’en semblait si surpris.
Après les salutations d’usage et les présentations vint le cœur du sujet.
- Que puis-je pour vous ?
Lavande l’enjoignit à tout lui raconter, ce que Perle fit. Elle lui relata donc ses mésaventures et à la fin du récit, le supplia de lui venir en aide, car il représentait son seul espoir. Leur seul espoir, à tous. Après cela, le silence s’installa et perdura quelques secondes tandis que le prince réfléchissait, songeur.
- Effectivement, j’ai entendu parler de cette triste histoire… Dire que je peinais à y croire. Qui assure la gestion de votre royaume, si vos souverains sont concernés par ce sortilège ?
- Je… je dois admettre que je n’en ai aucune idée, avoua Perle, honteuse, avant de s’en excuser.
Préoccupée par ses périples, elle ne s’était pas souciée un instant de ces affaires-là. Pourtant, nulle rumeur d’âpres conflits pour le pouvoir, de seigneurs locaux ou étrangers, ne lui était parvenue. Si le royaume n’avait pas périclité, donc, quelqu’un avait dû en prendre les rênes ? Le frère de la reine, peut-être ? C’était un être effacé et peu ambitieux qui aimait jouir des avantages que sa position lui offrait mais qui, paraissait-il, se révélait efficace lorsqu’il était poussé à agir. Il ne vivait pas au château, il avait donc dû échapper au sort de sa sœur. Elle ne voyait aucun autre candidat potentiel.
Le prince acquiesça sans répondre. Son silence devint angoissant pour Perle, qui attendait son verdict. Il réfléchit encore quelques instants avant de se décider.
- Eh bien, il semblerait que vous n’ayez pas beaucoup de solutions…
- En effet.
Le prince se releva, un sourire sur les lèvres. Perle se sentit fébrile tandis que le moment tant attendu approchait.
- Dans ce cas, j’accepte de vous aider.
Perle se sentit défaillir sous la joie et le soulagement mais parvint à se contenir. Au lieu de cela, elle le remercia chaudement puis lui demanda comment il comptait s’y prendre pour quitter le château, car ses parents ne seraient pas forcément heureux de le voir partir pour une autre contrée dans l’unique perspective d’aider quelqu’un. Le prince et Lavande pouffèrent, ce que Perle ne comprit pas. Il s’empressa aussitôt de lui expliquer :
- Oh, vous savez, mes parents ont l’habitude - c’est ainsi que j’occupe la moitié de mon temps, j’ai la réputation de ne pas tenir en place. J’ai la chance de ne pas être l’héritier du trône, cela m’accorde des libertés que ce dernier n’a pas. De plus, cela fait déjà deux semaines que je suis de retour, ils se doutent bien que je n’aurais pas tardé à trouver un prétexte pour retourner à mes vagabondages !
Sur ces mots, Opale les congédia, le temps de prendre les dispositions nécessaires avant son départ, après avoir proposé à Perle de le rejoindre à l’aube, le lendemain, près des écuries royales. Perle accepta et le remercia une fois encore. En attendant que ce moment vint, elle proposa son aide à Lavande en remerciement de son intervention, ce qu’elle accepta volontiers ; cet intermède lui avait donné un peu de retard dans sa corvée de linge. Lavande lui promit de lui montrer ensuite les écuries avant de rentrer chez elle pour diner et y passer la nuit.
Les heures passèrent très vite et le sommeil fut difficile à saisir tant son excitation était grande. Vint enfin celle du rendez-vous. Perle retrouva le prince accompagné de deux chevaux sellés et chargés de quelques paquetages. Lorsqu’il la repéra, son unique sac sous le bras, il lui sourit et lui désigna celui qu’il lui avait attribué, un bai puissant au tempérament tranquille. Celui du prince était plus nerveux mais restait calme aux côtés de son propriétaire.
- Avez-vous déjà monté à cheval ?
Perle dut admettre que non tandis qu’elle contemplait le cheval avec une certaine crainte à cette perspective. Il était si haut ! Elle balaya ensuite cette pensée ; elle ne devait pas s’effrayer pour si peu !
Près d’elle, le prince se voulut rassurant.
- Ne vous en faites pas, je vais vous montrer.
Il lui apprit rapidement comment monter et tenir les rênes. Alors que le ciel s’éclaircissait, ils quittèrent les abords du château puis de la cité pour se lancer dans la traversée des plaines. Comme promis, le cheval se révélait très obéissant et, de ce fait, Perle ne montra pas de réelle difficulté à le guider - en vérité, il suivait de lui-même le cheval d’Opale et les ordres de ce dernier.
Le trajet de retour dans son pays fut bien plus court que ce qu’elle avait cru, grâce aux chevaux. Ils traversèrent divers paysages, ne s’arrêtant que pour dormir, se sustenter ou prendre des vivres avant de repartir. Après plusieurs jours, sous la guidance de Perle, ils s’arrêtèrent à la lisière de la forêt de ronces si renommée. Perle écarquilla les yeux à sa vue. Elle ne l’avait pas revue depuis ce fameux jour où elle avait retrouvé le château endormi, lorsque la fée l’avait fait pousser après son départ ; elle ne lui avait alors pas paru si touffue ! Il en ressortait une ambiance sinistre qui lui fit froid dans le dos. Pas étonnant que des rumeurs extravagantes circulassent à son sujet !
- A quelle distance pensez-vous qu’est le château ?
Perle fit appel à ses souvenirs et regarda longuement le paysage autour d’eux pour s’efforcer de la déduire.
- Une demi-lieue, peut-être ?
Une distance assez conséquente, lui paraissait-il. La fée n’avait pas lésiné sur ce mur végétal. Le prince hocha la tête, concentré.
- J’ai vu un village, pas loin. Mieux vaut que nous leur confions les chevaux avant d’en entamer la traversée.
Ils procédèrent ainsi et retournèrent près de la forêt à pied. Le prince sortit son épée de son fourreau et enjoignit Perle à rester derrière lui. Puis commença le long chemin parmi la forêt de ronces que leur tailla le prince. Un aller sans retour car, Perle s’en rendit vite compte, le passage se refermait derrière eux comme les branches repoussaient. Cela l’effraya et la rendit plus attentive encore à leur environnement, de crainte qu’il ne les attaquât ; il n’en fut rien. Perle n’en demeura pas moins sur ses gardes. Puis elle se rappela des paroles de la fée, qui remontaient à des années ; l’immobilité des branches en vint même à la rassurer, car elle lui garantissait qu’elle avait bien trouvé un candidat convenable. Sa détermination et ses espoirs en furent raffermis.
Au bout d’un temps infiniment long, les deux compagnons en vinrent à bout et gagnèrent le perron du château. Un élan de nostalgie saisit Perle à la gorge lorsqu’elle en aperçut les hauts murs et les tourelles, que la végétation sauvage, lierre et autres plantes grimpantes, commençait à envahir. Cependant, elle se garda de se perdre dans leur contemplation et guida le prince vers les grandes portes demeurées ouvertes.
Ils traversèrent plusieurs salles et le prince eut le loisir de voir sous ses yeux se confirmer la catastrophe décrite par la jeune femme au travers des corps endormis, parfois tordus en des positions grotesques selon l’activité qu’ils effectuaient lorsque le sort avait agi sur eux. Un silence d’outre-tombe régnait en ces lieux qui auraient dû être plein de vie. Lorsqu’ils passèrent dans les cuisines, dont l’air était encore empreint de l’odeur des plats que les gens étaient en train de cuisiner à l’époque, Perle ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil à Myosotis, qui se prolongea tant qu’elle s’immobilisa un instant. Elle fut soulagée de la retrouver dans le même état que des années plus tôt. Que lui dirait-elle lorsqu’elle s’apercevrait des années qui ne l’avaient pas épargnée elle-même ? Le prince s’aperçut de son émotion et une simple œillade lui suffit à comprendre. Il ne dit rien et la laissa se détacher elle-même de cette vision pour reprendre leur route.
Il fallut encore traverser une dizaine d’autres salles et monter plusieurs escaliers avant de parvenir à la chambre de la princesse. Ils la retrouvèrent dans ses draps de soie, les traits figés en un masque paisible. Tombée sous le joug de la malédiction le jour de ses seize ans, elle n’avait pas davantage grandi ni mûri. Perle se tint en retrait tandis que le prince s’asseyait sur le bord du lit, observant la belle endormie avec curiosité. Enfin, alors que le cœur de Perle battait à tout rompre, soudain anxieuse quant au résultat de leur tentative malgré le réconfort que la forêt lui avait procuré, le prince se pencha et embrassa les lèvres closes de l’adolescente inerte.
Il se releva pour s’apercevoir que les paupières de la princesse frémissaient avant de s’ouvrir avec lenteur. Perle dut se pencher pour s’en apercevoir également et faillit crier sa joie.
- Q-qui êtes-vous ? lâcha la princesse dans un souffle, encore abasourdie par le sortilège.
- Prince Opale, du Méridor. N’ayez crainte. C’est fini à présent, la malédiction est levée.
Perle ne resta pas davantage ; tandis que le prince aidait la princesse à se remettre de ses émotions et à se lever, elle se précipita dans les couloirs pour regagner les cuisines. Sur son passage, elle fut heureuse de constater que la vie reprenait peu à peu au château, et que le silence cédait la place aux gémissements et aux murmures de ceux qui se réveillaient d’un long sommeil.
Arrivée aux cuisines, elle se précipita là où se trouvait toujours sa bien-aimée, tout aussi déboussolée que ses semblables. Perle ne put retenir ses larmes lorsqu’elle l’étreignit. Un tel élan de tendresse, aussi vif et démonstratif, surprit Myosotis, pour qui leur dernière rencontre datait de la veille.
- Perle… ? Que se passe-t-il ?
Il fallut du temps à Perle pour qu’elle parvînt à articuler d’autres mots que des excuses ou des déclarations maladroites, puis pour lui expliquer ce qu’il s’était passé, les années qui s’étaient écoulées sans eux. Il fallut plus de temps encore pour que le château redevînt tel qu’il était et lorsque Perle sortit, Myosotis à son bras, elle constata que la forêt de ronces avait disparu. L’horizon dégagé laissait désormais voir le soleil se coucher. Ce spectacle ravit Perle qui pleura une fois de plus sous l’émotion, sans que Myosotis pût rien pour les tarir. Il lui était encore difficile d’accepter l’idée qu’elle disait vrai, bien que le temps eût commencé à marquer le visage de son aimée qui avait désormais dépassé la trentaine.
Myosotis dut bientôt la laisser, tirée par une autre domestique, car l’activité avait repris au château et que, la malédiction vaincue, les souverains désiraient remercier leur sauveur comme il se devait, à commencer par un banquet. Perle ne resta pas seule bien longtemps car le prince la rejoignit. Elle rit de ses plaintes lorsqu’il lui parla de la proposition de mariage du roi avec sa fille.
- C’est un peu gênant, elle est si jeune, sans compter que je ne la connais pas.
- Qu’avez-vous répondu ?
- Que je ne pouvais rien promettre de moi-même, qu’il me faudrait l’aval de mes parents - honnêtement, ils désespèrent de me voir marié alors je n’ai aucun doute quant à leur réponse si je devais leur transmettre le message.
- Vous allez le faire ?
- Je ne sais pas. Je l’ai précisé aussi ; je ne souhaite pas me marier à une parfaite inconnue et je ne veux pas infliger cela à cette jeune femme non plus. Ce qu’elle a vécu suffit bien assez pour ne pas lui en rajouter.
Perle était d’accord avec lui, cependant elle ne dit rien. Ce n’était pas de son ressort et elle n’appartenait pas à ce monde-là. Le séjour du prince en ces lieux avant son retour sur ses terres lui permettrait sans doute de trancher sur la question.
Peu avant de se quitter, le prince lui souhaita d’être heureuse avec sa compagne et la gratifia d’un sourire avant de s’en aller. Les joues roses, Perle ne tarda pas à rejoindre sa bien-aimée. Le simple fait de la regarder se mouvoir, vibrante de vie et de vivacité, la contentait.
Pour le reste, elles auraient tout le temps devant elles pour rattraper le temps perdu.