Titre : Renaissance
Auteur : Queen Medb (Participant.e 15)
Pour : Lierick (Participant.e 3)
Fandom : Critical Role
Persos/Couple : Lucien, les Preneurs de Tombe, les Mighty Nein.
Rating : K
Disclaimer : Critical Role appartient à Matthew Mercer et à l'équipe de Critical Roll.
Prompt : Lucien. Ce qui lui est arrivé depuis sa résurrection (son exploration de Eiselcross, le meurtre de Vess DeRogna). J'aimerais une exploration de sa psyché: son besoin de maintenir une illusion de contrôle même quand tout ne se passe pas comme prévu, son malaise grandissant quand il est confronté à des éléments de ce qu'était Mollymauk, son attitude face aux Mighty Nein et sa motivation pour agir en tant que Nonagon.
Notes : se passe pendant l'avancée vers Aeor, entre la lecture de cartes de Jester à Lucien et le prêt du livre des Somnovem. Merci de m'avoir donner l'occasion d'écrire sur Lucien, je trouve sa psychée fascinante et j'espère lui avoir rendu convenablement hommage !
Cognouza.
Cognouza était...
En vérité, Lucien l'ignorait, même s'il n'avait aucun problème à prétendre le contraire à ses compagnons. Plus exactement, il était conscient qu'il ne comprenait qu'en partie ce qu'était la cité qu'il voyait dans ses rêves ou ce qu'étaient les Somnovem. Il était le Nonagon. Il portait les Yeux des Neufs. Mais il ne savait pas tout.
Pas encore.
Bientôt. Une fois qu'il aurait atteint la cité de chair, il pourrait s'emparer de ses connaissances. Lui seul pouvait y parvenir. Lui seul pouvait comprendre la gloire qui auréolait la cité faite de chair et d'âmes. Lui seul pouvait en appréhender le potentiel. Il était le Nonagon. Il comprenait mieux que personne ce qu'étaient Cognouza, les Somnovem et Aeor, bien plus que tous ces sois-disant savants des Ordres Clarets, de l'Âme Cobalt et de l'Assemblée.
Faux, lui souffla une voix dans sa tête. Vess DeRogna comprenait tout ça mieux que toi. C'est pour ça que tu l'as consultée pour réaliser ce rituel dont tu ne comprenais pas la moitié malgré toute l'intelligence dont tu te targues. Pour ça qu'elle a pu te prendre par surprise et te chasser de ton propre corps pour tenter de s'emparer de cette puissance pour elle même.
La voix insidieuse avait peut être raison. En partie, du moins. Lucien était intelligent, plus que Vess DeRogna. L'archimage ne le battait que par l'ampleur de son savoir. Sa longue vie et son éducation lui avaient permis d'acquérir plus de connaissances que les ordres Claret n'avaient jamais consenti à donner à Lucien. Une fois elle l'avait eu, par surprise et traîtrise. Tout son savoir n'avait pourtant pas empêché Lucien de pénétrer dans sa chambre et de l'assassiner sans qu'elle ait eu la chance de prononcer le moindre mot. Lucien sourit en se souvenant de son visage surpris et outragé. Elle se pensait en sécurité parce qu'elle avait engagé des gardes du corps ? Lucien lui avait une leçon bien nécessaire alors : ne jamais se fier qu'à soi-même.
Il n'y avait qu'à voir les Preneurs de Tombes. Ils avaient été ses plus fidèles partisans dès le début, avant même qu'ils ne quittent les ordres Claret quand Lucien avait tenté, et échoué, de les convaincre de changer leurs perceptions du monde. Il les remerciait de l'avoir ramené, particulièrement Cree. D'autres, plus faibles qu'eux, l'auraient laissé pourrir dans sa tombe. Pour autant, il leur faisait assez confiance pour le suivre, pas pour accomplir quelque chose d'aussi difficile que l'assassinat de l'Archimage des Antiquités et la récupération du livre des Somnoven. Il avait besoin d'eux, mais pour protéger sa vie et accomplir son oeuvre, il ne faisait confiance qu'à lui même.
Tant pis pour DeRogna si elle n'était pas capable d'avoir cette lucidité. Maintenant c'était elle qui était morte et lui qui était en vie. Personne n'aimait assez l'Archimage pour penser plus d'une minute à la ressusciter, et lui avait appris que la mort elle même ne pouvait que la ralentir. Lucien avait gagné, sur tous les plans. Il avait prit sa vie et mieux encore, il avait reprit son livre, le livre qui allait lui amener la gloire qu'il méritait.
Patience, se répéta-t-il en serrant davantage les pans de son manteau contre lui. Ce serait pour très, très bientôt.
Le voyant faire, Cree se leva, s'ébroua et lui apporta une tasse de thé brûlant qu'elle mis de force dans ses mains. Lucien réussit à contenir sa réaction première, qui était de la foudroyer du regard, et accepta la tasse avec un sourire. Depuis qu'elle l'avait ramené à la vie, la tabaxi se comportait comme si il lui appartenait. Comme si le fait de lui avoir rendu sa vie l'autorisait à avoir un droit de regard sur celle-ci. Cela allait finir par devenir un problème. Quoique, pas forcément. Lucien n'aurait plus très longtemps besoin d'elle et des Preneurs de Tombe. Il avait encore besoin d'eux pour faciliter et assister à son ascension, mais ensuite...
-Merci, fit-il en levant la tasse de thé dans un geste de dérision qui passa au-dessus de la tête de Cree. Que ferais-je sans toi ?
-Il faut que tu garde tes forces. Nous allons en avoir besoin dans les prochains jours.
Elle jeta un regard méfiant à leurs invités malgré eux. Pauvre fille. Elle ne réalisais pas à quel point il était passé au-delà de tout ça. Plus ils se rapprochaient d'Aeor et de leur but, plus il se sentait détaché de ces besoins bassement matériels. Il sentait à peine le froid. S'il resserrait les pans de son manteau, c'était parce que son corps se souvenait avoir eu froid. Il n'avait pas besoin de ce thé à l'odeur délicieuse offert gracieusement par Caduceus. C'était le prix à payer de la grandeur que lui octroyait le rôle de Nonagon, un qu'il payerait joyeusement encore et encore. Et quand il aurait atteint Aeor et posé le pied dans Cognouza, quand il se serait emparé du pouvoir des Somnoven, il s’élèverait définitivement au-delà de tout ça, il pouvait le sentir. Son corps, hélas, ne semblait pas prêt à accepter cette idée.
Son corps. Lucien frissonna, mais pas de froid. Il serra plus fort sa tasse, une fois, deux fois, et engouffra tout son contenu sans se soucier de la brûlure dans sa gorge. Son corps tenta de tousser, mais il l'en empêcha et s'enorgueillit de sa réussite. Il était le maître de son corps et de ses besoins, pas le contraire.
Il n'avait pas toujours traité son corps de la sorte, mais les choses avaient changé. Un autre avait fait bouger son corps. Un autre l'avait nourrit, abreuvé et lavé. Pire, l'autre s'était arrogé le droit de le défigurer en le tatouant de plumes, d'animaux et de couleurs éclatantes qui effaçaient la splendeur des Yeux des Neufs. Parfois, Lucien avait l'impression de le sentir ramper sous sa peau.
Non. Il refusait d'y penser. Son corps était à lui et à lui seul.
Remettant en place le masque débonnaire qu'il affichait depuis leur rencontre avec les Nein, Lucien se leva gracieusement et les rejoignit près du feu qu'ils avaient allumé le plus loin possible des Preneurs de Tombe. Seul Caduceus osait en franchir la distance pour proposer du thé aux seconds. Les Nein étaient des gens méfiants, même s'ils étaient trop incompétents pour protéger la femme qui les avait payés pour protéger sa vie. Lucien ne leur en tenait pas rigueur, d'ailleurs. Cela avait facilité son travail, au moins. Quand à leur méfiance, elle était réciproque et rendait au moins le voyage à travers Eiselcross plus intéressant. Lucien haïssait ce paysage de neige uniforme.
-Merci pour ce thé, mentit-t-il en rendant la tasse à Caduceus. Il était délicieux.
-Pas étonnant, ricana la halfeline, Veth. Il a été fait avec des gens très bien.
Mieux valait ne pas poser de questions. Lucien se prépara à faire demi tour et retourner près de son propre feu. De toute manière, il pouvait espionner le groupe à volonté. Le demi-orc sentait parfois sa présence, mais il était bien le seul, et il ne pouvait pas utiliser cette habilité indéfiniment. Lucien, si.
-Tu ne restes pas ?, demanda la tiefling, Jester, avec de grands yeux mouillants. On racontait à Caduceus des histoires d'avant notre rencontre. Il y a cette fois où...
-Sans façon, merci.
De ce qu'il avait compris, toute histoire concernant le groupe avant l'arrivée du firbolg devait nécessairement mentionner l'abomination qui avait pris sa place pendant son... absence. Il était heureux de rester ignorant sur ce qu'avait fait son corps sans âme - car cette chose, ce « Mollymauk » n'était pas une âme - sans lui pour le guider.
-Nous n'en avons pas le temps, de toute manière, ajouta-t-il. Il est temps de repartir si nous voulons reprendre notre route dès l'aube et franchir ce qu'il reste de distance entre nous Aeor. Ni vous, ni moi n'avons envie de nous attarder dans ce blizzard.
Il commença à faire demi-tour pour prévenir ses propres compagnons en ignorant délibérément le pincement au cœur qu'il ressentit devant la mine piteuse de Jester. Il n'appréciait pas la tiefling, se répéta-t-il. Elle était bruyante et infantile. Dangereuse, aussi. Sortir ainsi la Mort en lui lisant son avenir... Lucien n'allait pas mourir. Pour le consoler, Jester avait prétendu que c'était aussi un symbole de renaissance. Elle ignorait à quel point elle avait raison. Lucien allait renaître et s'élever plus haut que personne depuis la Calamité.
Le souvenir de la lecture n'en était pas moins désagréable. Jester avait vu en lui des choses qu'il n'avait jamais dit à voix haute. Oui, elle était la plus dangereuse du groupe. Au moment où ils devraient s'attaquer aux Mighty Nein, si ce moment venait. elle devait être la première à tomber. Son cœur se serra, au dépit du bon sens. Pourquoi l'idée de la voir morte lui faisait si mal ? Il fallait être rationnel. Au mieux, les Nein étaient des boucliers vivants pour leur permettre d'avancer dans Aeor, au pire des pions qu'il utiliserait et jetterait ensuite. Lucien ne voulait rien avoir à faire de plus avec eux. Ils n'avaient pas le droit de le traiter en ami et de hocher la tête devant ses maniérismes comme s'ils les connaissaient mieux que lui. Il ne les connaissait pas et ne voulait pas les connaître.
Point final.
Hélas, eux ne semblaient pas penser ainsi. En particulier l'autre clerc qui le suivait de près.
-J'ai d'autres tasses à récupérer, s'excusa-t-il d'un ton égal avant de froncer les sourcils. Il faut les comprendre. Il est toujours difficile de se trouver confronté à un souvenir vivant d'un être cher. C'est nécessaire, pourtant. Ainsi fonctionne le deuil.
-Ce qu'ils pleurent n'a jamais existé.
-Peut être. Ce qu'ils ont ressenti n'en était pas moins réel et la mort de Mollymauk les a modelé bien plus que sa vie. Chacun d'eux sacrifierait aujourd'hui sa vie sans hésitation pour rendre le monde un peu meilleur et c'est lui qui le leur a appris.
Lucien en doutait fortement. Jamais il n'aurait agit ainsi. Il avait appris très tôt à ne faire confiance à rien et à personne et qu'il n'y avait aucune honte à survivre au prix de la vie des autres. L'autre ne pouvait être si différent que ça de lui.
Alors, lui souffla la même voix insidieuse qu'il apprenait très vite à détester, pourquoi peut tu mettre une émotion sur chacun de ces visages ? Affection, dédain, amusement, respect,... Des sentiments tellement différent de ce qu'il ressentait pour Cree et les autres. Si l'autre a habité ton corps et laissé derrière lui ces fantômes d'émotion, souffla la même voix, qu'as-tu laissé derrière ? Qu'a-t-il découvert sur toi que tu n'as jamais dit à personne ? Qu'a-t-il révélé à ses « amis » ?
Il ne voulait pas y penser. Cela ne ferait que distraire son esprit de la tâche à accomplir, et cela ne changerait rien au final. D'ailleurs, si l'abomination avait gardé quelque chose de lui comme Lucien en avait gardé quelque chose, ce « Mollymauk » ne pouvait être le parangon de vertu que décrivaient les Nein.
-Pourquoi me dire ça ?, finit-il par demander en voyant que Caduceus ne semblait pas décidé à s'éloigner.
-Parce qu'il doit être tout aussi difficile de voir des étrangers vous pleurer sans vous connaître, vous aimer sans vous comprendre, et vouloir vous voir disparaître pour qu'un sourire plus familier anime vos traits. Ce ne doit vraiment pas être facile non plus. Peut être que les laisser vous parler de Mollymauk vous aiderait tous, ou peut être que cela empirerait la situation pour tous. Qui sait ? Mais vous savez tout ça et vous y avez songé. Vous avez au moins la bonté de ne pas reprocher à mes amis leur souffrance en vous voyant. Mais je me demande, a-t-il laissé quelque chose derrière lui qui pourrait grandir et faire de vous un homme meilleur ? Je n'en sais rien, mais je crois que vous vous posez la même question. Bonne nuit, monsieur Lucien.
Figé sur place, Lucien le regarda s'éloigner. Caduceus se trompait. « Mollymauk » était un parasite indigne d'occuper son corps et pas quelque chose dont il pouvait apprendre quelque chose. Lucien était le Nonagon, le représentant des Somnovem dédié à la grandeur. L'autre n'avait rien laissé qui vaille la peine d'être conservé, ni courage, ni compassion, ni rien d'autre. Lucien n'était peut être pas parfait, mais il le serait bientôt. L'autre ne valait pas la peine qu'il y pense et les paroles du firbolg ne pouvaient pas le blesser.
Et pourtant... Il n'arrivait pas à faire obéir ses jambes. Il voulut hurler à ses Preneurs de Tombe de massacrer les Nein, que les ennuis qu'ils créaient surpassaient l'atout qu'ils pouvaient représenter, mais aucun son ne sortait de sa bouche. Alors, il ôta un de ses gants et enfonça ses ongles dans sa peau, griffant celle-ci assez fort pour en tirer du sang. Par moments, il voulait punir ce corps trop faible pour conserver son âme à l'intérieur. C'était son corps, pas celui d'un autre, et même s'il avait été incapable de garder son âme, il aurait du refuser d'en accepter une autre, ou même un ersatz d'âme comme ce « Mollymauk ». Combien de temps faudrait-il pour qu'il efface jusqu'à son souvenir ?
Lucien se souvenait des premiers jours et des premières semaines après sa résurrection. Il lui avait fallu presque un mois pour reprendre la maîtrise de son corps. L'autre le lui avait rendu dans un sale état, avec des réflexes et une force amoindrie. Il détestait penser à cette période, parce qu'il avait été aussi fragile qu'un enfant, à la merci de ses compagnons pour manger comme pour marcher. Vicieusement, il espérait que l'autre avait pareillement souffert au moment où il avait prit sa place. Ce ne serait que justice, pour les dégâts qu'il avait causé, les cicatrices et les tatouages qu'il avait laissé derrière lui.
Publiquement, Lucien pouvait bien dire aux Nein qu'il comprenait leur deuil et sourire avec une feinte compassion, mais il ne serait satisfait que quand toute trace de l'intrus serait effacé. Le livre des Somnovem parlait l'ampleur des pouvoirs des habitants de Cougnouza, suggérant que leurs seules limites étaient celles de l'imagination. Lucien était tout prêt à y croire et auquel cas, son corps serait bientôt purifié des restes de l'autre, à moins qu'il ne décide de punir encore davantage le traître en s'en modelant un nouveau, plus fidèle et plus obéissant.
Quand aux Nein...
Sans un mot, il les regarda se coller les uns contre les autres et dresser leur hutte magique. Lucien aurait pu d'une pensée la faire disparaître, mais il n'en fit rien. Un plan commençait à naître dans son esprit. Après une journée à les observer, Lucien était maintenant sûr qu'ils étaient trop méfiants pour se laisser manipuler comme il l'avait envisagé et le souvenir de leur « ami » était trop puissants pour qu'ils acceptent de vagues offres d'amitié. Il lui restait un moyen, pourtant. La curiosité était le défaut des Nein et la clé pour les atteindre.
Lucien s'assit pour réfléchir, à égale distance entre les Nein et les Preneurs de Tombe. Bientôt, il fut le seul à ne pas dormir. Il n'essaya même pas. Il n'en avait plus besoin. Il n'y avait que deux choses à faire, inspirer profondément et ouvrir son esprit.
Immédiatement, Lucien la vit.
Cognouza.
La cité à l’indicible beauté inspirant la terreur jusque dans son cœur. Comme à chaque fois depuis la première fois qu'il l'avait vu, la terreur se résorba, laissant place à l'admiration. Ce qui la rendait terrible, après tout, c'était ce qui faisait aussi sa grandeur : les amas de chair battant au rythme de milliers de cœur, la faim insatiable qui irradiait de ses murs, la brillance aveuglante des esprits qui l'habitaient.
Comment ne pas désirer cela ?
Malgré lui, Lucien repensa au sourire de Jester, ce sourire sincère et honnête qu'il avait tant de mal à imiter. Comme lui elle portait des cornes, signe de son héritage maudit, mais elle avait visiblement grandi heureuse et aimée. Lucien avait grandi dans la fange de Louchecrique, abandonné par tous à cause de ce même héritage. Il surpassait tous ceux autour de lui par son intelligence et s'en était servi pour survivre puis pour sortir du ruisseau. Les Ordres Clarets lui avaient donné de quoi nourrir cette intelligence et Lucien s'était juré de la polir comme un diamant, avant que ses instructeurs ne commencent à lui reprocher ce pour quoi ils l'avaient applaudi au début. Ils estimaient qu'il fallait mettre des limites au savoir et que certains domaines ne devaient pas être explorés. Les imbéciles.
Les Somnovem et Lucien se comprenaient. Ils partageaient cette même faim de connaissances, à tout jamais impossible à satisfaire, cette même certitude que leurs seules limites étaient celles qu'ils se créaient. Lucien les sentait, tous les sept, l'attirer par delà les plans jusqu'au cœur de la cité. Il voyait leurs esprits irradier plus fort encore que les autres habitants de Cougnouza.
Bienvenue...
Bienvenue...
Viens...
Libère...
Prend...
À tout jamais, à tout jamais...
Devenir un, devenir un, ne faire qu'un, partager, n'être que...
Lucien ne faiblit pas sous l'assaut de leurs pensées. Patience, leur envoya-t-il en réponse. Bientôt. Puis, il étouffa leurs voix et se contenta de se nourrir de la vision glorieuse de la cité. Les Somnovem pulsaient toujours dans divers endroits de la cité, mais il ne leur accorda aucune attention. Son esprit était bien plus acéré que les leurs, émoussés par huit siècles d’inaction.
Il sourit. Vess DeRogna était persuadée que devenir le Nonagon était le moyen d'ouvrir la porte vers Cognouza. Elle avait raison. L'Archimage pensait aussi que le Nonagon était celui qui libérerait les Somnovem. Elle n'avait pas tort. Cependant, elle se trompait sur la suite à donner à cet événement. Vess DeRogna pensait négocier sa récompense. Lucien allait la prendre par la force. Bien sûr, il était reconnaissant envers les Somnovem de l'avoir marqué et d'avoir préservé son âme pour qu'elle ne soit pas dispersée aux quatre vents et puisse être restituée à son corps, mais il ne se leurrait pas. Les promesses, après tout, n'engageaient que ceux qui y croyaient. Gaudius, Luctus, Ira, Vigilan, Elatis, Timorei, Mirumus, Culpasi, Fastidian, il les connaissait aussi bien qu'ils le connaissaient. Ils étaient fous, totalement fous, n'étant plus que le trait de caractère qui les définissait le plus, mais savaient encore comploter et planifier. Même dans leur folie, ils étaient brillants. Lucien pouvait définitivement admirer cela. Ils comptaient se servir de lui et lui offrir des bribes de savoir. Ils le tiendraient par la promesse d'autres miettes qui ne satisferaient jamais Lucien pendant qu'ils emmagasineraient encore plus de connaissances. Chacun essayerait de le monter contre les autres en lui promettant plus que ses confrères. Et bien non. Ils n'étaient pas des dieux, même si Cree les traitait comme tels. Lucien les dominerait et prendrait ce qu'ils comptaient lui refuser. Il connaissait leurs faiblesses, au premier rang desquelles la profonde méfiance qu'ils se vouaient les uns aux autres.
Finalement, Vess DeRogna avait bien arrangé ses affaires. Il avait été trop hâtif en accomplissant le rituel. Ces longues semaines passées à retrouver le contrôle de son corps lui avaient au moins permis de réfléchir et de préparer un plan. Les Somnovem ne l’intégreraient pas à leur petite cabale. C'est lui qui en prendrait le contrôle. Même les actes des Nein avaient joué en sa faveur. Si leurs actions inconsidérées n'avaient pas mené à la mort de « Mollymauk », il aurait eu bien plus de mal à récupérer son corps, malgré toute l'aide des Somnovem.
Presque à regret, Lucien quitta le rêve et laissa se dissiper l'image de Cognouza. Elle restait cependant imprimée dans ses rétines, mais il ne pouvait risquer que les Somnovem prennent conscience de son plan. Ce serait difficile. Ils étaient liés psychiquement et la proximité leur rendrait plus facile de pénétrer dans son esprit.
Oui, Lucien devait trouver un moyen de distraire leur attention. Peut être avait-il tué DeRogna un peu vite. Ou pas. Certes, elle aurait distrait l'attention des Somnovem, mais Lucien n'était pas arrogant au point de penser qu'il serait capable d'arrêter une autre tentative sur sa vie. DeRogna était vicieuse dans ses attaques et elle aurait eu les Nein pour l'épauler. D'ailleurs, il lui fallait le livre. Non, il avait choisi le bon moment pour se venger, mais il lui fallait une autre distraction. Les Preneurs de Tombe ne feraient pas l'affaire. Ils avaient une manière de pensée trop prévisible et ils étaient dans le radar des Somnovem depuis trop longtemps. Leur loyauté, celle de Cree en particulier, leur ferait obéir au moindre de ses ordres et c'était bon apprendre, mais... Ils pourraient lui faire gagner un peu de temps, mais pas assez.
Les Nein, par contre... Les Nein étaient imprévisibles. Ils avaient quelque chose de la bête sauvage acculée à un mur. Ils pouvaient fournir cette diversion, mais l'idée de Lucien pouvait également se retourner contre lui. À moins qu'il ne trouve un moyen de contrôler leur imprévisibilité. Fort heureusement, Lucien avait un moyen à sa portée.
Un livre, plus exactement. De la tentation à l'état pur reliée de cuir, à laquelle Vess DeRogna n'avait su résister. Certains des Nein y résisteraient. Caduceus avait quelques éclairs de sagesse, mais c'était un imbécile heureux. Yasha, une brute stupide. Les autres... Lucien connaissait les mages. Caleb puait le rejeton de l'Assemblée du Cerberus à plein nez. Il céderait. Fjord aussi peut être. Ce que les Nein avaient sous-entendu de son passé tendait à lui faire penser que le pouvoir était une tentation pour lui. Beauregard. Beauregard céderait. Ces moines de l'Âme Cobalt étaient trop avides de comprendre le monde pour qu'elle laisse passer une chance de poser ses mains sur le livre. Ils y chercheraient un indice, un moyen de l'abattre. Oui, Caleb et Beauregard au moins s'y essayeraient. Les autres c'était moins sûr, mais chaque œil apposé sur l'un d'entre eux le rapprocherait de la victoire.
Le tout était de ne pas leur montrer à quel point il tenait à ce qu'ils lisent le livre. Il devait faire semblant de céder parce qu'il commençait à les trouver sympathiques, ou qu'il leur faisait une faveur en espérant qu'ils la lui rendraient plus tard. Ou, peut être mieux encore, il pouvait prétendre agir sur une lubie et faire semblant de le regretter la seconde suivante. De toute manière, il n'avait pas besoin de les laisser consulter le livre très longtemps. Un aperçu suffirait à les lier aux Somnovem. Et à partir de là, Lucien pourrait si facilement les surveiller qu'ils ne seraient plus un problème.
Peut être que la distraction ne tiendrait que jusqu'à leur entrée dans Aeor, ou à son arrivée à Cognouza. Si cela lui permettait d'arriver à l'Aether Crux sans que ses plans ne soient dévoilés... Certes, le plan était risqué. Il pouvait s'y brûler les ailes. Le tout serait de garder assez de distance entre eux et lui au moment de pénétrer Cognouza. Quand ce serait fait, ils n'auraient plus aucune chance de l'arrêter. Après tout, lui aurait bientôt un aperçu de leurs capacités réelles tandis qu'il pourrait facilement cacher celles octroyées par les Somnovem. Ils avaient vu combattre « Mollymauk », mais ce n'était qu'une parodie de ses capacités réelles.
Lucien sourit. Il n'aurait pas besoin de les tuer. À sa grande surprise, c'était un soulagement. Un reste de l'autre. C'était la seule explication. Ainsi donc, il les avait suffisamment aimé pour ne pas vouloir les voir morts, des mois après sa propre disparition. Ça, c'était du dévouement. Et cette fois, l'autre avait raison. Ce serait du gaspillage que de tuer ces brillants individus. Ils pouvaient le servir, autant voire peut être même plus que les Preneurs de Tombe. Leur inventivité serait leur force, pour peu qu'il parvienne à les contrôler. S'ils s'attaquaient à lui, par contre... Alors il ne promettait plus rien.
Un plan mûrissait dans son esprit. Demain il leur donnerait un aperçu du livre et quand les Somnovem poseraient leurs griffes sur eux, Lucien ferait de même. D'ici deux à trois jours, ils seraient à l'entrée d'Aeor. D'ici là, Lucien s'emparerait du sceau du seuil qu'ils détenaient et trouverait un moyen de les distancier. Ils le pisteraient jusqu'en Aeor, toujours deux pas en arrière, distrairaient les Somnovem et assisteraient à sa victoire. Il ne les avait pas encore vraiment vu en action, mais quelque chose lui disait qu'ils survivraient à leur rencontre avec Cognouza et ses habitants. Ensuite, il les remercierait pour leur aide, tout comme il remercierait les Preneurs de Tombe. Un pouvoir sans limite basé sur l'imagination, voilà ce qu'il allait gagner et il l'utiliserait pour leur donner ce qu'ils voulaient. Gloire, amour, fortune, parents disparus... Ils remercieraient Lucien de les avoir prit de cours quand ils verraient ce qu'il pouvait faire pour eux. Peut être même se montrerait-il grand prince et leur offrirait-il le retour de ce simulacre de vie qu'était « Mollymauk » en créant un nouveau corps pour l'abomination.
À nouveau, Lucien sourit. Pourquoi dormir quand ce temps pouvait être utiliser pour peaufiner ses plans jusqu'à la perfection ? Il était sûr de lui désormais. Les Nein ne mourraient pas. Ils survivraient et serviraient ses plans.
Comme il se devait.
Il rappela à lui la vision glorieuse de Cognouza et se baigna dans sa gloire, ignorant sa main qui tremblait à l'idée de manipuler les Nein. Lucien était calme. Il contrôlait la situation. Tout était prêt et bientôt, ils assisteraient à sa renaissance.