Titre : Opération Bas les masques ! (partie 2) (
Lien vers la partie 1)
Auteur : Kyubey (Participant 3)
Pour : Michel Mayonnaise (Participant 7)
Fandom : Megamind
Persos/Couple : Megamind/Roxanne
Rating : R
Disclaimer : Megamind appartient à la firme Dreamworks
Roxanne serra les poings et résista à l’envie d’en lever un en signe de détermination, les yeux brillants. Cette fois cela allait fonctionner, elle y croyait. Elle avait Minion de son côté à présent, ce qui représentait un atout non négligeable. Pour l’instant elle attendait l’arrivée de Megamind près de l’un de leurs lieux de rencontre habituels, même si elle ne comptait pas s’y rendre cette fois. Il était dimanche, il faisait beau et le marché se dressait sur la grande place publique et ses ruelles attenantes comme il en était d’usage. Megamind n’était pas très coutumier de ce genre de rassemblement et Roxanne y avait vu là une occasion pour lui de prendre un peu un bain de foule. Heureusement, elle n’avait pas eu à insister pour s’y rendre car elle était une habituée, Megamind le savait, et il désirait tout autant qu’elle passer du temps avec elle.
C’était parfait.
- Roxanne !
Elle se retourna pour voir Megamind sous sa fausse apparence de jeune brun trébucher en s’extirpant de la voiture, se rétamer sur le trottoir et s’accrocher au lampadaire pour ne pas chuter complètement. Il lui fit un coucou avant de penser à se redresser et une fois debout, il la rejoignit d’un pas rapide, les cheveux décoiffés et ses vêtements froissés. La chemise, qui entrait auparavant dans le pantalon, en ressortait voire même en dépassait légèrement. Roxanne se mordit la lèvre, amusée par sa maladresse. Elle adressa un geste à Minion, visible en tant que chauffeur dans la voiture, qui lui répondit par un pouce levé avant de quitter le trottoir. Lorsqu’il fut devant elle, elle lui attrapa les mains et lui adressa un sourire rayonnant.
- Tu ne devrais pas te jeter aussi précipitamment de la voiture, voilà le résultat ! s’exclama-t-elle dans un rire après qu’ils se furent salués.
- Je ne suis pas tombé, rétorqua-t-il avec bonne humeur avant de jeter une œillade soucieuse vers la foule qui commençait à affluer dans la rue.
Roxanne n’osa pas lui dire que ce n’était rien comparé au marché qui était très fréquenté.
- On dirait qu’il y a grand monde de sorti aujourd’hui, constata-t-il.
- Oui. Comme tous les jours de marché, il a son succès parmi les habitants, on y trouve de tout et surtout des produits locaux.
Une lueur de curiosité apparut dans le regard de Megamind. Il avait toujours évité ce type de rassemblement, excepté lors de ses attaques. Sans sa façade de super-vilain, il ne s’y sentait pas à son aise.
- On y va ? lui demanda-t-elle.
Il se retourna vers elle pour lui adresser un sourire tandis qu’elle saisissait son bras. Il acquiesça. Ils suivirent les gens qui les précédaient vers la grande place et se laissèrent porter par le rythme du courant que la foule leur imposait. Rapidement, celle-ci devint de plus en plus compacte, ce qui rendit Megamind un peu circonspect. Pas qu’il fût agoraphobe mais il n’avait pas l’habitude d’être parmi autant de monde et il suffisait sans doute d’une maladresse pour qu’il perdît son apparence humaine. Instinctivement il tâta sa montre qui était bien en place. Il n’en montra rien mais intérieurement, le soulagement le traversa brièvement. Il devait être prudent mais il n’y avait nulle raison qu’il y eût un quelconque souci. Là encore, il apprécia l’anonymat que lui conférait ce visage inconnu et le fait de ne susciter aucune réaction chez les personnes dont le regard glissait involontairement sur lui car personne ne s’efforçait de le dévisager. Il aimait à être reconnu mais ne souhaitait pas que ce fût au prix de la frayeur qu’il susciterait. C’était une chose qu’il regrettait de son statut d’ancien super-vilain où peu importait car au contraire, il en jouissait, mais il lui suffisait de contempler le visage de Roxanne pour que ce sentiment disparût. Non, même si cette situation avait quelques inconvénients, il avait gagné bien davantage au change.
Il fallait juste qu’il s’habituât à sa nouvelle vie.
Il ne remarqua pas les fréquents coups d’œil que lui jetait Roxanne, dans l’expectative. Il ne remarqua pas non plus que, alors qu’ils gagnaient les premiers stands du marché, sa fausse apparence disparut, comme il n’avait pas noté auparavant que sa montre avait été programmée de sorte à finir par s’éteindre après un certain laps de temps. Roxanne retint un sourire satisfait. Le bricolage de Minion avait finalement fonctionné ! Etant donné sa difficulté à récupérer l’objet sans que le propriétaire ne le remarquât, Minion n’avait pas eu le temps de tester l’efficacité de sa manœuvre. Ainsi Megamind avait-il repris sa véritable apparence à son insu sans même qu’il n’en n’eût conscience ni ne sentît le moindre changement en lui. Il portait son regard partout sur les stands, en un lieu où, jusqu’à présent, il n’avait jamais été le bienvenu.
Comme Roxanne l’avait espéré, il n’y eut nul cri de terreur. Elle comptait bien faire semblant de se rendre compte tardivement du changement d’apparence et d’en être surprise - cet essai était autant pour lui que pour elle-même, afin de déterminer la réaction réelle de la population confrontée à son apparence. Elle souhaitait ainsi faire comprendre à son compagnon que leur jugement n’était pas aussi négatif qu’il le croyait et que de toute manière, leur avis n’était pas le plus important. Elle fut cependant dépitée de constater qu’il y avait encore quelques mouvements de recul instinctifs et des yeux qui se vrillaient vers lui pour le dévisager avec insistance ; l’habitude était encore tenace. Nul regard malveillant ceci étant, ce qui était une bonne chose ; avec le temps, ils cesseraient même ces gestes-là.
Roxanne chercha à le distraire afin qu’il ne s’en rendit pas compte mais cela ne fonctionna que dans un premier temps. Alors qu’ils s’étaient arrêtés devant un stand de fruits et légumes et que Roxanne était en train de régler ses emplettes, Megamind sentit le regard insistant du vendeur et commença à se poser des questions. Il demanda à Roxanne alors qu’ils s’extirpaient de la petite assemblée qui entourait le stand pour le quitter :
- Roxanne, j’ai quelque chose sur le visage ?
Elle se tourna vers lui, surprise.
- Non, pourquoi ?
- Je ne sais pas, le vendeur me regardait bizarrement.
Roxanne serra les mâchoires, dépitée qu’il s’en fût aperçu et surtout, de la conduite de l’individu. Ce type était un géant doté d’une large bedaine et de poils qui dépassaient de tous ses vêtements, cela devait-il lui valoir des regards tordus des passants ?
Elle commença à bavarder dans l’espoir d’attirer son attention sur elle et non sur les gens, sur les emplettes qu’elle désirait effectuer et sur d’autres choses, sur le marché ou même ailleurs. Malgré ses efforts, Megamind se rendit compte des écarts qu’effectuaient certaines personnes après l’avoir vu et des œillades perplexes ou curieuses, ce qui le troubla. Il fronça les sourcils avant de baisser instinctivement son regard vers ses mains. Il s’arrêta brusquement, muet d’horreur, lorsqu’il aperçut leur couleur d’origine. Roxanne, qui observait finement ses réactions, le remarqua aussitôt et l’imita dans son arrêt.
- Je… mon apparence…
- Megamind…
Elle tendit les mains vers lui alors qu’il triturait furieusement sa montre, pour constater avec effroi que contrairement à la dernière fois, cela n’avait aucun effet. Cela amplifia son angoisse et de fait, il ne sentit même pas la main de Roxanne se poser sur son épaule.
- Megamind, calme-toi, ce n’est pas si grave.
- Je-Ça doit marcher. Ça DOIT marcher. Mais qu’est-ce qu’il se passe ?
Le cœur de Roxanne se serra devant la détresse de son compagnon et elle tenta de le rassurer, en vain. Ses paroles effleuraient ses oreilles mais il ne l’écoutait pas. Il marmonnait en s’échinant sur sa montre qui refusait de fonctionner. Il essaya tous les boutons sans succès. Autour d’eux, son attitude surprenait plus qu’autre chose mais il n’y avait nul cri, si ce n’était ceux habituels des vendeurs qui vantaient les mérites de leurs marchandises ou des passants qui essayaient de se faire entendre de leurs interlocuteurs. Malgré tout, les oreilles de Megamind entendaient une nouvelle fois les mêmes cris de terreur poussés dans le restaurant, lorsque Bernard avait disparu pour lui laisser la place. Les mouvements de terreur jusqu’à vider totalement les salles tant sa vue leur avait été épouvantable. Seule Roxanne était restée, figée par la stupéfaction puis par la déception et par l’horreur. Les sons et les images ne cessèrent de tourner en boucle dans son esprit. La différence était que cette fois-là, seule une distraction avait été responsable de la situation mais la montre fonctionnait toujours ; pas ici. Toutes ses tentatives se soldaient par un terrible échec.
- Megamind, arrête de t’acharner ainsi sur cette montre, elle ne doit plus fonctionner !
Megamind leva alors la tête et la gorge de la jeune femme se serra à la vue de son regard terrifié. Elle comprenait ce qu’il redoutait.
- Megamind. Tu vois bien que personne ne crie…
Megamind l’entendit mais ne l’écouta pas. Les cris avaient disparu, ou plutôt s’étaient transformés pour redevenir ceux de la foule, qui n’avaient rien à voir avec lui. Perturbé, il se frotta le visage ; le passé semblait se mêler au présent et il ne savait plus distinguer le vrai du faux. Y avait-il véritablement eu des cris ou les avaient-ils seulement imaginés ? Dépité, il abandonna sa montre, conscient qu’il y avait trop de monde et qu’il n’avait pas le matériel nécessaire pour la démonter ici. Il tituba et leva la tête, un peu hébété. Les gens continuaient de passer pour la plupart alors qu’eux-mêmes étaient à l’arrêt, mais pas aussi vite que s’ils fuyaient. Plusieurs regards s’attardaient sur lui et il les imagina scrutateurs et mauvais.
Il décréta que c’en était trop et qu’il avait fait suffisamment de dégâts pour la journée. Il se mit soudain en branle et fonça dans la foule dans l’idée de s’en extirper au plus vite. Roxanne tendit la main vers lui, dans le vain espoir de le retenir.
- Megamind, non ! Megamind, attends !
Il bouscula de nombreux passants sur son chemin et s’en excusa régulièrement. Roxanne essaya dans un premier temps de le suivre et l’appela mais encombrée de ses paquets, elle finit par le perdre de vue. Elle s’arrêta, désappointée et seule. Elle soupira et ses épaules s’affaissèrent. C’était un terrible échec et pire que tout, Megamind en avait souffert. Elle se sentait presque comme un monstre.
Mais surtout, elle se sentait impuissante face au mal qui le rongeait et c’était ce qui lui faisait le plus de peine. Elle en vint même à se demander s’il y avait réellement espoir de changer les choses un jour.
**
Roxanne s’arrêta un instant devant l’usine désaffectée, troublée. Cela lui faisait drôle de venir là après tous les événements qui avaient fait basculer Megamind du statut de super-vilain à celui de super-héros. Un élan de nostalgie la saisit mais elle se reprit et pendant qu’elle fouillait dans sa mémoire, elle longea les murs de brique jusqu’à retrouver l’entrée secrète de l’antre de son compagnon. Elle sourit tristement en voyant ce même paillasson qui lui avait permis de repérer l’entrée la première fois. Elle était presque sûre que Megamind s’était réfugié là après la scène du marché - elle ne voyait pas d’autres endroits où il aurait pu se rendre. L’usine était relativement isolée du reste de la ville et il pouvait y être tranquille, et puis c’était son chez lui. Son chez lui…
Elle se força à se concentrer tandis qu’elle avançait dans les couloirs, essayant de se remémorer les embranchements et la façon dont elle était tombée sur la pièce principale, dans laquelle Bernard - le faux - l’avait ensuite rejointe, celle où il y avait eu toutes ces photos. Pas un bruit ne l’entourait si ce n’était celui de la tuyauterie, et pendant un instant elle se demanda si elle n’avait pas eu tort dans son raisonnement et si elle ne risquait pas d’y trouver personne. Peut-être Megamind avait-il déménagé pour ce qu’elle en savait. Elle verrait quoi faire selon s’il subsistait des traces de sa présence ou non ; si elle partirait, dépitée, ou si elle attendrait son éventuel retour.
Pour l’instant elle avança, se fiant à sa mémoire visuelle, et elle conserva un silence désappointé. Elle-même avait du mal à digérer ce qu’il venait de se produire et elle n’osait imaginer ce qu’il en était pour son compagnon. Il avait paru si terrifié qu’il y avait des chances pour qu’il en fût encore retourné.
Elle tomba brusquement sur la grande pièce et la retrouva aussi encombrée que dans ses souvenirs, si ce n’était plus puisque plus rien ne masquait toutes ses machines. Elle reconnut la silhouette de Megamind avachie sur un siège et confrontée à de hautes fenêtres qu’il fixait sans voir. Plusieurs écrans le devançaient et elle comprit qu’il était au courant de sa présence mais il n’en dit rien. Elle le rejoignit, désolée, et se plaça à sa gauche. Ses yeux étaient toujours vrillés vers la fenêtre mais il ne la regardait pas. Il était perdu dans ses pensées.
- Megamind ?
Un instant, elle se demanda si, d’une quelconque façon, il soupçonnait son intervention dans le drame qui s’était déroulé plus tôt et s’il lui en voulait pour cela. Sa gorge se serra davantage. Il aurait de quoi. Elle aperçut alors la carcasse de la montre démontée sur le bureau qui le devançait, les pièces et les ressorts exposés à l’air libre. Elle plissa les yeux puis soupira.
- Je sais que c’est Minion qui a trafiqué ma montre pour qu’elle ne fonctionne plus. J’ai retrouvé le mouchard.
Roxanne se raidit mais ne dit rien, dans l’attente.
- Tu le savais, n’est-ce pas ?
Elle ferma brièvement les yeux tandis qu’un goût amer emplissait sa bouche. Elle ne pouvait pas lui mentir ; jusque-là elle avait omis des choses mais elle refusait d’aller jusque-là.
- Oui.
Megamind hocha la tête sans protester. Il ne montra aucun signe de colère ; en réalité, il resta même placide et cela inquiéta plus encore Roxanne que s’il avait été fâché. Elle aurait presque préféré que ce fût le cas. Au lieu de cela, lorsqu’il se tourna vers elle, elle ne vit que la détresse dans ses yeux, semblable à celle qu’elle avait aperçue plus tôt dans la foule mais une lueur étrange s’y était ajoutée.
- Je comprends ce que vous avez essayé de faire, tu sais. Que vous espériez… m’aider, en agissant ainsi. Mais ça ne marche pas comme ça. Les gens… mon apparence rebute et c’est tout à fait normal. Regarde-moi ! Je -
- Oui, je t’ai regardé, ça fait des mois et même des années que j’ai eu l’occasion de te regarder et tu ne me rebutes pas, fit-elle en s’agenouillant près de lui.
Elle posa sa main sur son bras. Il eut un mouvement de recul mais se contint et se laissa aller au contact, allant même jusqu’à lui adresser un maigre sourire peu convaincant. Roxanne fut enchantée de cet effort et de ce que cela signifiait. Il ne lui en voulait pas du tout.
- Tu es tel que tu es, Megamind, et tu n’as pas à t’en cacher. Tu n’es ni laid ni effrayant, tu es juste… toi. Tu es unique mais ce n’est pas un tort. Oui, tu ne te fonds pas dans la masse. Mais au fond, est-ce réellement ce que tu souhaites ? Tu t’en fichais avant !
- Avant j’étais un super-vilain et cela me plaisait bien de faire peur. Après tout, on m’avait toujours considéré comme tel, j’ai intégré la seule place que l’on m’ait laissée.
Le cœur de Roxanne se serra à ces mots. A présent qu’elle connaissait plus en détail le parcours de son compagnon et ce à quoi il avait été confronté, elle était désolée et se sentait presque coupable de la façon dont il avait été traité et qui avait fait de lui ce qu’il était devenu. Il avait pris la seule place qu’ils avaient daigné lui laisser parce que quoi qu’il tentait, il était toujours vu comme le méchant de l’histoire. Il n’avait pas eu tellement le choix ; c’était cela ou être malmené et mis de côté.
Alors Megamind avait choisi la voie la plus satisfaisante pour lui.
- A présent que je suis un gentil, les choses sont complètement différentes. Je ne suis pas supposé inspirer la terreur ou malmener les gens. Alors me fondre dans la masse… oui, je le souhaite à présent, parce qu’on ne m’y juge pas et que l’on ne crie pas d’effroi à mon encontre. Ce sont de grandes différences.
- Personne n’a crié au marché, Megamind, du moins pas à cause de toi. Les gens… certains continuent à reculer ou à te regarder de travers mais les choses ont changé depuis que tu as sauvé Metrocity de la folie d’Hal. Je te l’ai déjà dit, tout le monde connait déjà ton visage, Megamind, cependant cette fois ils n’y collent plus l’étiquette du grand méchant qui sévit régulièrement dans la ville mais ils voient en toi leur sauveur, désormais. Nombreux sont ceux à t’avoir vu te battre avec Hal et le vaincre et certaines images ont été retransmises pour ceux qui ne t’ont pas vu ainsi. Leur regard sur toi a changé, plus personne ne te considère comme un monstre, mais pour beaucoup d’entre eux il leur faut encore perdre les tics habituels en ta présence et s’accoutumer à cette nouvelle situation - comme toi. Laisse-leur le temps de s’habituer à toi. A te voir, jusqu’à ce que toi aussi tu deviennes partie intégrante de cette ville. Bientôt ils ne prêteront même plus attention à ton apparence mais il leur faut un peu de temps tu sais. Continuer à te cacher sous une fausse apparence n’aide personne et rend juste la situation plus confuse. Ne te rappelles-tu pas de la scène à la bibliothèque ? Je te l’ai dit, les gens étaient surtout choqués du fait que tu préfères te cacher sous l’identité d’un autre - Bernard en l’occurrence, à ce moment-là - alors que tu t’assumais tant, toi et ton style, par le passé.
- Je…
Megamind tenta de répondre mais ne le put pas. A vrai dire, il avait déjà tout dit et n’avait pas d’autres arguments à rétorquer. Pourquoi était-ce si dur en effet ? C’était tellement plus simple à l’époque où il se dévoilait tel qu’il était, autant son visage que son style vestimentaire qu’il aimait soigner selon ses propres goûts et détacher des diktats habituels. Son unicité était alors pour lui un avantage dont il jouissait sans vergogne, appréciant la réaction qu’il suscitait parmi les habitants. La situation s’était un peu renversée depuis et ses objectifs aussi. Son unicité ne le desservait plus, bien au contraire.
Parce que j’ai la tête d’un méchant, tout simplement. Il ne collait pas du tout avec l’aspect d’un gentil, malgré ses actions.
- Tu t’assumais bien en tant que super-vilain, est-ce donc si compliqué d’en faire de même en tant que super-héros et que mon petit-ami ? Pourquoi l’opinion des autres est-il devenu si important à tes yeux, même de la part de gens que tu ne connais même pas ?
Il soupira. Il se frotta le front alors que la lassitude s’était soudain emparée de lui.
- Ce n’est pas ça… c’est la peur que je suscite. Même si les gens ne crient pas, peut-on affirmer pour autant qu’ils n’en ont pas peur ? Certes, il n’y a pas eu de mouvement de foule et c’est une bonne chose, auquel cas la situation aurait pu être catastrophique ! Les gens devaient bien le savoir.
- On maitrise difficilement la panique, Megamind. Rappelle-toi l’attaque d’Hal, les gens couraient sans y prêter attention !
- En même temps, il les attaquait. Ils ne tenaient pas à mourir.
Roxanne balaya la suggestion d’un revers de la main.
- Oui, c’est vrai. Mais ce n’est pas ton propre cas et les gens le savent. Qu’importe qu’ils fassent quelques écarts si cela leur chante ? Tu ne comptes pas leur sauter dessus, il leur suffit de ne pas te regarder ! Tu n’as pas à te soumettre aux quelques préjugés qui peuvent subsister !
- Les fois où j’ai essayé de lutter contre cela, cela n’a jamais fonctionné. J’étais toujours le monstre effrayant et bizarre qui se retrouvait au coin et qui était puni. Les choses ne sont pas toujours comme on voudrait qu’elles le soient.
Roxanne comprit qu’il parlait de ce qu’il avait vécu à l’école et elle plissa les yeux, désolée pour lui.
- Les choses ont changé, répéta-t-elle. Tu n’es plus à l’école Megamind, tu ne dois pas te laisser abattre. Regarde-toi aujourd’hui ; avant tu n’avais que Minion et heureusement qu’il était là pour toi, mais je suis là à présent. Et je t’aime, toi, le soi-disant monstre de Metrocity. Je t’aime et je me fiche de ce que peuvent en penser les autres parce que je sais qui tu es et que je t’aime tel que tu es, qu’importe ton apparence. Je t’aime toi, ta maladresse, ta détermination à toute épreuve - je te l’avais dit au sommet de la tour, tu t’en rappelles, quand Hal m’y avait laissée prisonnière ? Que tu n’abandonnais jamais face aux difficultés, même lorsque tu savais que tu allais perdre, et que c’était là ta plus grande qualité, celle que j’avais toujours admirée chez toi. J’aime aussi l’assurance que tu déployais lorsque tu faisais fi de l’opinion des autres, même lorsque tu n’en recevais aucune approbation. Alors oui… oui, je suis triste de voir qu’aujourd’hui, tu n’oses plus sortir en ma compagnie sous ton vrai visage, que tu n’oses plus affronter leurs regards. Tu sais… à chaque fois que tu viens sous l’apparence d’un autre, cela me blesse parce que j’ai l’impression de faire semblant d’en aimer un autre alors que c’est toi, et que c’est toi que j’aime, mais ce n’est pas l’image que l’on donne. Cela me blesse aussi parce que je sais qu’au fond, tu te blesses également à faire semblant d’être quelqu’un d’autre pour te calquer dans le moule. Mais ce n’est pas toi ça, Megamind ; et je trouve cela triste que tu t’inhibes autant désormais.
Sur ses mots, elle se redressa. Elle le fixa quelques instants mais comme il était perdu dans ses pensées, elle décida de lui accorder le temps nécessaire afin de réfléchir à ses propos. La gorge nouée, elle s’éloigna lentement et après un dernier coup d’œil, elle quitta la pièce. Elle croisa Minion à l’entrée et après un bref salut, elle s’en alla. Dépité par son humeur maussade, il ne chercha pas à la rattraper.
Il se rendit près de son ami et l’observa quelques instants dans son dos avant de se rendre près de lui. Le silence persista un moment sans qu’il n’osât prendre la parole. Il souhaitait s’excuser pour la montre mais ne savait pas comment s’y prendre. Il ouvrit une énième fois la bouche pour tenter mais fut interrompu par le génie :
- Ô Minion, je ne sais vraiment pas quoi faire…, avoua finalement Megamind en prélude, ce qui surprit son ami.
- Je ne saurais pas quoi ajouter aux propos de miss Roxanne, je partage son opinion et elle a tout dit. Je… peut-être devriez-vous réfléchir à… ce que vous, vous voulez ? Vous, sans considérer l’opinion des autres ? Comment voulez-vous vivre votre vie et votre romance avec miss Roxanne ? Qu’est-ce qui compte le plus pour vous ? Souhaitez-vous réellement de cette vie que vous vous infligez ?
- Ce n’est pas aussi simple -
- En réalité, si, mais il faut l’assumer. Vous en êtes capable, Monsieur, miss Roxanne et moi le savons tous deux. A savoir si vous, vous vous donnerez les moyens d’être ce que vous voulez être.
**
Un message ! Megamind éteignit sa soudeuse et la posa dans un geste précipité, retira son masque et attrapa son téléphone portable qu’il faillit laisser tomber dans son empressement, sous les yeux désappointés de Minion qui posa le carnet qu’il tenait entre ses mains. Megamind ouvrit le message en question et un sentiment de joie s’empara de lui lorsqu’il vit qu’il s’agissait de Roxanne, puis d’euphorie lorsqu’il s’aperçut qu’elle lui proposait un autre rendez-vous dans une heure à un bar.
- Qui est-ce ? C’est miss Roxanne ?
Alors qu’il allait répondre par la positive, Megamind sursauta à sa voix et se tourna vers Minion.
- Oui, elle propose que l’on se voie.
- Super !
Cela ne gênait plus du tout Minion que les deux se fréquentassent puisqu’à présent, leur relation n’était plus basée sur une illusion et une identité fausse - même si demeurait la fausse apparence qu’il revêtait. Il se montrait même enthousiaste la plupart du temps et pourtant, cette fois son ton enjoué sonnait creux et faux. Cela interpella Megamind qui arrêta son élan dans la rédaction de sa réponse et il le fixa, intrigué.
- Qu’y a-t-il Minion ? Un problème ?
Minion secoua les mains en signe de défense.
- Oh, non, non, pas du tout ! Miss Roxanne est très bien et vous êtes très bien ensemble ! C’est juste…
Minion se tut en repensant à leur discussion de la veille, aussi courte fût-elle. Ils n’en avaient pas reparlé depuis et c’était le premier rendez-vous que proposait Roxanne depuis ; de ce fait, il n’avait aucune idée de l’impact de leurs paroles sur les pensées et les agissements de Megamind et il n’avait pas osé le lui demander. Allait-il embarquer sa montre encore une fois et se transformer en beau brun à la tenue irréprochable digne du gendre parfait ? Il soupira. Il le craignait.
De son côté, Megamind n’osa pas le presser de poursuivre, craignant ce qu’il était susceptible d’ajouter. Ces discussions - des quasi-monologues - avec Roxanne puis Minion avaient ébranlé ses certitudes plus qu’il ne l’avouerait. S’il ne songeait que pour lui-même, bien sûr qu’il n’utiliserait pas ces illusions ridicules, ce n’était pas lui… les costumes-cravates et les chemises taillées sur mesure ? Très peu pour lui ! Lui c’était… c’était…
Il se retourna vers le placard qui contenait l’ensemble de ses tenues grandioses qu’ils avaient eux-mêmes fabriquées et ses bottines. Ses yeux brillèrent à leur vue ; cela faisait tellement longtemps qu’il n’avait pas revêtu l’une d’entre elles. Une éternité, presque, à ses yeux. Il se contentait de sa tenue plus usuelle, puisqu’elle-même se retrouvait masquée par sa fausse apparence. Lui, c’était ça - c’était son style. Ses yeux se rivèrent sur son portable, pensif. Devait-il… devait-il faire comme elle l’avait dit, se présenter en public comme il l’avait toujours fait auparavant, en dépit de ce que pourraient penser les gens ?
- Vous devriez lui répondre, affirma soudain Minion d’une voix anormalement solennelle, ou peut-être n’était-ce que le fruit de son imagination. Elle vous propose ce rendez-vous pour quand ?
- Dans une heure.
- Alors vous devriez vraiment lui répondre et tout de suite ! s’exclama le poisson d’une voix pressante.
Megamind s’empressa de s’exécuter et termina son message qu’il envoya aussitôt, sans même prendre la peine de se relire. Evidemment, il avait accepté. Même si de nombreuses choses l’occupaient dans leur antre, il aimait particulièrement les moments qu’il passait avec elle. Cependant, cette fois, sa joie fut teintée d’une note de circonspection. Que faire pour son apparence ? Pouvait-il réellement continuer sa mascarade alors qu’il avait désormais compris à quel point cela décevait Roxanne ? En avait-il réellement envie alors que, comme ils l’avaient dit, ce n’était pas lui mais rien qu’une façade qu’il revêtait pour le confort des autres ?
Ses épaules s’affaissèrent, ployant sous la lassitude. Non, il n’aimait pas cela et jusque-là il s’y pliait, pour les autres et pour pouvoir sortir avec Roxanne. Il hésitait. Mais si elle avait raison et qu’il n’en avait nul besoin ? Aurait-il tort d’essayer, au moins rien qu’une fois ?
Il bondit soudain sur ses pieds, un élan de détermination brillant dans les yeux. Cette fois, il n’allait pas se laisser abattre ! Il était Megamind, nom de nom !
Minion sursauta et recula instinctivement, surpris par le brusque mouvement. Il le fixa avec étonnement.
- Minion, ma tenue !
- Votre tenue, Monsieur ?
C’était une demande qu’il n’avait pas reçue depuis longtemps.
- Oui ! Dépêchons-nous, le rendez-vous est dans moins d’une heure !
Un large sourire fleurit sur les lèvres du poisson et il bondit d’enthousiasme sur ses pieds, heureux. Il se sentait revivre et à regarder le visage presque extatique de Megamind tandis qu’il appelait à lui tous les brainbots pour l’aider, il avait l’impression que ce sentiment était partagé. Un vent frais soufflait sur leurs vies et c’était plus qu’appréciable.
Ils n’allaient pas jouer les super-vilains mais enfin, ils récupéraient un peu de ce passé qu’ils regrettaient tant.
- Quelle tenue, Monsieur ?
Megamind en désigna une en ne prêtant que peu attention à cette dernière. Plus que les particularités de celle-ci, le simple fait d’en revêtir une et de sortir au grand jour avec le remplissait d’une joie immense. Les brainbots s’affairèrent pour le revêtir de sa tenue en cuir moulé, de son immense cape et de ses bottines cloutées puis pour le maquiller et lisser son crâne jusqu’à le rendre brillant. Une fois terminé, Megamind s’extirpa du socle et respira un bon coup à plein poumons avant d’expirer, heureux ; cela faisait tellement longtemps et cela lui avait tant manqué ! C’était tellement bon !
- Satisfait, Monsieur ?
Megamind apprécia son aspect dans le miroir que Minion venait de lui apporter et sourit. C’était lui. Satisfait, il confirma d’un hochement de tête à son ami et regarda un instant à son portable. Il écarquilla les yeux, effaré. Le temps était passé si vite, il devait partir en vitesse s’il ne souhaitait pas arriver en retard !
- Minion, la voiture ! Ou sinon je suis fini !
- Ah bon, pourquoi ? demanda le poisson, amusé, alors que Megamind le poussait en direction du garage.
Déterminé à sortir ainsi, la tête haute, il alla pour s’installer à la place passager lorsqu’il fut pris d’un affreux doute. Minion ne le remarqua pas tandis qu’il cherchait les clés en sifflotant joyeusement, heureux d’avoir repris un peu de leurs vieilles habitudes - et les meilleures. Megamind en vint à se ronger les doigts, indécis. Que faire ? Il allait faire peur à tout le monde s’il sortait comme ça ! Son assurance dégonflée, il se précipita à l’intérieur pour récupérer sa montre et la mit à son poignet sur le chemin du retour, sans l’avoir activée pour autant. Cette présence le rassurait un peu mais que faire ?
Minion avait été surpris par son bref départ et à son retour, il eut le déplaisir de noter la présence de la montre maléfique qu’il détesta plus encore. Son engouement fut aussitôt douché et il fusilla l’appareil du regard. Il regrettait presque de ne pas l’avoir détruit, même s’il n’y avait jamais songé jusqu’à présent. Ce fut bougon qu’il gagna son propre siège conducteur. Megamind eut à peine le temps de s’asseoir et de fermer la portière que Minion démarra en trombe et fonça, prenant sèchement les virages et allant s’y vite que Megamind craignit plus pour sa vie qu’il ne se soucia du problème de son apparence - si finalement, il assumait réellement la sienne ou s’il se dégonflait totalement et adoptait une fois encore une illusion. Lorsque Minion s’arrêta devant le bar en question, il n’était pas plus décidé qu’à son départ. Un peu étourdi par le trajet, il ne sortit pas immédiatement de la voiture. Lorsque son regard tomba sur la terrasse, il se crispa. Il y avait beaucoup de monde - beaucoup trop de monde. Il y avait aussi Roxanne. Il se mit à sourire bêtement. Elle était si belle dans sa jolie et robe blanche et jaune si légère accompagnée de sandales lacées, qui s’accordait si bien avec le temps radieux. Cette dernière attendait debout et venait de river son regard sur la voiture.
- Vous allez la faire patienter encore longtemps ?
Ramené à la réalité, Megamind hésita. C’était le moment ou jamais, il devait se décider de la conduite à tenir - ou plutôt de l’aspect à revêtir. La sienne ou une autre ? Il devait se dépêcher !
Minion poussa un soupir et, exaspéré, il ne lui accorda pas ce temps nécessaire de réflexion ; d’une pression de bouton, il ouvrit la portière de Megamind et le jeta hors de la voiture avant de repartir vite fait, avant qu’il ne pût protester - il avait été tenté de lui arracher la montre mais c’était là un combat que Megamind devait mener seul en définitive. Le pied pris dans sa cape et du fait de son élan, Megamind chuta lamentablement sur le trottoir. Des exclamations surprises fusèrent autour de lui mais sur l’instant, il fut trop occupé à songer qu’il avait l’air d’un abruti et à se plaindre en pensée que c’était bigrement dur et que cela faisait un mal de chien pour en tenir compte. Il était choqué ; comment Minion avait-il pu lui faire une chose pareille, l’abandonner ainsi à son triste sort en le jetant comme une vieille chaussette ? Ainsi il ne pensa même pas à revêtir son masque quand il l’aurait encore pu. Roxanne se précipita vers lui et l’aida à se relever avant d’épousseter ses vêtements. Il se figea en constatant que c’étaient les siens et pas une veste imaginaire mais le sourire rassurant et les yeux pétillants de Roxanne l’en empêchèrent alors qu’elle redressait le haut col de sa cape qui s’était un peu plié. Un sourire timide se dessina sur ses lèvres en réponse. Cependant, la magie de l’instant se brisa lorsqu’il constata tous les regards posés sur eux, les silhouettes qui s’étaient redressées avec sa chute, et il porta instinctivement la main à sa montre. Le sourire de Roxanne se fana mais elle ne dit rien ; cela suffit cependant à ce qu’il suspendît son geste.
Après un instant en suspens, Roxanne saisit sa main et le tira vers elle et vers la terrasse et il se laissa faire. Il constata que les personnes debout s’étaient rassises, une fois conscientes qu’il allait bien et qu’il n’avait pas besoin de davantage d’aide, et surtout qu’hormis quelques regards curieux et des murmures, les gens finissaient par se désintéresser de lui et par retourner à leurs activités.
- Tu vois, j’avais raison. Ils s’habituent à toi, lui souffla-t-elle dans l’oreille juste avant qu’ils ne prissent place autour d’une petite table à deux qu’un serveur venait de leur désignait.
L’indifférence du professionnel et l’absence de rejet furent autant de facteurs qui s’ajoutèrent et qui l’amenèrent à se détendre progressivement. Il en vint à sourire lui-même.
- Oui. Oui, c’est vrai, tu as raison.
A présent il se sentait un peu ridicule du cirque qu’il avait fait et de nouveau, il se sentit revivre, plus que jamais auparavant - parce que cette fois, il était également accepté. Le visage rayonnant devant lui était l’ultime récompense tandis qu’elle le fixait, heureuse de lui faire face à lui et non à un avatar qu’il empruntait.
Pour la première fois Megamind se sentit véritablement bien et heureux, tout en étant lui-même.