[Fic] Attraction, La Légende de Manolo, Manolo/María/Joaquín [de Alix, pour Blatula]

Sep 28, 2016 10:23

Titre : Attraction
Auteur : Alix (Participant 18)
Pour : Blatula (Participant 3)
Fandom : La Légende de Manolo
Personnages : María/Manolo/Joaquín
Rating : PG + 13
Disclaimer : La Légende de Manolo est un film réalisé par Jorge R. Gutierrez.
Prompt : - La légende de Manolo : Manolo/María/Joaquín
Mon headcanon pour la fin, c’est le trio qui finit ensemble. Du coup, j’aimerais bien une fix-it fic qui reprendrait les événements du film pour qu’ils finissent dans un vrai ménage à trois. Ou alors une suite, où on verrait l’évolution de leur relation, des scènes de vie… Peut-être sur fond d’une nouvelle aventure (gentiment sponsorisée par la Muerte et Xibalba, ou d’autre dieux/déesses/entités) ? Et comment Manolo vit la perte de sa famille ?
- Bonus si Joaquín se pose des questions sur ses sentiments, son amitié avec Manolo, remet en question sa place dans le trio, et du coup passe d’ami à amant… Je ne dis pas non du tout si tu veux en faire un univers alternatif ou si tu as une idée de crossover !

Les festivités du mariage de María et Manolo touchant à leur fin, Joaquín en profita pour s’éclipser. Il avait un peu honte d’abandonner ainsi ses amis, mais après les événements récents, il a besoin d’un peu de temps pour faire le tri dans sa tête et dans son cœur. S’il restait avec eux, il ne savait pas s’il pourrait maintenir les apparences très longtemps.

Sur le chemin du retour jusqu’au manoir familial, Joaquín évita de penser à la tournure radicale qu’avait pris sa vie. Ce qui était difficile à faire lorsque le principal changement lui réduisait le champ de vision de moitié. Cette perte était d’autant plus dure à encaisser pour quelqu’un qui n’avait plus ressenti la douleur et la fatigue depuis une dizaine d’années. Et depuis la disparition de l’adrénaline de son corps, une douleur insoutenable lui vrillait le crâne. Il avait l’impression que sa tête allait exploser en une dizaine de fragments. Maudite médaille de la vie éternelle.

Joaquín soupira, les prochains jours risquaient d’être très rudes.

Son entrée dans le manoir se fit dans un silence quasi total, car les quelques domestiques qui s’occupaient d’entretenir la demeure en son absence se trouvaient tous auprès de María et Manolo. C’était le moins qu’il pouvait faire pour contribuer à leur noce, surtout qu’ils avaient refusé tout autre aide. De toute façon, ce n’était pas comme s’il avait besoin de qui que ce soit pour s’occuper de lui. Un soldat savait se contenter du minimum, non ?

Joaquín grimpa les escaliers qui le menaient à l’étage en se tenant fermement à la rambarde. L’intense marche qu’il s’était imposée lui avait sapé le peu de force qu’il lui restait. En avançant dans le couloir qui le menait jusqu’à sa chambre, il passa dans devant la chambre de ses parents et son cœur se serra comme à chaque fois. Depuis la mort de son père et l’exil que s’était imposé sa mère, il n’avait pas remit les pieds dans la pièce. Il hésita quelques instants devant le pas de la porte, puis tendit le bras vers la poignée. Mais au dernier moment, il se ravisa. Aujourd’hui, il n’avait pas non plus la force d’affronter les fantômes du passé.

Joaquín utilisa alors ses dernières réserves pour atteindre sa chambre. Il enleva ses chaussures en s’asseyant sur son lit, après que ses deux tentatives debout aient échoué lamentablement. Avec un œil en moins, son équilibre était bien trop précaire.

Une fois déchaussé, il s’effondra sur son lit sans prendre la peine de se mettre sous les draps. Mais malgré son épuisement, le sommeil tarda à venir. La douleur qui lui enserrait le crâne l’en empêchait. Il ne sut pas combien de temps il resta ainsi avant que la fatigue ne le terrasse et qu’il ne s’endorme.

Lorsque Joaquín rouvrit l’œil, le lendemain, la douleur ne s’était pas estompée et il se sentit aussi épuisé qu’avant de dormir. En plus, il n’avait pas enlevé son bandeau et il regrettait grandement sa décision. Sa peau le tirait et le grattait. Avec beaucoup de peine, il se releva et s’assit au bord de son lit. Il avait l’impression que son corps était fait de plomb. C’est alors que son estomac se rappela à son bon souvenir en gargouillant bruyamment. Il n’avait pas d’autre choix que de se lever maintenant. Il soupira.

Il passa plusieurs minutes à chercher ses chaussures avant de finir par les trouver. Après les avoir enfilées, il se leva brusquement pour presque aussitôt le regretter. Il était très instable sur ses jambes et dut s’appuyer sur son armoire pour ne pas s’effondrer. Une fois que la pièce ne tangua plus autour de lui, il se dirigea vers la porte pour l’ouvrir. Mais il méjugea la distance et sa main se referma sur du vide. Désespéré, il laissa son front reposer sur la porte avant de recommencer. Cette fois, cela fonctionna.

Une fois dans le couloir, la distance qui lui restait à parcourir pour atteindre les cuisines lui sembla tellement impossible qu’il songea à tourner les talons. Mais après que des voix ressemblant suspicieusement à celles de María et Manolo lui murmurèrent : “pas d’abandon, pas de reddition !”, il se redressa et entama sa pénible marche.

Les jours suivants furent tout aussi pénibles et il passa le plus clair de son temps à dormir (enfin lorsqu’il y parvenait). Heureusement que ses domestiques revinrent le second jour, parce que les aller-retours jusqu'à la cuisine étaient une agonie. Mais au fur et à mesure du temps, Joaquín finit par recouvrer une partie de ses forces et de son assurance, jusqu’à ce qu’il se sente enfin prêt à affronter le monde extérieur. Ce qui fut une bonne chose, puisque le monde extérieur vint bruyamment se rappeler à lui en frappant énergiquement à sa porte.

Son ouverture révéla les visages souriants de María et Manolo.

- Salut Joaquín, est-ce que tu vas bien ? lui demanda avec entrain María.

Chuy, lui en profita pour rentrer en grognant. Ce cochon n’avait aucune gêne.

- Euh, oui, répondit-il après une légère hésitation. Il indiqua d’un signe de tête à son majordome qu’il s’occupait de la situation. Mais qu’est-ce que vous faites ici ? Ne devriez vous pas continuer votre… ajouta-t-il avant de s’interrompre. Il venait de remarquer leur sourires crispés. Quelque chose ne va pas ? s’inquiéta-t-il.

María et Manolo échangèrent un regard bizarre avant de se tourner à nouveau vers lui.

- Est-ce qu’on peut venir s’installer chez toi ? demanda Manolo avec un sourire d’excuse. Comme s’il s’attendait à ce que son meilleur ami lui claque la porte au nez.

Ce n’est qu’à ce moment là qu’il remarqua les valises à leurs pieds. Surpris, il mit un petit moment avant de répondre.

- Et bien, je n’ai rien préparé, dit-il en se grattant la joue, mais le manoir dispose de plusieurs chambres d’amis.

- Merci beaucoup Joaquín, répondit avec un immense sourire María.

Pendant quelques secondes, il la fixa bêtement, éblouit et le sourire béat. La rendre heureuse était toujours l’un des buts prioritaires de sa vie. Puis il s’effaça pour les laisser passer, certain d’avoir prit la bonne décision. La rendre heureuse était toujours l’un des buts prioritaires de sa vie. Si elle habitait au manoir, il en aurait naturellement l’occasion. Il pourrait aussi se rattraper avec Manolo et se faire pardonner ses récentes erreurs.

Il lui fallut moins de vingt-quatre heures pour la regretter.

Au départ, tout se passa bien. Joaquín les accompagna jusqu’à la chambre d’amis et les aida à s’installer avant de leur laisser un peu d’intimité. Il avait choisi l’une des plus grandes chambres, avec une fenêtre donnant sur le jardin. Les couleurs sur les murs étaient dans des tons chauds et les draps de soie. Il y avait aussi des commodités dans une pièce adjacente. Autrefois, cette chambre était réservée aux invités d’honneur.

Joaquín descendit immédiatement en cuisine pour demander que soit préparé un repas qui ne contienne pas de viande. Depuis qu’elle avait adopté Chuy, María n’en consommait plus et même si elle n’avait jamais imposé son nouveau régime alimentaire à quiconque, Joaquín estimait que c’était une marque de respect de s’y adapter. Surtout après qu’il l’ait insulté en voulant faire d’elle une femme au foyer et faillit lui imposer un mariage dont elle ne voulait pas.

Une fois ses recommandations faites, il ne retourna pas immédiatement à l’étage, mais se dirigea vers son étude. Depuis son retour, il n’avait pas encore eu l’occasion d’écrire sa lettre annuelle pour son père. Ce n’était pas la seule qu’il lui écrivait, mais celles-ci étaient toujours datée du même jour : le jour de la Fête des Morts. La fatigue de ces derniers jours ne lui avait pas laissé de force pour ça. Maintenant qu’il était de nouveau totalement sur pieds, il pouvait enfin s’y consacrer.

Assis à son bureau, il prépara soigneusement son matériel d’écriture : sa bouteille d’encre noire, ses feuilles et sa plume. Ses préparatifs terminés, il contempla la feuille vierge ne sachant pas par quoi commencer. Tellement de choses s’étaient produites depuis l’année précédente ! Il soupira. Par le commencement serait une bonne chose, non ?

Au moment où sa plume touchait la feuille, il fut interrompu par l’ouverture de la porte. María comme à son habitude fut la première à rentrer, Manolo sur les talons. Chuy, lui, fit le tour de la pièce en grognant avant de se poster au pied de sa maîtresse.

- Ah c’est là que tu te cachais ! s’exclama-t-elle triomphalement les mains sur les hanches. Elle semblait très fière d’avoir pu le retrouver. Manolo se contenta de regarder la scène avec tendresse.

- Bien installé ? demanda-t-il, un hôte courtois qu’il était.

- Très bien, merci, répondit María. Avant de l’ignorer totalement pour s’intéresser aux immenses bibliothèques autour d’elle. Dans son dos, Manolo haussa les épaules, impuissant.

À présent certain qu’il ne pourrait pas écrire tranquillement sa lettre, il rangea ses affaires et ferma son bureau à clef. Non pas qu’il ne faisait pas confiance à ses amis, mais certaines choses trop personnelles ne devraient jamais être révélées.

Ensuite, il se tourna vers María et l’observa caresser amoureusement les tranches de livres. Pendant un court instant, Joaquín imagina ce que sa vie aurait pu être si c’était lui qu’elle avait épousé. Il chassa presque aussitôt cette idée. S’il voulait que leur relation ne se dégrade pas, il ne devait plus penser ce genre de chose. Surtout s’il rendait Manolo malheureux au passage.

- Très impressionnante collection ! commenta María avec approbation. J’ai l’impression qu’il y a encore plus d’ouvrage que la dernière fois où j’ai mis les pieds ici.

C’est le cas, acquiesça-t-il en se rapprochant d’elle. Pendant un moment j’ai continué à faire acheter des livres pour le retour de ma mère. Pour ne servir au final à pas grand chose.

Aucun des achats d’objets précieux qu’il avait pu faire n’avait convaincu sa mère de quitter son exil.

- Oh Joaquín ! Je suis désolée, répondit María d’une voix triste.

- Pas la peine de t’excuser, je me suis fait une raison depuis le temps.

Le regard attristé de María lui indiqua que sa tentative de dédramatisation de la situation avait totalement échoué. S’il ne trouvait pas une sortie rapidement, il savait que toutes les émotions qu’il avait eu tellement de mal à contrôler allaient remonter à la surface. Ce qui ne devait pas arriver. Il dit alors la première chose qui lui passa par la tête : Et si nous allions nous installer dans le jardin pour prendre une collation ? Manolo pourrait nous jouer un ou deux airs, non ? Qu’en pensez-vous, demanda-t-il avec un sourire forcé.

À son grand soulagement, après un échange de regard, María et Manolo acquiescèrent. Pour être sûr qu’ils ne changeraient pas brusquement d’avis, il leur prit le bras pour leur faire quitter au plus vite la pièce. Il ne relâcha son étreinte que lorsqu’ils eurent atteint la porte arrière. Puis il les guida jusqu’à l’endroit qu’il savait qu’ils adoreraient : sous l’immense arbre au fond du jardin, là où ils avaient l’habitude de s’installer avant que la mort ne vienne frapper. Devant leur visage radieux, il se félicita de sa décision. Et lorsque Manolo commença à jouer sur sa guitare, il sentit la tension accumulée s’estomper peu à peu. Le reste de l’après-midi se passa sans aucun autre incident. Et à l’heure du souper, l’histoire était oubliée.

Le repas fut servi dans le petit salon et ils s’installèrent tous les trois dans la bonne humeur. Joaquín ne put s’empêcher de bomber le torse lorsque María lui dédia un regard approbateur, après avoir demandé les plats qui composeraient le menu au maître d’hôtel. Manolo, lui, se contenta d’hausser le sourcil avec un sourire en coin. Il ne lui accorda pas plus d’attention avant de commencer à manger.

Au coin de la table, à côté de María, Chuy à déjà fait disparaître le contenu de sa gamelle et annonça d’un grognement qu’il voulait être resservit. D’un signe de tête, Joaquín indiqua son accord.

Ils mangèrent donc dans un relatif silence avant que Joaquín ne pose la question qui l’obsédait depuis leur arrivée : ce n’est pas que je ne sois pas content de votre présence, mais pourquoi n’êtes-vous pas restés chez le Général?

Les couverts de María claquèrent sur la table et lorsqu’il tourna le regard vers elle, elle fixait un point devant elle, furieuse. Il se tourna alors vers Manolo qui grimaça avant de répondre : disons que nous avons eu un léger désaccord sur la façon de planifier notre avenir.

- Un léger désaccord, explosa María incrédule. Je n’appelle pas le fait de vouloir faire de moi une poule pondeuse un léger désaccord.

- Une poule pondeuse, demanda Joaquín incertain de vouloir connaître plus de détails.

- Mon père a déclaré que la seule préoccupation que je devais avoir ces prochains temps était de produire un héritier mâle pour que la famille Sánchez perdure !

Joaquín frémit. Il n’osait imaginer la fureur de María en entendant ça. Pas étonnant qu’ils aient fait leurs valises sur le champ.

D’ailleurs, elle fulminait toujours dans son coin alors que Manolo tentait de l’apaiser comme il pouvait, en lui assurant qu’il n’avait aucune envie d’être père dans les prochaines années. Très intelligent de sa part.

- Et bien si ça peut te rassurer, Manolo et toi pouvez rester ici autant de temps que vous le souhaitez, annonça-t-il pour finir de pacifier la situation, il y a suffisamment de place dans le manoir pour que vous puissiez vivre sans aucune interférence de ma part !

Ça aussi, il devait le regretter très rapidement.

Dans la nuit, il se réveilla en sursaut en plein milieu cauchemar récurrent, durant lequel il revivait les morts de María et Manolo. Il était presque certain d’avoir été réveillé par ses propres cris. Il resta un moment tétanisé, le souffle saccadé. Des coups rapides frappés à la porte le firent sursauter. Était-ce une projection de son imagination ?

- Joaquín, tu es réveillé ? lui parvint une voix familière.

- María ? demanda-t-il pour s’assurer que cela était bien réel.

- Je peux entrer ?

- Oui, répondit-il avant d’avoir pris le temps de réfléchir.

Lorsque la porte s’ouvrit, il ne vit qu’une ombre. Il chercha alors à tâtons le mécanisme de sa lampe à huile sur sa table de chevet. Puis il tourna son regard vers María, toujours à l’embrasure de la porte. Joaquín manqua de s’étouffer en découvrant sa tenue. Il la fixa les yeux ronds. Ses cheveux toujours en queue de cheval étaient détachés et sa tunique de nuit blanche était rendue transparente par le jeu de la lumière dans la pièce. Comment avait-elle pu sortir de sa chambre sans prendre la peine d’enfiler quelque chose pour la couvrir ? Elle était presque nue devant lui !

Son silence prolongé et sa stupéfaction ne passèrent pas inaperçus, mais heureusement pour lui, María se méprit sur leur signification. Après avoir traversé la pièce jusqu’à son lit, elle s’installa face à lui et le fixa l’air inquiet. Elle avança son bras vers son visage avec une lenteur infinie, puis dégagea délicatement les cheveux qui recouvraient son œil mort. Joaquín avait honte qu’elle puisse voir cette blessure humiliante, mais ce qu’elle lui dit changea totalement son ressenti : je t’ai entendu crier depuis le couloir, alors je voulais m’assurer que tu allais bien.

Pendant un instant, il fut tenté de nier les faits et de lui dire qu’elle avait juste entendu des bruits provenant d’une vieille bâtisse. Mais il savait qu’il insulterait son intelligence en faisant cela et de toute façon, il était bien trop épuisé pour mentir à nouveau aujourd’hui. Tant pis pour son ego.

- Ça pourrait aller mieux, fini-t-il par avouer à voix basse.

- Tu veux en parler ? lui demanda-t-elle la voix pleine de sollicitude. Tu sais, Manolo aussi fait des cauchemars depuis son retour du Pays des Âmes Chéries.

- Ah bon ? questionna-t-il étonné. Manolo lui avait toujours semblé être comme un roc, de bonne humeur en permanence. Savoir que lui aussi souffrait le réconfortait un peu. Il se sentait moins seul. Même si cette nouvelle faiblesse restait une honte intolérable.

- Il n’aime pas trop en parler, ajouta avec tristesse María, mais son voyage dans le Pays des Âmes Chéries a laissé son empreinte. En plus, il a perdu la seule famille qui lui restait. Notre mariage lui a certes apporté beaucoup de bonheur, mais cela n’efface pas tout.

Joaquín inspira bruyamment. Avec tout cette commotion, il en avait presque oublié ce fait : Manolo était à présent orphelin. Pendant leur enfance, la mort de leur parent respectif les avait beaucoup rapproché. Ils partageait un lien différent de celui d’avec María, dont les deux parents étaient encore vivants. Et après son départ pour l’Espagne, ce lien s’était solidifié, malgré le peu de temps qu’ils avaient eu ensemble. Entre leurs entraînements intensifs respectifs, les occasions de se croiser furent exceptionnelles. Ils en profitèrent à chaque fois au maximum, passant des heures à se raconter leurs aventures, progressions et déceptions.

Les derniers événements avaient mis à mal ce lien et il s’en voulu de ne pas avoir été plus présent pour celui qui était son meilleur ami. Mais surtout d’avoir laissé une stupide rivalité l’éloigner de l’une des deux personnes qui comptait le plus pour lui.

C’est en suivant ce fil de pensée que soudainement, la raison de leur présence chez lui prit tout son sens.

- Oh, je comprends à présent pourquoi vous n’êtes pas aller vous installer aux arènes.

- Oui, répondit María le sourire tremblant, je ne voulais pas lui imposer un retour là-bas si tôt. Je souhaitais qu’il puisse faire son deuil en paix.

- Est-ce que tu aimerais que j’en parles avec lui ? proposa Joaquín.

- Si ça ne te dérange pas, répondit María apaisée.

- Non, il n’y a pas de problème, c’est quelque chose qui est dans mes cordes. Et puis, ajouta-t-il avec un sourire dépréciateur envers lui-même, j’ai pas mal de chose à faire pour me rattraper.

- Il est vrai que tu n’as pas montré ton meilleur jour pendant cette crise, répondit Maria mordante, il est grand temps que tu te prennes en main.

- Tu as entièrement raison María.

- Évidemment que j’ai raison, s’exclama-t-elle. Depuis tout ce temps, tu ne t’en étais pas encore rendu compte ?

Il ne put s’empêcher d’hocher furieusement de la tête. Toute personne contredisant María était remplit de désillusions. Et ne savait visiblement pas ce que cela impliquait.

- Bon garçon, ajouta-t-elle, en lui caressant la joue.

Et le pauvre désespéré qu’il était, ne put s’empêcher de pencher la tête pour mieux savourer le geste. María le fixa alors avec un regard très étrange qui lui provoqua des frissons.

- Tu as froid, lui demanda-t-elle espiègle.

Sa voix resta coincée au fond de sa gorge et seul un son pathétique franchit ses lèvres. Il se sentait comme un adolescent maladroit et gauche. Chose qu’il n’avait jamais été. En réponse, le sourire de María se fit plus ravageur et il ne savait pas s’il y survivrait. Ce qui au final ne le dérangeait pas tellement.

Elle resta un moment à le fixer sans un mot tout en continuant à lui caresser le visage. Puis, elle demanda quelque chose qui le laissa une fois de plus sans voix.

- Que dirais-tu de venir dans notre chambre pour te réchauffer ?

Joaquín la regarda estomaqué. Avait-il correctement entendu ce qu’elle venait de dire ?

À moins que tu ne préfères que Manolo et moi te rejoignons ici ? Mais je doute que nous tenions à trois dans ton lit, ajouta-t-elle comme si de rien n’était. Il est un petit peu trop petit.

Apparemment, oui. Mais peut-être que tout ceci était un rêve ? Ce qui expliquerait un peu plus logiquement la tournure qu’avait pris cette conversation. À part que dans ses fantaisies les plus osées, María ne l’invitait pas dans son lit conjugal, mais quel tombait dans le sien. Manolo n’avait jamais fait partie de ses fantasmes !

Sauf la fois où il….

Ce début de souvenir luxurieux fut interrompu par la voix de María : ça sera comme au bon vieux temps ! Quand nous étions petits, nous dormions régulièrement ensemble !

Joaquín se figea. Évidemment, la raison de sa proposition était purement amicale. Il avait laissé son imagination s’emballer. Il ferma l’œil pour se recentrer et ne le rouvrit que lorsqu’il fut sûr que toutes ses fantaisies étaient bannies au fond de de sa tête. Le raisonnable justement nous étions des enfants et vous êtes mariés à présent resta sur le bout de sa langue.

- Avec plaisir, María finit-il par dire à la place. Apparemment il était friand de supplice.

Le sourire qui fleurit sur son visage le combla et il eut à peine le temps de se préparer avant qu’elle ne l’attrape pas le bras et l’entraîne à sa suite. Elle le conduisit sans accroche jusqu’à la chambre qu’elle partageait avec Manolo. Même s’il manqua de peu de tomber en se prenant les pieds dans ses draps.

Une fois la porte refermée derrière eux, Joaquín regretta immensément sa décision et si María ne lui avait pas tenu fermement le bras, il aurait déjà tourné les talons. Mais avant qu’il n’ait pu ouvrir la bouche pour s’excuser, la voix ensommeillée de Manolo résonna : María, tu es revenue ?

- Oui et j’ai ramené une surprise avec moi ! déclara t-elle avec une immense fierté dans la voix.

- Une surprise ?

Et sur ces mots, elle le poussa sans ménagement sur le lit. Joaquín s’affala sans grâce dessus et écrasa Manolo au passage. Il tenta tant bien que mal de se dégager, mais la manœuvre fut rendue nulle lorsqu’un bras le stoppa net. Il s’arrêta de respirer, comme si cela lui permettrait de disparaître.

- Joaquín ? demanda Manolo.

- Évidemment, répondit María, qui aurais-je pu ramener d’autre ? Le majordome ?

Apparemment rassuré, Manolo se retourna vers lui et se glissa sous son bras. De l’autre côté, María fit de même. Joaquín se figea, le cœur battant la chamade. Des bribes de ce vieux rêve sensuel refirent surface et il s’obligea a penser à autre chose avant que la situation ne vire à la catastrophe.

- Bonne nuit, dit María dans un soupir.

- Bonne nuit, marmonna Manolo en réponse.

Et quelques instants plus tard, les respirations tranquilles des deux lui indiquèrent qu’ils s’étaient endormis. Joaquín, lui, resta les yeux grand ouverts, tétanisé, ses fantasmes toujours bien présent dans son esprit.

Le lendemain , il fut réveillé par des voix chuchotants autour de lui. Encore un peu embrumé par les dernières bribes de son sommeil, il mit du temps à comprendre à qui elles appartenaient. Et puis il était tellement confortable dans son cocon de douceur et chaleur, qu’il n’avait pas du tout envie de faire l’effort de se concentrer. Joaquín laissa les voix le bercer jusqu’à ce que les souvenirs de la nuit lui reviennent en mémoire et qu’il ne se fige en ouvrant l’œil.

Ce qui lui confirma ce qu’il craignait : les voix appartenaient bien à María et Manolo ! Il avait donc bien passé la nuit en leur compagnie. Dans leur lit ! Mais qu’est-ce qui lui était passé par la tête ? Il n’était plus un enfant ! Son début de panique fut interrompu presque aussitôt.

- Bonjour, bien dormi ? lui demanda Manolo le plus naturellement du monde. Comme si cette situation n’avait rien d’étrange.

Il était trop stupéfait pour répondre. Non, on ne pouvait pas dire qu’il avait bien dormi, même s’il n’avait pas refait de cauchemar. Difficile de trouver le sommeil lorsque vous vous retrouviez dans le lit de la femme que vous aimiez depuis votre enfance et votre meilleur ami. Meilleur ami qui vous avez inspiré au moins un rêve érotique, que vous aviez bien du mal a oublier. Surtout qu’ils prenaient soin de se coller à vous et que des pensées pas franchement pures vous envahissaient le crâne. Et qu’elles avient la bonne idée de vous poursuivre aussi bien dans vos rêves qu’à votre réveil ! Particulièrement parce qu’ils étaient toujours collés à vous, les cheveux détachés leur donnant un air sensuel qui devrait être interdit.

Joaquín ne savait pas si c’était une bénédiction ou une damnation. Avec sa chance, les deux sans aucun doute.

- Et bien, tu as perdu ta langue ? le taquina María. Je n’aurais jamais cru voir ce jour arriver. Le grand Joaquín Mondragón, à court de répartie !

Elle lui sourit tout en se penchant vers lui, ses yeux noisettes qui pétillaient et il eut l’étrange sensation d’être une proie sur le point de se faire dévorer. Il avala avec difficulté sa salive avant de répondre : non pas du tout, la voix tremblante. C’est sûr qu’il n’allait pas convaincre grand monde comme ça.

Le sourire de María se fit encore plus grand et Joaquín fut à deux doigts de s’étouffer.

- Tu mens très mal ! déclara-telle en lui caressant la joue. Mais ce n’est pas grave tu sais, je pourrais t’apprendre à le faire. Ça et tellement d’autres choses…

- María, arrête de l’embêter avant le petit-déjeuner, la réprimanda Manolo, ce n’est pas très charitable de ta part, termina-t-il moqueur.

- Oh ? Et depuis quand sais-tu ce qui est charitable ou pas ? Il me semble que c’est moi qui ait été éduquée dans un couvent !

Joaquín sentit l’atmosphère changer et constata avec horreur qu’ils allaient probablement s’embrasser ! Alors qu’il se trouvait à la première place, juste entre les deux ! Et ça non, il ne pouvait pas.

- Et si nous allions petit-déjeuner, s’exclama-t-il bruyamment tout en essayant de s’extraire du lit le plus rapidement possible.

Il constata avec soulagement que ni María, ni Manolo ne le retinrent. Ce ne fut qu’une fois la main sur la poignée de la porte qu’il se rappela avec horreur qu’il était en tenue de nuit et que ses vêtements se trouvaient dans sa chambre. Il se tourna alors pour voir s’il ne pouvait pas prendre quelque chose pour se couvrir en attendant. Mais en voyant ses deux meilleurs amis qui le fixaient tout en souriant, Manolo les mains derrière la tête et María qui lui faisait signe, il se retourna brusquement avant de fuir les lieux.

Au petit-déjeuner, il fit comme si de rien n’était. S’il ignorait le problème, il finirait bien par disparaître. Cependant, sa résolution fut mise durement à l’épreuve pendant toute la durée du repas. María et Manolo n’arrêtaient pas d’échanger des regards étranges, des sourires à des moments inopportuns et de le toucher en permanence. Il dut reconnaître qu’il avait eu la mauvaise idée de les installer de chaque côté de la table et non face à lui, afin d’éviter de croiser leur regard, mais tout de même ! C’était la quatrième fois que l’un d’eux lui faisait du pied !

Joaquín était sûr qu’il était plus rouge qu’une tomate et il arrivait à peine à suivre la conversation. Il se contentait de répondre par monosyllabe. Il essayait comme il pouvait de raccourcir son calvaire, mais s’étouffa en mangeant beaucoup trop vite. Évidemment, ses deux amis maintinrent le contact pour s’assurer que tout allait bien. Ce qui fut une véritable torture. Il était à deux doigts de s’arracher la moustache de frustration !

Finalement, le repas se termina et il en pleura presque de soulagement. Il se leva pour essayer de quitter la pièce au plus vite, mais une main sur son bras le retint.

- Est-ce qu’on pourrait parler ? lui demanda Manolo.

Joaquín n’avait pas encore trouvé comment refuser lorsque María annonça : je vais à la bibliothèque, prenez votre temps.

Il la regarda s’éloigner, puis fermer la porte en sortant et pour un peu, il en aurait presque pleuré. Pourquoi ce genre de chose lui arrivait ? Et pourquoi Manolo avait besoin de lui parler sans María ? Il ne comprenait plus rien. Allait-il lui faire des reproches sur son comportement ?

- Ça ne te dérange pas si nous allons nous installer dans le jardin ? l’interrompit Manolo.

Une excellente idée. Au moins, il n'aurait pas l’impression que les murs se refermaient sur lui. Ce sentiment d’oppression était un peu nouveau pour lui, lui qui autrefois était à l’aise en toute situation. Comme les choses avaient changé !

Joaquín s’empressa d’acquiescer et prit la tête de la marche. L’arrivée se fit beaucoup trop tôt à son goût, et il hésita avant de s’asseoir aux côtés de Manolo. Au final, le respect qu’il éprouvait à son égard prit le dessus. Pas question de fuir cette conversation, il fallait affronter les choses en face !

Manolo resta un moment silencieux, le regard fuyant. Il semblait très nerveux et n’arrêtait pas de changer de position. Sa mine joyeuse et assurée avait disparu. Cette constatation préoccupa Joaquín, surtout lorsqu’il vit qu’il ouvrait régulièrement la bouche pour la refermer aussitôt. Quelque chose devait le miner. Comme il semblait que son meilleur ami ne trouverait pas la force de lui avouer ce qui le rongeait, il prit les devants.

- Tu peux tout me dire, tu sais, dit-il doucement, je suis là pour ça.

À ses paroles, Manolo le regarda enfin dans les yeux avec un demi-sourire. Ses yeux ambrés étaient humides. Qu’est-ce qui pouvait l’angoisser autant que ça ? Il devait pourtant savoir que quoi qu’il fasse Joaquín ne le jugerait pas, non ? Et puis il se rappela que ses derniers jours, il n’avait pas été exactement un modèle de sympathie, bien au contraire. Quel terrible ami il faisait ! Joaquín ne trouvait rien à dire ni à faire qui lui redonne le sourire.

- Merci encore de nous accueillir chez toi comme ça, finit par dire Manolo.

- Ce n’est que le minimum que je puisse faire, répondit-il aussitôt. Je me doute bien que retourner aux arènes dans les circonstances actuelles n’était pas une possibilité.

Il regretta quasiment immédiatement ce qu’il venait de dire. Et encore plus devant le visage livide de Manolo. Mais pourquoi avait-il eu besoin de parler de ça ? Qu’est-ce qui n’allait pas chez lui ? La dernière fois, il l’avait poussé au suicide ! Il aurait voulu disparaître sous terre. Conscient qu’il devait réparer cette terrible erreur, il posa une main qu’il espéra rassurante sur l’épaule de son ami. Mais avant qu’il ne puisse dire quoi que ce soit, Manolo le devança : avec tout ce qui s’est passé, je n’ai pas eu le temps d’enterrer correctement mes parents.

À cette annonce, le cœur de Joaquín se serra. Avec la mort de son père et de sa grand-mère, il se retrouvait orphelin. Et par la même occasion le dernier membre de la famille Sánchez qui pouvait donc honorer leur mémoire et les garder dans le Royaume des âmes chéries. Quel terrible fardeau !

- Tu ne dois pas t’en vouloir Manolo, dit-il d’une voix douce, essayant d’alléger un peu sa peine. Tu as célébré ton mariage. Je pense que tout le monde peut comprendre que tu avais d’autre chose en tête.

- Peut-être, répondit-il la voix nouée, mais les célébrations sont terminées depuis plusieurs jours et je ne suis même pas passé sur leur tombe !

Joaquín constata la détresse dans laquelle se trouvait Manolo et cette fois, son cœur se brisa. Son meilleur ami ne devrait pas être triste. Jamais. Son visage devait toujours afficher un sourire et ses yeux couleur ambre étinceler. C’était donc sa responsabilité de rendre la joie de vivre à son ami. Et pour commencer, il se devait de clarifier quelques points.

- Manolo, commença-t-il d’une voix qu’il espérait égale, ce n’est pas l’enterrement de ton père et de ta grand-mère le vrai problème, n’est-ce pas ?

Devant le visage décomposé de Manolo, il comprit qu’il avait vu juste. Le prétexte de la cérémonie lui permettait de cacher la véritable raison de sa tristesse. Joaquín savait exactement de quoi il en retournait. Il avait de l’expérience sur ce genre de sujet.

- Ce n’est pas de ta faute si ton père est mort, ajouta-t-il, ta présence n’aurait absolument rien changé.

- Mais je, essaya-t-il avant que Joaquín ne l’interrompe.

- Crois-moi sur parole, endosser cette culpabilité ne servira à rien. Ce poids inutile ne ferait que t’éloigner des gens que tu aimes, te rendra amère et irritable. Et tu finiras seul. Je sais que ce ne sera pas facile, que certains jours seront impossibles, mais je serais là pour toi. Quoi qu’il advienne. C’est ce que nous nous étions promis, n’est-ce pas ?

Manolo acquiesça les yeux humides et prit d’un mystérieux sentiment, Joaquín le serra dans ses bras.

- Merci d’être là pour moi, parvint à dire Manolo le visage enfouit dans son épaule.

Joaquín lui laissa le temps de pleurer. Depuis tout ce temps, il n’avait probablement pas eu la possibilité de le faire. Surtout en présence de María. Il avait dû se sentir gêné de vouloir pleurer, alors qu’il venait tout juste de se marier. Peut-être avait-il eu besoin que quelqu’un lui en donne le droit ? Et qui mieux que lui pour ça. Même si Joaquín se doutait que María ne l’aurait pas mal prit. Ce n’était pas le genre de choses qui aurait pu la blesser.

Toutefois, il se sentait extrêmement honoré que son meilleur ami lui fasse autant confiance. Qu’après leur mariage, il ne soit pas relégué au second plan, comme il l’avait d’abord craint.

Pourtant, le sentiment de culpabilité qui lui étreignait encore le cœur rendait la saveur de ce moment amère. Il se sentait comme un imposteur. C’est pourquoi il repoussa gentiment Manolo afin de lui présenter des excuses trop longtemps ignorées. S’il voulait mériter la confiance et le respect des gens qu’il aimait, il ne devait plus se contenter de bomber le torse et d’actions héroïques.

- Ce n’est peut-être pas le bon moment, mais j’ai quelque chose à te dire que j’ai constamment fait de mon mieux d’ignorer. Il prit une profonde inspiration avant de continuer : je tenais a m’excuser de la façon dont je t’ai traité après la fausse mort de María. J’étais en colère et mon attitude a été ignoble et indigne. Je regrette chacune de ces paroles et je comprendrais que tu m’en veuilles. Moi-même, je ne me le pardonne pas.

Après cette déclaration, il baissa la tête. Il n’était pas vraiment prêt à affronter le jugement de son meilleur ami.

- Oh ! Je t’ai pardonné, déclara Manolo avec sourire encore plein de larmes. Je sais combien tu tiens à María. Par contre elle…

- Tu lui en as parlé ?!? s’exclama Joaquín livide.

- Euh, oui, désolé, avoua Manolo avec un sourire embarrassé. Je lui ai raconté l’histoire dans ses moindres détails. Elle t’a traité de grand imbécile disgracieux et d’autre chose que je préfère ne pas te rapporter. Elle a aussi parler de te faire mordre la poussière, mais peut-être a-t-elle changé d’avis depuis ?

- La connaissant, sûrement pas. Je suis sûr qu’elle attend le moment le plus propice possible pour se rappeler à mon bon souvenir, termina-t-il avec fatalisme.

- Ne t’inquiètes pas, le rassura Manolo en lui tapotant l’épaule, je serais là pour te tenir compagnie dans cette immense douleur. Je lui demanderais de t’épargner un peu. Il serait dommage qu’elle t’abîme un peu trop. Dans le fond, je t’aime quand même.

- Surtout pas malheureux ! Elle pourrait penser qu’elle doit faire un exemple. Tu sais comment elle est !

- Tu ne sais pas à quel point, rétorqua Manolo le sourire en coin.

- D’ailleurs en parlant d’elle, il serait peut-être temps de la rejoindre, tu ne penses pas ?

- Oh ne t’inquiètes pas, si elle a le nez dans un livre, elle a totalement oublié notre existence, para Manolo nullement inquiet.

Effectivement, lorsqu’ils entrèrent dans l’étude, María ne leur accorda pas un regard et continua tranquillement sa lecture. Elle était installée sur le rebord intérieur de la fenêtre, aménagé confortablement pour une lectrice particulière dans une autre vie. Manolo et lui restèrent debout, ne sachant pas trop quoi faire en attendant. Au bout d’un moment, elle dut prendre pitié puisqu’elle baissa son livre pour les regarder. Elle porta d’abord son regard sur le visage de Manolo l’observant attentivement, avant de chercher son visage. Joaquín se demanda si les yeux rouges de Manolo se voyaient. Et si María lui en voudrait. Probablement. Certainement.

Son examen dura suffisamment longtemps pour que Joaquín se demande si elle n’allait pas lui dire ses quatre vérités. Il n’en fut rien au final et il ne sut pas ce qu’elle avait trouvé pour l’en empêcher. María ferma alors son livre en prenant soin de marquer sa page. Après quoi, elle se dirigea vers Manolo et déposa un baiser sur sa joue avant de se tourner vers lui. Il déglutit avec difficulté, prêt à accepter tous les reproches du monde.

- Tu as bon goût en matière de livre, déclara-t-elle à sa surprise. C’est plutôt surprenant venant de toi. J’ai déjà repéré la plupart de ceux qui m’intéressaient. Il y a de forte chance que je passe une bonne partie de mon temps ici.

- Si j’avais su que tu aimais à ce point les livres, répondit-il en plaisantant, je t’aurais offert une étude remplie de bibliothèques en cadeau de mariage.

- Oh oui, tu aurais dû ! C’est l’une des offres qui aurait fait pencher la balance en ta faveur.

Joaquín manqua d’avaler sa moustache. Avait-il correctement entendu ce qu’elle venait d’insinuer ?

- Malheureusement, ajouta-t-elle avec un soupir, il a fallut que tu fasses parler ton orgueil. Enfin, le passé est le passé. Et si nous allions manger ?

Le début du repas fut un peu embarrassant, mais lorsque María aborda la reconstruction de San Ángel, il mit son malaise de côté. Apparemment, pour le moment, les réparations avançaient lentement.

À cause des célébration de leur mariage, María et Manolo s’étaient vu refuser l’accès aux différents chantiers, ce qui avait eu le don d’énerver María. Elle avait pensé en premier lieu que les villageois la pensait incapable de les aider. Mais il s’était rapidement avéré qu’il ne s’agissait que pour eux de remercier ceux qu’ils considéraient comme leur sauveur.

Avec réluctance, María avait accepté qu’ils ne s’occupent pas de la reconstruction pendant une période de dix jours. Terme qui arrivait à expiration cette nuit ci à minuit.

Joaquín s’étonna alors que personne ne soit venu lui en parler afin qu’il puisse au moins apporter une aide financière. À défaut d’aider en personne. Manolo lui avoua à demi mot qu’ils avaient expressément demandé à ce qu’il ne soit pas dérangé. Même pour demander une participation pécuniaire. Cette révélation le stupéfia.

- Mais enfin, pourquoi ? San Ángel est ma ville ! À quoi suis-je bon, si je ne peux pas au moins donner mon argent ? demanda-t-il blessé.

- Oh Joaquín !

María et Manolo échangèrent un regard avant de le regarder à nouveau.

- Tu as donné et perdu tellement dans cette bataille que nous ne souhaitions pas ajouter à ta peine, avoua Manolo.

Était-ce de la pitié qu’il voyait dans leur regard ? Ça non, il ne le supporterait pas. Il avait travailler si durement cette semaine passée pour retrouver sa forme et sa condition d’avant la bataille. Il ne laisserait personne le réduire à un éclopé, un faible !

Très en colère, il répondit avec du venin dans la voix : ce n’est pas à vous de décider pour moi ! Je suis capable de me débrouiller seul et je l’ai toujours été. Vous n’êtes pas mes parents, ni mes gardiens.

María et Manolo le fixaient médusés et ne répondirent rien. Toujours sous le coup de la colère, il quitta la table et alla s’enfermer dans sa chambre pour la nuit. Et lorsque ses deux amis vinrent frapper à sa porte dans la nuit, il les ignora. Il n’était pas faible et il allait le leur prouver!

Au petit matin, Joaquín se glissa hors du manoir et se dirigea vers les portes de la ville. À l’arrivée de Chakal, c’était cette partie de la ville qui avait le plus souffert. Sur place, il trouva un groupe de personne qui tentait tant bien que mal de bouger les débris. Voyant là une excellente opportunité, il se précipita pour les aider. Au bout de quelques minutes, il avait prit les choses totalement en main et déblayait les décombres à lui tout seul. Il continua ainsi sans s’arrêter jusque tard dans la matinée, ne prenant une pause de quelques minutes que pour partager un repas avec les autres déblayeurs.

Il avait à peine reprit son labeur que María et Manolo apparurent, mais il ne leur accorda aucune attention et continua son travail en leur tournant le dos. Il était toujours en colère contre eux. Comment avaient-ils pu ? Ses meilleurs amis ! Quelle trahison ! Alors qu’ils avaient déjà tout pour eux, ils essayaient de lui retirer sa dignité ? Il n’en était pas question. Il allait leur montrer qu’un Mondragón était un roc.

Mais alors qu’il déplaçait un bloc de pierre particulièrement imposant, des lumières apparurent au bord de sa vision et il sentit ses forces le quitter. Sa dernière pensée avant le noir total fut de se maudire d’être aussi faible.

Lorsqu’il revint à lui, il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre qu’il ne se trouvait plus en ville mais au manoir. Et en essayant de se relever, deux bras le maintenir fermement allongé. Il se rendit alors compte qu’il n’était pas seul dans le lit. En tournant légèrement la tête, il vit que María se trouvait sur sa gauche et Manolo sur sa droite. María échangea un regard avec Manolo qui se leva et rapporta un plateau couvert de nourriture. Il le déposa sur le lit avant que María et lui ne l’aident à s’asseoir et ne lui arrangent les oreillers pour qu’il soit le plus confortable possible. Après quoi il le laissèrent manger sans qu’aucun d’eux n’ouvre la bouche.

Cette situation était une humiliation amère pour Joaquín, car non content de prouver qu’il était un faible, il se retrouvait à dépendre des deux personnes qu’il voulait impressionner. Une médiocrité honteuse. Quelle faute terrible !

Une fois le plateau entièrement vide, Manolo le débarrassa et revint s’installer à ses côtés. Le tout toujours en silence, Joaquín refusant toujours de parler. Après avoir poussé un soupir, Manolo fini par prendre la parole : nous sommes désolés d’avoir prit une telle décision à ta place. Nous ne pensions pas à mal. Nous voulions simplement t’épargner.

- On se sentait coupable pour ton œil, ajouta María, nous voulions que tu puisses prendre le temps de t’habituer à ce nouveau fait. Il n’a jamais été question de te faire passer pour un faible. Nous voulions juste prendre soin de toi. Clairement, nous nous y sommes mal prit.

Joaquín comprenait ce qu’ils avaient essayé de faire, mais cela ne faisait pas disparaître l’humiliation qu’il ressentait. Son orgueil en avait pris un coup.

- Tu sais, tu n’as pas besoin de prouver quoi que ce soit. Ni aux autres, ni à nous. Nous savons déjà à quel point tu es fort Joaquín, ne mets pas en danger ta vie pour ça, s’il te plaît, implora María au bord des larmes.

- S’il devait t’arriver quelque chose, compléta Manolo la voix rauque, nous ne nous en remettrions pas.

- Tu comptes tellement pour nous. Bien plus que tu ne l’imagines, avoua María.

Joaquín, toujours contrarié, ne pouvait pourtant pas rester fâché avec eux. Les voir aussi malheureux lui brisait le cœur et de toute façon, il se rendait bien compte que sa réaction disproportionnée était le résultat de son immense orgueil. Et d’un besoin irrépressible d’être constamment le meilleur. En plus, ils s’étaient excusé platement et avait promis de ne plus recommencer. Ça comptait pour quelque chose, non ? Dans le cas contraire, cela ferait probablement de lui un hypocrite, vu qu’eux avaient excusé son comportement ignoble.

- D’accord, abdiqua-t-il, j’accepte vos excuses. Et pour être tout à fait honnête, je reconnais aussi que j’ai présumé de mes forces à cause de mon orgueil. Je m’excuse de m’être emporté aussi violemment.

Les sourires de María et Manolo à ses paroles étaient contagieux et il se mit lui aussi à sourire. Puis ils échangèrent un de leur regard bizarre et Manolo reprit la parole.

- Puisque tu parles d’honnêteté, nous avons aussi quelque chose à te dire.

- Nous souhaitions aborder le sujet d’une autre manière, continua María, mais à vrai dire, nous ne sommes pas sûrs du bon moment pour ça.

Pendant ce temps là, sa main avait trouvé la sienne et la caressait avec son pouce de manière réconfortante. Et puis, tout doucement, la main de Manolo vint se rapprocher de la sienne et sans trop savoir pourquoi, Joaquín dévoila sa paume pour qu’il puisse la prendre. Lorsqu’elles entrèrent en contact, un sentiment de chaleur et de plénitude lui envahit le corps.

- Comme tu le sais, dit Manolo, après la cérémonie nous nous sommes installés chez le Général. Même si la cohabitation n’était pas de tout repos, nous avons essayés de construire notre nouvelle vie à deux. Mais peu importe ce que nous faisions, il semblait toujours manquer quelque chose. Un vide inexplicable. Il nous a fallut beaucoup de temps avant de comprendre quoi.

- Où plutôt qui, pour être tout à fait exact, révéla Maria.

- C’est toi qu’il manquait Joaquín, annonça Manolo avec un léger sourire.

- Pardon ?!

- Si nous sommes venus ici, continua-t-il, ce n’est pas uniquement pour ne plus avoir le Général sur le dos. C’est avant tout parce que nous voulions être avec toi. Nous voulons former une famille avec toi, parce que tu es important pour nous.

- Parce que nous t’aimons, ajouta María pour s’assurer qu’aucune ambiguïté ne subsistait.

De tout ce à quoi Joaquín s’attendait, cette déclaration n’en faisait absolument pas partie. Ses meilleurs amis ressentaient ça, pour lui ? Mais comment était-ce possible ? On ne pouvait pas aimer deux personnes à la fois, si ?

Comme il ne disait rien, María et Manolo relâchèrent ses mains avant de se lever.

- Nous voulions être honnête avec toi afin que tu puisses prendre une décision en toute connaissance de cause.

- Ne te sens pas obligé de répondre positivement, ajouta María, prend le temps de réfléchir. Sache juste que si tu ne ressens pas la même chose, ce n’est pas grave. Nous ne souhaitons pas que cela soit inconfortable pour toi, alors si tu le souhaites, nous pouvons partir.

- En tout cas, termina Manolo avec un sourire, repose-toi bien et soit assuré que notre porte est ouverte quand tu le souhaites, si tu le souhaites.

Sur ses dernière paroles ils quittèrent la pièce et Joaquín se retrouva seul avec une tête en plein tumulte.

Pendant un long moment Joaquín resta figé, se repassant en boucle la conversation. Il n’arrivait pas y croire. Et puis, il dût se rendre à l’évidence tout cela s’était bien produit. Ce qui laissait un gros problème à résoudre : ressentait-il la même chose pour eux ?

Son amour pour María ne posait aucune question, mais pour Manolo ? Il l’aimait énormément, ils avaient grandit ensemble, partagé tellement de choses. Il avait presque sa vie pour la sienne. Mais cet amour était différent de celui qu’il portait pour María. Et puis de toute façon, personne ne pouvait aimer plusieurs personne de la même manière.

Plus il y réfléchissait et moins il savait quoi penser. Jusqu’à ce qu’il se demande s’il pourrait vivre séparé d’eux. Ne pas voir leur sourire, leur joie, leur peine. La réponse fut tellement évidente qu’il se leva et courut vers leur chambre.

Dans sa précipitation, ce fut un miracle qu’il ne se fasse pas mal. Il ouvrit tellement brutalement la porte que la poignée lui resta dans la main, mais ça ne l’empêcha de s’avancer à leur hauteur avant de dire avec beaucoup de force : oui !

- Tu en es sûr ? préféra s’assurer María.

- Certain, confirma Joaquín avec toujours autant d’enthousiasme.

- D’accord, répondit Manolo avec le sourire.

Ils restèrent à se regarder sans rien faire avant que María ne soupire et attrape Joaquín par son haut pour le guider sous les couvertures au milieu du lit. À sa place. Une fois bien installé contre lui, elle déposa un rapide baiser sur ses lèvres avant de fermer les yeux, le visage souriant. Manolo en fit de même de l’autre côté.

Leur respiration paisible le berça et Joaquín resserra son étreinte, le cœur emplit de satisfaction.

Note de l'auteur : Les informations sur les mères de María et Joaquín proviennent de la section WordOfGod sur TvTropes du film. De même que le déménagement (bien opportun) de Maria et Manolo au manoir de Joaquín.

auteur:alix, pour:blatula, la légende de manolo, fic

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