Titre : Illusions (Partie 2)
Auteur : Coccinelle (Participant 1)
Pour : Archange des pigeons (Participant 19)
Fandoms : New Mutants + mythologie amérindienne
Personnages/Couples : Nanabozho, Dani/Rahne, Doug/Warlock, Roberto et Illyana
Rating : PG
Disclaimer : New Mutants appartient à Chris Claremont et à Bob McLeod, mais la mythologie amérindienne relève du domaine public.
Prompt : Un trickster de la mythologie amérindienne, malicieux sans être maléfique, s'intéresse au sort de Dani et décide d'emprisonner les New Mutants dans des illusions pour les mindfucker un peu et leur apprendre au passage quelques vérités sur eux-mêmes (du moins il pense que ce sont des vérités). Accessoirement, il shippe Dani/Rahne. Bonus si Doug et Warlock sont dans la même illusion et ont des passages choupi ; bonus aussi si Illyana se révèle plus que l'esprit ne peut gérer, est furieuse, et que les autres persos doivent la retenir à la fin pour qu'elle n'exerce pas une vengeance qui dépasserait l'offense.
Notes : Merci à la personne qui m’a bêta-lue. Elle se reconnaîtra. ^^
Note de la modératrice : La fic est trop longue, j'ai dû la poster en deux parties.
La première partie est ici.
*
« Là-bas ! » s’exclama l’un des guerriers qui accompagnaient Roberto.
Au début, ses yeux peu expérimentés ne distinguèrent rien. Ensuite, alors qu’ils s’approchaient de plus en plus, il vit un autre groupe de combattants, qui poursuivait une squaw. Celle-ci était vêtue de manière traditionnelle, mais ses cheveux étaient blonds. Incongru détail. Peut-être était-ce une fille blanche, élevée parmi les Indiens ? Il avait vu un film sur ce thème…
Puis la squaw tourna le visage vers eux et il la reconnut soudain.
« Juliana ! » s’écria-t-il, stupéfait.
Comment pouvait-elle se trouver ici ? Il avait été témoin de sa mort, il s’en souvenait nettement. Et voilà qu’elle se retrouvait là, habillée en Indienne - et en danger mortel.
Les ennemis bandèrent leur arc. En l’espace d’un éclair, l’adolescent s’interposa entre la volée de flèches et la jeune fille. L’un des projectiles se ficha dans sa poitrine. Il s’écroula immédiatement.
Il se sentait triste de devoir mourir, révolté, même. Il ne comprenait pas comment les rôles avaient pu s’inverser de la sorte, avaient pu s’échanger. N’existait-il pas une autre solution, où aucun des deux n’aurait à mourir ? S’il avait dû réécrire le sauvetage, ce serait ce qu’il aurait choisi.
Mais en même temps, il était réconforté de le faire en ayant sauvé la vie de sa bien-aimée. Un immense sentiment d’apaisement l’envahit, marbré d’une tension sous-jacente qu’il ne parvenait pas à totalement effacer.
« Maintenant, Ese’he, tu sais, lui murmura une voix malicieux à l’oreille. Il n’est rien de plus doux que de mourir pour ceux qu’on aime. »
Une fois encore, le sentiment de révolte se réveilla en lui.
« Non ! voulut-il crier sans y parvenir, perdu dans le néant. Ça devait pas se passer comme ça ! »
Juliana aurait survécu, mais lui aussi, et ils vivraient heureux, tous les deux. Et…
Une pensée le frappa soudain, presque comme venue de l’extérieur. Si un tel scénario s’était déroulé, il n’aurait jamais connu la valeur du sacrifice de la jeune fille. Il n’aurait pas su l’importance de la vie, d’une vie. Ils auraient continué leur existence paisible, sans accéder à une telle révélation.
La douceur de mourir pour ceux qu’on aime…
Son interlocuteur inconnu exagérait peut-être un peu en employant une telle formule, mais dans le fond, il avait raison. Cette idée fit enfin décroître en lui la culpabilité qui le rongeait sans cesse depuis le décès de Juliana. Évidemment, il en était toujours responsable. Mais cette idée le tourmentait moins.
« Elle s’est sacrifiée pour toi, reprit la voix. Ne t’en veux pas. Tu éprouves aujourd’hui la même chose qu’elle. N’est-ce pas un sentiment d’apaisement ? »
En effet. Les autres guerriers la protégeraient et son propre sacrifice n’aurait pas été vain. Il aurait réussi à épargner une vie, cette vie qui avait pris fin à cause de lui. Il avait aujourd’hui rétabli l’équilibre rompu.
« Équilibre dans ton humeur, car tu t’es détaché de la colère, continua le timbre de voix apaisant. Équilibre dans ta vie, puisque tu as abandonné le chagrin. »
Une pause.
« Dors, maintenant. »
Roberto sombra dans une bienheureuse inconscience.
*
Le vieil homme para convenablement (quoique de plus en plus ardument) toutes les attaques d’Illyana, en effectuant des commentaires qui ne faisaient qu’accroître sa fureur.
« Ne perds pas le contrôle, l’enjoignait-il. Je veux justement que tu trouves l’équilibre. »
Équilibre, équilibre. Il n’avait que ce mot à la bouche. Les assauts de la sorcière redoublèrent. Non seulement elle n’aimait pas qu’on lui fasse la morale à propos de ses pouvoirs, mais elle détestait également qu’on la manipule mentalement. Et elle haïssait toute tentative de faire surgir son aspect démonique.
L’inconnu avait réalisé ces trois choses. Elle n’était vraiment pas contente.
Sous la force d’un coup d’épée plus fort que les autres, le vieil homme céda soudain et abandonna cette apparence. Illyana se retrouva soudain face à un lapin géant. De surprise, elle faillit en lâcher sa lame.
Il avait à peu près la taille d’un humain, se tenait debout sur ses pattes arrières et était habillé comme un guerrier des plaines. Les souvenirs des légendes que les New Mutants venaient de se raconter auprès du feu s’agitèrent dans l’esprit de la jeune fille.
« Nanabozho ! » articula-t-elle. Tout s’expliquait : le tipi, la tenue qu’elle portait, sa coiffure, son rôle de chamane, jusqu’au langage cheyenne qui lui était familier. C’était le trickster qui les avait fait venir ici.
Une fois qu’elle fut consciente de l’illusion et de la personne qui en était responsable, il lui devint plus aisé de chercher un moyen pour la briser. Elle s’acharna sur l’apparition, consciente de s’attaquer à plus fort qu’elle. Mais son succès précédent lui donnait du courage. Il avait enfin montré son véritable visage.
Tout à coup, elle lui plongea la soulsword en plein cœur. Un hurlement inhumain retentit. Mais au lieu de s’effondrer au sol, Nanabozho s’effaça peu à peu. Le paysage factice qui l’entourait s’effrita et disparut, lui aussi.
*
Elle marchait dans une sorte de non-lieu, un espace blanc, non déterminé. Ce n’était pas tant un décor blanc qu’un univers qui n’avait pas été conçu, qui n’avait pas encore d’existence bien nette. Des limbes, non pas comme celles qu’elle connaissait, mais semblables à ce lieu où allaient les enfants non baptisés. Hormis le fait qu’il n’existait personne d’autre ici, à part elle.
Brusquement, une forme noire se détacha du néant, tout en angles. Cette silhouette lui était étrangement familière…
« Self-friendIllyana ?
-Warlock ! »
Ils se retrouvèrent avec bonheur. La sorcière expliqua brièvement pourquoi il devenait urgent de briser ce mirage, avant qu’il ne soit trop tard. Elle évoqua aussi l’intérêt de châtier l’impudent qui leur avait fait subir un tel traitement. Il n’était pas mort, c’était évident. Sinon, ils ne seraient pas retrouvés ici. De plus, ses sens surnaturels lui indiquaient sa présence, en marge de ce monde illusoire. Illyana raconta ce qui était arrivé. Elle affirma également qu’elle proposait une solution plus définitive au problème. L’alien, quant à lui, resta songeur.
« Self ne sait pas, finit-il par déclarer. Self ne ressent aucune méchanceté dans celui qui a attiré self et self-friends ici.
-Enfin, Warlock, il t’a forcé à sombrer dans le sommeil, ou dans je ne sais quelle transe ! Il nous a enfermés, trompés, manipulés… rappela-t-elle. Rien que pour ça, il mérite d’être puni ! »
Elle serra les poings jusqu’à s’en faire mal. Ses ongles étaient devenus des griffes acérées.
« Et il a ramené à la surface ma part démonique, siffla-t-elle.
-L’illusion dans laquelle self était plongé était agréable pour self, la contra-t-il simplement.
-Mais si c’était agréable et que ce n’était pas vrai, c’est encore pire, répliqua-t-elle.
- Self-friendIllyana a raison », commenta sombrement l’alien.
Il eut l’air si triste qu’Illyana hésita entre lui demander ce qui s’était passé, en espérant que cela puisse le soulager d’en parler, ou bien se contenter de lui poser la main sur l’épaule afin de le réconforter. Comme elle avait peur de ne pas trouver les bons mots pour le consoler, le cas échéant, elle opta pour la seconde solution. ‘Lock eut un sourire géométriquement impossible de reconnaissance lorsqu’il sentit son contact.
Warlock avait peur que l’individualité psychique de self-soulfriendDoug reste abandonnée dans cet espace illusoire, en cas d’échec de leur part pour le ramener dans la dimension qu’on qualifiait de réalité. Cette idée qu’il pourrait rester enfermé dans cette sous-unité artificielle de leur monde provoquait chez l’alien l’émotion dénommée « tristesse ». La falsification des données environnementales était complète dans le milieu où self-soulfriend était resté, bien que Warlock n’arrivât pas à déterminer si elle était permanente ou seulement temporaire. Elle ne semblait pas non plus causée par un self-enemy qui aurait pour objectif leur destruction ou leur endommagement.
« Mais si self-friendIllyana en a souffert, conclut-il à voix haute à ce stade de son raisonnement, alors il faut sortir les autres self-friends d’ici. Ensuite, on s’occupera de self-enemyNanabozho. »
Elle acquiesça, un sourire carnassier aux lèvres.
*
Ce fut le rai de lumière sur son visage qui réveilla Doug. Quelqu’un avait ouvert en grand le rideau de peau qui séparait le tipi de l’extérieur. L’adolescent plissa les yeux. En s’habituant peu à peu à la luminosité, il distingua deux formes familières, qui se tenaient sur le seuil.
« Warlock ? Illyana ? demanda le jeune mutant. Mais que se passe-t-il ? C’est quoi, ce rêve ? s’étonna-t-il. C’est rare de se réveiller au même endroit que celui où on s’est endormi, quand c’est dans un songe…
-C’est pas un rêve, Doug, lui asséna la sorcière. C’est une illusion, et tu en es prisonnier.
-Mais self-friendIllyana et self vont délivrer self-soulfriendDoug », le rassura Warlock.
Confiant, Doug mit la main dans celle de l’alien et se leva. Puis, plus par réflexe que par raisonnement, il prit le sac que les membres de la tribu leur avaient offert et le jeta sur son épaule.
Il était orné d’un lapin.
*
Ce fut un peu plus difficile de localiser les trois autres membres de l’équipe. Ni Doug, ni Warlock, ni Illyana n’était déjà allés dans cette partie de la toile d’araignée tissée autour d’eux. Ils pensaient aussi que ce monde illusoire serait petit, à la mesure d’un piège tendu à six adolescents, mais ce n’était pas le cas. Au contraire, ils avaient l’impression d’être tombés dans une véritable dimension parallèle. Comme lors du combat avec l’ours-démon, ils se sentaient ancrés dans un imaginaire touffu, celui des Cheyennes.
Ils demandèrent leur chemin aux créatures qu’ils rencontraient. Certaines, comme le démon des eaux, s’avéraient quelque peu inquiétantes. En effet, Awonawilona ne s’était pas montré tout de suite et les avait délibérément effrayés. Invisible, enseveli dans les ténèbres du lac, englouti par le vide, il se manifesta par un tourbillon d’eau bouillante qui les effraya tous - même Illyana, qui ressentait là une puissante magie. Lorsque l’esprit surgit des flots, tout en brume et en sources ruisselantes, il leur demanda d’une voix caverneuse quelle était leur requête. À la réponse de la sorcière, qui expliqua qu’ils cherchaient leurs compagnons disparus, il répliqua qu’il ne les aiderait qu’à condition d’obtenir un sacrifice. Heureusement, les plumes d’aigle, les bandes de tissu et les colliers de perle que Doug jeta par poignées dans l’eau suffirent. Awonawilona leur indiqua alors la route, sans chercher à les tromper. Lorsque la créature disparut de nouveau au fond du lac, ils ne purent retenir un soupir de soulagement.
D’autres, tel Coyote, n’avaient rien à envier à Nanabozho sur le plan de la roublardise. Ils pensèrent toutefois l’amadouer avec quelques épis de maïs, du saumon et de la viande de bison que Doug avait trouvé dans son sac. L’esprit-animal, qui était d’une gloutonnerie sans pareille, leur promit son aide après un tel festin. On aurait pu penser qu’une fois sa gourmandise satisfaite, Coyote leur aurait apporté son aide, mais non ! Il les emprisonna dans une impasse qui les renvoyait toujours au même endroit - à savoir la plaine où il s’était installé, allongé au soleil. La troisième fois qu’ils le retrouvèrent après s’être s’aventurés dans une direction qu’il leur avait indiquée (chaque retrouvaille impliquant un nouveau tribut alimentaire), Illyana perdit patience. Une fois la soulsword sous le museau, Coyote se montra beaucoup plus sincère. La sorcière ne pouvait probablement pas tuer un dieu à elle seule, mais elle pouvait tout de même lui faire très mal, comme le prouvait Nanabozho.
L’Aigle était bénéfique, mais fier. Lui ne chercha ni à leur faire peur, ni à les exploiter, mais il semblait extrêmement indifférent à leur présence. L’oiseau passa un certain temps à se vanter d’être le seul à pouvoir regarder le Soleil dans les yeux et donc, à détenir les secrets du ciel, y compris celui de la foudre. Ensuite, il étira les ailes, se lissa longtemps les plumes et parut entièrement oublier leur présence. Ce fut l’intervention de Warlock, assez inhabituelle pour qu’elle le surprenne, qui le tira de son intense autosatisfaction. Dans son langage particulier, ‘Lock avait demandé si self-friendAigle savait où se trouvaient self-friendRoberto, self-friendDani et self-friendRahne. Flatté d’ainsi se voir compté au nombre des amis, Aigle leur montra le trajet, qu’il avait bien entendu perçu grâce à sa vision exceptionnelle. En revanche, il refusa de les accompagner, en argumentant qu’il n’avait pas que cela à faire. Le monde entier n’attendait que sa magnificence, et ce serait criminel que de l’en priver.
Pourtant, quelques-unes de leurs rencontres se montraient tout de même sympathiques, à l’instar de cette mère de famille qui avait dit s’appeler « Première Femme », et qui les avait guidés.
« La Two-Spirit et son épouse ne se trouvent pas très loin. Elles vivent dans le village qui se situe de l’autre côté de ce rempart rocheux.
-Two-Spirit ? » avait relevé Illyana.
Elle leur avait alors expliqué qu’ici, Rahne était considérée comme une Two-Spirit, une personne qui disposait de deux esprits protecteurs - en l’occurrence, la Jeune Fille et le Loup. Ce statut lui conférait d’épouser une autre femme, si elle le désirait.
« Un peu comme Warlock et moi ? s’enquit Doug d’une voix hésitante. On l’avait appelé heemaneh, je crois…
-C’est la même chose, confirma Première Femme. Heemaneh, winkte, Two-Spirits, tous ces termes recouvrent une même réalité. »
Si le mot « réalité » avait un sens quelconque ici, rectifia mentalement Doug. Lors du trajet, Warlock avait eu le temps de lui faire part de ses théories de combinaison mentale des données qui les entouraient, et il ne pouvait que les approuver. Cela expliquait la cérémonie, le fait qu’il l’ait aussi bien acceptée, et aussi le comportement qu’il avait eu ensuite. C’était aussi sans doute pour cela que l’esprit alien de Warlock n’avait pas pu rester longtemps dans cet environnement créé de toutes pièces. Quel qu’il soit, leur ennemi devait avoir l’habitude d’agir avec des humains - sans pouvoirs, pour être précis, à en croire ses résultats avec Illyana. Il maîtrisait à merveille les faux-semblants, certes, mais n’était pas prêt à ce qu’on cherche à y échapper.
D’un autre côté, Doug ne parvenait pas à se défaire de l’idée que cette illusion, qu’il avait d’abord prise pour un songe, l’avait aidé à prendre conscience de vérités sur lui-même. S’il n’avait pas été sous cette influence insidieuse qu’il avait pris pour de l’ivresse (preuve qu’effectivement, son esprit était manipulé, car comment pouvait-on être saoul dans un rêve ?), il n’aurait probablement jamais embrassé ‘Lock. Il ne se serait jamais défait de ses idées préconçues par rapport au fait que celui-ci soit un extraterrestre, et prenne souvent une apparence de garçon. Et il serait resté prisonnier du schéma habituel des béguins fréquents qu’il avait pour des filles.
Drôle d’ennemi que Nanabozho ! Finalement, il ne semblait pas tant vouloir les attaquer psychiquement que les aider : Doug dans sa relation avec Warlock, Illyana et son rapport au pouvoir… Il ne pouvait pas partager ces réflexions avec la sorcière, qui avait très mal pris les rééquilibrages improvisés des manifestations de ses dons. Toutefois, lorsqu’on y réfléchissait bien, le trickster ne lui voulait pas de mal. Ne leur voulait pas de mal. Il hésita, puis serra un peu plus fort la main de Warlock.
Ce geste n’échappa pas à Illyana, qui se tourna vers eux avec une certaine curiosité, mais sans oser les interroger sur leur relation. Personne ne lui avait vraiment parlé de ce qui s’était passé, mais elle commençait à vaguement comprendre pourquoi ses deux amis s’étaient sentis relativement à l’aise dans leur illusion.
Il leur fallut presque une journée entière pour contourner l’amas de rochers. Le soir venait tout juste de tomber lorsqu’ils atteignirent le bon village. On leur indiqua sans peine la tente de la winkte.
« Dani, Rahne, debout ! »
Comme Doug et Warlock lors de la nuit de leur mariage, les deux jeunes filles s’étaient endormies l’une contre l’autre. Après s’être frotté les yeux, un sourire sincère illumina leur visage.
« Oh, c’est vous ! s’écria Rahne en s’ébrouant. Je suis si heureuse de vous revoir !
-Nous aussi, répondit Doug. On vous a longtemps cherchées…
-Mais où est Roberto ? s’enquit Dani une fois qu’ils furent tous entrés.
-Nous l’ignorons, avoua Illyana. Mais nos recherches ne sont pas encore terminées, loin de là.
-Ah, mais on pourrait demander à Première Femme ! pensa tout haut Doug. Elle nous avait bien aidé, la première fois…
-Première Femme ? » répéta Rahne sans comprendre.
Brièvement, ils lui expliquèrent cette rencontre et se mirent d’accord pour tenter de retrouver cette personne. Tandis qu’ils sortaient du tipi et qu’ils se mettaient en route, Dani leur expliquait le rôle capital de cette femme. C’était en quelque sorte l’Ève des Amérindiens. Quant à Premier Homme, il représentait Adam.
Même en marchant toute la nuit, ils n’arrivèrent devant la tente de Première Femme et de Premier Homme qu’au grand jour. Leur ancien guide s’était assise en tailleur devant son tipi et réalisait des paniers. Elle leva la tête lorsqu’ils s’approchèrent d’elle.
Le groupe la salua respectueusement, puis lui parla de leur compagnon disparu. Une profonde ride barra alors le front de la Grande Mère.
« Pour votre ami, ce sera plus difficile, déclara-t-elle d’un ton sombre. Il est mort dans le monde des illusions.
-Mort ! s’exclamèrent les New Mutants, dévastés.
-Illusions, leur rappela Illyana, opiniâtre. Cela veut dire que ce n’est pas réel.
-Tu as raison, enfant-démon, confirma Première Femme en lui souriant. Ce n’est qu’une mort provisoire. »
Illyana frémit en entendant cette appellation, mais prit sur elle et réussit à conserver son sang-froid.
« Pouvez-vous nous aider ? s’enquit la sorcière.
-Peut-être, affirma-t-elle. Formez un cercle et tenez-vous la main. On peut peut-être ramener son esprit du territoire des Chasses Éternelles, vers lequel il se dirige en se moment même. S’il n’est pas trop tard. »
Leurs mains se nouèrent les unes aux autres, tremblantes.
*
Roberto flottait dans le non-être. Il était toujours conscient, mais il n’avait ni faim, ni soif, ni froid. Plus rien ne pouvait l’atteindre. Son âme se sentait en paix. C’était comme une chute immense, pendant laquelle il ne ressentait aucune crainte.
Au-dessus de lui, il discernait vaguement une sorte de terre promise. Des terrains de chasse infinis, des tipis qui fumaient, des enfants en train de jouer, des mères paisibles, des guerriers.
Le territoire des Chasses Éternelles.
Soudain, il entendit un appel. Une sorte de ressac, qui l’entrainait dans le sens inverse, qui le ramenait sur terre. Au départ, ce n’était qu’un petit son répétitif, puis le bruit de fond se changea en mots distincts. En prière.
« Tu n’es pas mort, Roberto. Tu es victime d’une illusion. Reviens parmi nous, s’il te plaît. »
Il entendit distinctement Dani, Rahne, Doug, Warlock, Illyana. C’était ses amis qui l’appelaient ! Il ne pouvait pas les abandonner, surtout si leur message disait vrai.
Mais le territoire était là, à portée de main…
« Je ne veux pas que tu meures, mon garçon. » Une autre voix, cette fois très différente de celle des New Mutants, mais semblable à celle qui lui avait déjà parlé de paix de l’âme. « Écoute-les. J’ai été trop pris pour te secourir et te ramener à l’existence, tout à l’heure. J’ai subi un… » Son interlocuteur s’interrompit, mal à l’aise. « Un fâcheux contretemps. »
Roberto basculait toujours dans le néant, mais dans l’autre sens. Son âme ne s’élevait plus, elle tombait. Il jeta un coup d’œil vers le bas et vit le sol se rapprocher à toute vitesse. Il préféra ne plus regarder, clôt les paupières et s’attendit à un choc sec.
Qui n’arriva jamais.
Le flottement s’était arrêté. Lorsqu’il rouvrit les yeux, l’adolescent rencontra des visages familiers.
« On a réussi ! exulta Rahne.
-Self-friendRoberto va bien ? le questionna Warlock.
-Oui, merci », répondit-il avec un faible sourire.
Les autres l’aidèrent à se lever tandis qu’Illyana récapitulait la situation.
« Très bien, assura-t-elle. Nous voilà au complet. Il ne nous reste plus qu’à sortir de cette illusion.
-Une illusion ? redit Dani, interloquée. Ce n’est pas un enlèvement, une reconstitution historique, ou quelque chose comme ça ? »
Ils la considérèrent tous, surpris.
« Tu n’as pas encore compris où on était ? l’interrogea Illyana. Ce n’est pas la réalité, ici, c’est pourtant évident !
-Il me semblait pourtant… »
Elle secoua la tête, comme pour chasser une mouche. Les autres étaient tous surpris de constater que c’était la seule à ne pas avoir pensé évoluer dans une illusion, ou au moins rêver. C’était peut-être parce que les motifs amérindiens lui étaient trop familiers ?
« J’ai cru rêver, à un moment donné, admit-elle. Mais je n’avais pas du tout pensé que c’était aussi complexe qu’une… qu’un…
-Environnement factice ? termina Warlock d’un air interrogatif.
-Voilà. »
Cela ne réglait toujours pas leur souci.
« Petit problème technique : comment on fait pour sortir d’une illusion? demanda Roberto, qui avait rapidement récupéré son mordant.
-Quand on rêve, faut se pincer pour se réveiller », proposa Rahne - qui n’avait aucune expérience en rêve lucide. Ni aucun d’eux, d’ailleurs, sinon, ils auraient su que cela ne fonctionnait presque jamais. De toute façon, comme le rappela Illyana, ce n’était pas un songe.
Évidemment, ils se pincèrent sans que cela ait le moindre effet (d’abord en se pinçant soi-même, puis, comme cela ne marchait pas, en se pinçant l’un l’autre). Personne ne se réveilla. Par contre, la tentative dégénéra en gentille bagarre, que Doug interrompit en élevant la voix et en proposant autre chose.
« Il faut peut-être mourir pour se réveiller, imagina Doug. Comme dans ces BD de Little Nemo que je lisais quand j’étais petit… »
-Non merci, grimaça le Brésilien. J’ai déjà donné. C’était agréable, mais je ne préfère pas tout de suite revivre cette expérience, c’est bon.
-Et puis pour la troisième fois, c’est pas un rêve ! grommela Illyana, agacée. Quelqu’un n’a pas une meilleure idée ? »
Ils réfléchirent profondément. Au bout d’un certain temps, Rahne proposa timidement :
« Et si on cessait de croire en ce qui nous entoure ?
-Tu veux dire, le monde de fiction dans lequel on est ? précisa Illyana.
-C’est ça, confirma-t-elle.
-Self a déjà essayé, révéla Warlock, mais self s’est retrouvé dans un espace vide.
-Pareil pour moi, confia Illyana. Ceci dit, peut-être que si on s’y met tous ensemble…
-Toutes les psychés cesseront d’être connectées à l’illusion, ce qui fera disparaître nos esprits de sa matrice, acheva Doug. Oui, c’est une théorie un peu bancale, mais ça peut fonctionner…
-Tu penses que si ça a raté tout à l’heure, c’est parce que vous étiez encore prisonniers ? s’enquit Illyana, un peu déconcertée par les explications de Doug.
-Pourquoi pas ? fit-il en haussant les épaules. Ce serait pour ça que vous vous êtes retrouvés dans un espace vide, que Nanabozho n’avait peuplé, mais que vous n’avez pas été libres pour autant. »
Warlock prit le relais, en se basant sur la même hypothèse.
« Donc si self avait été seul dans l’espace construit sur mesure pour self et que self avait cessé d’y croire, self se serait réveillé dans le monde réel ? demanda-t-il.
-Je pense, oui, confirma Doug.
-Ça veut dire que si une seule personne croit encore qu’elle rêve ou qu’elle est dans la vraie vie, on restera ici ? en déduisit Rahne, assez inquiète pour sa compagne.
-Oui, affirmèrent Doug et Warlock. Dani ?...
-Pas de souci, balaya-t-elle d’un revers de la main. J’ai compris, c’est bon… On essaie ? »
Une fois de plus, ils se tinrent la main en cercle et se concentrèrent. Au début, il ne se passait rien. Puis, peu à peu, les couleurs devinrent plus hésitantes, les sons, moins affirmés. L’odeur agréable d’herbe fraîche qui émanait des plaines perdit peu à peu son intensité, avant de s’évanouir. Puis ce fut le tour des cris d’oiseaux, de l’apparence de la chaîne de montagnes toute proche, et même du contact du sol contre leurs mocassins.
Pour finir, ils sortirent tous du monde factice. Ils se retrouvèrent dans la même position qu’auparavant, hormis le fait qu’ils se situaient maintenant dans le salon. Au centre de leur cercle, Nanabozho les attendait de pied ferme.
*
Illyana, sur le qui-vive, dégaina immédiatement la soulsword et la plaça sous le menton de leur assaillant. Pour plus de sécurité, elle enferma rapidement le dieu dans un pentacle. Il se débattit un peu, sans succès.
« Qui es-tu vraiment ? Et que nous veux-tu ? Je ne te conseille pas de mentir. Tu aurais vite fait de te retrouver avec cette épée en travers de la gorge. Et plus de tour de passe-passe, cette fois ! Nous sommes dans le monde réel, et tu seras tué pour de bon. »
Elle exagérait un peu en disant cela. Elle n’était pas sûre de pouvoir infliger autant de dégâts à une divinité juste en se servant de ses pouvoirs, de sorts et de son épée. Mais elle ne perdait rien à essayer. De toute manière, elle pouvait le blesser, elle s’en était déjà rendu compte dans le monde illusoire. Le hurlement du dieu n’avait pas été feint.
« Je… je suis le totem de Dani, révéla le lapin, terrifié. J’essayais juste de lui venir en aide.
-En l’enfermant dans une illusion ? gronda la sorcière, féroce.
-Laisse-le parler, Illyana, lui demanda Doug, patient.
-Son totem ? releva Rahne, curieuse.
-Chaque enfant dispose d’une divinité qui le protège, expliqua Mirage. Tout dépend de sa personnalité. S’il est rusé et malicieux, ce sera Coyote. S’il se montre persévérant et travailleur, il s’agira de Blaireau. Et moi, c’est Nanabozho, parce que…
-…parce que tu crées des illusions, toi aussi, termina Doug à sa place. Je comprends.
-Mais c’est quoi exactement, un totem ? s’enquit Roberto.
-C’est un dieu qui te protège. Une sorte d’esprit protecteur, finalement.
-Drôle de manière de protéger… glissa Illyana, peu convaincue.
-Je suis sûre qu’il voulait bien faire, le défendit Dani. Relâche-le, s’il te plaît.
-Pas avant d’être certaine de ses intentions ! rugit-elle. Je ne me laisserai pas manipuler de nouveau.
-Que veut faire self-friendIllyana ? l’interrogea Warlock, un peu inquiet.
-Le tuer, si nécessaire », assura-t-elle froidement.
Un frisson parcourut l’équipe. Dani décida de s’interposer.
« Je ne peux pas te laisser faire ça, déclara-t-elle calmement, mais fermement. S’il t’a fait du mal, c’était involontaire. Et il reste mon totem.
-C’est pour cela que tu étais la plus prise dans l’illusion, comprit soudain Rahne. Moi, j’ai très vite eu l’impression de rêver, ou quelque chose comme ça.
-Moi aussi », affirma Roberto.
Doug hocha également la tête.
« Mais comme il s’agissait de ton totem, il a accentué tous ses efforts sur toi.
-Quitte à moi bien réussir avec moi, remarqua Illyana.
-Ou avec self, compléta Warlock.
-Quand je vous ai vu, expliqua le trickster, j’ai décidé de vous aider, vous aussi. Vous le méritiez. Après tout, vous êtes ses amis… » Il fit un clin d’œil à Rahne. « Voire même plus. »
Elle rougit violemment. Elle espérait bien que Nanabozho n’allait pas raconter devant les autres ce qui s’était passé dans l’illusion. Lors de leur prétendue nuit de noces, Dani et elles s’étaient embrassées et caressées sans retenue. De retour dans le monde réel, sans le sentiment d’irréalité que suggérait l’illusion, la jeune protestante s’en sentait toute honteuse. D’une certaine manière, ces actes avaient été réels. Ils n’avaient pas existé que dans son esprit.
La sorcière la tira de ses réflexions.
« Alors comme ça, tu as voulu m’aider, moi aussi ? le défia-t-elle, sur la défensive.
-Je ne pensais pas que tu le prendrais aussi mal, soupira le trickster. Pardonne-moi. »
D’un ample mouvement de manches, il rendit sa véritable apparence à la jeune fille, qui se tâta le crâne en guise de vérification. Tout était redevenu normal. Plus de cornes, plus de queue fourchue, plus de griffes.
« Je ne sais pas si c’est assez », réfléchit-elle pourtant à haute voix, en jouant avec la soulsword.
Mirage se tenait toujours entre le dieu lapin et elle, mais cette condition ne semblait pas l’arrêter. Après tout, rien ne l’empêchait de passer la lame au travers du corps de son amie, qui ne ressentirait rien. Cela blesserait tout de même son adversaire - peut-être même mortellement. Elle déclara ce constat d’un ton glacial.
Brusquement, les autres prirent peur.
« Illyana, ça suffit ! cria Doug. Si tu le tues, ta vengeance sera démesurée par rapport à ce qu’il a fait.
-Il a raison, confirma Rahne d’une voix tremblante. L’offense n’est pas si grande.
-Pas si grande ? rugit la sorcière. Il a ramené à la surface mon aspect démoniaque !
-Parce que je voulais que tu apprennes mieux à le maîtriser !
-Mais j’y arrivais déjà, le contra-t-elle.
-Non, tu ignorais ce côté de ta personnalité, argumenta-t-il. Tu ne recherchais pas l’équilibre entre l’humain et la démone qui coexistent en toi. Tu étouffais l’une pour…
-Assez ! » Elle leva l’épée, prête à l’abattre, mais cette fois, ce fut Warlock qui l’en empêcha.
« Self est désolé que self-friendIllyana ait dû souffrir, expliqua-t-il, mais self ne pense pas que self-enemyNanabozho mérite la mort. » Il s’interrompit. « Ni même le nom d’ennemi.
-Si vous me laissez partir, haleta le dieu lapin, je promets de ne plus jamais vous importuner. » Il regarda son agresseur droit dans les yeux, l’air navré. « Surtout toi, Illyana. »
Les New Mutants se consultèrent du regard.
« Qu’en dites-vous ? s’enquit Roberto. Moi, ça me semble correct.
-Mais alors, je ne te reverrai plus jamais, totem ? s’inquiéta Mirage.
-Seulement si tu le souhaites, la rassura-t-il. Je ne t’abandonne pas.
-Alors, c’est d’accord, admit-elle. Va en paix. »
Illyana hésita longtemps. Elle fixa tour à tour chacun de ses coéquipiers, mais ne lisait dans leurs regards qu’une sourde approbation avec la décision de Mirage. Finalement, ses yeux revinrent à Nanabozho, qu’elle libéra en quelques incantations du pentacle qui le gardait prisonnier. Soulagé, le trickster disparut immédiatement de la pièce. Auparavant, son pouvoir avait fait trembler les parois du cercle mystique, sans pour autant parvenir à les ébranler. C’était un bon pentacle, qui aurait peut-être pu enfermer Nyarlathotep s’il l’avait fallu. Peut-être.
La tension qui pesait sur eux ne s’effaça pas avec le dieu. Leurs relations avaient été tellement bouleversées lors de leur séjour en terre cheyenne qu’il était difficile de ne pas en tenir compte. Chaque membre des couples qui avaient été formés hésitait entre décider que c’était un rêve (ce qui ne changeait donc pas leur relation) ou non - ce qui impliquait beaucoup de choses. Des choses qu’ils avaient pensées, dites ou faites, et qui prenaient un tout autre aspect à partir du moment où on se disait qu’elles avaient bel et bien eu lieu. Même sous influence.
À voir la gêne qui existait entre Dani et Rahne, ainsi qu’entre Doug et Warlock, Roberto pensa que c’était un peu comme s’ils s’étaient réveillés dans le même lit, après une nuit de beuverie. Évidemment, aucun des quatre concernés ne s’était retrouvé dans une telle situation, mais lui, il trouvait que cela correspondait assez bien à l’état des lieux, même si des zones d’ombres subsistaient. Pour parler prosaïquement, Roberto ne savait pas si les couples formés par Nanabozho avaient effectivement couché ensemble, mais ils manifestaient un tel malaise qu’il les soupçonnait d’avoir eu des gestes tendres, même si ce n’était pas allé jusque-là.
En l’occurrence, c’était encore plus complexe (et gênant) parce qu’ils se connaissaient, s’estimaient, s’appréciaient. La situation tenait plus de la mise en couple accidentelle de meilleurs amis après une soirée arrosée que du réveil avec un parfait inconnu. Plus tard, Illyana pouffa lorsqu’elle entendit cette comparaison boiteuse.
Finalement, la « mise en couple de meilleurs amis », pour reprendre l’expression de Roberto, s’avéra durable - pour ne pas dire « définitive » - lorsque Doug prit ostensiblement la main de Warlock, avec la même tendresse que dans le monde des illusions. Hésitantes, Rahne et Dani en firent de même. Les deux couples échangèrent un sourire maladroit. Cette vérité-là, au moins, ne serait pas ignorée.
Ils tentèrent de se divertir en passant une soirée normale. Mais malgré toute la tendresse qui venait d’entrer dans la pièce, Illyana avait failli tuer un dieu mineur, ce qui faisait réfléchir. L’atmosphère resta chargée, jusqu’à l’intervention de Roberto qui n’aimait pas les ambiances pesantes.
« C’était mieux qu’un western, finalement ! » conclut-t-il.
Tous esquissèrent un sourire. Oui, nettement mieux, c’était sûr.