Titre : Première rencontre
Auteur : Coccinelle (Participant 1)
Pour : Galahad (Participant 8)
Fandom : Mythologie mésopotamienne
Persos/Couple : Gilgamesh/Enkidu
Rating : PG
Disclaimer : Domaine public
Prompt : La première rencontre d'Enkidu et Gilgamesh.
Personne n’osait lever les yeux pour considérer la personne qui se tenait en haut des marches. Nul ne pouvait regarder le soleil en face, n’est-ce pas ?
Gilgamesh se tenait dans l’embrasure de la porte du temple, impatient. Il s’était vêtu avec le plus grand soin. Les servantes avaient passé des heures à le préparer à la cérémonie d’union rituelle. Ses bracelets, ses bagues et ses colliers étincelaient à la lumière. Sa tunique cousue de fils d’or rayonnait elle aussi au soleil. Pour compléter le tableau, il s’était même tressé les cheveux de ce métal. En le voyant, nul ne pouvait ignorer son ascendance. Les plaques de métal ouvré du temple entraient en résonnance avec sa tenue.
Malgré leur respect teinté de crainte, les gens murmuraient bien des choses sur son passage. On affirmait qu’il était un grand guerrier, certes, mais aussi qu’il tourmentait sans relâche les jeunes filles, et qu’il régnait de manière tyrannique sur Uruk. Les médisants pensaient qu’il n’était pas au courant de tels racontars. Ils avaient tort. Le roi les tolérait. Ce n’était pas la même chose. Sa mère l’avait enjoint à le faire. Elle affirmait sagement que lorsqu’il est au zénith, Anou se soucie peu des récriminations des hommes.
Et aujourd’hui, justement, il représentait Anou.
C’était le jour du rituel où la terre s’allie au soleil. Le dieu vivant devait posséder la grande prêtresse, renouveler l’alliance des deux espaces. Lors de ce jour cosmique, un immense réseau d’énergie reliait les représentants des dieux sur terre. Par anticipation, Gilgamesh sentait déjà ce pouvoir couler dans ses veines, se lier à celui qui existait déjà dans son sang.
Le rituel n’avait lieu qu’une seule fois par an, et s’avérait capital. C’était régénérer sa force spirituelle, réconcilier la terre et le ciel, redonner au peuple la preuve de celui qu’il était. Cette célébration était nécessaire, indissociable de l’exercice du pouvoir. Jusqu’ici, personne ne l’en avait jamais empêché. Qui en aurait le pouvoir, de toute manière ?
Mais parfois, la lune s’interposait entre la terre et le soleil.
La nouvelle de l’arrivée d’Enkidu mit la ville en effervescence. On ne s’attendait pas à ce qu’un inconnu vienne interrompre la fête sacrée. Le roi d’Uruk l’attendait donc de pied ferme, avide de voir son ennemi. Il se demandait si le fait que son adversaire ait été rendu civilisé par une prostituée l’avait rendu moins fort. Il ne tarderait pas à le vérifier.
Il devina plus qu’il ne vit l’arrivée de l’intrus dans la cité. Autour de lui, la foule s’écartant, pleine de révérence. C’était comme si un autre roi était entré dans la ville, et qu’il fallait lui rendre hommage. Certains s’inclinaient ; d’autres lançaient des fleurs ou du riz sur sa route. Gilgamesh se sentit agacé par de tels honneurs.
Et soudain, il le vit.
L’homme des bois s’avançait d’un pas tranquille. Ses longs cheveux noirs, indisciplinés, tombaient en cascade sur ses épaules. Il était beau comme un dieu. Mais ce n’était pas un dieu, Gilgamesh le savait bien. Lui dont le sang était aux deux tiers divins, il pouvait reconnaître les êtres pareils à lui lorsqu’il les voyait. Et Enkidu n’était qu’un humain. De plus, il en était conscient depuis peu de temps, et se sentait apparemment plus proche des animaux.
Tout rappelait en lui la bête sauvage. Son attitude défiante, celle d’un félin qui s’aventurait sur un territoire inconnu. Sa démarche, qui avait manifestement adopté la posture sur deux jambes depuis peu de temps. Sa tunique, jadis celle d’une femme, qui portait les marques d’un séjour dans la forêt. Sa peau, couverte de cicatrices et tannée par le soleil. Son regard, surtout, aussi féroce que celui d’une panthère.
C’était l’irruption d’une lune sombre dans le ciel que lui, soleil éclatant, dominait jusque là.
Le souverain chercha ces yeux indomptés et s’y riva. Une lutte silencieuse se déroula alors, sans qu’on puisse distinguer un vainqueur. Il fut surpris de découvrir des prunelles grises, là où il s’était attendu à un regard de jais. Quant à lui, il ne détacha pas ses yeux d’or du visage de l’intrus. C’était un appel au combat, une invitation silencieuse.
Le fils de Ninsun se détacha lentement du seuil et fit en pas en direction de son rival. Une foule calme, bien que curieuse, s’amassa autour d’eux et laissa au centre un cercle dédié au combat. Ils se contemplèrent encore un instant, le cœur plein de rage, puis s’élancèrent l’un vers l’autre en hurlant. Instinctivement, les spectateurs reculèrent d’un pas à cette attaque. Nul ne voulait devenir la victime de cette fureur guerrière.
Le combat fut acharné. Lutteurs aguerris, ils s’empoignaient férocement, se donnaient des coups brutaux, tombaient au sol avec violence. Autour d’eux, les murs des bâtiments les plus proches se mirent à trembler, comme lors d’une colère de Kishar. La porte du temple fut même démolie par la chute de l’un des deux assaillants.
À la grande surprise de Gilgamesh, c’était lui qui était en train de perdre. Lui, le fils de Lugulbanda ! C’était difficilement imaginable, et pourtant, il s’agissait de la pure vérité. Aussi loin que remonte sa mémoire, rien de tel n’était jamais arrivé. Il incarnait un souverain guerrier, toujours invaincu. Jusqu’à ce jour.
La lune, simple petit astre rocheux, masquait le puissant soleil.
En face de lui, l’homme des bois était si fort que Gilgamesh ne parvenait même pas à le blesser, alors qu’il ne retenait pas ses coups. Ils s’affrontèrent ainsi toute une journée et toute une nuit. Le lendemain matin, lorsque Shamash réapparut, les deux combattants étaient épuisés. Toutefois, le roi s’avérait plus fatigué encore que son adversaire. Ce constat le remplissait de honte. Il s’obligeait donc à lutter, même s’il n’en avait plus la force. Lorsqu’il tomba une énième fois, il n’eut pas le courage de se relever.
Au lieu de profiter de son avantage, Enkidu décida de s’arrêter de lutter, lui aussi. Il empoigna le souverain couvert de poussière et l’aida à se relever, puis il le serra dans ses bras puissants. Reconnaissant, le roi d’Uruk lui rendit intensément son étreinte. En se tenant contre son ancien ennemi, Gilgamesh sentit un torrent d’émotions nouvelles courir dans ses veines. Celui qu’il avait trouvé, il l’aimait plus qu’un ami, qu’un frère ou même qu’une femme. Ils se séparèrent, en se souriant doucement, mais restèrent face à face.
L’éclipse de soleil s’achevait enfin.
Gilgamesh éprouvait quelque chose d’entièrement nouveau. Après toutes ces années cycliques, voilà qu’un élément différent apparaissait. Peu habitué à la nouveauté, il avait d’abord pensé qu’il s’agissait d’un ennemi. Mais en fait, c’était la partie de lui-même qui manquait, un autre lui-même qui lui était totalement opposé, et pourtant, étrangement complémentaire. Il avait enfin l’impression d’être entier.
Tandis qu’ils se dirigeaient vers le palais, en oubliant totalement la prêtresse d’Ishtar, un autre équilibre divin s’installa. Un cosmos où les relations ne se nouaient pas de manière transcendantale, du soleil à la terre, mais de façon empirique. La lune était allée chercher le soleil, et s’en était fait un ami, un compagnon. Un amant.
Désormais, le roi d’Uruk serait éclairé par la lumière noire de cette éclipse.