Fandom : Mythologie judéo-chrétienne
Personnages/Pairing : Mickaël x Lucifer, Dieu, mention de Gabriel
Rating : NC - 17
Titre : Fall From Grace
Disclaimer : Domaine public mais ils sont pas à moi pour autant !
Note : Ecrit sur le prompt de
oximore : "Oh Lord, Oh Lord, what do I do? I’ve fallen for someone who’s nothing like you" [Devil's Backbone - the civil wars]
Lucifer était le genre de personnage que l’on adorait détester. Charismatique, charmeur, aimé de Dieu, il respirait la sérénité et l’arrogance de celui qui est bien né. Auréolé de lumière, excellant dans tout ce qu’il faisait, Lucifer était à l’image des réactions qu’il suscitait : sans demi-mesure. Il aimait avec passion, détestait avec ardeur et ne s’en cachait pas. Conséquemment, ceux qui l’entouraient ou le croisaient réagissaient de la même manière.
Parmi les autres archanges, Gabriel était encore celui qui était le plus modéré à son encontre. Ils se respectaient sans animosité et parvenaient à se souffrir. La même chose ne pouvait pas être dite de Mickaël toutefois. Ses rapports avec Lucifer étaient au minimum compliqués, au pire catastrophiques. L’archange de la justice ne pouvait accepter que son égal en hiérarchie fût le favori de Dieu. Mickaël avait beau respecter - et admirer, bien qu’il eût préféré se trancher lui-même les ailes que de l’admettre - Lucifer, il ne pouvait s’empêcher de lui garder rancune d’être le préféré et d’en jouer en toute connaissance de cause. Il déplorait cette situation qui venait ternir les éventuels points communs pouvant les rapprocher.
Pas plus l’un que l’autre ils n’appréciaient les dernières créations de leur chef. Les humains étaient faibles, cupides et prompts à la corruption. Mickaël était constamment obligé d’intervenir pour rééquilibrer les rapports entre ces créatures pleines de défauts et cela lui portait sur les nerfs. Lucifer quant à lui était particulièrement offensé que Dieu passe autant de temps à les protéger et les regarder vivre. Il trouvait les humains indignes de toute cette attention et aurait préféré que celle-ci soit dirigée vers des êtres plus méritants comme ceux qui assistaient Dieu en permanence dans le maintien du bon équilibre de son petit jardin.
En un jour comme celui-là où Dieu avait refusé une audience à son favori, Lucifer était d’humeur massacrante et ses envies le poussaient à la violence. Il errait dans le royaume céleste à la recherche de quelque chose qui apaiserait cette colère qu’il ne parvenait pas à réprimer. Le hasard de ses pas le mena face à Mickaël qui revenait tout juste du monde terrestre, encore vêtu de son armure flamboyante, l’épée de la justice à son côté. Les deux archanges échangèrent un regard méfiant. Mickaël savait l’animosité que Lucifer nourrissait à son égard et restait prudent lors de ses interactions avec celui-ci. Pourtant l’archange de la lumière lui adressa un léger signe de tête, quelque peu contrit toutefois. Cela ne passa pas inaperçu aux yeux avisés du juge qui l’interpella.
« Lucifer. Je vois que quelque chose te trouble. »
Ce n’était pas une question et Lucifer n’essaya même pas de nier ce qui semblait être pour son interlocuteur une évidence.
« Oui. Mais rien qui ne te concerne. » répondit-il prudemment lui aussi
« Ce qui tourmente mes égaux me concerne. Suis-moi. »
Il n’avait même pas attendu la réponse de Lucifer pour se retourner. Mickaël ne demandait pas. Ne proposait pas. Mickaël ordonnait. Et s’il y avait bien une chose que le favori de Dieu savait, c’était qu’on ne défiait pas impunément celui qui rendait la justice divine. Il lui emboîta donc le pas. Les deux archanges atteignirent les appartements de Mickaël et s’y installèrent. L’armure tomba au sol, dévoilant de dos le corps sacré de l’archange. Lucifer préféra détourner le regard et détailler les motifs compliqués qui ornaient le sol. Une fois vêtu d’une tenue plus informelle, Mickaël s’assit et désigna un autre siège à son invité momentané.
« Raconte-moi. » lui dit-il d’un ton calme mais ferme
« Ça n’est rien de très grave. Dieu m’a encore refusé audience. Pourtant le sujet aurait mérité son attention.
- Encore ? » s’étonna Mickaël « Cela fait plusieurs fois il me semble.
- Oui.
- T’a-t-il donné un motif à ce nouveau refus ?
- Apparemment, un problème avec les humains. » répondit Lucifer sans prendre la peine de cacher son agacement et son amertume à cet égard
Mickaël ne dit rien, mais l’information ne le laissait pas indifférent. Il ne remettait pas en question la gravité du motif pour lequel Lucifer avait demandé audience de façon si pressante. L’archange de la lumière avait beau être d’un caractère pour le moins délicat et changeant, quand il s’agissait de ses attributions il ne prenait jamais les choses à la légère et agissait avec raison. Cela faisait un moment déjà que Dieu négligeait ses seconds au profit de ses nouvelles créatures et bien que Mickaël restât discret à ce sujet, il partageait l’inquiétude de Lucifer. Les humains accaparaient beaucoup trop l’attention de leur créateur et le détournaient de certaines responsabilités qui lui incombaient. Parmi elles, accorder audience à des subordonnés œuvrant pour lui, estimait le juge.
« Je partage ton avis sur les humains Lucifer. Malheureusement je ne peux pas faire grand-chose de plus que cela.
- Il t’écouterait peut-être si tu -
- S’il refuse de donner audience même à celui qu’il tient en haute estime, il ne m’écoutera pas plus. » le coupa l’archange d’un ton raide
Son interlocuteur le jaugea en silence, étonné que Mickaël, d’habitude si maître de ses émotions se laisse aller à montrer la rancune qu’il avait pour lui.
« Je n’ai rien fait pour être dans ses bonnes grâces tu sais.
- Ca n’est pas pour autant que tu n’en as pas conscience et que tu n’en joues pas. Cette inégalité entre toi et le reste d’entre nous fait bien tes affaires non ? »
La voix de Mickaël s’était encore durcie et avait tranché l’air comme l’aurait fait la lame de son épée. Il se tenait droit, presque raide, le menton haut et le regard alerte. Lucifer ne pouvait toutefois pas lui donner tort sur ce qu’il avait dit. Cela l’arrangeait bien d’être le favori et il ne pouvait que comprendre que Mickaël le juste n’apprécie pas cette situation.
« Je ne vais pas dire le contraire, » répondit-il après avoir pesé chaque mot avec soin « ce serait malhonnête de ma part. Mais je crois que cette fois le favoritisme dont je fais l’objet ne m’est d’aucune utilité pour me faire entendre.
- Il fallait bien que cela arrive un jour je suppose. Je ne peux que t’enjoindre à la patience Lucifer. »
Conscient que la discussion prenait une tournure désagréable en plus de n’avancer à rien, l’interpellé se leva pour prendre congé. Dans l’embrasure de la porte, il eut une dernière phrase pour l’autre archange :
« La patience n’est pas une vertu que j’exerce brillamment. »
Il ne s’attendait pas à recevoir de réponse mais Mickaël ne put s’empêcher de le provoquer un peu.
« Il y a donc une chose que Lucifer ne maîtrise pas. »
La colère qui était descendue remonta en un instant dans le ventre de Lucifer qui fit volte-face pour aller attraper l’insolent par le col de son vêtement. Ses yeux étincelaient, ses traits étaient tendus. Il était près de frapper Mickaël et ce dernier le savait. Il le défiait silencieusement. Si Lucifer levait la main sur lui, son image de l’archange parfait serait ternie et Dieu ne le tiendrait plus en si haute estime. Ce serait un juste retour des choses pour quelqu’un qui a abusé de sa stature.
« Eh bien vas-y, qu’est-ce que tu attends ? Tu ne voulais pas me frapper ? »
Lucifer le lâcha, la mâchoire crispée et l’œil mauvais, les poings encore serrés. Il semblait en proie à un violent conflit intérieur. Quand il eut recouvré son calme, il lança vers Mickaël un regard vide. L’expression de son visage se décrivait difficilement, mais elle fit forte impression sur l’archange de la justice. Lucifer semblait… vulnérable.
« Je sais pourquoi tu m’en veux autant. Mais je n’ai aucune raison de te vouloir du mal. »
Le juge eut un élan de culpabilité en le voyant si honnêtement triste. Dans sa rancœur il en avait oublié que Lucifer n’était pas un être insensible et que peut-être cela pouvait le peiner. Alors que l’archange de la lumière allait s’éloigner pour la seconde fois, il lui attrapa le poignet. Sa main fut rapide mais le geste léger.
« Attends. Excuse-moi. »
Lucifer secoua doucement la tête en signe de négation.
« Tu n’as pas à t’excuser. C’est moi qui ai réagi -
- A quelque chose que je n’aurais pas dû dire, » le coupa Mickaël « s’il te plaît. Reste un peu. »
Son vis-à-vis sembla considérer la chose un moment. Il n’avait pas très envie d’être seul dans l’immédiat et la compagnie de Mickaël ne lui était pas désagréable. C’était même la première fois qu’il l’appréciait autant. Il se rassit. Les deux archanges passèrent la nuit à discuter, à échanger leurs points de vue sur différents sujets, de leur condition au fonctionnement du monde, et ne se séparèrent que quand vint le moment pour eux de vaquer à leurs occupations de la journée. Ils se retrouvèrent ensuite le soir venu et encore une fois, les heures passèrent sans qu’ils ne les voient. Avant qu’ils n’aient eu le temps de s’en rendre compte, c’était devenu une habitude à laquelle ils ne dérogeaient que dans des cas d’extrême obligation.
Chaque fois, Lucifer se rendait donc auprès de Mickaël et ils devisaient, tantôt joyeusement, tantôt de manière plus grave. Et quand la conversation se tarissait d’elle-même il leur suffisait de rester ensemble pour se sentir bien. Les mots n’étaient plus une obligation entre eux. Ils se satisfaisaient de la simple présence de l’autre et leurs silences respiraient la quiétude. Les jours passaient et leur intérêt l’un pour l’autre ne cessait d’augmenter. Tant par jeu que par un désir qu’ils se refusaient tous les deux à admettre, ils en vinrent à approfondir physiquement leur relation.
Les premiers essais furent balbutiants, mais les archanges en retiraient assez de plaisir pour être intrigués. Lucifer se montrait toutefois plus expérimenté que Mickaël et prenait donc souvent la tête des opérations. Ils gardaient tous deux un souvenir plutôt agréable de leur premier rapport. Enfiévrés par la proximité de l’autre, ils avaient laissé leurs mains s’aventurer sous les étoffes. Très vite Mickaël s’était retrouvé contre le mur de sa chambre, Lucifer plaqué contre son dos, son souffle brûlant sur sa peau échauffée. Ça n’avait pas été tendre - Lucifer n’était pas vraiment capable de tendresse de toute façon et cela leur convenait très bien - mais grisant. Le sexe avait été brutal, presque violent. Ils en étaient ressortis avec des cheveux entre les doigts, des taches rouges ici et là et le corps marqué par l’effort.
Cela devint une partie de leurs habitudes. Les deux archanges étant de nature curieuse, chaque rapport amenait son lot de découvertes. Puisque leurs corps leur permettaient de changer d’apparence à loisir ou presque, tout ce qui était de l’ordre du possible fut donc essayé. Lucifer avait même consenti à s’offrir à son amant et avait mis de côté son orgueil le temps d’un aller simple vers le plaisir charnel. Aucun mot d’amour n’avait jamais été échangé en ces occasions, parce que tout simplement ce n’était pas de l’amour. Ils semblaient avoir trouvé un consensus tacite à ce sujet : ils passaient du bon temps ensemble, échangeaient verbalement et physiquement, se considéraient avec humilité et déférence, mais c’était tout, et c’était bien suffisant. Lucifer et Mickaël estimaient ne rien se devoir si ce n’est l’honnêteté la plus absolue.
C’est précisément au motif de celle-ci qu’un soir, après un rapport bien plus passionné que ce à quoi ils s’étaient habitués, Lucifer choisit de ne pas se rhabiller tout de suite. Il avait quelque chose d’important à dire à son partenaire. Celui-ci était allongé dans le creux entre le bras et le corps de l’archange de la lumière, et jouait distraitement de ses doigts sur cette peau qu’il connaissait désormais à la perfection.
« Mickaël. J’ai à te parler.
- Je t’écoute. » répondit l’interpellé d’une voix paresseuse, déjà enveloppé par la douce torpeur de l’après rapport
« Je vais renverser Dieu. »
Il avait dit ça avec un aplomb démesuré et une pointe d’orgueil dans la voix. Il semblait sûr de lui. Mickaël sortit aussitôt de sa torpeur et quitta l’étreinte tiède de son amant pour lui faire face.
« Renverser Dieu ? Tu n’es pas sérieux j’espère. »
Il avait dit ça sur un ton à mi-chemin entre l’amusement - l’idée lui paraissait si grotesque et inconcevable que c’en devenait comique à ses yeux - et la menace implicite. Car si Lucifer était réellement sérieux quant à ce projet chimérique, si vraiment il souhaitait mener une guerre ouverte contre leur créateur, Mickaël se trouverait très probablement sur sa route. Et c’était la dernière chose dont il avait envie.
« Bien sûr que si. Je suis à la tête d’une armée. Tu n’imagines pas combien d’anges partagent nos idées.
- Nos idées ? Lucifer je suis d’accord avec toi sur beaucoup de choses, mais jamais nous n’avions parlé d’un soulèvement.
- C’est vrai, » admit l’archange de la lumière en hochant la tête « je ne t’en ai pas parlé. Cela fait un moment que j’œuvre à cette fin. Je pense que le moment est venu de passer à l’attaque. Les choses doivent changer. Dieu est un idiot incompétent. Il est temps de le remplacer.
- Et qui le remplacerait ? Toi ? Ton orgueil n’a-t-il donc aucune limite ? Penses-tu vraiment pouvoir prendre sa place ? »
Mickaël était partagé entre l’horreur et l’inquiétude. Il était de son devoir d’empêcher Lucifer d’aller au bout de son funeste dessein. Et connaissant l’autre archange comme il le connaissait, nul doute qu’il était on ne peut plus sérieux à ce sujet.
« Je me doutais que tu ne serais pas facile à convaincre. Mais tu sais aussi bien que moi que Dieu n’abandonnera pas les humains. Il est bien trop fasciné par sa dernière création pour la détruire. Je refuse que nous passions après ces infâmes créatures. Je restaurerai l’équilibre. Je façonnerai un nouveau monde où nous serons enfin à notre juste place. Mais j’ai besoin de toi pour ce faire. »
Lucifer attrapa doucement la main de Mickaël et la caressa du pouce, espérant que ce geste tendre apaiserait un peu son amant.
« Es-tu devenu si orgueilleux et si ingrat que tu te retournerais contre ton propre créateur ? Contre celui qui t’aime tant ? »
Le juge semblait profondément choqué et révolté par le plan de Lucifer. Ce dernier pondéra quelques instants sa réponse puis la formula dans un hochement de tête contemplatif :
« Sans la moindre hésitation oui. Il nous a bien trop longtemps négligés tous autant que nous sommes. Il t’a négligé toi aussi, d’ailleurs, » crut-il bon de rappeler « je ne vois pas pourquoi tu t’obstines à plaider en sa faveur.
- Lucifer je t’en supplie, renonce à ce projet. Ne t’ai-je pourtant pas enjoint à la patience ? Il faut du temps.
- Non Mickaël. Le temps de la patience et des négociations est révolu. Je ne ferai pas plus de compromis. Je mènerai cette guerre, » ajouta-t-il en le regardant droit dans les yeux « avec ou sans toi. »
Bien évidemment, l’archange de la lumière aurait préféré que ce fût avec Mickaël à ses côtés. Il avait espéré sans trop y croire que le juge le rejoindrait dans sa croisade, mais il s’était préparé à un éventuel refus de sa part et n’était donc pas étonné. Lucifer se leva et se rhabilla. Mickaël, pétrifié, ne sut que dire ou que faire et ne put que laisser son amant quitter la pièce sans un mot de plus, dévasté par la tournure qu’avaient pris les choses. Lucifer semblait fermement convaincu et n’entendrait pas raison. Il le savait. Et c’était bien ce qui le désespérait autant. Ses mots n’avaient plus de prise sur lui. L’orgueil avait emporté toute raison, le ressentiment qu’il nourrissait contre celui dont il était pourtant le favori était si grand qu’il était prêt à piétiner tout cela sans le moindre remords.
Mickaël était déchiré entre son affection pour Lucifer et sa raison. Il s’était fréquemment demandé au cours de leurs discussions à quel point il pouvait rejoindre ses idéaux. La réponse à cette question lui était désormais claire comme de l’eau de roche. Pas plus qu’au stade pacifique. Jamais il ne prendrait les armes contre Dieu. Se retourner ainsi contre la main qui les avait façonnés lui était impossible. Parce que c’était injuste. Désemparé, l’archange était pour la première fois incapable de prendre une décision. Son sens de la justice lui intimait de dévoiler la vérité à Dieu. Mais une autre partie de ce même sens de la justice le retenait. Ce serait trahir Lucifer. Il ne voulait pas faire ça. Son rôle était de rester le plus neutre possible, ne pas prendre parti dans un conflit.
Chose qui lui était devenue impossible à partir du moment où Lucifer s’était confié à lui et lui avait demandé de le rejoindre. L’image fugace de lui et son amant, arme en main, une légion d’anges derrière eux marchant sur le Paradis lui traversa la tête. Cette image ne le révulsait pas. Elle avait même quelque chose de cohérent, et cela l’effraya au-delà des mots. Il avait besoin d’y réfléchir. Pour l’heure, il réservait son jugement. Il espérait toujours pouvoir raisonner Lucifer.
Ce dernier ne lui en offrit jamais l’occasion. Pas une seule fois il n’était reparu devant son amant. Mickaël avait compris que désormais plus rien ne saurait dissuader le favori de Dieu de mener sa révolte contre celui-ci. Il lui fallait se faire une raison. Il allait, tôt ou tard, être amené à prendre les armes contre celui avec lequel il avait tant partagé ces dernières semaines. Cela l’attristait. Mais en tant que bras armé de la justice divine, il n’avait pas le choix.
Fort de cette résolution Mickaël se leva et partit solliciter une audience urgente avec Dieu.
Quand il revint, il fut surpris de trouver Lucifer l’attendant devant ses appartements. Les deux archanges se saluèrent sobrement, pour ne pas dire avec froideur. Grande première depuis le début de leur relation, un silence gêné s’installa entre eux, planant avec lourdeur sur ce moment. Mickaël finit par prendre la parole d’un ton mal assuré qui ne cachait nullement son malaise :
« Que me vaut cette visite impromptue ?
- Je souhaite m’entretenir un moment avec toi, rien de plus. »
Le juge acquiesça. Cela n’avait après tout rien de suspect. Il laissa entrer Lucifer devant lui et chacun s’assit à sa place habituelle.
« Tu rentres bien tard. » observa l’archange de la lumière
« Une affaire urgente m’a tenu occupé en effet. » éluda son interlocuteur
« Comme me dénoncer à Dieu par exemple ? »
La voix de Lucifer claqua comme un fouet sous la colère dont étaient empreints ses mots. Comment il avait pu le découvrir, Mickaël n’en avait pas la moindre idée. Néanmoins son honnêteté lui interdisait de nier face à cette accusation. Il préféra se détourner du regard inquisiteur de l’archange de la lumière et ne rien répondre. Lucifer semblait heureusement ne pas avoir besoin que son hypothèse soit infirmée ou confirmée et enchaîna :
« Ne fais pas cette tête. Je ne suis pas dupe. Je savais très bien que si tu ne me rejoignais pas, c’était ce que tu ferais. Je m’en suis ouvert à toi en parfaite connaissance de cause. » dit-il doucement, avec ce qui sonnait comme une nuance de résignation dans la voix « Mais je ne suis pas venu pour te faire des reproches. Je suis venu t’annoncer que demain, mon armée et moi marcherons sur le Paradis. Je voulais te dire au revoir avant cela. »
Mickaël releva la tête et son regard rencontra le visage calme mais résolu de son amant. Peut-être restait-il encore un espoir pour maintenir la paix…
« Lucifer je t’en prie. Ne fais pas ça. J’ai parlé à Dieu, il se dit prêt à négocier avec toi. Essaie de trouver un compromis avec lui demain matin. Cette guerre peut encore être évitée si tu -
- Dieu a accepté d’entendre raison ? » le coupa-t-il, soudain curieux « Comment as-tu fait ?
- Je ne sais pas exactement ce qui l’a amené à vouloir négocier, mais c’est ce qu’il m’a dit en tout cas.
- C’est parfait. Je te remercie Mickaël. Néanmoins il faut garder à l’esprit la possibilité que les négociations n’aboutiront à rien. Auquel cas je m’en tiendrai à ce que j’ai décidé. » ajouta Lucifer sur un ton d’avertissement
L’archange de la justice hocha la tête d’un air entendu. Il restait au moins la voie de la diplomatie. L’atmosphère entre eux se détendit soudain et leur complicité semblait revenue. Ils conversèrent un moment en évitant avec soin le sujet précédemment abordé.
Puis le désir prit le pas sur les mots et ils se laissèrent aller à cet élan partagé. Lucifer ne fut jamais aussi passionné que cette fois. Il n’y avait pas de violence dans ses gestes, pas de brutalité dans ses caresses. Il tint Mickaël éveillé dans une vague de plaisir qui finit par le submerger aussi. L’étreinte les tint proches, intimement liés et alors qu’il prenait de nouveau possession du corps de son amant, Lucifer lui murmura, le souffle court :
« J’aimerais vraiment que cette fois ne soit pas la dernière. »
Entre deux soupirs brûlants Mickaël lui donna son assentiment. L’urgence de leur plaisir les réduisit tous deux au silence et seuls leurs gémissements trahissaient les sensations des deux archanges qui laissèrent le temps s’étirer dans la langueur de leurs ébats. Quand les premières lueurs du jour arrachèrent le juge de sa torpeur, il était seul. Les draps étaient encore tièdes de la présence de son amant. Une angoisse noua soudain son ventre et il considéra un instant son armure du regard. Il espérait ne pas avoir à sortir son épée. Le doute flottant dans sa tête, Mickaël revêtit ses plates de métal et quitta la pièce.
Il vit au loin une masse sombre avancer vers le palais divin. L’armée de Lucifer sûrement. Il hâta le pas et arriva aux portes du palais, où une armée d’anges attendait. Dieu apparut au moment où le premier régiment de Lucifer atteignit sa position. L’archange de la lumière avait revêtu une armure flamboyante et sa main gauche tenait fermement la garde d’une longue épée. Il croisa le regard de Mickaël et lui adressa un petit signe de tête ainsi qu’un sourire. Il leva le poing droit et son armée s’immobilisa instantanément derrière lui. Les cliquetis d’armures et le martèlement régulier des pas s’arrêtèrent aussitôt, laissant place à un silence tendu.
Dieu se plaça au-devant de son armée, regardant celui qui avait été son favori avec une expression tout à fait indéchiffrable sur son visage. Lucifer s’avança seul dans sa direction. Mickaël espérait que les deux pourraient trouver un terrain d’entente et mettre fin à cette guerre avant même qu’elle ne commence. De là où il était, il ne pouvait pas entendre ce qui se disait entre eux.
L’archange de la justice ne comprit pas quand il vit deux soldats se précipiter sur Lucifer pour tenter de le saisir. Celui-ci repoussa ses assaillants d’une puissante aura de lumière et ses ailes s’ouvrirent pour envoyer les malheureux anges hors de portée. Cette séquence se reproduisit plusieurs fois, Lucifer toujours plus fort malgré le surnombre de ceux qui tentaient de le paralyser. Néanmoins l’archange de la lumière n’était pas invincible et sa défense finit par céder quand il fut immobilisé par cinq soldats. Il tomba face contre terre, ses magnifiques ailes piétinées et maintenues en place pour éviter toute rebuffade. Mickaël eut un pincement au cœur en voyant l’autre archange grimacer de douleur sous les pieds humiliants qui le clouaient au sol. Ce pincement se mua en une véritable angoisse quand, écumant de rage, les traits crispés par la colère, Lucifer lui lança un regard haineux.
Le juge comprit soudain la vérité. Dieu n’avait jamais eu l’intention de négocier avec son ancien favori. Il n’en fallut pas plus à Mickaël qui se hâta vers le cercle fermé autour du prisonnier, se frayant un passage à coups de coude et d’épaule. Dieu prit alors la parole. Sa voix calme emplissait l’air et l’espace, réduisant tout le monde au silence.
« Lucifer, archange de la lumière, nous a trahis. Il s’est retourné contre nous et avait l’intention de prendre la tête du Paradis. C’est donc un traître. Et les traîtres doivent être dûment châtiés. »
Mickaël entendit avec effroi une clameur s’élever derrière le créateur en signe d’approbation. Quand il reporta son attention sur les deux opposants, Dieu tenait la pointe de son épée sur le visage de Lucifer qui tempêtait toujours tant qu’il le pouvait.
« La justice divine doit être rendue. »
Mickaël sut à cet instant qu’il n’allait pas aimer la suite des évènements. Il ferma les yeux, tentant de réprimer les tremblements qui commençaient à secouer son corps. Il n’avait pas envie d’entendre la suite. Vraiment pas.
« Pour cela j’en appelle à celui qui reste impartial en tout et qui a permis d’éviter cette guerre. Archange Mickaël. Avance. »
Il n’osa pas regarder Lucifer. Il ne le pouvait pas. La culpabilité nouait sa gorge et rendait ses mains moites. Il suppliait intérieurement Dieu de ne pas lui demander une chose pareille. D’un pas chancelant et mal assuré, l’archange de la justice s’exécuta sous les acclamations des soldats divins. Son corps tout entier lui semblait peser lourd, si lourd… Mickaël espérait encore vaguement se trouver dans un mauvais rêve et il lui tardait d’enfin se réveiller. Dieu poursuivait sa litanie, ne prêtant aucune attention au trouble qui pouvait aisément se lire sur le visage d’ordinaire si neutre du juge.
« Tous les anges qui ont rejoint le traître seront déchus. Il sera fait un exemple de leur chef, afin que tous ici se souviennent qu’on ne me défie pas impunément. Ainsi, Lucifer aura les ailes tranchées et sera précipité du Paradis. »
Frappé d’horreur Mickaël posa la main sur le bras de Dieu pour essayer de le dissuader d’un tel châtiment. Le créateur le regarda durement.
« Ce n’est pas ce qui était convenu, » implora le juge à voix basse « vous aviez promis de -
- Je ne négocie pas avec les traîtres. Fais ton devoir, archange. »
A ce moment-là il risqua un regard vers celui qui avait mené la rébellion. Lucifer gardait la tête basse, ses bras et ailes retenus par des soldats au visage fermé et imperturbable. Il restait immobile, comme résigné. Mickaël posa la main sur la garde de son épée. Cette situation était la pire possible. Il se demandait d’ailleurs si Dieu ne le punissait pas au passage pour avoir été si proche de celui qui l’avait trahi. Il prit une profonde inspiration et revêtit son habituel faciès impénétrable, pure façade cette fois.
« Lâchez-le. » ordonna-t-il d’une voix sèche aux anges qui retenaient Lucifer
Il retira l’armure de plates qui protégeait le haut du corps du condamné, craqua le col du fin vêtement en-dessous et se plaça dans le dos de son amant. Du bout de ses doigts tremblants, il écarta les cheveux noirs de l’archange de la lumière et celui-ci frissonna un peu sous le contact - ou peut-être était-ce le froid du métal sur sa peau ? - que Mickaël avait volontairement fait durer plus qu’il ne le devait. Caresse discrète d’un amant éploré, dépassé par le poids de leurs actes. Lucifer tourna la tête pour planter ses yeux luisants de haine dans ceux de son bourreau et siffla :
« Tu me le paieras Mickaël. »
L’interpellé secoua la tête en signe de négation.
« Je n’y suis pour rien. Je regrette sincèrement. Ce n’était pas ce qui était conv -
- Je me fiche de tes excuses. Je reviendrai pour me venger. Et ce n’est pas tes ailes que je trancherai. Finissons-en. »
Il se détourna et regarda droit devant lui, le menton haut. Il ne craignait pas la douleur. Il resterait digne. Mickaël se positionna, leva l’épée de la justice qu’il tenait à deux mains. Une fois la lame au-dessus de sa tête il suspendit son geste, incapable de se résoudre à blesser Lucifer. Il ne put retenir une larme qui roula le long de sa joue et atterrit sur l’épaule nue de son amant.
« Pardonne-moi. » souffla-t-il
Sans plus y réfléchir il abattit ses bras et sa lame sur la base des ailes du traître. Un hurlement s’échappa des lèvres de celui-ci alors que le sang tachait ses plumes, sa peau, l’épée, les mains de Mickaël. Son geste avait été mal assuré et n’avait pas tranché toute la chair. C’était la première fois que le juge se trouvait devoir punir un de ses semblables et il ne s’y sentait pas plus prêt maintenant qu’avant. Il dut s’y reprendre à plusieurs essais pour exécuter la sentence, chaque coup d’épée séparant un peu plus les ailes du corps ensanglanté. Chaque hurlement un peu plus rauque et désespéré.
Mickaël ne parvenait plus à cacher ses larmes et s’en fichait complètement. Cela pouvait après tout être mis sur le compte de la tristesse de perdre un de ses égaux. Personne ne se doutait de la vraie raison de son chagrin. Personne ne se doutait que les cris de Lucifer perçaient le cœur du juge qui n’avait plus d’impartial que l’apparence. Lorsqu’enfin les ailes tombèrent au sol, séparées définitivement du dos de l’archange de la lumière, Mickaël recula en titubant, son épée rouge de sang à ses pieds. Il ne parvenait pas à détacher ses yeux des deux plaies béantes que sa main avait laissées dans le dos meurtri à jamais de son amant.
Incapable d’en supporter davantage, il se retira dans ses appartements et s’emmura dans le silence. Les anges traînèrent le corps du chef de la rébellion et le précipitèrent hors du royaume, dans une longue chute au-dessus des flots. Mickaël resta plusieurs jours prostré à pleurer la disparition de cet être qu’il avait au final aimé beaucoup plus qu’il ne l’aurait dû. Il avait tourné son affection vers Lucifer, qui pourtant ne ressemblait en rien à leur créateur et il avait été durement puni pour cela. L’archange se jura alors de garder à jamais son cœur fermé et ne plus ressentir la moindre affection pour quelque créature que ce fût.
A compter de ce jour Mickaël rendit une justice implacable, sans la moindre hésitation. Il fut connu pour son impartialité absolue et était autant admiré que craint pour cette droiture exemplaire.
Fin