Fandom : Original (Sortir du Coquillage)
Personnages/Pairing : Ian Barnhill/Lucy Trevelyan
Rating : NC - 17
Titre : A Contre-Courant
Claimer : Ils sont à moi. Et j'aime bien 8D
Note : Ce texte a fait l'objet d'un looong travail et l'accouchement a été laborieux. Mais il est là dans sa version définitive. Hallelujah. Et on remercie
apauliner de m'avoir poussé à donner naissance à Ian. Ou on la maudit, au choix.
Alors qu'elle rangeait ses notes sur les affaires classées, Lucy tomba sur le cas Pendleton et suspendit tout mouvement en lisant le nom sur la pochette. Cette affaire, elle s'en souvenait comme si les évènements s'étaient déroulés la veille. Déjà, la journée avait mal commencé : il avait plu et elle avait oublié son parapluie, elle avait glissé sur les pavés qui menaient à l'entrée du tribunal et s'était fait mal au dos en tombant - ça lui apprendrait à jouer la femme sérieuse qui ne porte que des tailleurs et des escarpins quel que soit le temps -, mouillant au passage son sac de cuir avec tous ses dossiers dedans. Ensuite les personnes convoquées pour l'audience n'étaient pas toutes arrivées à l'heure. L'avocat de la défense avait eu un quart d'heure de retard.
C'était un jeune avocat, l'avait-on informée, et c'était une de ses premières plaidoiries. Allons bon, s'était dit la jeune femme, encore un novice auquel on n'a pas appris que la ponctualité est une des bases pour faire bonne impression dans un tribunal. Ce Ian Barnhill avait fait irruption dans la salle et toutes les têtes s'étaient retournées vers lui d'un seul mouvement. La cravate de travers, la veste de costume mal mise et les cheveux mouillés, il s'était à peine excusé, à bout de souffle. C'en avait été trop pour Lucy, qui l'avait admonesté dès qu'il s'était assis :
« Maître Barnhill, la pluie a-t-elle effacé l'heure sur la convocation comme elle a effacé votre brushing ? »
Il l'avait regardée pendant un long instant, sans rien dire. La juge s'était retrouvée un peu désarçonnée sous l'aplomb de ce regard immense, au bleu presque roi et qui ne cillait pas devant son air strict. Le prestige de la robe s'était-il étiolé ? Ou peut-être était-ce l'âge ? Finalement, il s'était levé et avait très simplement répondu :
« Mes excuses madame la juge. »
Pas de justification tirée par les cheveux ? s'était demandé Lucy. D'ordinaire les blancs-becs de ce genre avaient toujours quelque chose d'intelligent à répondre, c'était surprenant. Quoi qu'il en fût, l'aînée Trevelyan avait eu une très mauvaise impression et était restée imperméable à la compassion durant toute la plaidoirie du jeune avocat. Celui-ci avait montré un engagement qui tenait plus de la passion que du zèle professionnel ; ça avait été comme s'il avait joué sa vie sur cette affaire, comme si défendre les intérêts de cet homme était tout ce qu'il avait et, en plus de cela, il avait fait preuve d'une précision juridique implacable.
Rien à voir avec le jeune homme désordonné que Lucy avait aperçu au début. Une fois lancé dans son discours, il avait changé complètement d'attitude. Malgré son antipathie toute personnelle pour ce garçon, la juge avait bien compris qu'il n'était pas là en touriste mais bien pour défendre son cas. Il n'avait négligé aucun aspect des faits, fouillé et disséqué les textes de lois ainsi que la jurisprudence pour étayer au mieux ses arguments. Un dossier solide. A la fin de sa plaidoirie, la jeune femme avait déjà déterminé son verdict. Elle avait tout de même écouté l'autre partie comme le voulait la procédure bien qu'elle sût que c'était inutile et que le second avocat n'arriverait pas à la cheville du premier.
Une fois le verdict rendu la sœur de Scott s'était apprêtée à quitter le tribunal pour prendre son repas de midi mais Ian l'avait attendue dehors. Il avait tendu silencieusement un parapluie au-dessus de sa tête et lui avait emboîté le pas. Lucy n'avait pas su quoi dire sur l'instant. Elle avait juste pu trouver détestable et agaçant de perdre toute sa répartie d'habitude sans égale face à ce bambin qui avait encore beaucoup à apprendre. Il avait donc fallu qu'elle se contente d'un :
« Mon verdict devrait pourtant vous convenir, maître Barnhill, que me voulez-vous ?
- Rien de particulier mademoiselle Trevelyan. Il m'a juste semblé que vous n'aviez pas de quoi vous abriter. »
Elle avait tiqué à l'appellation par son nom de famille. Personne au travail ne se le permettait, sauf peut-être un de ses collègues avec lequel elle avait beaucoup d'atomes crochus et le président du tribunal mais il s'agissait là d'exceptions toutes justifiées par une raison ou une autre. Là, ce parfait inconnu aux manières plutôt mal dégrossies prenait décidément trop de libertés à son goût.
« Je ne trouve juste pas nécessaire de prendre un parapluie alors que je travaille à l'intérieur, maître. »
Elle accéléra l'allure, pensant que sa réponse en avait dit assez sur son envie de bavarder avec l'importun mais celui-ci la rattrapa bien vite. Persistant. Lucy ne les aimait pas.
« Vous me plaisez. »
Avait-il dit.
La juge n'était pas sûre d'avoir bien entendu. Et quand bien même elle ne s'était pas trompée, il y avait quelque chose qui clochait. Ce n'était pas possible. Le bruit de la pluie avait dû lui jouer des tours. Ou peut-être cette voiture qui venait de passer en plein dans une grosse flaque et qui avait arrosé trois passants dans la foulée. Oh, peut-être aussi qu'il avait juste dit ça à la jeune femme sur le trottoir d'en-face. Il fallait avouer qu'elle était loin d'être vilaine.
Lucy se retourna. Non, rien à faire. C'était bien à elle qu'il avait parlé. Le visage du blanc-bec le criait. Ses grands yeux la regardaient, ses lèvres tremblaient. Elle aurait presque pu entendre son cœur qui battait. Ses joues avaient rosi et il était penaud, comme deux ronds de flanc, incapable de savoir s'il devait courir se cacher, se confondre en excuses ou faire comme s'il n'avait rien dit rien fait. La jeune femme resta interdite devant l'énormité de la blague. Car oui, ça ne pouvait être que ça. Puis elle partit d'un petit rire. Ian la regarda, déconfiture peinte sur ses traits. Était-ce donc si drôle ? Rassemblant son courage l'avocat serra le poing et déclara :
« Je suis sérieux. »
A nouveau l'aînée Trevelyan se figea. C'était quoi, ce type ? Un extraterrestre ? Et puis de quoi est-ce qu'il parlait ? Lui plaire ? Elle ? Depuis quand. A-t-on idée. Elle sentait une migraine carabinée poindre sournoisement. Ce bambin ne lui revenait pas. Vraiment pas. De quel droit venait-il chambouler son équilibre et son espace avec une phrase pareille ? Elle se retourna et fit face à l’intrus. Lui décocha une de ces œillades assassines dont elle avait le secret et lâcha d’un ton froid, tranchant, implacable :
« Votre plaisanterie va trop loin. »
C’était un avertissement. La discussion était fermée. La menace n’était que sous-jacente mais elle aurait dû suffire. Il aurait dû comprendre qu’on ne s’amusait pas à cela avec elle. Que les plaisanteries les plus courtes étaient les meilleures et qu’il était dangereux de pousser celle-ci plus loin. Il aurait dû comprendre.
« Puisque je vous dis que je suis sérieux. Pourquoi refusez-vous de me croire ? Je voudrais juste vous inviter à dîner. »
Lucy partit d’un rire moqueur. Il en avait de bonnes. Ce Ian devait avoir beaucoup de temps à perdre pour insister de la sorte auprès d’elle. Et puis elle n’était pas idiote ; cette invitation à dîner impliquait très certainement qu’ils passassent la fin de soirée ensemble. Lucy n’aimait pas se faire courtiser. Comme s’il était nécessaire de l’appâter. Si elle avait envie de s’envoyer en l’air - chose qui n’était d’ailleurs pas arrivée depuis un bon bout de temps déjà -, elle l’assumait et ne tombait pas dans la séduction juste pour ça. En résumé, Ian était recalé, recalé et encore une fois recalé.
« Donnez-moi une seule bonne raison d’accepter.
- Vous choisissez le restaurant et je fais le portefeuille ? » tenta l’avocat un peu embarrassé
La juge rit à nouveau mais cette fois sans ironie. Elle s’était attendue à beaucoup de choses mais pas à celle-ci. Une fois qu’elle eut ri à satiété, elle reporta son attention sur le visage du gamin. Celui-ci faisait presque la moue. Vexé peut-être ?
« Maître Barnhill, » dit-elle très sérieusement « si vous souhaitez à ce point ne pas terminer la soirée seul dites-le plus simplement. Je préfère ça à ces tours et détours que les conventions sociales nous imposent.
- Pardon ? » fit-il, sincèrement étonné
« En termes beaucoup plus basiques, si vous voulez coucher avec moi, dites-le directement. Pas la peine de m’inviter au restaurant pour une partie de jambes en l’air. Ça fait mauvais prétexte et j’ai horreur de ça. »
Le jeune homme la regarda, interloqué. L’aînée Trevelyan sourit pour elle-même. C’était toujours comme ça que ça se passait. Dès qu’elle mettait les mots là où les hommes mettaient des fleurs et du chocolat, c’était panique à bord.
« Désolé si ma façon de dire les choses vous a offensée, mademoiselle Trevelyan. Néanmoins, est-ce si inconcevable pour vous qu’un homme puisse avoir envie de vous inviter au restaurant sans nécessairement s’envoyer en l’air avec vous ?
- Ça l’est oui. » répondit-elle de but en blanc, sûre d’elle « Pourquoi proposer toujours un dîner, si ce n’est pas le cas ?
- Si ça n’en tient qu’à ça, un déjeuner me convient aussi tout à fait.
- Vous mentez.
- Un peu, » avoua-t-il « mais pas pour la raison que vous vous imaginez.
- Vous m’en direz tant.
- Un juge qui ne s’intéresse pas à la vérité. C’est plutôt rare. »
Lucy ne répondit pas, piquée au vif. Il n’était pas avocat pour rien, pesta-t-elle intérieurement. Toujours à savoir où mettre le doigt pour glisser un ou deux arguments en sa faveur. Déformation professionnelle à un si jeune âge ? Ça promettait.
« Dites toujours.
- Si je vous ai proposé le soir c’est parce que nous ne serons pas dans le stress de notre journée de travail, ni pressés par le temps. Et puis un déjeuner, ça fait très repas d’affaire et ce n’est pas ce à quoi je vous invitais.
- Vous êtes honnête, en fin de compte, » observa la juge « vous auriez pu prétexter un repas d’affaire pour m’inviter mais vous venez d’avouer vous-même que ce n’est pas ce que vous me proposez. Ça mérite que j’accepte. »
Formulées avec autant de simplicité et d’authenticité, les choses plaisaient beaucoup plus à Lucy et la façon qu’avait ce blanc-bec de défendre ses idées - quelles qu’elles fussent - sonnait bien à son oreille. Le visage de Ian s’illumina et devant tant de spontanéité elle se surprit à lui sourire légèrement en retour. Ils convinrent d’une heure et d’un endroit, puis chacun partit de son côté.
L’après-midi s’écoula avec la lenteur d’un escargot arthritique pour la jeune femme qui n’eut de cesse de regarder sa montre. Elle voulait en finir vite avec cette dernière affaire pour être sûre d’avoir le temps de rentrer, se doucher, se changer et rejoindre Ian sans arriver avec une minute de retard. Et ce n’était certainement pas à la perspective de passer une soirée agréable qu’elle était aussi pressée. Une fois chez elle Lucy prit son temps, coiffa ses longs cheveux en un savant chignon, choisit sa tenue avec soin - quelque chose de sobre mais pas non plus trop strict - passa sa bague favorite et sortit de chez elle dans un petit nuage de parfum.
Marchant d’un pas sûr et régulier, elle inspira profondément l’air encore gorgé d’humidité. La température était fraîche. Le soir était déjà presque tombé et les formes des pavillons se confondaient dans le ciel de nuit. Lucy ne croisa pas grand-monde sur son chemin - six lampadaires, un couple se bécotant à en tituber comme un alcoolique, un chat qui ne lui demanda pas son adresse avant de filer et l’ombre d’une prostituée au coin d’une ruelle. Lorsqu’elle arriva au point de rendez-vous, Ian était déjà là et semblait piaffer d’impatience. Quand il aperçut la sœur de Scott, son visage s’éclaira et il la regarda le rejoindre de cette façon qui la faisait se sentir belle et importante.
Ses yeux observaient son mouvement, l’air de rien, ses jambes mises en valeur par le talon de ses bottines, ses bras détendus le long de son corps, la bague qui jouait un peu dans les reflets de la lumière des lampes, sa coiffure, ses yeux relevés par quelques traits de noir et ses lèvres courbées en un demi-sourire énigmatique qui en disait ni trop ni trop peu. Ils mangèrent comme s’ils avaient tout le temps du monde et discutèrent de tout, de rien, de choses sérieuses et frivoles, de travail sans vraiment le faire en échangeant quelques anecdotes, leurs points de vue sur diverses choses, les raisons pour lesquelles ils exerçaient leur métier… Ils n’étaient pas d’accord sur de nombreux points mais c’est ce qui rendit la discussion aussi riche et intéressante.
Parfois Ian provoquait sciemment la juge mais ce n’était jamais que pour le plaisir de la voir froncer les sourcils d’un air désapprobateur et contempler l’étendue de sa vivacité d’esprit. Il n’avait pas menti ni plaisanté en disant que Lucy lui plaisait et il aurait bien voulu qu’elle le comprenne. Celle-ci ne semblait pourtant pas vraiment encline à revenir sur le sujet, aussi l’avocat était-il resté prudent et avait-il soigneusement contourné tous les sous-entendus possibles, toutes les allusions - dont il ne se serait en général pas privé - à l’aspect sentimental de son interlocutrice. Cela lui avait paru être quelque chose de délicat voire douloureux et si la chatouiller sur des affaires pénales fumantes permettait à la conversation de repartir, il se doutait bien qu’évoquer les amours de l’aînée Trevelyan reviendrait à clore définitivement le dialogue.
Il avait aussi religieusement évité d’aborder la question de la famille. A peine lui avait-il demandé si elle avait des frères et sœurs que Lucy s’était littéralement emballée et avait commencé à lui parler de son petit frère bien aimé, un certain Scott, professeur de littérature romantique dans une université londonienne. La jeune femme semblait très attachée à lui et en avait parlé avec enthousiasme pendant de longues minutes sans toutefois évoquer des détails personnels avait-il remarqué, elle était restée très superficielle mais passionnée. A l’entendre, Scott était la personne la plus adorable du monde, l’homme de sa vie, avait-elle-même expliqué et tout en lui appelait à l’amour : son caractère profond et, bien que parfois difficile à appréhender, relevé à souhait, son physique bien entretenu, sa vaste culture autant générale que littéraire, son pragmatisme et son tempérament calme… Et ça n’en avait pas fini jusqu’à ce qu’enfin, comme le prenant en pitié, le serveur amène le plat chaud, coupant net l’élan d’amour fraternel de Lucy.
Fort heureusement le peu d’alcool qui avait accompagné leur repas avait délié un peu les langues et détendu l’atmosphère. Le temps avait filé et bien malgré elle, Lucy devait s’avouer que ça n’avait pas été si déplaisant que ce qu’elle s’était figuré. Cela la contrariait. Grandement. Elle n’avait pas envie de reconnaître que ce jeune homme vraisemblablement rustre pouvait s’avérer être de très charmante compagnie. Ni même que sa présence avait quelque chose d’agréable, d’apaisant. Elle n’avait de toute façon pas pu se tromper sur sa première impression, il y aurait forcément une faille quelque part. Il n’en restait pas moins que pour l’instant, elle n’en voyait pas une seule.
Ian était poli mais pas coincé et certainement pas pompeux. Il était cependant courtois et déférent mais n’hésitait pas à la taquiner sans lourdeur. Il avait vite compris où se trouvaient les limites et s’y tenait plutôt bien. C’était par ailleurs très probablement à mettre sur le compte de l’alcool mais en y regardant de plus près, Lucy s’était aperçue que ce blondin avait un sourire plutôt charmant, pour ne pas dire ravageur. Et il y avait quelque chose dans son regard qui ne laissait pas indifférent, qui interrogeait l’âme. L’aînée Trevelyan s’était surprise à observer avec un peu plus d’attention que nécessaire les traits de l’avocat quand celui-ci prenait un air sérieux. Elle s’était aussi trouvée étrangement captivée par cette façon qu’avait le jeune homme de la regarder un peu de biais derrière son verre rempli du vin pourpre et capiteux qu’il avait choisi pour elle, les recoins de ses lèvres ourlés d’un demi-sourire mutin.
Non, ses yeux n’avaient absolument pas traîné sur ses dents ridiculement blanches et alignées dans une perfection qui ne servait qu’à accroître son agacement. Non, elle ne s’était pas amusée à détailler les traits masculins mais pas encore marqués par l’âge, pas ce grain de beauté au coin de son œil droit, ni ces sourcils clairs et soigneusement définis, ni même cette petite cicatrice sur le haut de son front et certainement pas cette micro-coupure encore fraîche qui barrait, certes avec discrétion mais de façon nette, la partie visible de son cou. Et elle n'avait pas eu envie de remonter la ligne de la gorge, la pomme d'Adam, la mâchoire saillante du bout des doigts jusqu'à la joue dont la peau semblait être d'une douceur malhonnête.
Perdue qu'elle était dans le moment qui s'étirait et dans son observation scrupuleuse du visage de l'avocat, elle en avait oublié que celui-ci avait remarqué son petit manège et lui souriait presque avec compassion, l'air de dire « Je sais, tu n'es pas la première à qui ça arrive ». Son orgueil prit une balle dans la poitrine. Et bien sûr il fallut que son interlocuteur joue le fanfaron content qui sent que sa parade nuptiale ne laisse pas de marbre. Lucy lui aurait volontiers hurlé de se taire s'ils n'avaient pas été dans le restaurant.
« Si ma compagnie vous a été désagréable, il semblerait que vous ayez réussi à souffrir mon physique, » sourit le jeunot avec aplomb « c'est déjà ça.
- Vous n'êtes pas vilain mais n'avez rien d'extraordinaire. Et le peu de beauté que dégage votre corps est ruiné par votre déplorable suffisance. L'arrogance enlaidit, maître Barnhill, prenez garde.
- Je ne fais qu'être honnête ; c'est la seule chose positive que vous m'ayez trouvée depuis le début. Et si vous êtes honnête également, vous reconnaîtrez que vous avez passé les cinq dernières minutes à me détailler.
- Reconnaître cela ne sous-entend rien, que je sache. » répliqua froidement la juge dans un effort désespéré de remettre en place quelques-unes des barrières qui avaient volé en éclats sous les viles attaques de Ian
« Non, » admit celui-ci « c'est vrai, mais ça serait un début. »
La facilité avec laquelle elle emportait cette petite - et pour le moins ridicule - joute verbale la décontenançait. Ou du moins ça ne présageait rien de bon. Ian reculait pour mieux la coincer. Elle fronça les sourcils pour elle-même à cette conclusion fort déplaisante. Le jeune homme, la tête penchée sur le côté et appuyée sur le plat de sa main, la regardait se déchaîner en pensée et ne se départait pas de cet agaçant sourire satisfait. Cette nonchalance, cette détestable nonchalance... Détachant de la jeune femme qui n'en menait pas large son regard avec la lenteur dédaigneuse du fait accompli, Ian lança d'un ton faussement badin :
« Vous rougissez, mademoiselle Trevelyan. »
L'interpellée faillit s'étouffer. Elle lança sur l'auteur de la remarque outrageante un regard plein de reproches qui n'eut pour effet que de conforter le blondin dans son idée. Elle tenta vaguement de se défendre et bafouilla comme un enfant trébuche dans les galets sur la grève :
« N-n'importe quoi ! Et quand bien même ce serait vrai, ça n'est jamais que l'effet du vin.
- Oui, et si vous avez passé la soirée à me regarder, c'est parce que j'étais votre seule compagnie. De même que vos doigts se sont rapprochés des miens parce que la table est trop petite, » ajouta-t-il en baissant les yeux sur leurs mains effectivement trop proches pour le salut public « c'est bien ça ? »
Au comble de la honte l'aînée Trevelyan retira vivement sa main de la table. Mais Ian avait prévu cette réaction, il fut plus rapide qu'elle. Il lui attrapa prestement les doigts et le contact franc mais sans brusquerie fit sursauter la jeune femme. Le regard fuyant, elle implora :
« Lâchez ma main.
- Lucy. » appela-t-il avec douceur mais une nuance de fermeté « Lucy s'il vous plaît. Regardez-moi. »
Elle détestait cette situation. Elle détestait cette main à la peau fraîche qui enserrait la sienne comme s'il s'était agi de la chose la plus belle et délicate au monde. Elle détestait cette voix enjôleuse qui lui suscitait des émotions dont elle ne voulait plus entendre le doux chant. Elle détestait cette façon qu'il avait de prononcer les deux syllabes de son prénom en les enveloppant de tendresse et de déférence. Elle détestait l'effet que ces gestes lui faisaient.
Elle se détesta bien plus encore quand les grands yeux bleus se fixèrent aux siens et qu'elle dut faire face à Ian, le menton tremblant. Lucy était en pleine détresse. Elle ne comprenait pas pourquoi. Pourquoi dans la bouche de ce gamin, tout prenait une autre dimension. Le fait que ce simple contact la mît autant en alerte instillait une panique disproportionnée en elle. Incapable de résister à ce regard pesant et inévitable, magnétique, elle maudit sa répartie pourtant légendaire et implacable de s'être fait si traîtreusement la malle pour laisser à ce beau-parleur toute latitude et faire tomber ses défenses. Sentant le trouble qui avait fait main basse sur le calme de la juge et dans une volonté de rassurer cette dernière le jeune homme affermit un peu sa prise, oh trois fois rien, juste assez pour la faire flancher, trois fois trop pour cette soirée.
« S'il vous plaît, » tenta-t-elle d'une voix blanche « Ian. »
Le jeune homme eut un moment de doute. Il n'était pas sûr mais il avait cru entendre cette juge si distante et glaciale verbalement l'appeler par son prénom... Et l'idée lui plaisait. Beaucoup. Il caressa du pouce le dos de sa main, traçant des arabesques compliquées sur sa peau. Elle se défendit encore. Sans la moindre conviction toutefois.
« Tout ceci est ridicule, arrêtez.
- Lucy.
- Non...
- Vous êtes belle.
- Taisez-vous ! » gémit-elle, acculée
« Je...
- Assez !! »
Elle se leva brusquement, la démarche raide, mal assurée et chacun de ses pas vers la sortie était un conflit intérieur de plus. Elle ne voulait qu'une seule chose : que tout cela cesse. Qu'il arrête de jouer avec elle. Qu'il la laisse. Qu'il se lasse. Lucy ne se retourna pas en entendant derrière elle la porte claquer une seconde fois. Ne se retourna pas en entendant des pas précipités sur ses talons. Ne se retourna pas quand...
« Lucy ! »
La voix était affolée, blessée, inquiète. Sincère. Elle secoua la tête pour s'interdire de faire demi-tour ou même simplement poser les yeux sur lui. Elle n'avait plus l'âge de ce genre d'historiette un peu folle et emportée, irréfléchie comme l'inconscience et passionnée comme la jeunesse. Elle allait rentrer chez elle, s'enfermer dans le noir, recroquevillée sous sa couverture et attendrait que ça passe. Parce qu'il devait en être ainsi, parce que ça passait toujours d'une façon ou d'une autre et parce que...
« Lucy ! S'il vous plaît, attendez ! »
Ian la hélait en plein milieu de la rue. Elle se sentit encore plus ridicule si c'était possible mais n'arrêta pas sa démarche affolée et se mit même à courir pour échapper. Échapper à qui, à quoi ? A ce jeune homme entreprenant et qui la mettait sans la moindre gêne devant une évidence qu'elle refusait d'admettre ? Ou peut-être était-ce elle-même qu'elle fuyait, elle et ses rêves de petite fille, de prince charmant et d'amour flamboyant. Elle ne savait pas et au fond elle s'en foutait. Ne pas rester là.
« Lucy !! Votre sac ! »
L'aînée Trevelyan voulut s'enterrer sous les pavés. N'ayant pas d'autre solution si elle voulait rentrer chez elle, elle laissa l'avocat la rejoindre en courant mais n'esquissa pas un mouvement vers lui. Lui tourner le dos était la dernière défense qu'il lui restait, le dernier moyen de nier son existence et son effet à lui, cet importun qui la prenait à l'envers, qui faisait tout de travers et qui pourtant lui faisait quelque chose là, qui rendait tout irrationnel et grotesque. Il reprit un peu son souffle, lui tendit précautionneusement le sac en veillant à ne surtout pas la toucher. Lucy s'en sentait à la fois blessée et reconnaissante. Maintenant, elle n'avait plus qu'à rentrer.
« Merci. » marmonna-t-elle sans trop savoir ce qu'elle remerciait
« Lucy, » commença Ian « je suis dé -
- Bonsoir. »
Elle devait couper court. Ce petit jeu n'avait que trop duré.
« C'est donc comme ça que ça va se terminer ? »
De toutes les questions qu'il avait pu lui poser au cours de la soirée celle-ci était de loin la pire. Elle disait tout sans vraiment le faire. Elle insinuait.
« Oui, » répondit la jeune femme avec un peu d'amertume « c'est ce qu'il y a de mieux.
- Je ne veux pas.
- Votre avis m'importe peu. » trancha-t-elle en reprenant son chemin d'un pas nerveux
« Je vous veux. »
Elle tressaillit et s'arrêta net. Pauvre fou. Que croyait-il accomplir en lançant une telle phrase dans un moment pareil ? Mais ce n'était pas si mal, il lui donnait l'occasion de lui rappeler où était sa place et à quel point tout ce cinéma était ridicule.
« C'est l'affaire d'un soir. Nul doute qu'avec votre physique dont vous êtes si fier, votre lit ne restera pas vide longtemps. D'ici demain vous m'aurez oubliée.
- Taisez-vous. » gronda Ian d'une voix sourde
Lucy eut un reniflement dédaigneux. C'était comme ça que les choses devaient se dérouler. Elle n'avait qu'à marcher à pieds joints sur cette histoire grotesque et tout rentrerait dans l'ordre. Elle retrouva son assurance et poursuivit sans tenir compte de l'avertissement du bambin :
« Eh bien quoi, n'est-ce pas vrai ? Oh, peut-être allez-vous essayer de me faire croire que vous n'êtes pas ce genre d'homme qui collectionne les femmes comme un philatéliste les timbres...
- Taisez-vous Lucy.
- Je suis un peu obligée de vous concéder que cette soirée ne m'a pas été si déplaisante que ça mais c'est bien tout ce que vous obtiendrez de moi.
- Tais-toi !! » rugit-il
Avant même que l'aînée Trevelyan n'ait eu le temps de s'offusquer pour l'injonctive ou le tutoiement, avant qu'elle n'ait le temps de reculer ou se défendre, Ian l'avait tournée face à lui et l'avait saisie par les épaules pour l'attirer dans un baiser impérieux qui ne souffrait pas la contestation. La juge resta immobile à défaut de savoir quoi faire d'autre. Ses yeux ébahis trahissaient sa surprise. En réponse à cela, son vis-à-vis la vrilla d'un regard qui lui interdisait de bouger ou ne serait-ce qu'y penser. Ses mains remontèrent alors encadrer délicatement les joues de Lucy et caresser cette partie du cou si sensible juste derrière l'oreille. Elle frissonna. Les doigts du jeune homme vinrent s'empêtrer dans le chignon savamment tiré et le détendirent un peu.
Il la relâcha et fit un pas en arrière. La regarda. Belle. Saisie par le doute, transie par le baiser, perdue et retrouvée, Lucy était pour lui l'incarnation du sublime et le mot « belle » et n'aurait su désigner personne d'autre. Il lui adressa un sourire un peu gauche. Confiance émaillée. L'avocat tourna la tête et se passa une main dans les cheveux pour se donner un semblant de contenance. Il cherchait ses mots, Lucy suspendue, ne sachant plus si elle attendait qu'il parle pour mieux le rabrouer ou pour avoir un prétexte pour rester. Le jeune homme passa rapidement la langue sur ses lèvres et la sœur de Scott trouva le geste d'une indécence rare.
« J'ai... j'ai réglé la note avant de partir alors... Vous savez, vous m'avez dit tout à l'heure que si je ne voulais pas finir la soirée seul, il fallait le dire honnêtement et... enfin... je ne veux pas finir la soirée seul. » dit-il enfin en regardant Lucy droit dans les yeux
Cette dernière mit un moment à réaliser que oui, Ian venait de lui faire une proposition beaucoup moins courtoise qu'un dîner mais présentement, elle n'en attendait pas plus. C'était certes hésitant et maladroitement dit mais il avait été honnête comme elle le lui avait demandé. A bien y regarder, y avait-il une seule de ses attentes pour cette soirée qu'il aurait manqué de remplir ? Elle n'osa faire le compte de ses exigences mais s'aperçut rapidement que non, elle n'avait aucun reproche à lui adresser. Elle émit un petit rire et répondit, faussement vexée :
« Maître Barnhill, ne vous a-t-on donc rien appris ? Lorsque l'on fait ce genre de proposition, on ne le fait pas en termes généralistes. On adresse l'invitation à la personne à laquelle on parle, sinon ça n'a aucune valeur. »
Ils s'observèrent quelques instants de plus. Puis Ian sourit à son tour et dit avec aplomb :
« Pardonnez ma maladresse. Je reformule. Je souhaite finir la soirée en votre compagnie. »
Prise à son propre piège Lucy reçut la phrase de plein fouet. Elle avait demandé des belles paroles et il les lui servait sur un plateau, avec l'aisance de celui qui sait mettre les bons mots de la bonne façon. C'était bien beau de s'entêter mais la sœur de Scott devait reconnaître qu'elle n'aurait pas le dernier mot cette fois. Ian était persistant mais il savait y faire. Elle ne pouvait nier qu'au fond d'elle, là, dans un recoin qu'elle avait soigneusement maintenu caché ces dernières années, il y avait quelque chose qui s'animait. Malgré tout ce qu'elle pouvait le trouver agaçant et prétentieux et beau-parleur et immature et naïf et impulsif et - il lui plaisait. Il semblait n'attendre qu'elle et même si ça ne devait durer que quelques instants de plus, que le temps de faire bruisser un peu les draps, le temps d'une étreinte, le temps d'une nuit, Lucy se dit que c'était déjà bien.
« Ça tombe plutôt bien, j'ai un peu de vaisselle à faire. »
Sans attendre la moindre réponse de sa part Lucy tourna les talons et commença à cheminer vers sa maison. Ian la suivit silencieusement. Il ne savait pas encore très bien si ce qu'il avait mis en marche était une bonne ou une mauvaise chose ; la juge avait l'air assez réticent - la simple façon dont elle avait accédé à sa demande était largement suffisante pour le dire sans risquer de se tromper - et lui avait perdu toute sa superbe. Il se demandait s'il allait être à la hauteur des désirs de Lucy, s'il allait réussir à lui faire oublier sa méfiance un tout petit peu... Le blondin avait peur qu'elle voie à travers son côté fanfaron. Il se la jouait détendu et confiant alors qu'en réalité, ses mains au fond des poches de sa veste tremblaient et devenaient moites d'anxiété.
Sa tête était sans dessus-dessous de toutes ces questions idiotes que n'importe qui se poserait à sa place. Troublé, il ne décrochait pas un mot. Et pourquoi diable faisait-il si chaud à une heure si tardive ? Il sortit les mains de ses poches pour les rafraîchir un peu. Il n'avait cependant pas pris en compte la possibilité qu'elles puissent entrer en contact avec celles de Lucy par inadvertance du fait de la marche. C'était bref, presque insensible. Un frôlement. Infime. Un autre. Mouvement de retour. Coups d'œil nerveux à la dérobée. Elle ne semblait pas y prêter attention. Néanmoins pour lui c'était une suggestion, une tentation. Il avait tenu ces mêmes doigts entre les siens tout à l'heure et brûlait de l'envie de recommencer parce qu'il n'avait pas bien senti. Il fit en sorte que sa main traîne un peu plus longtemps contre la sienne, l'air de rien, toujours en regardant devant.
La jeune femme trouvait cela agaçant autant que mignon. C'était digne d'un collégien. Elle avait bien remarqué le manège de l'avocat et en riait intérieurement. Il n'osait pas. Alors elle décida pour lui. Elle accrocha un doigt aux siens en passant et leurs mains se nouèrent. Ce n'était pas non plus main dans la main mais le contact était ferme et ininterrompu. Ian était embarrassé. Lucy le vivait bien. Installés confortablement dans leur silence méditatif ils terminèrent le chemin qui les ramena jusqu'à l'appartement de la juge. Celle-ci lâcha paresseusement la main de son invité pour sortir les clés de son sac. Trop long, se dit-il. L'attente le faisait palpiter. Quand enfin le verrou s'ouvrit, il la poussa à la hâte dans le vestibule et referma négligemment la porte. Il la plaqua contre cette dernière, les mains de chaque côté de son visage.
S'il n'avait pas eu cet air aussi prévenant et fiévreux, Lucy l'aurait trouvé menaçant. Au lieu de cela, elle était incapable de détacher son regard de ce visage juvénile si proche du sien que leurs souffles s'effleuraient. Les grands yeux de Ian semblaient contenir le monde et l'univers à tel point que c'en était agaçant. Ce gamin n'avait nul besoin de paraître ; être suffisait amplement et sa présence était presque trop importante. Quand les lèvres de l'avocat vinrent ravir les siennes comme ça sans prévenir, elle en oublia son masque de distance et se laissa complètement emporter. Après avoir échangé plusieurs baisers gourmands et empressés, Ian la regarda avec l'air le plus sérieux du monde. Il savait qu'elle ne lui demandait rien. Pas de promesse, pas d'engagement, pas de projet... Pour l'heure, à cet instant précis, elle avait juste envie de lui probablement comme lui avait envie d'elle. C'était tout ce qui comptait. Entre deux respirations, il murmura sans la quitter des yeux :
« Je ne vais pas me mettre à genoux devant toi, te faire de grandes tirades ou te parler d'amour éternel. Je ne te demande rien, certainement pas de m'adorer ou quoi que ce soit d'autre. Je veux juste. Te faire l'amour. »
Lucy accepta. Parce que dit de cette façon, ça ne se refusait décemment pas. Pour le reste ils verraient plus tard. L'avocat entreprit alors de défaire la jeune femme de son manteau. Celle-ci l'arrêta d'une paume contre l'épaule. Son regard le mettait au défi. Elle était parfaitement capable de le faire. Aussi défit-elle les boutons de son trench coat un par un avec un sourire tentateur et en des gestes volontairement trop lents au goût du blondin. Celui-ci grogna d'impatience et lui colla un baiser affamé pour lui signifier qu'il n'avait pas envie d'attendre toute la nuit. L'aînée Trevelyan soupira lorsque les lèvres descendirent dans son cou. Elle sentit à la fois cette bouche humide se presser contre sa peau là, dans le creux tiède, la langue, le souffle brûlant quand Ian expirait et les mains de celui-ci presque crispées sur ses épaules. Elle ferma les yeux.
Le jeune homme soupira à son tour quand Lucy plaqua ses mains sur ses tempes avant de rapidement chercher prise dans ses cheveux. Il n'osait néanmoins pas aller beaucoup plus loin que ces baisers mais elle savait qu'il en mourait d'envie. Qu'il avait juste peur de mal faire. Ou qu'elle dise non. Alors la juge décida de l'aider un peu et fit descendre ses mains jusqu'au col de la veste noire du bambin. Elle la fit glisser au sol avant de revenir s'occuper de sa chemise et cette fois, défit prestement les boutons avant de la retirer à la hâte. Ian coopéra docilement mais revint aussitôt contre elle une fois torse nu. Lucy parcourut la peau découverte avec avidité. Chaud, ferme, doux, musclé, imberbe. Le jeune homme s'entretenait avec soin. Ses pectoraux étaient durs et sculptés, ses bras puissants et ses abdominaux se dessinaient sous son ventre. Les doigts et paumes de Lucy firent des tours et détours sur lui pendant qu'il était occupé à ouvrir sa robe tout en l'embrassant avec toujours plus d'ardeur.
Les bretelles du vêtement ainsi que du sous-vêtement tombèrent le long de ses bras. Le jeune homme marqua un temps d'arrêt devant elle. Il regarda un instant sa poitrine sans trop savoir quoi faire, vint chercher une réponse sur le visage de Lucy qui se contenta de l'embrasser pour l'encourager - et puis quoi encore, un mode d'emploi ? - en les éloignant de la porte, les bras noués autour de son cou. Ian passa alors une main à l'intérieur du soutien-gorge et se mit à lui masser timidement le sein, tantôt en mouvements circulaires et lents, tantôt en roulant le mamelon entre ses doigts. La jeune femme inspira profondément, appuya la tête contre le mur et glissa un genou entre les cuisses de son partenaire. Celui-ci soupira à son oreille lorsqu’elle leva la jambe et appuya doucement. Ses mains dans son dos le rapprochèrent encore un peu si c'était possible, elle ne savait plus trop. Un gémissement clair et distinct quand son genou reproduisit les mouvements de la main de Ian sur ses seins. Elle sourit avec satisfaction.
Grisé par la proximité de cette femme, son parfum qui flottait encore quelque part sur sa peau, cette jambe entre les siennes et ces mains agrippées à son dos, Ian parcourut avec sa bouche la distance qui le séparait du décolleté de Lucy et y pressa les lèvres avec appétit. Il la laissa ainsi une poignée de secondes de plus entre deux eaux avant de glisser presque malencontreusement la langue sur le bout de son sein. Les doigts de la juge vinrent aussitôt se ficher dans ses cheveux en représailles et elle lâcha un « Mh ! » bien malgré elle. Ian sourit.
« Et ça t'amuse en plus. »
C'était un constat beaucoup plus qu'une question. Pour toute réponse il la gratifia d'un long coup de langue totalement indécent qui tua les protestations avant même qu'elles aient le temps de parvenir au cerveau de Lucy. Comme pour se faire pardonner, lentement, solennellement, Ian descendit à genoux sans quitter la jeune femme du regard, ses mains traînant avec langueur sur sa taille, ses hanches et ses jambes. Elle pouvait presque voir son sourire taquin courber ses lèvres. Du moins elle l'imaginait parfaitement bien, ce ni rictus ni sourire, ni moqueur ni vraiment amusé et détestablement indescriptible. Elle n'eut pas l'occasion de s'attarder plus longtemps sur tout ce que le bambin avait d'agaçant car les doigts de celui-ci s'étaient glissés sous le tissu de sa robe et étaient affairés à descendre son sous-vêtement. Une caresse impossiblement lente et délicieuse sur l'intérieur de ses cuisses. Les mains de la juge se crispèrent dans le vide.
La bouche du jeune homme remplaça bientôt ses mains qui remontèrent sous l'étoffe, collées à la peau déjà brûlante. Il s'offrit un détour par le nombril et les côtés du ventre avant d'épouser de ses paumes les formes rondes et généreuses de ses seins, les pétrissant, les roulant. Alternant de fermes pressions et des caresses plus tendres, il se laissait guider par les respirations de Lucy. Cette dernière inspirait bruyamment et avait du mal à rester en place. Ian était appliqué et ses instincts ne le trompaient pas. L'aînée Trevelyan eut un petit mouvement de recul en sentant les baisers de l'avocat contre son aine. Interminable agonie. Elle dut se faire violence pour ne pas accélérer les choses, mais son attente fut écourtée. La langue de Ian parcourut avec une délicatesse mêlée de retenue ses lèvres extérieures dans un mouvement descendant. Une seconde. Puis un mouvement ascendant plus sûr vers son - oh. Elle gémit. Il faisait jouer sa bouche et sa langue avec une expertise qui confinait à l'insolence, la faisant soupirer et frémir plus franchement.
Le bout de la langue s'enfonça à peine et elle renversa la tête en arrière, inspirant tant qu'elle pouvait. Ses mains s'accrochèrent si fort dans les cheveux blonds qu'elle se demanda si à un moment ils n'allaient pas lui rester entre les doigts. Elle ouvrit un peu plus les cuisses dans un mouvement que seul son partenaire remarqua. Ce dernier avait maintenant la tête tout contre le pubis de la jeune femme et les sensations affluaient, la chaleur devenait insoutenable, le plaisir montait, emportait. Ian se dit que là, à sa merci, elle devait être encore plus ravissante. Il se figurait ses paupières fermées et ses longs cils courbés, sa bouche ouverte, la nuque renversée, le chignon défait et cette image était délectable. Vint cependant le moment où Lucy n'en pouvait plus. La respiration courte et les yeux embués de plaisir, elle remonta le jeune homme vers elle.
Ils se regardèrent sans vraiment se voir - ils se percevaient - dans la pénombre de l'appartement et cela suffit. Ian avança rapidement et la plaqua contre le mur, se rapprochant d'elle au maximum. Il la souleva par les cuisses. Il sentit ses pieds déchaussés à la hâte se nouer dans son dos et le serrer. Plus près. Toujours plus près. Étreindre l'autre jusqu'à suffoquer. Jusqu'à ne plus savoir quel bras est à qui, où s'arrête la bouche de l'autre et où commence la sienne, en perdre haleine.
« Lucy. » souffla-t-il contre sa bouche « Lucy. »
L'interpellée ne savait plus vraiment ce qu'elle faisait et les murmures de Ian ne l'aidaient pas. Perdue dans le plaisir elle pressait aléatoirement ses lèvres contre les tempes, le front, les joues, le cou, le menton, la bouche du jeune homme. Celui-ci se serrait avec force contre elle, ouvrant ses cuisses et frottant leurs corps en fusion avec toujours plus d'envie. N'y tenant plus, Lucy vint chercher fiévreusement le pantalon de l'avocat. Elle défit à la hâte la boucle de la ceinture, puis le bouton et descendit de ses mains tremblantes d'anticipation les derniers vêtements les séparant. Il grogna en sentant les doigts de la juge effleurer son sexe déjà dur et la plaqua à nouveau contre le mur, se pressant contre elle. La tête inclinée, il lui mordit le cou en la plaçant juste au-dessus de lui. Nouvel échange de regards. Silence momentané. Les bras de l'aînée Trevelyan se nouèrent encore une fois derrière la nuque de Ian et lentement, ce dernier fit descendre son corps.
Ils gémirent de concert lorsque leurs sexes entrèrent en contact. Enfin l'avocat lâcha les hanches de Lucy et avança contre elle, la pénétrant d'un seul mouvement. La juge se mordit la lèvre. Lui soupira en sentant le corps de la jeune femme autour de lui et poussa fortement pour gagner encore un peu de profondeur. Les talons s'enfoncèrent dans son dos et le pressèrent. Elle en voulait plus. Il grogna avec satisfaction et l'embrassa à pleine bouche, se retirant presque complètement pour mieux s'enfoncer avec la lenteur du supplice. Lucy haletait et déglutissait laborieusement, sa respiration calée sur les mouvements de Ian. Celui-ci changea l'angle de façon subtile, ce qui arracha une exclamation de surprise à sa partenaire lorsqu'elle sentit le pénis du jeune homme faire un peu plus qu'effleurer son clitoris. Elle ouvrit les yeux d'un coup et l'embrassa avidement, pressant ses lèvres gonflées contre les siennes et jouant de sa langue avec autant d'espièglerie que de gourmandise ; elle le taquinait.
La tête inclinée et son buste accompagnant le rythme imposé par Ian, la juge traçait le contour des lèvres du jeune homme du bout de la langue et en mordait la peau tendre par endroits. Elle se repaissait des petits sons que celui-ci émettait à chaque morsure qu'elle lui infligeait. Gourmande, elle agrandit son aire de jeu jusqu'aux oreilles de l'avocat auxquelles elle fit subir le même sort. A cela vinrent s'ajouter ses murmures, ses soupirs, le prénom de Ian qui mourait à demi sur sa bouche et qui résonnaient dans la tête de l'avocat comme une chanson d'amour dont il ne se lassait pas. Il amplifia la friction de façon progressive. Il cherchait toujours plus. Plus d'elle, plus de ses soupirs, plus de ses gémissements dont le volume sonore augmentait lui aussi. Il voulait voir plus de ses désirs, ceux qu'il savait qu'elle gardait là, enfouis, cachés bien à l'abri et qu'elle hésitait encore à lui montrer - il le sentait.
Tout s'accéléra, la température grimpait toujours. Les corps se tendaient. Les mains dans le dos de l'avocat se crispaient, les ongles griffaient, les peaux claquaient. Toujours plus vite. Lucy criait. Le jeune homme approchait de ses limites et sans s'arrêter complètement mais en retenant tout de même son souffle, lui demanda :
« Lucy, est-ce que je...
- Tu peux, » assura-t-elle en sachant ce qu'il demandait « ne t'inquiète pas de ça. »
Il déposa un léger baiser sur ses tempes. Susurra un remerciement et les emmena tous les deux vers l'orgasme dans un rythme encore plus rapide, grisé par le bruit que faisait le dos de Lucy heurtant le mur sous ses coups de reins. Ils jouirent quasiment à l'unisson, l'aînée Trevelyan se cambrant tout contre lui, sa poitrine pressée contre son torse et un cri presque rauque du fond de sa gorge. Ian savoura quelques instants de plus leur union et sa chaleur, sa proximité, cette fusion, ce plaisir, cet engourdissement dans son corps. Il l'embrassa ici et là sur le visage alors qu'ils reprenaient leur respiration. Le répit fut d'assez courte durée et ils montèrent rapidement à la chambre où ils poursuivirent jusqu'à une heure avancée de la nuit. Il s'étaient assoupis les jambes encore emmêlées, les draps de travers, un bras autour de l'autre et tous les deux n'avaient pas aussi bien dormi depuis très longtemps.
Lucy sourit en se remémorant ce premier rendez-vous et cette première nuit. A l'époque, elle n'avait jamais vu ça que comme une passade et n'avait pas donné cher de leur relation. Ian avait été tenace et avait su mériter son attention. Se faire une place. Oh juste une petite, vraiment trois fois rien. Trois fois trop, se dit-elle à nouveau et son sourire s'agrandit. Tout était parti de ça, trois fois trop. Trois fois trop têtu, trois fois trop charmant, trois fois trop séduisant, trois fois trop. Avec un dernier geste de la paume sur la couverture cartonnée du dossier, l'aînée Trevelyan l'archiva comme elle archivait en même temps ses souvenirs. Celui-ci n'était pas mauvais mais du temps s'était écouté et les choses avaient eu le temps d'évoluer.
Elle se redressa et quitta le bureau. Éteignit la lumière en passant. A en juger par l'odeur voluptueuse qui émanait de la cuisine, Ian avait dû lui mijoter encore un bon petit plat.
Fin