Dec 28, 2020 09:07
Je m'aperçois que près de deux mois sont passés depuis que j'ai repris ce journal.
Peu d'événements se sont produits et pourtant tant de choses ont changé en moi.
Peut-être avais-tu raison, mon amour, le destin existe peut-être bien.
Malgré toutes les inepties que j'ai pu dire, malgré toutes les horreurs que j'ai pu commettre, malgré toutes les années d'absurdités...ou peut-être est-ce grâce à tout cela, je suis maintenant avec un homme qui me répète quotidiennement qu'il m'aime entièrement, qu'il nous aime tous les trois : Lui, Elle, et moi. Parfois je dois le réveiller en pleine nuit car le doute me réveille en sursaut. Il l'accepte et me répète son amour, il répète qu'il nous accepte tous les trois.
Après dix ans à s'acharner à ignorer ma personnalité, il rame à présent pour me convaincre qu'il m'accepte. Comme entretemps j'avais jeté l'éponge, la situation est encore compliquée... en fait, non, c'est compliqué uniquement dans ma tête.
Le destin existe peut-être bien, et mon destin était peut-être d'être suffisamment brisée pour enfin oser être moi-même avec celui que j'ai épousé depuis presque neuf ans mais que je n'aime plus.
N'est-ce pas ironique ?
Devoir être suffisamment brisée pour enfin reconnaître que je suis faible, de laisser enfin tomber les faux-semblants, de reconnaître enfin les mensonges que je me suis répété en boucle depuis la dernière rupture qui s'est produite entre toi et moi il y a plus de treize ans.
J'ai essayé pendant tellement d'années d'oublier que toi et moi avions vécu toutes ces choses ensemble, je n'en avais jamais parlé à personne, en espérant nier l'importance que tu avais eu dans ma vie, afin peut-être d'oublier ma douleur.
Je savais que je ne pouvais pas vivre avec toi : tu refusais d'apprendre à me connaître, mais j'étais tellement persuadée de ne pas pouvoir vivre sans toi. Alors je t'ai poussé à m'abandonner, et je t'en ai voulu ensuite.
Pardonne mon stupide égoïsme de l'époque.
Après notre dernière rupture, nous nous sommes revus à ta demande, plusieurs fois. Après quelques mois, c'est moi qui ai dû y mettre un terme.
J'ai dû rompre tout lien avec toi, alors que je voulais que tu me quittes pour la simple raison qu'il m'était impossible de m'éloigner de toi. Du moins, je pensais que je ne pouvais rester loin de toi. Je me trompais. La colère de ma fierté blessée a très bien su te montrer la personnalité de glace que je portais en société avant de te rencontrer.
Ensuite, j'ai essayé pendant plus d'un an de me détruire, je me suis arrêtée lorsque je me suis rendue compte que j'allais pouvoir y parvenir.
Sa colère à Elle m'a maintenu en vie. Mon obstination, ou peut-être son obstination à Lui, t'a maintenu à distance. Mon désespoir hypocrite à moi a fait le reste.
Ma vie ensuite s'est résumée à prendre des décisions stupidement égoïstes ou irrationnellement altruistes, qui avaient toutes pour but de t'oublier alors qu'elles partageaient toutes la même raison : toi.
Je suis en colère, je bouillonne de rage d'avoir ainsi décidé de toute ma vie ces treize dernières années à cause de toi et sans toi.
C'est lorsque j'ai accepté ce fait, que j'ai pu reconnaître à quel point je t'aimais.
Après cette acceptation, presque deux mois sont passés.
Rendre fictif une partie de moi m'a permis de pouvoir en parler de façon détachée, rajouter des pouvoirs magiques à mon passé a pu faire passer la pilule. Du moins c'est ce que je croyais.
Lorsque j'ai admis à quel point je t'aimais, des crises de panique ont pris possession de mon quotidien, des cauchemars m'ont maintenue réveillée des nuits entières. Il n'y avait pourtant rien dans ces rêves. Je te voyais simplement, et je me réveillais en sursaut, et je devais gérer une crise de panique tandis que le bruit réveillait mon mari.
N'est-ce pas merveilleux ?
L'écriture a fini par avoir raison de ces crises mais mes insomnies sont toujours présentes. Je suis épuisée. La tension musculaire me fait souffrir sans discontinuer depuis des semaines. Et la douleur physique me maintient éveillée.
J'essaye d'arrêter de me répéter que je veux t'oublier. C'est difficile, mais je sais que pour enfin avancer, je dois cesser de me persuader que je veux t'oublier.
Pour ça, je dois parler de la soirée de ton 24ème anniversaire. Je ne vais pas entrer dans les détails, je n'en ai ni envie ni besoin.
Je me souviendrai en revanche de tout ce qu'il s'est passé pendant et après, et je m'en veux d'avoir agi comme je l'ai fait. Au lieu de traîner notre relation six mois de plus et de nous faire vivre un enfer à tous les deux, j'aurais dû faire ce que j'avais voulu dès ce soir-là, ce que tu m'as empêchée de faire : te quitter.
Quand tu t'es retrouvé, un peu malgré toi, sur cette scène le pantalon baissé par une autre femme, à quelques mètres de moi, que tu l'avais fait sous la pression sociale, ma première réaction a été la stupéfaction la plus complète : je ne te croyais pas aussi manipulable que ça.
Puis la colère et la tristesse ont voulu me faire partir. Mais je ne sais pas quelle partie insensée de mon cerveau s'est dit : on est en avril, il fait nuit, il fait froid, et pour récupérer mon manteau au vestiaire, je dois demander à sa mère le ticket car c'est elle qui l'a gardé. Et je ne peux pas demander à sa mère, qui a eu la merveilleuse idée d'inviter son fils de 24 ans avec sa fiancée et un ami de ceux-ci dans un resto faisant strip tease pour fêter l'anniversaire de son fils. Donc je vais juste murmurer pardon et aller aux toilettes m'isoler pour pleurer.
Mon cerveau est un connard.
Je n'ai même pas pu pleurer une fois isolée. Ensuite j'ai fait bonne figure pendant que tu répétais que tu étais désolé mais que ça n'avait pas d'importance.
Oh si, ça avait de l'importance.
Ensuite tu ne m'as pas lâchée quand j'ai essayé de rentrer en métro. J'ai fixé la lumière de cette bouche de métro comme si c'était ma porte pour la liberté. Tu m'as tenue par la taille, par les épaules, en me demandant de te suivre. C'était ton anniversaire, je me suis laissée entraîner par les épaules jusqu'à chez toi avec ta mère. En fixant la lumière de cette bouche de métro, je t'ai laissé m'entraîner dans la nuit.
Arrivée à destination, j'ai fait semblant que ça allait à peu près devant ta mère, on a bu du champagne, tu as ouvert tes cadeaux. Ta mère est partie se coucher. Nous avons allumé la télé pour qu'elle n'entende pas notre dispute. J'ai essayé de mettre fin à la relation, j'ai essayé de remettre mes chaussures pour partir. Tu m'as retenue. Nous avons parlé, nous avons pleuré, nous nous sommes déchirés, tu m'as suppliée à genoux, j'ai eu pitié. Au lieu d'être le signal pour me décider à rompre, ma pitié m'a déboussolée. Comment une telle arrogance peut-elle se mettre à genoux devant moi ?
J'ai eu peur. Peur de rester pour les mauvaises raisons, peur de partir pour les mauvaises raisons, peur de mes sentiments, peur de mes décisions. Parmi toutes ces peurs, j'ai cru que ma plus grande peur lorsque je t'avais vu avec cette femme avait été que tu m'aurais moins aimée ou moins désirée. Je te l'ai dit en sanglotant. Que n'avais-je pas dit ! Tu m'as portée jusque dans ta chambre en me disant que tu allais me prouver le contraire.
Une fois le désastre consommé, il aurait été incongru que je te répète que je voulais rompre à cause de ce qu'il s'était passé dans ce restaurant, n'est-ce pas ?
Je pense que c'est cet événement qui m'est resté en travers de la gorge toutes ces années.
Je n'avais pas eu peur de te perdre ce soir-là au restaurant, j'avais été profondément humiliée. Je t'aimais tellement que je n'avais pas compris que le plus important pour moi n'était pas ta fidélité ou notre amour. Le plus important avait été ma fierté blessée. Et comme j'étais stupide de trop t'aimer, je n'avais pas compris ce qui était le plus important à ce moment-là pour moi. Je suis restée six mois de plus avec ma deuxième priorité dans la vie après que cette dernière ait brisé ma première priorité.
Et pourtant, plus que n'importe qui, plus que moi-même, je t'aimais.
Je t'ai aimé.
L'écrire à présent me permettra peut-être enfin de tourner la page.