Around Midnight
À quoi pensais-je?
À la mer qui apparaît au détour de la corniche, après les collines jumelles, la baie du Virage sous le ciel sahélien, à la meilleure leçon de lettres, aux corbeaux lustrés du Pacifique-Sud qui rivalisent d'intelligence avec les chimpanzés ou les éléphants, à ce sandwich aux lardons tièdes gobé au flanc d'un musée, à un mec qui joue au soudeur sur scène et à Julie London chez elle avec son orchestre, aux éphémères dans le miroir, l'éclair d'une mouche à feu en été, quand le jardin sent la glycine, au Bristol Cream du dimanche soir et au mystère de mon âge, vintage, à l'indolence qui gagne du terrain, aux camions de la voirie new-yorkaise, en automne, avant que tout se détraque, à un étang pour les canards et un banc de parc pour les sitting ducks, à ma veste en velours, à vos chevelures, à tous ces palais érigés dans le sable, aux aurores qui illuminent la seule tour de verre du centre-ville, quand le cinquième gobelet brûlant laisse entrevoir la douceur du jour, à une fièvre de mots, aux tiroirs de cerisier ouverts à l'improviste pour révéler on ne sait jamais quoi, à quelque tour en bagnole comme on file en coup de vent, aux visites à l'hôpital, aux promesses qu'on ne l'y reprendrait plus, Renart sur la pointe des pieds au cœur du poulailler, à ces fêtes improbables que le destin mijote avec ses dés magiques, au peuple souverain et aux tsars despotiques, à toutes ces îles perdues où j'aurais pu venir au monde, peut-être dans un ruisseau, entre deux nénuphars.