Au coeur des ténèbres - Des grains aux oiseaux - Extra (ligne double)

Sep 27, 2012 15:53

Titre : Des graines aux oiseaux
Auteur : anadyomede
Thème : Scènes coupées + Isolation géographique
Fandom : Au coeur des ténèbres
Personnages : Marlow, Kurtz
Rating : PG
Disclaimer : Tout appartient à Joseph Conrad
Note : Il me semble assez important de préciser que j'ai lu cette nouvelle il y a maintenant un bon bout de temps. Et en anglais, qui plus est. Donc il est fort possible que le personnage de Marlow soit légèrement OOC et qu'il y ait des petites incohérences. Cet OS est également une réponse au défi "Les dangers de la jungle" de 31_jours.



En m’embarquant, je ne crus pas instant aux dangers de la jungle. Peut-être était-ce parce qu’elle me semblait encore lointaine, que je la rêvais en enfant : des verdures à n’en plus finir et des animaux tapis dans l’ombre sauvage qu’on vaincrait par le feu. Le fantôme de Kurtz courrait sur les rives, il était sur mes lèvres et sur celle des indigènes. L’eau s’ouvrait à nous et je guettais, de nuit comme de jour, l’inconnu face auquel je ne tarderai pas à me retrouver.

Je ne sais à quel moment je me sentis encerclé. Je ne sais à quel moment je pris conscience d’être dépossédé et prisonnier de cette rage qui animait la jungle, de cette folie qui puait l’instinct animalier et qui mordait tous ceux qui avaient eu le tort de s’y attarder. Peut-être fut-ce lorsque Kurtz apparut réellement face à moi. Vivant, fait de chair et d’os, je le vis enfin, le héros, le grand homme dont la voix déjà avait enchanté le monde et qui, en son absence, m’avait dévoré le ventre d’un sentiment fasciné - fasciné comme le sont les enfants face à tout personnage qui les dépasse. On en parlait. Chaque tonalité qui s’échappait de lui venait se répercuter sur les lèvres des hommes et des femmes, sur le chant des oiseaux, les remous du fleuve. Chaque son qui glissait hors de ses lèvres me rappelait les sirènes contre lesquelles il fallait s’attacher. Puis je pus l’écouter et je me rendis compte qu’au cœur des ténèbres régnait, bien gardées comme le furent les fils des Parques, la désillusion de la mort prochaine.

La chute n’en fut que plus violente.

Une nuit, je rêvai.

Certainement que cette isolation géographique commençait lentement à égrener mes pensées pour les rendre pareilles à des grains que les oiseaux pourraient ensuite dévorer à mes dépends. Car une fois mes yeux fermés, il n’y avait chez moi plus aucune ancre pour me rattacher à la raison. La jungle reprenait le dessus, comme pour tout homme et la voilà qui apparaissait dansante dans sa plus profonde obscurité.

Ainsi, je rêvai.

Je vis le fleuve, d’abord, le fleuve grandissant, s’allongeant pareil à un serpent et gonflant vers le ciel. Bientôt il devint un animal fait de terre et d’eau. Il ouvrit une gueule verte et béante d’où tombèrent des corps difformes, dévorés à moitié et dont les cris sonnaient en silence comme si une main s’était posée sur leur bouche. Ce fut cette même main qui s’agrippa à mon cou et le serra de toutes ses forces, m’empêchant ainsi de fuir et gardant mes yeux ouverts tandis que mes bras et mes jambes ne cherchaient plus même à se débattre. Puis je le vis. Les corps s’écrasèrent comme des mouches, ils se piétinèrent, s’amoncelèrent et indifférent à cela, Kurtz s’élevait, rouge de pouvoir, tandis que l’humanité s’écroulait.

auteur : anadyomede, fandom : au coeur des ténèbres

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