La poutre

Jan 22, 2012 10:42

Il existe une ironie très cruelle que nous avons maintes fois eu l'occasion de constater par le passé Amélie et moi.

Il suffit qu'on écrive une critique lapidaire au sujet d'une attitude, d'un groupe, d'une situation, d'un phénomène pour que les gens précisément visés par cette critique manifestent bruyamment leur approbation. Comme on a raison de dire ça, comme ils sont d'accord! Mais bon, ça, ce n'est pas vraiment une ironie cruelle. Simplement la preuve qu'on voit la paille dans l'oeil du voisin, mais pas la poutre qu'il y a dans le nôtre.

L'ironie cruelle c'est qu'il arrive aussi qu'une personne qui est à mille lieux de cette critique se sente visée par celle-ci.

Ce n'est pas étonnant, au fond, les gens qui sont capables de comprendre pleinement de telles critiques sont souvent ceux qui ont le plus tendance à être impitoyables envers eux-mêmes. (Il n'existe d'ailleurs pas de critique valable sans cette capacité à l'autocritique.) Les autres, ceux qui vivent leur vie sans trop réfléchir et surtout sans poser un regard sévère sur eux-mêmes sont trop heureux de manifester leur approbation pour liquider la possibilité de se sentir concernés.

Pour n'être pas étonnant, cela n'en est pas moins triste...

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Parlant de critique acerbe, j'ai envie de recopier ici ce que je répondais à Madrigal qui me demandait si la rage contenue dans mon texte dégénéré de l'autre jour (ce sont mes mots, pas les siens!) au sujet de la tendance à l'auto-congratulation de certains milieux, que je comparais avec beaucoup d'élégance au human centipede, était inspirée par une situation en particulier.

Je dois dire qu'il n'y avait tout d'abord pas de rage à la base de ce texte. Parfois, j'ai l'impression qu'on m'imagine l'écume sur le bord des lèvres (je viens d'écrire un drôle de lapsus l'écume sur le bord des livres!). Ce n'est pas le cas. Je parlerais plutôt d'irritation, d'une irritation amusée. Amusée, je le précise non pas parce que je veux m'éloigner de ce que j'écris - je n'ai pas besoin de précautions de la sorte -, mais plutôt parce que cette joie profonde est souvent occultée ici et que ma colère et ma mélancolie sont indissociables de cette joie. Je riais en fait aux éclats en écrivant ceci, du rire de l'enfant qui fait un mauvais coup. C'était puéril, mais ça m'amusait et ça me libérait un moment. Mais que voulez-vous, j'ai le sang d'une tragédienne et d'une romantique alors je n'y vais jamais de main morte et tout semble démesuré!

Ce à quoi je m'en prenais c'était  les petits milieux qui sont confinés dans leur célébration perpétuelle. Et c'est hélas, dans une petite nation comme la nôtre, dans une si petite ville que la nôtre, quelque chose qui se produit constamment, un peu partout. Patty écrivait l'autre jour qu'on en venait à confondre solidarité et complaisance. Si juste... Et c'est d'autant plus ironique dans un monde où la solidarité semble disparue... On fait chacun son truc et le reste on s'en fout, à moins qu'on ait soi-même quelque chose à y gagner, directement ou par ricochet.

Précisément, ce qui m'irritait de manière plus globale c'est l'instrumentalisation des relations qui va souvent de pair avec cette célébration perpétuelle de notre petit milieu. Je déteste l'idée du réseautage, et l'esprit grégaire qui en est indissociable, je déteste l'idée des gens qui accumulent les contacts pour se ploguer, ploguer leur gang, obtenir un avantage professionnel, etc etc. Ça n'empêche pas ces gens de pouvoir être par ailleurs sincères dans certaines de leurs relations, mais le problème, c'est que dès qu'on cède un tant soit peu à l'instrumentalisation des relations, l'ensemble de nos relations se dégradent inévitablement. On ne peut pas, non, accepter d'instrumentaliser quelque relation que ce soit sans en être soit même dégradé. Les gens se trouvent futés d'agir ainsi, ils trouvent toujours de bonnes raisons de le faire. Défendre des principes de pureté des relations tels que ce que je fais en ce moment apparaît d'une parfaite idiotie à leurs yeux. Mais ça m'est parfaitement égal. Je suis une idéaliste, une idiote, fine. Je préfère ça qu'être une cynique finie qui, malgré moi, défendrais un système au-dessus duquel je croirais être, mais dont je ne serais en vérité qu'un pion.
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