Dec 17, 2007 11:20
« Toutes les fêtes tournent mal, c'est pour ça qu'elles sont drôles. »
Philippe Muray, Désaccord parfait, p. 222.
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Selon Muray, l'individu de son époque, c'est-à-dire d'après mai 68, se définit selon troits traits: son penchant irrésistible pour la fête, sa jeunesse éternelle et son état de touriste. Voilà aussi précisément la représentation qu'en donne le cinéma d'horreur. Je ne dis pas qu'il s'agit d'un choix réfléchi, d'une représentation issue de la condition de l'homme contemporain, mais il m'apparaît indéniable que le cinéma d'horreur - dont le but, très simple, est de terroriser le plus grand nombre - en possède une vive intuition. Il choisit donc le plus souvent comme principal un beau jeune touriste dont la volonté de fêter - qui tient lieu pour lui de volonté de vivre - sera saboté par un odieux individu, inapte, pour sa part, de prendre part à la fête.
J'en avais un peu parlé à la suite de mon visionnement de Hostel 2. J'y ai repensé samedi soir en regardant le terriblement efficace Wolf Creek. Certainement un des films les plus terrifiants qu'il m'ait été donné de voir. Une des raisons de l'efficacité sans égal de ce film est sans doute l'alternance entre la dissimulation et le dévoilement. De rares images de carcasses sont insérées au milieu de longues séries d'images obscures. En s'exposant aux plus grands périls, on fait entièrement corps avec la protagoniste qui tente de s'échapper de cet enfer constitué de sable, de métal et de chair morte, tout en découvrant avec elle la géographie de l'antre du geôlier. Un choix assez original en considérant que la tendance est plutôt à la représentation crue de scènes de tortures. Ce n'est pas que la torture soit absente de ce film, mais elle est davantage psychologique que limitée à des sévices corporels qui ont pour pu de dégoûter le spectateur. J'ai beau aimer beaucoup Hostel (surtout le deuxième volet), je préfère sans aucun doute la terreur au dégoût. Ça fait un bien fou aux grands angoissés de sentir pendant deux heures son angoisse se concentrer dans une sensation violente... Et pendant les jours qui suit, mon angoisse est enfin dotée d'une figure.
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Pour la première fois - et sans doute la dernière - nous avons eu un contact véritable. À un moment auquel je ne m'attendais pas, alors que j'avançais tout bonnement dans cet espace, j'ai reçu un regard de pure haine. Je lui ai évidemment rendu la pareille. C'était extrêmement jouissif. Sans doute le moment le plus jouissif de la soirée. Ce qui ne veut pas dire que je ne comprends pas les raisons qui rendent la dissimulation habituelle nécessaire. Il en va du fonctionnement même de la société. Quand tu es pris avec quelqu'un, autant ne pas mettre constamment sur la table vos dissensions. La cordialité est l'expression même de la difficulté infinie des rapports entre les humains. Être cordial signifie simplement qu'on tient compte de cette conscience qu'être avec les autres tient de l'exploit et qu'on accepte de faire l'effort pour les faciliter, autant que faire se peut. Dans certains cas, ça permet même d'arriver à un rapport réellement plus agréable. Dans d'autres cas, comme dans celui qui m'intéresse, ça empêche seulement de rendre la vie de tout le monde impossible. Ce qui ne veut pas dire qu'on n'est pas porté par le désir intense de voir un jour mis en lumière ce désaccord profond. Voilà, c'est fait. On n'y reviendra plus.
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Je dis que je ne m'y attendais pas, mais évidemment que je savais de quoi il en retournait. Mon impression a été confirmée au moment où j'ai entendu la poursuite de la conversation. Bien sûr que je ne regrette rien. J'ai compris qu'il ne servait à rien de garder le silence sur des propos qui risquaient de blesser des gens simplement par égard pour ceux-ci, que, du même coup, on ne fait jamais que protéger la personne qui les prononce et lui permet ainsi de perpétuer son ridicule manège de Machiavel à deux sous.
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Mes craintes à propos du colloque sur le 11 septembre ont été détrompées. Je n'ai pas entendu des âneries comme celles que je redoutais d'entendre. À l'exception - ânerie majeure s'il en est une - d'une comparaison entre la Shoah et le 11 septembre 2001. J'ai encore peine à y croire. On pourrait s'étonner qu'une lectrice de Céline s'en offusque. Eh bien, sachez que Céline a le sens des mesures. Il avait tout vrai en comparant la Deuxième Guerre mondiale au Déluge. Peut-être que le 11 septembre pourrait nous conduire vers une catastrophe bien plus grande encore que la Deuxième Guerre, mais pour le moment, il faut vraiment n'avoir aucune conscience historique pour rapprocher les deux éléments. C'en est presque drôle. Ce qui est encore plus rigolo, c'est que je parlais l'autre fois des gens qui disent ou écrivent qu'Adorno a dit qu'il n'y avait pas de poésie possible après la Shoah et que pourtant des poèmes avaient été écrits. Eh bien, je l'ai entendu textuellement cette affirmation pendant le colloque! J'étais su' l'cul! Mi-ébaubie, mi-enragée. Pour le reste, le colloque était plutôt conforme à mes attentes. Y compris ma propre conscience d'y fuir mes obligations. Il aurait pu en être autrement, si j'avais eu une révélation, mais je n'en ai pas eue.
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On pourrait croire que je parsème mon billet d'astérisques parce que mes fragments me semblent épars. Erreur! Tout est imbriqué.
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