Apr 16, 2006 08:18
Les rêves me hantent et me donnent des idées,mais ce matin,j'ai été incapable de me rendormir parce que cette histoire ne voulait pas me quitter...
___________________________________________________________________________________________
Le chat rouge
Le chat rouge ne ressemblait plus à rien. Il était vieux, usé, terne et dégarni, mais Guillaume s’en foutait bien, car cette peluche était tout ce qu’il possédait. Elle était à ses cotés depuis toujours, du moins, d’aussi loin que sa jeune mémoire pouvait se rappeler. Le chat ne ressemblait même pas à un chat, mais plutôt à toutes ces créatures à l’allure bipède rembourrée auxquelles ont donne un petit signe distinctif pour nous faire croire qu’elles sont vraiment des animaux. Mais le chat avait depuis longtemps perdu ce signe. Il avait même perdu sa queue. Mais Guillaume ne s’en serait débarrassé pour rien au monde. Il avait tellement pleuré quand les services sociaux lui avaient enlevé qu’ils avaient finalement décidé de le lui rendre.
Il pleurait quand même avec sa peluche, mais de bons pleurs. Il pleurait en la serrant de toutes ses forces, et ses larmes avaient délavé le chat jusqu’à le rendre d’un rouge pâle à certains endroits. On pouvait d’ailleurs deviner que ce rouge n’était pas sa couleur naturelle, car on pouvait distinguer du bleu sur des parties cachées de son corps. Lorsque nous faisions son éducation, nous devions d’ailleurs souvent le reprendre car il regardait le chat rouge quand on lui disait : « Bleu ». Il le regardait avec une certaine mélancolie, une tristesse qui n’était pas naturelle pour un petit garçon de son âge; il le contemplait comme le vieil homme qui a tout vu et qui passe en revue les souvenirs de ses amours perdus, comme le roi qui regarde les nouvelles ruines de son royaumes.
Toujours est-il que ce chat était son refuge, même s’il semblait aussi être son tortionnaire, et qu’il lui servait souvent. Guillaume était terrifié de l’autorité et voyait en chacun de ses représentants, fussent-ils policiers, gardiens ou pères de sa famille d’accueil, une incarnation de la Mort même. Il pleurait d’autant plus dans les bras de son chat quand l’autorité l’avait pétrifié malgré elle, et il lui demandait de faire partir tout ses tourments. Il lui confiait tout ses secrets - surtout les plus sombres. Et quand on lui demandait de nous rapporter certains faits, il le faisait toujours en serrant sa peluche, comme si lui-même ne s’en rappelait pas et qu’il demandait à sa confidente de les lui rappeler ou de parler à sa place.
Les faits....étaient encore plus troublants quand Guillaume nous les rapportait enfin. Jamais un enfant n’aurait dû être témoin de scènes pareilles et jamais il n’aurait dû être capable de nous les décrire avec tant de détails, de précision et d’images imposées. Ce qui me rassurait, c’est qu’il était franchement troublé en nous racontant son histoire. S’il avait été calme, comme si rien ne s’était passé, il m’aurait carrément fait peur.
Mais au moins, nous savons ce qui s’est passé et pourquoi Guillaume est ainsi et pourquoi il ne quitte jamais le chat rouge même si lui-même, dans son jeune esprit, ne doit pas savoir exactement pourquoi. Nous savons qu’une nuit où son père avait trop bu, il battit sa femme à mort devant les yeux de leur enfant. Réalisant ce qu’il venait de faire, il s’enfui pour ne réapparaître que quand la police le retrouva. Nous savons aussi que Guillaume tenta de sauver sa mère en vain, qu’il la nettoya et épongea son sang avec son chat bleu.
- Philippe Yaworski