Дерево Жанны / L’arbre de Jeanne (V2)

May 20, 2012 23:25

ДЕРЕВО ЖАННЫ

Мне говорят, а я уже не слышу,
Что говорят. Моя душа к себе
Прислушивается, как Жанна Д'Арк.
Какие голоса тогда поют!

И управлять я научился ими:
То флейты вызываю, то фаготы,
То арфы. Иногда я просыпаюсь,
И все уже давным-давно звучит,
И кажется - финал не за горами.

Привет тебе, высокий ствол и ветви
Упругие, с листвой зелено-ржавой,
Таинственное дерево, откуда
Ко мне слетает птица первой ноты.

Но стоит взяться мне за карандаш,
Чтоб записать словами гул литавров,
Охотничьи сигналы духовых,
Весенние размытые порывы
Смычков,- я понимаю, что со мной:
Душа к губам прикладывает палец -
Молчи! Молчи!
И все, чем смерть жива
И жизнь сложна, приобретает новый,
Прозрачный, очевидный, как стекло,
Внезапный смысл. И я молчу, но я
Весь без остатка, весь как есть - в раструбе
Воронки, полной утреннего шума.

Вот почему, когда мы умираем,
Оказывается, что ни полслова
Не написали о себе самих,
И то, что прежде нам казалось нами,
Идет по кругу
Спокойно, отчужденно, вне сравнений
И нас уже в себе не заключает.

Ах, Жанна, Жанна, маленькая Жанна!
Пусть коронован твой король, - какая
Заслуга в том? Шумит волшебный дуб,
И что-то голос говорит, а ты
Огнем горишь в рубахе не по росту.

Арсений Тарковский

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L'ARBRE DE JEANNE ( version avril 2009)

On me parle mais je n’entends plus
Ce qu’on me dit. Mon âme est à l’écoute
d’elle-même, telle une Jeanne d’Arc.
Quelles voix j’entends alors chanter à l’intérieur !

…dont la maîtrise m’est désormais facile :
Tantôt je fais sonner les flûtes ou les bassons,
Tantôt ce sont les harpes qui jouent. Parfois je me réveille
Etant déjà tout au milieu de ce concert
Et il me semble que le finale n'est plus très loin.

Je te salue, ô tronc si haut, et vous, ô branches
Si flexibles, votre beau feuillage aux tons verdâtres et dorés,
Cet arbre mystérieux depuis lequel
L’oiseau de la première note descend sur mon épaule.

Mais il suffit que je saisisse ma plume
Pour envelopper du verbe le brouhaha des timballes,
L’appel des vents et la folie si printanière des archets,
Que je comprends d’un coup ce qui m’arrive :
Mon âme pose son doigt sur mes lèvres et me dit :
Shut ! Tais-toi, -
Et tout ce qui fait que la mort soit si vivante et la vie - si complexe,
Prend un nouveau sens, limpide,
Transparent comme une vitre, et immédiat.
Et je me tais, mais tout entier, je reste dans cet entonnoir
Plein
d’un bruit matinal.

Peut-être que c’est pour cela que
Lorsqu’on meurt
Il se trouve que l’on n’a su écrire même pas un mot,
Même pas un demi-mot sur nous-mêmes
Et tout ce qui paraissant jadis faire partie de nous
Continue sa ronde paisiblement, avec un détachement royal,
Sans comparaison... sans nous inclure.

Ô Jeanne, ma petite Jeanne,
Ton roi est couronné, et alors, quelle importance ?
Le chêne magique résonne et parle d’une voix humaine….
Mais toi, tu brûles dans ta chemise beaucoup trop grande.

Arseniy Tarkovsky

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L’arbre de Jeanne (V2, mai 2012)

On me parle, et moi, je n’entends plus
ce qu’on me dit. Mon âme

c’écoute telle Jeanne D’Arc.

Quelles voix j’entends chanter à l’intérieur !

Je sais les diriger maintenant :

je fais sonner les flutes, les bassons, les harpes…

parfois je me réveille,

et la musique est déjà là,

et le final s’approche au grand galop.

Je te salue, ô tronc si haut,

et vous, ô branches si solides

couvertes du feuillage cuivré-émeraude,

de l’arbre mystérieux depuis lequel

l’oiseau de la première note

descend sur mon épaule.

Mais lorsque je saisis ma plume

pour mettre en mots le glas des timbales,

le son chasseur des vents,

l’élan printanier des cordes,

je sais ce qui m’arrive :

mon âme dit « Chut, silence ! »

Et tout ce qui fait que la vie est vivante

et la mort - complexe, gagne en sens :

un sens nouveau, limpide, immédiat.

Et je me tais, plein à craquer, tel que je suis,

rempli de ce vacarme printanier.

C’est pourquoi lorsqu’on meurt

il se trouve que pas d’un mot,

ni d’un demi-mot

on n’a parlé de soi.

Tout ce qu’on croyait être soi

tranquillement continue sa ronde,

avec un détachement royal,

sans nous inclure.

Ma Jeanne, la petite Jeanne,

ton roi est couronné,

qu’importe !

Le chêne magique agite son feuillage,

il parle.

Mais toi, tu brûles
dans ta chemise qui est pour toi trop grande.

Arseniy Tarkovsky

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