Monsieur Marcel Blanchet
Directeur général des élections du Québec
Édifice René-Lévesque
3460, rue de La Pérade
Québec (Québec) G1X 3Y5
Le 8 septembre 2010
Monsieur le Directeur général des élections,
J’ai posé ma candidature en vue d’être scrutateur lors de l’élection partielle dans la circonscription de Saint-Laurent le 13 septembre prochain. Au cours de ma formation, l’animateur a tenu un propos qui m’a interpellé et m’a fortement préoccupé. Il a invité les futurs secrétaires d’élection à bien vérifier le sexe inscrit sur la liste électorale afin de s’assurer qu’il s’accordait à l’apparence de l’électeur ou électrice devant eux, car, selon lui, « si c’est marqué F et que c’est un homme, ce n’est pas la bonne personne! »
Ceci m’inquiète fortement car, parmi mes amis, connaissances, êtres chers, collègues et collaborateurs se trouvent de nombreuses personnes pour qui cette affirmation n’est pas vraie. Les personnes transgenres, transsexuelles et non-conformes au niveau du genre détiennent souvent des pièces d’identité qui comportent une mention de sexe en désaccord avec le genre auquel elles s’identifient, qu’elles présentent visiblement et dans lequel elles vivent à tous les jours.
Les problèmes auxquels ces citoyennes et citoyens peuvent être confrontés ont par ailleurs été soulignés par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (CDPDJ), dont le rapport De l’égalité juridique à l’égalité sociale, publié en 2007, résume cette problématique comme suit :
les personnes transsexuelles doivent présenter des preuves d’identité qui ne correspondent pas à leur apparence physique […][Notamment dans le cas] des personnes qui n’ont pas subi d’opération chirurgicale en vue d’une transformation de sexe […] le sexe indiqué sur leurs cartes ou autres documents officiels ne concorde pas avec cette même apparence. Pour faire comprendre la problématique, imaginons Jacinthe, qui n’a pas été opérée, mais qui est d’apparence féminine et dont le sexe inscrit demeure « M » - pour masculin - sur sa carte d’assurance maladie. Ce contexte a pour effet d’attirer l’attention sur ces personnes qui désirent tout simplement s’intégrer dans la société et qui, plus souvent qu’autrement, passeraient inaperçues. Plusieurs subiront des insultes, du rejet et des préjudices lorsqu’on leur demandera de fournir des preuves d’identification. Dans le quotidien, ces personnes devront argumenter avec le banquier, le vendeur ou toute autre personne qui hésite à reconnaître la validité de leurs documents pourtant officiels. Des membres du personnel du réseau de la santé et des services sociaux les interpelleront en insistant sur « Monsieur Une telle » ou « Madame Un tel ».[1]
Rappelons par ailleurs que cette situation est due notamment à la difficulté que rencontrent ces gens à faire corriger leur mention de sexe, entre autres lorsqu’ils n’ont pas réussi à avoir accès à une chirurgie de changement de sexe ou ne désirent pas en avoir. Cette barrière a par ailleurs fait l’objet d’une manifestation tenue le 17 juin dernier à Montréal et un manifeste à l’intention du Directeur de l’état civil du Québec signé par plus de 200 organismes et personnalités du Québec.[2]
Vous verrez donc facilement le risque encouru par toute personne trans qui désire exercer son droit démocratique en tant que citoyenne ou citoyen du Québec. Cette personne pourrait être confrontée à un secrétaire d’élections qui soulèverait de façon publique et humiliante le désaccord entre son apparence et la mention de sexe qui apparaît à la liste électorale ou sur ses pièces d’identité, étalant sa vie privée en public et lui exposant à un danger physique potentiel. Un secrétaire d’élection ou un PRIMO qui ne comprenait pas sa situation ou qui désirait s’acharner contre elle pourrait multiplier les humiliations en lui exigeant de prêter serment, voire même lui refuser son droit de vote.
Mentionnons finalement que cette situation pourrait également toucher des personnes non-trans dont l’apparence physique n’est pas considérée comme conforme à l’idéal stéréotypé de leur sexe, c'est-à-dire une femme non-trans qui serait prise pour un homme ou vice-versa.
Les personnes transsexuelles, transgenres, et non-conformes aux stéréotypes de genre constituent une minorité signifiante parmi les électeurs et électrices du Québec. Il va sans dire que leur accès facile à l’exercice du droit de vote est primordial, comme ce l’est pour tout citoyen et toute citoyenne du Québec, peu importe leur condition sociale ou situation particulière.
Un travail de sensibilisation auprès du personnel électoral afin de leur sensibiliser à la situation et aux besoins de cette partie de l’électorat est nécessaire. Je vous saurais donc gré de m’indiquer, dans les meilleurs délais, les mesures que vous prenez déjà ou comptez prendre afin d’assurer à ces électrices et électeurs l’accès au droit démocratique dans le respect de leur intimité, intégrité, dignité et quiétude.
Dans l’attente de votre réponse, je vous prie d’agréer, Monsieur le directeur général des élections, l’expression de mes salutations respectueuses.
cc :
Suzanne Lalonde, Directrice de scrutin de la circonscription de Saint-Laurent
Henri-François Gautrin, député de Verdun
Amir Khadir, député de Mercier
Association des transsexuelles et transsexuels du Québec (ATQ)
Conseil québécois des gais et lesbiennes (CQGL)
[1] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec. De l’égalité juridique à l’égalité sociale: Vers une stratégie nationale de lutte contre l'homophobie. Mars 2007. Disponible à :
http://www.cdpdj.qc.ca/fr/publications/docs/rapport_homophobie.pdf . Pp. 59-60.
[2]
http://coalitiontransquebec.com/