Quelques petits textes sur le Paradis et d'Enfer. Spoiler sur le film "Légion", que j'ai eu le malheur de voir, dans le premier.
Légion:
Bien que la télévision soit une invention humaine, son développement avait été soutenu si activement par les forces du Mal, qu'elle n'avait pas droit de cité au Paradis.
Raphaël avait toutefois réussi à contourner l'interdiction au motif qu'il en avait besoin pour ses recherches sur l'humanité. Il avait aussi insisté pour toujours avoir les derniers modèles disponibles.
Uriel signait les autorisations budgétaires en grinçant des dents.
« Tu as vraiment besoin d'un lecteur...bleuet en plus ?
-Blu-ray. C'est essentiel. »
Il ne voyait pas trop à quoi un écran plat dernière génération allait lui servir s'il n'avait pas les meilleurs accessoires disponibles.
« Alors pourquoi tu demandes une PS4 ? J'ai vérifié, c'est une console de jeux vidéo !
-Elle lit aussi les Blu-ray, et ça va me permettre de poursuivre mes recherches sur les jeux. C'est deux en un. C'est plus économique, tu devrais te réjouir au lieu de râler. »
Installé dans un canapé design, Raphaël était en plein travail comme l'attestait les lunettes qu'il portait (bien qu'elles ne lui servaient à rien: les anges ont une vue excellente, ainsi qu'une très bonne ouïe, et un odorat exceptionnel, ce qui leur avait posé beaucoup de problèmes avant l'invention du déodorant), et l'iPad pro qui lui servait à prendre des notes (et pas à jouer à candy-crush pendant les réunions comme le prétendaient les mauvaises langues).
Il sursauta quand Gabriel se laissa tomber à côté de lui.
« Tu fais quoi ?
-Je fais des recherches culturelles.
-Ah ? Je croyais que tu regardais la télé…
-Ça fait partie de mon travail.
-Tu n'es plus docteur ?
-J'ai aussi deux ou trois connaissances en biologie humaine. »
Gabriel s'intéressa à l'écran.
« Ça parle de quoi ?
-D'anges.
-C'est un ange ça ?
-Presque...c'est Michael.
-Ce n'est pas Michael.
-C'est un acteur qui joue son rôle.
-Il ne lui ressemble pas du tout !
-C'est normal, ils ne savent pas à quoi il ressemble vraiment.
-Mais il leur est apparu ! Et ils ont plein de tableaux.
-Il n'a jamais posé pour aucun d'entre eux...et une représentation d'une sorte de barbare couvert de sang, ça fait pas terrible dans une église.
-Et le type qui fait peur, c'est qui ? »
Raphaël considéra le personnage en armure qui affrontait le Michael du film.
« Ça c'est supposé être toi.
-...Naaaaaaaaaaaannnnnn ??? »
***
Michael était occupé à aiguiser son épée sans rien demander à personne quand Gabriel lui tomba dessus sans crier gare. Il lui allongea un coup de poing à l'épaule, qu'il ne sentit presque pas, mais qui le surprit tout de même.
Les larmes aux yeux, Gabriel cria :
« Tu m'as tué ! Je te déteste !!! »
Gabriel s'enfuit en pleurant avant que Michael ne puisse rétorquer quoi que ce soit.
Remarquant la présence de Raphaël, il se défendit :
« J'ai rien fait. Pourtant, c'est pas l'envie qui manque…
-T'inquiète, il est énervé à cause d'un film qu'on a vu ensemble.
-Un film ? »
Raphaël brandit le Blu-ray avec un grand sourire.
« Tu ne l'as pas vu ? Tu ne sais pas ce que tu rates ! C'est toi le héros ! »
Michael regarda la jaquette avec suspicion.
« Il y a des dragons dedans ?
-...Non.
-Sans moi.
-Il y a plein de bons films qui ne mettent pas en scène des dragons.
-M'intéresse pas.
-Tu n'as même pas aimé le dernier film avec un dragon que je t'ai passé.
-C'était n'importe quoi. Un gamin peut pas être ''ami'' avec un dragon !
-C'est un dessin animé pour enfants. C'est censé leur donner une vision positive de la vie.
-En les jetant entre les griffes de putains de monstres sanguinaires ?
-Elliott est un bon dragon !
-Un bon dragon est un dragon mort.
-...Ok, laisse tomber, on oublie la soirée films. De toute façon, j'avais pas envie de le revoir. »
***
Les damnés coupables du péché de paresse étaient punis dans le sixième cercle des Enfers. Une des tortures les plus récentes consistait à les attacher solidement et à leur passer les pires films existants, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept.
Le démon Eligos, responsable de l'exécution, disposait d'un stock quasi illimité de comédies et de films d'auteur, en grande partie fournis par le cinéma et la télévision française.
Il n'était cependant jamais contre de nouvelles acquisitions.
Un petit diable du service courrier venait justement de déposer un paquet sur son bureau.
« Y'a le Paradis qui vous envoie un truc. »
Ce n'était pas quelque chose qui arrivait tous les jours.
Eligos ouvrit le petit paquet blanc avec curiosité.
Il blêmit.
« Ah non, pas ça ! On est des monstres, mais quand même ! »
Clim:
Prisier et Kakos étaient deux démons qui officiaient dans le sixième cercle des Enfers, celui où on punissait les paresseux.
Très occupés, ils n'avaient pas l'habitude de descendre jusqu'à la Capitale, Pandaemonium, ni de croiser les démons les plus titrés dans les couloirs du palais de Lucifer, comme Asmodée vêtu en tout et pour tout d'un collier en cuir qui leur fit un clin d'oeil appuyé.
Comme chaque lundi, Lucifer recevait les membres de son triste empire qui avaient des réclamations et des doléances à lui soumettre.
Les deux démons avaient longuement hésité avant de se présenter. Ils se doutaient que le Diable avait d'autre chats à fouetter (bien que ce ne soit là qu'une expression : l'affection de Lucifer pour les chats était de notoriété publique), mais ils étaient à bout de résistance.
« Vous comprenez, les cris, les pleurs, les supplications, ça nous dérange pas.
-Bien au contraire ! C'est la preuve du travail bien fait.
-Mais ce bruit, tous les jours...C'est de la torture !
-Vraiment, on n'en peut plus. »
Lucifer parcourait la pétition qui avait été signé par tout le personnel du cercle, sans exception.
« Vous avez conscience que ce n'est pas pour vous torturez vous qu'on les a fait installer ?
-Bien sûr, on comprend le principe. C'est une super idée sur le papier. Faire croire aux damnés qu'ils pourraient être soulagés, c'est brillant. On ne se lasse pas de leur déception.
-Le problème, c'est les conséquences sur nous...
-Avec ce bruit constant que font les appareils, on n'a plus goût à rien.
-On ne discute plus, on ne fait plus de pauses...
-Donc, vous bossez plus, conclut Lucifer.
-Ben oui, mais...Si on n'a plus de plaisir à faire notre travail, ça ne plus de sens.
-On ne demande pas grand chose. Juste de pouvoir torturer dans de bonnes conditions... »
***
Uriel était dissimulé par la pile de dossiers qui occupait son bureau. Il interpella néanmoins Saint Pierre dès qu'il eut franchi la porte.
« Saint Pierre ! Pourquoi avez-vous quitté votre poste ?!
-On vient de recevoir une commande pour vous, mais je crois qu'il s'agit d'une erreur.
-Impossible ! Je ne fais pas d'erreur ! »
Pierre se garda de commenter.
« Je n'ai pas dit que c'était vous. Le bon de commande porte votre signature, mais c'est peut-être le service courrier qui s'est emmêlé les pinceaux...
-Notre service courrier est d'une efficacité infaillible ! Je le sais, c'est moi qui le supervise ! »
Pierre se retint d'en dire plus sur le sujet, il n'était pas là pour ça.
« Donc, vous avez bien commandé ce tas de vieux climatiseurs que nous voisins d'en bas viennent de nous livrer ?
-Ah ! Ils sont enfin arrivés ! Très bien ! »
Pierre ne cacha pas sa surprise :
« Mais qu'est-ce que vous allez en faire ?
-Je vais les faire installer dans tous les bureaux.
-Pourquoi ? Il fait toujours une température idéale ici.
-Ce n'est pas pour la température. »
V.I.P.:
Après plus d'un millénaire passé au quatrième cercle, le démon Rorpax s'était lassé de torturer les radins. Il avait demandé sa mutation et il venait de prendre son nouveau poste devant une des portes des Enfers.
Alors qu'il prenait une petite pause, il se rapprocha du démon Volpon qui orientait les damnés à l'aide d'un iPad dernière génération (en raison du volume en constante augmentation des arrivées, il y avait longtemps que les Enfers avaient abandonné le papier et la plume).
« Y'a un truc qui me chiffonne. Les gens ont l'air...contents. J'comprends pas. Dans mon souvenir, quand ils arrivaient ici, ils pleuraient et hurlaient déjà. Là, on les insulte, on les menace avec nos fourches et ils rigolent comme si on était au cirque. »
Malgré l'atmosphère pesante du lieu, il régnait effectivement une bonne ambiance dans les rangs des damnés. Beaucoup, vêtus de costumes et de tailleurs de marque, discutaient avec leurs voisins, échangeaient sur les derniers cours de la bourse, ou profitaient du wifi gratuit pour surfer sur leurs portables.
« T'inquiète, tu vas t'y faire.
-Ah bon, mais ils sont tous comme ça maintenant les damnés ? Y'en a même une qui a voulu faire un selfie avec moi pour son compte Am-stra-gram ou j'sais pas quoi.
-C'est à cause de la dernière campagne de pub du patron. Il arrive à leur faire croire que les Enfers, c'est la fête! Plus ils détruiront la Terre et extorquerons les pauvres, plus ils seront récompensés chez nous. Ils auront droit à un traitement V.I.P et, s'ils sont assez atroces, ils pourront même devenir des démons ! »
Après quelques instants de silence, les deux démons éclatèrent d'un rire si grinçant que les morts reculèrent de plusieurs pas.
« J'avais pas ri comme ça depuis le grand incendie de Londres, souligna Rorpax, en essuyant ses yeux pleins de larmes acides. Et ils avalent ça ?
-Ben ouais, regarde-les...Faut dire que c'est pas totalement faux. Y'en a qui ont vraiment droit à un traitement V.I.P.
-Non ?
-On leur fait faire le tour de toutes les tortures des neufs cercles, et puis on recommence. »
Touriste:
La routine de Saint Pierre aux portes du Paradis n'était perturbée que par quelques rares cas de mauvais aiguillages. Les défunts finissaient par tous se ressembler.
Mais, ce matin-là, le comportement d'une jeune femme avait attiré son attention. Elle ne faisait pas la queue, mais elle n'essayait pas non plus de passer devant tout le monde. Elle avait bavardé avec plusieurs personnes dans la file, et elle observait ce qui se passait. Là voyant s'approcher des hautes portes dorées, Pierre se décida à lui faire signe.
Elle vint vers son bureau en souriant.
« Oh, ne faites-pas attention à moi. Continuez. »
Pierre resta perplexe.
« Mais vous n'allez pas rester là toute la journée ! Donnez-moi votre nom, je vais vous faire entrer.
-Non, je ne suis pas sur votre liste, je ne fais que passer. Je suis une sorte de...de touriste.
-Qu'est-ce que c'est que cette fantaisie ?
-Vous n'êtes pas au courant ? On ne parle que de ça pourtant ! On vous plonge dans un profond coma au point que vous êtes déclaré mort, puis on vous ranime.
-Pourquoi faire une connerie pareille ?
-Pour savoir s'il existe une vie après la mort, voyons !
-Vous êtes la première « touriste » que je vois...
-Je suis la première à arriver jusqu'ici ! Les autres ont seulement vu des lumières blanches, sauf un qui a vu une sorte de grande salle de sport...
-Ça devait être le Purgatoire.
-Il a pensé que c'était l'Enfer !
-C'est le purgatoire, pas Center Park…
-Je suis bien contente d'être arrivée jusqu'au Paradis ! Même si c'est un peu frustrant de rester à l'entrée...J'aimerais beaucoup voir un ange ! Ça ne serait pas possible de...Oh, vous allez trouver ça stupide, mais je ne pourrais pas juste jeter un petit coup d'oeil à l'intérieur ? Je resterai près de la porte, c'est promis ! »
Elle lui fit un regard de biche si suppliant que Pierre sentit ses défenses vaciller.
« Bon, exceptionnellement...J'aurais juste besoin de votre nom.
-Mais je ne suis pas…
-C'est pour la sécurité. Vous pourriez être un espion.
-C'est vrai, je suis Olga Peterson. »
Saint Pierre vérifia rapidement son listing.
« Yep ! Je vous ai. Olga Peterson, surdose d'anesthésie, vous pouvez entrer ! »