J'avais entendu beaucoup de bien de cet auteur, Anne F. Garréta, spécifiquement de son roman Sphynx, où les genres des protagonistes de ce roman d'amour ne sont pas mentionné. Aucun indice quel qu'il soit sur s'il s'agit d'un homme et une femme, d'une femme et un homme, d'un homme et homme ou d'une femme et d'une femme. J'étais curieuse. Je voulais savoir comment l'auteur avait accompli cet exploit.
Malheureusement, dû à la popularité de ce roman je n'ai pu le trouver en librairie. À la place je me suis acheté Pas un jour, dans lequel l'auteur s'impose de nouveaux défis.
Premièrement, la narration se fait entièrement à la deuxième personne :
«Le roman prochain que tu entrevois et dont tu rumine les calculs, te prendra des années à rechercher, composer, écrire. Tu as pitié de tes quelques lecteurs et te soucies de ne pas outrepasser toujours leur patience et bonne volonté. Tu leur voudrais offrir entre temps ce que tu les soupçonnes désirer : un divertissement, l’illusion d’un dévoilement de ce qu’ils imaginent être un sujet. Car ils te supposent - faiblesse commune et jusqu’à encore peut-être quelque temps de l’avenir inéluctable - un moi.»
p.9
Deuxièmement, celui d'écrire son souvenir d'une femme, une par jour, une par lettre de l'alphabet...
« Quitte à contrarier tes habitudes et tes penchants, autant systématiquement le faire. Voici l’ascèse que tu as toi réglée (on ne peut plus radicalement différer ni dissembler de soi-même que tu entreprends ici de faire). Elle tient en une maxime : pas un jour sans une femme.
Ce qui veut dire simplement que tu t’assigneras cinq heures (le temps qu’il fait à un sujet moyennement entraîné pour composer une dissertation scolaire) chaque jour, un mois durant, à ton ordinateur, te donnant pour objet de raconter le souvenir que tu as d’une femme ou autre que tu as désirée ou qui t’a désirée. Le récit ne sera que cela, le dévidage de la mémoire dans le cadre strict d’un moment déterminé.
Tu écriras comme on va au bureau; tu seras fonctionnaire de la mémoire de tes désirs, trente-cinq heures par semaine. Ni plus ni moins que cinq heures par initiale. »
p.11
Intéressant, non? C'est exactement ce que je me suis dit.
Le narrateur étant une femme ainsi que ces conquêtes, il était difficile d'échapper aux descriptions d'amour lesbien...
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Comment, vous voulez un extrait lesbien? Pas de problème. Je vis pour plaire mon lectorat.
« Quels souvenirs t’en reste-t-il? Des souvenirs de cinq à sept et d’heures de déjeuner passées dans ton lit à des exercices que tu ne te résous pas à qualifier d’érotiques. Nuits et week-ends prolongés chez elle à réitérer la même gymnastique. Car elle avait vocation à faire de toi une athlète en chambre. Tu as souvenir de trois nuits passées chez elle où elle te poursuivit de lit en lit, te réveillant pour de nouveaux marathons. Il était impératif, sous peine de la décevoir, que tu la baises debout dans l’antichambre; sous peine de la peiner, que tu la violes sur la table de la cuisine; sous peine qu’elle t’accuse de la mépriser, que tu la foutes renversée sur les coussins de l’ottomane du petit salon; crainte de lui donner le sentiment de m’être plus désirable, que tu la sodomises dans le lit de la chambre d’amis; pour te prouver sa passion, que tu la fasses jouir dans son lit à baldaquin; - et pour s’assurer qu’aucun meuble n’avait été négligé, que tu la branle contre le piano… Et surtout (mais là, tu faillissais à la tâche) que tu y mettes les phrases, que tu éjacules ton excitation à son impudeur, que tu l’excites à l’obscénité et enfin la traites comme une pute. (Et là ta perplexité devint illimitée : comment est-on censé traiter les putes? Mal, apparemment. En objet, spéculais-tu. Ce qui, pratiquement, ne t’avançait pas beaucoup. Tu essayais, mais manifestement échouais, car il fallait recommencer encore et encore, dix fois par nuit, autant le jour, et sans oublier aucun meuble, dans toutes les positions du kama sutra.) »
pp.45-46
Pour terminé, ce que la narratrice pense du roman :
« disons qu’un roman, c’est comme un moteur de voiture : n’importe quel mécanicien un peu professionnel sait à la première inspection en reconnaître le type, ses pathologies les plus courantes et l’articulation de sa mécanique. Il y en a quelques modèles courants, un nombre infime de rares, de ceux qui vous forcent à réviser vos connaissances, vous obligent à les démontrer dans le détail pour en comprendre le fonctionnement. Il se rencontre plus de berlines familiales sur les routes de la littérature que de Ferrari ou de prototypes. Disons aussi que la littérature tient plus à tes yeux de la mécanique que de la religion. Tu n’y vois ni transcendance ni ineffable. Plutôt des soupapes, des cylindres, des allumages… Ce qui ne présume en rien des transports qu’elle peut nous procurer, non plus que des contrées où elle peut nous mener. »
p.52
Ce que j'en ai pensé? Le défi que s'impose l'auteur emplit le lecteur d'expectative que le roman ne satisfait pas... La théorie et la pratique ne font pas nécessairement pas bon ménage.