Défi : péchés capitaux - Petite histoire gourmande et sans faim

Feb 19, 2011 15:26

Auguste avait l’allure qui seyait à sa petite annonce : grand, costaud, doté d’un embonpoint équivalent à son appétit, il dissertait en agitant ses couverts, sans jamais faire tomber une seule miette à côté de l’assiette. La manière qu’il avait de manger tout en parlant faisait de lui un spectacle sans cesse renouvelé. Il excellait à cet exercice délicat, lequel aurait pu se transformer en dégustation vulgaire agrémentée de postillons s’il n’en eût pas été l’unique acteur tout en esthétisme.

Noah, quant à lui, côté physique : de taille moyenne, mince et sec, il avait le profil d’un athlète de haut niveau. Il mangeait à petites bouchées, semblant savourer différemment chacune d’entre elles car sa condition de sportif professionnel ne lui autorisait qu’un repas de ce type par mois. Le reste du temps, il devait avaler calories et sucres lents, c’est-à-dire de la nourriture de bas-étage plutôt que celle qui nourrit l’esprit en plus du corps, tant elle est belle à voir, bonne à manger, et agréable à partager.

Leur rencontre eut lieu dans un restaurant perdu entre deux collines. Ils dînèrent en terrasse, sous la frondaison des grands arbres, guère incommodés par la fraîcheur ambiante grâce aux poêles à bois disposés çà et là. Bien qu’éminemment distincts dans leurs vies, leurs pratiques et leurs goûts, les deux hommes se retrouvaient dans la nourriture, qu’ils affectionnaient chacun à leur façon, mais avec une même démesure ; la gourmandise.

Ils s’appréciaient, étaient gourmands de leur conversation, de leur compagnie mutuelle. Ils dévoraient salades, soupes et viandes saignantes saupoudrés de bons mots, de débats et d’exposés divers et non avariés. Pour l’apéritif, les présentations, introduites par du pain juste chaud et ses garnitures en cuiller, arrosées de kir royal frais pour délier les langues. En entrée, expression des choix de carrière : médecin accompagné de feuilles de vigne garnies de fromage de chèvre et coriandre pour l’un, sportif friand de mozzarella grillée a la plancha et de sorbet tomate-basilic pour l’autre. Après quoi, lancement des hostilités, avec une invitation à parler ouvertement du menu de leur prochaine rencontre : deux pavés dans la mare, à peine saisis sur le grill des pensées, arrosées d’une sauce barbecue bien rouge qui correspondait à leurs envies respectives.

Lors de précédents repas, à peine son idée exposée pendant le plat principal, Auguste voyait les convives déserter la table, lui laissant les desserts, les cafés, et l’addition bien salée sur l’estomac. Noah, en revanche, Gourmand sans frontières, ne se laissa pas émouvoir par l’avant-gardisme hors de toute mesure d’Auguste. La gastronomie n’avait ni fin ni limite, Noah non plus. Il était, à tous points de vue, un délicieux jeune homme ; le compagnon de table idéal. Celui qu’il fallait.

Ravi, Auguste recommanda un bout du fameux pavé, qu’il dégusta avec Noah dans une même assiette. Heureux de leur rencontre, de leur trouvaille inouïe, de leur accord incroyable, l’obscurité comme la gourmandise achevèrent de les rapprocher, tant physiquement que moralement. Rien que d’en parler, l’appétit leur revenait, ils en avaient l’eau à la bouche. Quel beau projet d’avenir ils avaient !

Noah jura de quitter la Fédération Sportive qui le suivait, pour se consacrer tout entier à Auguste. Il accomplirait les formalités nécessaires avant la fin du mois, et ce, pour qu’ils se retrouvent au plus vite. De son côté, Auguste allait tout mettre en œuvre pour qu’ils puissent réaliser, dans les meilleures conditions possibles, la petite opération nécessaire avant de se retrouver autour d’une table.

Le dessert contenta leur faim du moment ; ils s’imaginèrent en train de déguster le met suprême qui assouvirait leur gourmandise souveraine - la plus grande, et la plus honteuse, à vrai dire. Après avoir goûté quelque fruit de pêcher et arrosé leur gargantuesque repas d’un café bien noir, ils s’embrassèrent sur la joue, presque goulument pour Auguste.

Au moment de se quitter, d’ailleurs, Noah se passa la langue sur les lèvres, comme s’il voulait se goûter ou récupérer le parfum suave du repas achevé :

« Quel festin ce sera, j’ai hâte !

- Ne commence pas sans moi ! » s’écria Auguste depuis sa voiture.

˘

En plus de la Fédération Sportive, Noah quitta sa femme pour Auguste, et vint habiter chez lui afin que leurs corps soient au plus près. Le médecin ne cessait de le palper, le toucher, voir par quel endroit il préfèrerait commencer. Noah, pris au jeu, s’était découvert un nouveau péché obscur, quelque chose que les plaisirs habituels de la table ne pouvaient assouvir.

Les deux hommes s’aimaient plus que d’amour, en fait.

« Jure-moi de ne jamais m’oublier, après cela, gémissait Noah.

- Notre première fois ne sera pas la dernière, je te le jure. Je t’aimerais jusqu’à la fin. »

L’opération eut lieu, mettant fin à des semaines d’attente. Quand Noah fut sur pieds, il mit du cœur à l’ouvrage, et beaucoup de sien dans la recette. Ils devaient cuisiner ensemble le menu de ce repas de haute volée, que nul autre au monde n’aurait su déguster mieux qu’eux deux, parce que personne n’aurait pu les comprendre.

Ils découpèrent en rondelles la viande savamment prélevée, pour la faire macérer une nuit entière dans une sauce au vin rouge, pas trop forte pour que le goût de la bonne chair ne s’estompe pas. D’ailleurs, ils gardèrent un bout de ce phallus gastronomique pour plus tard, afin de le goûter grillé a la plancha, comme Noah l’aimait.

Le sportif eut du mal à dormir, cette nuit-là, notamment parce que le pansement sur son entrejambe, après l’ablation de son pénis, le grattait terriblement. Il regrettait d’ailleurs de ne pas avoir proposé plus tôt à Auguste d’enlever aussi ses testicules. Ils auraient pu les farcir, en manger une chacun, et cela aurait été bien moins douloureux pour lui.

Malgré tout, le repas fut une apothéose gourmande, un orgasme culinaire qui les réunit d’une manière plus intime que toute étreinte physique. Chaque bouchée en appelait une autre. C’est pourquoi Noah, ce si délicieux jeune homme qui pleurait d’extase tandis qu’il piquait sa fourchette dans la viande tendre et rouge, fit jurer autre chose à son compagnon de table :

« Tue-moi, mange-moi. Que ce repas soit suivi d’autres encore, que nous ferons véritablement ensemble. »

Auguste s’exécuta, et tint ses promesses. Cependant, toutes les bonnes choses avaient une fin, et sa gourmandise, elle, n’en avait aucune.

Alors…

Gourmand invétéré cherche compagnon de table pour dîner entre amoureux de la bonne chair. Habitués de la malbouffe et phobiques de viande bleue, s’abstenir. Contacter Auguste Mante au 06 18 80 51 42.

F(a)imn

N. A. Ceci est tiré d’une histoire vraie, ayant eu lieu en Allemagne il y a quelques années. Le gourmand fou a fini par être arrêté grâce au journal par lequel il publiait ses annonces.

défi : sept péchés capitaux, auteur : gabytrompelamor, fanfiction, original

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