Aug 08, 2013 08:26
R, son frère, leurs amis et moi sommes en train de lire Pour une Morale de l'ambiguïté, un livre que je trouve fascinant.
J’adore que ça a été écrit lors des années de reconstruction juste après la Deuxième Guerre mondiale. J’adore qu’elle envisageait ça comme la suite logique du travail de J-P Sartre (qui n’était pas en mesure, ou qui n’avait pas le temps, pour compléter une réflexion similaire dans un autre bouquin. Il mourut avant de finir l’œuvre.) Mais surtout, je suis totalement charmé par le fait qu’elle vit l’Être et le Néant, un livre décidément masculin, et qu’elle décida de le concrétiser, de rendre les conclusions de ce dernier pratiques, humains. Pour une Morale de l’ambiguïté, c’est sa tentative de prendre une philosophie qui sombre parfois dans la psychologie, et de la rendre accessible à tous ceux qui veulent savoir comment (ou pourquoi) ça leur affecte.
Même si on n’a lu que la première partie, et que je trouve ses références à Hegel déroutant, je pense commencer à comprendre ce qu’elle veut faire avec ce livre. Elle tente de décrire l’ambiguïté de notre vie, de nos actes. Nous sommes vivants mais contemplons notre mort. Nous sommes souverains de nos propres royaumes, mais nous sommes toujours l’objet des autres, de la nature, du monde. Nous sommes des êtres-pour-soi (~subjectifs) mais nous sommes constamment séduits par l’idée de l’être-en-soi (l’objectif.) Je me suis longtemps demandé pourquoi elle a choisi d’utiliser le mot ambiguïté et non ambivalence, étant donné qu’elle semble constamment parler des dichotomies de notre vie. Mais là, je crois comprendre… Même si on perçoit une dichotomie (ou, plutôt, des dichotomies), cela ne veut pas dire que ces choix ont la même valeur.
Sartre insiste que nous sommes des êtres-pour-soi qui pensons parfois être des êtres-en-soi : est-ce que de Beauvoir veut dire que nous avons ces deux aspects en nous? Non! Elle tente de dire que l’être-en-soi, ce n’est pas juste une conséquence de notre participation sociale… non, c’est un repère qui ne nous quitte jamais, qui nous séduit sans arrêt, qui menace notre liberté en nous promettant d’effacer nos choix. Être défini, c’est simple. Être objet, cela nous libère (de nos craintes, de nos anxiétés, etc.) Elle veut dire qu’un être qui vit pleinement et authentiquement doit sans cesse se remettre en question. Être “libre”, dans une acception qui être propre à de Beauvoir, signifie devoir décider à tout moment, et choisir de manière honnête et éclairée, quoi faire. La personne est toujours pour-soi, mais il doit s’en rappeler à tout moment, sinon les sirènes de l’objectivité l’emporteront. La liberté n’existe seulement en fonction de cette tension. Et la personne doit constamment se signaler cette tension, se rappeler qu’elle existe. De Beauvoir semble appeler ce mouvement “se dévoiler”, déclarer au monde que nous sommes des êtres subjectifs, séparés des objets qui nous environnent.