фотограф Виктор Васильев
Le mouvement de la vie avec "La Pièce sans nom"
LE MONDE | 21.11.09 | 14h46 • Mis à jour le 21.11.09 | 14h46
Dans l'avalanche théâtrale de ce mois de novembre, il y a au moins un événement incontestable : la présence, à la MC93 de Bobigny, du grand metteur en scène russe Lev Dodine, installé jusqu'au 6 décembre avec sa troupe, et sept de ses spectacles légendaires. Le festival Dodine fait la part belle aux pièces que le maître de Saint-Pétersbourg a tissées autour de l'histoire de son pays : Les Etoiles dans le ciel de l'aube, spectacle emblématique de la Perestroïka (présenté les 9 et 10 novembre), ou le magistral Vie et destin, d'après Vassili Grossman, créé à Bobigny en 2007 (Le Monde du 8 février 2007), que l'on peut voir ou revoir le 30 novembre et le 1er décembre.
On connaît moins, en France, le travail du maître sur le répertoire classique, et notamment sur le monument national, Anton Tchekhov. On attendait donc avec impatience ce Platonov que Dodine a intitulé La Pièce sans nom, et qui se joue encore samedi 21 novembre. L'attente est comblée : trois heures trente de bonheur, à la russe : maelström de sentiments, folie de la vie, niveau de jeu exceptionnel.
Rien de plus difficile à réussir pourtant que cette "pièce sans nom" que l'on a pris l'habitude d'appeler Platonov, du nom de son héros qui n'en est pas un. Tchekhov l'a écrite à l'âge de 18 ans, alors qu'il était encore élève au lycée de Taganrog, la petite ville des bords de la mer Noire où ses parents l'avaient abandonné pour partir à Moscou. Pièce démesurée - six heures dans sa version courte, huit heures dans sa version longue -, jamais jouée du vivant de l'auteur, mort en 1904, à l'âge de 44 ans. Mystérieusement retrouvée dans le coffre d'une banque, en 1920.
Il faut donc l'adapter, cette pièce qui contient déjà tout Tchekhov. Lev Dodine dit qu'elle est "la vie même, la vie qui n'est rien d'autre qu'une pièce sans nom". Et la mise en scène éminemment chorale de Dodine est exactement cela : le mouvement de la vie même, dans son mélange de mélodrame, de vaudeville, de comédie idiote et de drame authentique.
La petite société qui se retrouve en villégiature chez la jeune veuve Anna Petrovna, au fin fond de la Russie - donc au fin fond du monde -, va et vient sur l'espace à plusieurs niveaux d'un échafaudage en bois, qui surmonte un bassin rempli d'eau. La présence de cette eau, dans laquelle plongent régulièrement les personnages, est une de ces idées scénographiques géniales à la Lev Dodine : fluide conducteur de leurs désirs inassouvissables, de leurs ardeurs arrêtées, de leurs désespoirs sans grandeur tragique.
Ainsi va la musique profondément tchékhovienne de ce Platonov à la gaieté blême, où une petite assemblée humaine regarde filer sa vie comme fragiles flammes dansantes sur l'eau sombre. L'envie de vivre est aussi colossale que son empêchement. Rarement spectacle aura montré ainsi l'incertitude de l'existence, qu'incarne Platonov pour mieux la renvoyer aux autres personnages.
Ce qui est beau, c'est la manière dont Lev Dodine et ses acteurs magiques s'enracinent profondément dans la tradition russe pour arriver à une forme contemporaine, débarrassée de tout lyrisme inutile ou pesant, mais humaine, émouvante. Quant au bonheur d'entendre Tchekhov en russe, il est, pour l'amateur de théâtre, sans équivalent, sans mélange. Triomphe à Bobigny pour cette Pièce sans nom, vendredi 20 novembre au soir, et ovation pour le maestro Dodine. Il ne faut jamais désespérer du théâtre.
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La Pièce sans nom (Platonov)
d'Anton Tchekhov. Mise en scène : Lev Dodine. MC 93, 1, bd Lénine, Bobigny.
Mo Bobigny-Pablo-Picasso. Tél. : 01-41-60-72-72. Le 21 novembre, à 20 heures. En russe surtitré.
Le festival Dodine se poursuit jusqu'au 6 décembre, avec, notamment, "Oncle Vania", de Tchekhov, du 3 au 6 décembre. De 9 € à 25 €.
www.mc93.com
Fabienne Darge
Article paru dans l'édition du 22.11.09
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