Titre: Orgueil
Auteur: Mag, Ada et Lalie aka Mag0911
Date: 21/08/07
Genre: Tragedy/ Romance/ Sérieux
Avertissements: One-shot, pas de suite prévue
Note de l'auteur: Au début, la femme est apparue dans mon esprit. Elle se devait d'être une contrôleuse de la SNCB qui ne savait pas se chouchouter. Finalement, elle a pris les commandes puisque apparemment, ce que je voulais faire d'elle ne lui convenait pas. Elle a donc amené un ancien amant qui n'était franchement pas prévu au programme. J'ai voulu les réconcilier, parce que j'aime les histoires qui finissent bien, mais là encore elle a fait des siennes et considérablement rallongé l'histoire qui ne devait faire que trois pages sur Word. Comme quoi, l'auteur n'est jamais responsable!
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Parfois la solitude lui pesait trop. Alors elle se dirigeait calmement vers sa garde-robe et dénichait sa robe noire, compagne habituelle de ces soirées. Elle prenait ensuite un bain et l'espace d'une heure se transformait en femme. Elle n'était plus ce tas informe de superpositions de tissus sombres et à l'éclat passé. Elle consacrait son temps à faire des tas de soins corporels avant de se glisser dans sa robe. Elle remarquait alors qu'elle était de plus en plus étroite. Avec un soupir elle se promettait de faire enfin attention à son alimentation et de se sustenter avec autre chose que des plats préparés et du coca. Mais elle savait que cette promesse n'en était pas vraiment une et n'aurait aucune valeur le lendemain.
Elle prenait alors son sac de cuir ramené d'Italie, se parfumait une dernière fois avant de s'examiner dans la glace de son corridor. Son image était cachée par des boites empilées jusque à la taille devant le miroir, mais cela ne faisait rien. Elle savait que la robe était ce qui lui allait le mieux même si elle ne cessait de devenir de plus en plus étroite.
Enfin, elle prit une grande inspiration comme si ce qu'elle allait faire lui demandait une force surhumaine. En descendant les escaliers menant au troisième étage où se trouvait son appartement, ses pensées se portèrent sur les différents clubs, bars et boîtes où elle pourrait se rendre. Elle voulait éviter autant que possible ses ex-amants, mais la liste ne cessant de s'allonger depuis quelques années, il ne lui restait que peu d'endroits à écumer sans risquer de tomber sur une quelconque connaissance. Après tout, la ville où elle demeurait n'était pas si grande.
Elle attrapa un taxi dans le boulevard jouxtant sa ruelle. La circulation était fluide et le type au volant avare de conversations. Il faut dire qu'il bataillait déjà avec son oreillette, son GSM et son GPS. A la vue d'une telle scène et surtout d'une telle conduite, elle se promit d'enfin passer son permis. A son âge, cela devenait ridicule. Mais encore une fois, il ne s'agissait que d'une promesse en l'air qui n'engageait qu'elle.
Devant l'établissement où elle fut déposée, elle hésita. Elle savait à quoi s'attendre pour cette nuit. Elle savait aussi que le lendemain matin serait horrible. Elle devrait une fois encore éviter une conversation embarrassante et faire son possible pour réprimer la honte qu'elle éprouverait à son encontre. Elle savait aussi comment se déroulerait le reste de son dimanche. Elle passerait la journée à se traîner dans son appartement et à tenter de prendre des bonnes résolutions qu'elle ne tiendrait de toute façon pas.
D'un autre côté, la solitude lui pesait trop une fois de plus. Elle n'avait personne chez elle à qui se confier et ses amis aimaient trop leur tranquillité pour qu'elle ose les déranger à une heure pareille. De plus, téléphoner à Stacy risquait fort de tourner en un monologue interminable où cette dernière lui expliquerait en long et en large les exploits de son petit dernier. Pas de doute, mieux valait une fois de plus s'en sortir toute seule.
En pénétrant dans le bâtiment, la fumée des cigarettes lui sauta à la gorge et elle eut le souffle légèrement coupé. Les spots de lumières colorés lui agressèrent quelques peu les yeux; elle se dirigea toutefois d'un air résolu vers le bar. Plusieurs personnes y étaient rassemblées et jetaient de temps en temps un oeil aux nombreux danseurs et danseuses. Elle prit d'autorité un tabouret libre et commanda un mojito. Le barman s'empressa de la satisfaire. Une fois servie, elle dut se faire violence pour ne pas boire cul sec. Il était encore tôt et elle voulait garder les idées claires jusqu'à un certain point. Il était hors de question qu'elle passe encore une fois la nuit avec un soulard trop rond pour faire quoi que ce soit avec elle.
Quelques minutes passèrent qu'elle occupa à observer les hommes qui l'entouraient. Aucun d'entre eux ne retint son attention. Ils étaient tous semblables et issus apparemment des mêmes milieux sociaux. Entre les fils à papa et ceux qui voulaient étaler leur fric, aucun ne lui convenait. Elle savait qu'elle ne pouvait pas attendre grand chose de ces deux sortes de spécimens, qui malheureusement pour elle, avait tendance à se multiplier de plus en plus ces dernières années.
Elle commençait à en avoir marre de faire tapisserie lorsqu'un homme grand vint prendre place à ses côtés. Il lui jeta à peine un coup d'oeil avant de regarder de l'autre côté où une autre femme avait pris place peu de temps auparavant. Avec un choc, elle ne put s'empêcher de faire le parallèle entre cette femme et elle. Elle semblait être ici pour la même raison qu'elle. Seule et au bar. Quelques hommes lui jetaient de temps en temps des regards d'envie. Mais c'était aussi son cas. L'autre femme avait juste l'avantage d'être plus jeune de quelques années. L'homme qui s'était assis à côté d'elle engagea alors la conversation avec l'autre qui ne tardât bientôt pas à glousser comme une dinde. Son rire l'exaspérait mais la mortifiait tout à la fois parce qu'elle savait qu'elle aurait eut le même comportement que cette dinde. Elle essaya bien de se dire qu'elle au moins ne portait pas de faux ongles digne de Cruella, mais cela ne l'égaya pas suffisamment et son humeur ne tarda pas à être morose. La conversation des deux personnes à côté d'elle tombait de temps en temps, mais les regards qu'ils se jetaient ne laissait pas de place à l'équivoque. Elle les vit bientôt se lever et se diriger vers la sortie. Un homme vint alors prendre la place du précédent. Mais contrairement à ce dernier, il ne rechigna pas à engager la conversation avec elle.
Tout en parlant avec lui, elle se permit un regard critique sur cet homme de taille moyenne avec un costume qui semblait déjà avoir vécu. Sa chemise n'était pas assortie avec son pantalon. Heureusement qu'il ne portait pas de cravate, sinon elle aurait parié qu'elle aurait été rose. Du plus mauvais effet à son avis. L'homme ne semblait pas très intelligent. Il se contentait d'aborder des sujets vieux comme le monde et sans aucun intérêts pour elle comme pour lui. Il aurait pu être attirant s'il avait su s'arranger correctement et arborer une autre coupe de cheveux. Mais elle ne se sentait pas dans une position acceptable pour lui reprocher de tels détails. Elle ne valait guère mieux en dehors d'un bar.
L'homme finit par lui proposer de sortir prendre l'air. Elle savait alors qu'elle allait lui dire oui et que la nuit se terminerait probablement chez lui. Cependant, le souvenir de la dinde lui revint à la mémoire et l'horrifia quelque peu. Elle était fatiguée de noyer sa solitude avec des inconnus. Elle ne se souvenait que rarement de leurs noms et savaient que c'était pareil pour eux. Elle allait bientôt être trop vieille pour continuer ainsi. Elle en avait eu la preuve ce soir où elle avait été le second choix, celle qui restait pour les perdants. Bientôt elle ne serait même plus ce second choix et passerait alors la soirée à faire tapisserie.
L'homme attendait toujours sa réponse. Elle lui balbutia quelques mots qui devaient ressembler à de piètres excuses. Il eut l'air vexé et un instant elle crut qu'il allait l'entraîner de force. Mais il se contenta de se lever et sans jeter un regard en arrière, plongea dans la foule des danseurs. Elle soupira, paya sa consommation et se dirigea vers la sortie. Il était temps pour elle de rentrer.
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Le taximan eut le mérite, cette fois-ci, de porter toute son attention sur la route, ce qui la dispensa d'un environnement sonore trop bruyant. Mais passer de tant de bruit à un tel silence l'assomma. Aussi rentra-t-elle chez elle dans un état second. Ses oreilles bourdonnaient et ses yeux commençaient à se fermer tout seul. Elle était vraiment trop vieille pour ce genre d'escapades nocturnes.
Elle ne remarqua pas tout de suite l'homme assis devant sa porte. Elle eut un choc en le voyant. Il était tel qu'il était lorsqu'il l'avait quittée pour partir au bout du monde. Grand, blond et mince. Une barbe lui mangeait le visage, mais son allure n'avait pas changé d'un iota. Ses épaules étaient rentrées comme s'il voulait se tailler un cocon à l'abri du monde. Il entendit ses pas et se releva avant d'oser la regarder. Elle était décontenancée. Constatant son air ahuri, il lui sourit gentiment et se pencha vers elle pour lui faire la bise.
Elle aurait voulu se fâcher contre lui. Rentrer chez elle et lui claquez la porte au nez , mais s'en savait incapable. Aussi se contenta-t-elle d'ouvrir sa porte et de l'inviter d'un geste à rentrer. Sans s'occuper plus de lui, elle se dirigea vers la salle de bain et enfila rapidement son pyjama ainsi que sa robe de chambre. Quant elle revint, il était assis sur le canapé et leur avait servi un martini. Elle s'assit en silence et pensa qu'elle aurait bien besoin d'une cigarette. L'appartement en était pourtant dépourvu. Elle avait arrêté il y cinq ans.
L'homme se contenta de lui sourire avant de lever son verre. Elle attendit qu'il prenne la parole. Elle avait toujours engagé leurs conversations, mais ce soir elle était lasse et voulait lui montrer qu'elle était indifférente à sa présence. Il dût s'apercevoir qu'il ne pouvait pas compter sur elle pour débuter la discussion. Cela sembla lui causer quelques embarras, mais bientôt sa voix grave s'éleva dans le salon comme elle le faisait il y de cela cinq ans. Pendant un instant, il lui sembla que rien n'avait changé et que ces cinq années n'avaient jamais existé. Mais cela aurait été bien trop facile.
« Mon père est décédé. »
Elle se contenta de le regarder quelques minutes avant de se rappeler qu'il était d'usage de présenter ses condoléances dans pareils cas.
« Mes condoléances. »
Il sembla à peine remarquer ses paroles.
« Je l'ai vu juste avant que ... Nous avons parlé. »
Cela l'étonna. Elle savait qu'ils n'avaient jamais pu s'entendre et qu'elle était un de leurs sujets de discorde permanents. Pas assez féminine, trop rachitique, pas bonne cuisinière, etc.
« Il m'a dit que cela l'attristait de me voir ainsi.
- Ainsi?
- Oui... Tu sais, sans personne. Il pensait que j'étais malheureux, encore plus qu'avant.
- Avant?
- Qu'avant notre séparation.
- ...
- J'ai rencontré une femme au Congo.
- Vraiment?
- Elle est morte il a y deux ans. En accouchant. L'enfant était mort-né. »
Elle ne put s'empêcher de réprimer un frisson. Même si elle comprenait son envie de parler à quelqu'un, elle ne voyait pas pourquoi il était là.
« Ça fait deux ans maintenant et j'ai fait mon deuil d'elle. Mais...
- Mais...?
- Ce n'est pas facile à dire! »
Il empoigna son paquet de cigarettes et son briquet. C'était celui qu'elle lui avait offert pour ses vingt ans.
« Je veux dire... Tu ne me facilites pas la tâche à me regarder ainsi sans parler. »
Elle prit quelques secondes avant de répondre.
« Tu ne me l'a pas facilitée non plus.
- Écoute, je suis désolé pour ce qui s'est passé il y a cinq ans. Mais...
- Mais tu m'as laissé toute seule. J'ai dû m'occuper de tout. De l'enterrement, des arrangements, des soins de santé. Toute seule! Salop! »
Son éclat de voix l'avait surpris. Il n'y était pas habitué. Elle ne l'avait jamais contredit ni élevé la voix en sa présence. Ils ne s'étaient d'ailleurs jamais disputés. Il dut se rendre compte de sa douleur et reprit d'un ton plus doux.
« Si tu savais combien je m'en suis voulu. J'étais pas prêt à être papa à l'époque.
- Tu crois que je voulais être mère? Tu sais que je n'ai jamais voulu d'enfants. On s'était mis d'accord, pas d'enfants, juste nous deux! »
Le silence s'installa. Elle aurait voulu continuer à le mettre en face de ses torts, mais s'en sentait incapable. A quoi bon se fâcher. Ce qui était fait était fait. Elle ne pouvait rien changer à la situation. Elle était lasse et n'aspirait qu'à une chose, dormir. Profiter du sommeil pour oublier les cinq années cauchemardesques qui venaient de passer. Oublier qu'il était là et qu'il en avait aimé une autre. Oublier sa honte face au comportement qu'elle avait adopté ces derniers temps pour oublier qu'elle était seule et sa douleur.
« Crois-moi, je suis désolé.
- Cela ne suffit pas.... Tu n'aurais pas dû venir. »
Ses paroles semblèrent lui causer un choc. Son visage accusa le coup. Elle ne savait pas pourquoi il était venu. Sa démarche était veine et ne les mènerait nul part. Tout ce qu'ils pouvaient faire, c'était continuer leur chemin séparément.
« Dans ce cas, je vais partir.
- C'est mieux. »
Il se contenta d'hocher de la tête.
« Il faut que tu saches... Je vais reprendre mon ancien poste. »
Elle leva vivement la tête à ses paroles.
« On m'a proposé de rempiler. Nous serons donc amenés à nous croiser. »
Et sans plus rien ajouter, il s'en alla et ferma la porte. Le silence s'installa dans l'appartement tandis qu'elle restait là. Elle passa le reste de la nuit avec un blanc en guise d'esprit. Ses pensées ne pouvaient se fixer et tout se mélangeait: les souvenirs d'un temps heureux et ceux de ces dernières années. Finalement, il ne lui resta plus qu'à pleurer sur tout ce qu'elle avait perdu: lui, leur amour et leur fils décédé à sa naissance. Elle s'endormit sans s'en rendre compte.
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Après cet épisode, elle le rencontra plus souvent qu'elle ne pouvait le supporter. Tout deux essayaient de faire bonne figure devant leur collègues, mais cela leur laissait un goût d'amertume et de regret. Il n'avait plus reparlé de ce qui s'était passé entre eux et les collègues qui n'étaient pas au courant ne se seraient doutés de rien si les autres ne les en avaient pas informé. A chaque fois qu'ils devaient se parler, elle s'efforçait d'être indifférente tout en laissant percer une certaine cordialité. On n'oublie jamais l'homme avec qui on voulait passer toute sa vie. Mais parfois cela ne suffisait pas.
Aussi fut-elle surprise un soir de le trouver encore une fois sur son pallier. Elle rentrait des courses et ses bras étaient encombrés de sacs d'alimentation remplis. Sans ouvrir la bouche, il l'en débarrassa et elle put ouvrir la porte de l'appartement. Comme la dernière fois, il leur servit un verre sans articuler le moindre son. Elle se força à suivre la même ligne de conduite bien que de nombreuses questions affleuraient son esprit. Elle pensait qu'ils étaient parvenus à un accord tacite. Faire comme s'ils étaient de simples collègues qui ne se connaissaient qu'au travail. Mais l'équilibre avait à nouveau été rompu dans leur relation. Par lui, une fois de plus.
Il resta un long moment sans rien dire. Finalement, alors qu'elle commençait à espérer le voir partir comme il était venu, il prit la parole. Juste avant, il avait promené son regard sur l'appartement et sur les nombreux bibelots qu'elle avait chiné de-ci de-là. Peut-être cherchait-il dans ses divers objets la force d'entamer la conversation. Elle savait qu'il avait toujours besoin d'un encouragement pour commencer à parler et si autrefois elle avait été heureuse de le lui donner, il en allait tout autrement désormais.
« J'aimerais que tu m'écoutes sans m'interrompre.
- Vraiment? » Rétorqua-t-elle ironiquement.
« Vraiment! »
Elle se contenta de soupirer mais se promit intérieurement de ne pas obéir à son injonction.
« Quand je suis parti, j'espérais pouvoir me construire ailleurs. Comme je te l'ai dis, je n'étais pas prêt. J'avais peur et ça, je ne voulais pas te le montrer. »
Il lui jeta un regard pour voir si ses paroles faisaient mouche, elle se contenta toutefois de soulever un sourcil de manière sarcastique. Elle était décidé à ne pas se faire avoir. Cet homme l'avait trop fait souffrir pour qu'elle se laisse embobiner par ses beaux discours.
« J'avais peur, mais je ne voulais pas te le montrer... Toi, tu étais tellement forte durant ta grossesse. Tu m'avais toujours dit que ça te foutait les jetons, mais tout se passait bien, j'avais l'impression que...
- Que...?
- Que j'étais inutile. J'avais toujours pensé que je serai un soutien lors de ta grossesse. Que tu aurais besoin de moi pour t'accompagner. Mais ce n'était pas le cas. Les femmes aujourd'hui n'ont plus besoin de nous, n'est-ce pas? »
Elle se contenta une fois encore de soupirer. Elle ne voulait pas entamer un débat sur la condition de la femme dans la société actuelle. C'était une chose qui lui demandait beaucoup trop d'énergie, surtout avec lui.
« Alors tu t'es dit que je m'en sortirais bien toute seule. En fait, tu avais décidé de me quitter bien avant sa mort. Je me trompes? »
Il ne put que baisser les yeux. Face à son assentiment muet elle sentit la rage l'envahir. Une colère froide prenait le dessus et elle ne dut qu'à l'habitude et à son orgueil de conserver un visage froid et surtout une voix qui ne tremblait pas.
« Sors d'ici. Maintenant! »
Il semblait surpris. Mais à quoi donc s'attendait-il? A ce qu'elle se jette dans ses bras en le remerciant d'être venu? Dieu savait qu'elle était tombée bien bas ces dernières années, mais une fierté désespérée la maintenait à flot et l'empêchait de totalement sombrer. Aussi se refusa-t-elle à le voir une minute de plus alors qu'il faisait mine de ne pas comprendre sa réaction.
« J'ai dit: sors!
- Non! Pas avant que tu ne m'aies écouté jusqu'au bout. »
Voilà qui était nouveau. Étaient-ils en train de se disputer? Elle ne l'avait que rarement vu être aussi véhément.
« Et bien, vas-y. Distille ton venin jusqu'au bout! Tu ne m'auras rien épargné. » persifla-t-elle en se levant.
Elle préférait ne plus le regarder, ne plus le voir et faire comme si l'homme qui lui parlait n'était qu'un inconnu déblatérant des phrases sans sens et sans émotion.
« J'aimerais pouvoir effacer mon comportement, mais je ne peux pas revenir en arrière. Tout ce que je peux faire, c'est mieux faire. Si je suis revenu, ce n'est pas seulement pour mon père. »
Le silence seul lui répondit, mais il choisit de poursuivre malgré le mur d'indifférence hostile qui se dressait devant lui.
« Quand ma femme, au Congo, est décédée ainsi que son enfant, j'ai sus qu'on me les avait enlevés pour me faire comprendre quelque chose. Jamais je n'aurais dû partir il y a cinq ans. J'étais un vrai paumé à l'époque. J'avais déjà demandé ma mutation des mois auparavant la naissance, mais je ne pensais pas qu'elle allait s'effectuer aussi vite. J'ai reçu la lettre le jour où tu as été emmenée à l'hôpital. Je suis partis et si le boss ne me l'avait pas dit, je n'aurais jamais su qu'il était mort-né.
Quand l'as-tu appris?
- En septembre. »
Elle ferma les yeux de douleurs. Cela voulait dire qu'il l'avait appris six mois après son accouchement. Elle l'avait détesté pour l'avoir abandonné dans une pareille épreuve. Sa colère à son encontre était ce qui l'avait poussé à continuer. Mais maintenant qu'elle savait, pouvait-elle le haïr? Oui, décida-t-elle. Il n'était pas revenu en apprenant la nouvelle.
« Je m'en suis voulu. Longtemps. Au début parce que je t'avais abandonnée et que tu ne méritais pas ça, même si je savais que tu étais forte. Je ne me suis toujours pas pardonné pour ça. Après je m'en suis voulu parce que je pensais inconsciemment que c'était ma faute s'il était mort. »
Il fut interrompu par un sanglot étouffé. Elle croyait qu'elle ne pleurerait plus jamais cet enfant perdu, mais la vie lui montrait récemment que toutes ses certitudes étaient destinées à voler en éclat.
« Après, j'ai essayé de continuer. Ma femme fut d'abord une simple amie, mais elle aussi elle avait besoin de réconfort. Notre relation était un simple accident. Elle ne m'a jamais d'ailleurs aimé. »
Après s'être tu quelques secondes, il reprit d'un air songeur.
« Moi non plus, je pense. Elle était là et j'étais là. »
Elle s'en fichait. Ce qu'il avait fait ou pas fait n'avait pas d'importance. Ce qui était important c'était qu'il était parti au moment où elle avait le plus besoin de lui. Jamais elle ne pourrait lui pardonner de l'avoir quittée parce que son orgueil d'homme avait été blessé durant sa grossesse. Elle n'avait rien à se reprocher. C'était sa faute s'ils en étaient arrivés là!
« Je voulais revenir. Tu dois me croire! Mais je n'en avais pas le courage. Je voulais pas admettre que j'avais tout faux. Surtout à toi. »
Elle se retourna et le regarda d'un air ahuri. Qu'est-ce qu'il lui racontait encore?
« Toi, t'as toujours eu raison, n'est-ce pas? »
Il était amer maintenant... et blessant aussi, encore plus qu'avant.
« On peut jamais rien te reprocher. T'as toujours été parfaite. Tu fais tout bien et tu sais où tu vas. Moi, j'ai jamais été qu'un paumé qui savait pas quoi faire de sa vie et de ses sentiments. Quand j'ai pris la décision de partir, j'étais fier de moi parce que pour la première fois je faisais ce que j'avais décidé et non pas ce que mon père ou toi aviez décidé à ma place. »
Elle faillit s'approcher de lui pour le gifler, mais après réflexion se ravisa. C'était une mauvaise idée. S'il voulait croire qu'elle était responsable de son départ, grand bien lui fasse. Elle n'allait pas se bagarrer avec lui. Non. Elle était trop lasse pour ça.
« Aujourd'hui aussi, je suis fier de moi. Je suis venu parce que je le voulais. J'ai changé. Je suis plus cet homme paumé que t'avais à charge. »
Il semblait réclamer et attendre son approbation, voire même ses félicitations. Elle ne put s'empêcher de répondre mais en ayant recours à son ironie et son flegme mordant.
« Tu m'en vois ravie. Et en quoi cela me concerne-t-il? Je pensais que nous étions de simples collègues. »
Ses paroles semblèrent le mette en colère. Ses yeux brillaient d'une lueur dangereuse. Ses yeux brillaient toujours quand il essayait de se contenir.
« Je veux pas qu'on soit collègues.
- Non?
- Non. Je veux qu'on soit ensemble. »
Ça y était. Il l'avait dit. Sa bombe était lâchée. Peut-être avait-il passé de nombreuses heures à se demander qu'elle serait sa réaction. Il avait envisagé de nombreux cas de figures: colère, cris, gifle, etc.; mais une fois encore elle le surprit. C'est ce qu'il aimait chez elle lui avait-il souvent répété, sa faculté à le surprendre.
Elle se laissa glisser contre le mur et le fixer avec des larmes plein les yeux. Tandis qu'une fois encore les souvenirs de jours heureux lui revenaient en mémoire, le sentiment amer que lui avait laissé son départ venait en gâcher la saveur. Elle ne savait pas quoi répondre à une telle réplique. Il l'avait rendu heureuse, mais il lui semblait que c'était dans une autre vie et qu'elle était quelqu'un d'autre. La femme qu'elle était à l'époque se serait précitée vers lui et se serait jetée dans ses bras. L'autre femme n'était pas orgueilleuse.
Si elle n'avait pas éprouvé cet orgueil constamment alimenté par de la colère, jamais elle n'aurait pu continuer. Malgré tout, ces cinq années étaient porteuses de sombres moments. Elle avait survécu, pas vécu. Peut-être était-il temps de revivre. De repartir avec lui et de laisser le chemin de l'orgueil libre pour d'autres.
Il la vit lever la tête. Elle pleurait toujours mais de manière silencieuse. La lueur qu'il vit dans son regard lui donna un peu d'espoir. Il lui semblait y voir la femme qu'il connaissait et qu'il aimait.
« Tu passes me prendre à quelle heure?
- Pardon? » Murmura-t-il. Il ne comprenait pas ce qu'elle lui disait et où elle voulait en venir.
Voyant qu'il était perdu par sa réplique qu'elle avait lancé sur un coup de tête, elle se leva et lui sourit de manière indulgente.
« Tu as dit que tu voulais que nous soyons ensemble. Pour être ensemble, il faut flirter, apprendre à se connaître, sortir ensemble. »
Comprenant où elle voulait en venir, il lui sourit joyeusement. Il ne s'était pas senti aussi heureux depuis longtemps. D'ailleurs ce bonheur lui montait à la tête et lui faisait oublier de parler.
« Alors à quelle heure passe-tu me prendre demain?
- Disons 20 heures.
-Bien. Je t'attendrai. »
Et tout fut dit. Il sentit que sa présence n'était plus nécessaire ce soir-là. Il lui sourit une dernière fois, sourire auquel elle répondit, et se dirigea vers la porte. Elle se contenta de le raccompagner silencieusement et de lui murmurer un 'bonne nuit' du bout des lèvres.
Il n'en attendait pas plus, mais ne put s'empêcher de lui voler un bref baiser. Lorsqu'elle se rendit compte de ce qu'il se passait, elle le repoussa énergiquement et claqua rapidement la porte. Il eut peur d'en avoir trop fait et d'être allé trop vite malgré son engouement. Il fut vite contredit par le rire joyeux qui se faisait entendre derrière la porte.
Il était content de l'avoir retrouvée.
FIN