Feuchère représente un Satan bien mélancolique, replié à l’abri de ses ailes, le menton négligemment appuyé sur la main. La statuette illustre avec virtuosité la prédilection des artistes romantiques pour la figure de l’ange déchu, si proche de l’homme par sa faillibilité. Il en vient à symboliser l’artiste lui-même qui, par ses œuvres, défie lui aussi le Créateur.
Un Satan humain et mélancolique
Loin d’être une créature monstrueuse ou repoussante, l Satan e Feuchère a une apparence très humaine, un beau corps musclé et un visage dont la tristesse pensive suscite la pitié plus que la réprobation. Il est assez proche de l’image qu’en donne Delacroix dans un dessin de 1827 Méphistophélès dans les airs Paris, BNF), destiné à illustrer l Faustde Goethe. Assis, enveloppé dans ses ailes, la tête penchée, il appuie son coude gauche sur la cuisse, le menton posé dans la paume de la main, et tient son épée brisée dans la main droite. Sa pose s’inspire sans doute de la célèbre gravure de la Mélancolie de Dürer, dont l’artiste possédait un exemplaire. Feuchère y adjoint un sens décoratif du détail, rivalisan
avec les gargouilles médiévales : front surmonté de cornes, nez crochu, oreilles démesurées, pieds griffus, sorte d’épine dorsale partant du haut de la tête comme chez certains reptiles…
La part maudite de l'Homme
La génération romantique se passionne pour les personnages maudits (Faust, Caïn, Macbeth) et s’intéresse spécialement à la figure du diable, notamment à travers la littérature Le Paradis perdu 1667) de l’anglais John Milton, réédité en français en 1805 et dont Chateaubriand donna une traduction en 1836, semble être ici la principale source du sculpteur. Dans le chant IV, le poète décrit Satan après la chute, ange déchu qui a tout perdu en voulant défier Dieu, en proie au malheur et au doute, il songe avec amertume à sa grandeur passée. L Sata de Feuchère l’illustre parfaitement. Le regard baissé, se rongeant les doigts, plongé dans un abîme de réflexions, il semble se protéger dans ses ailes de chauve-souris repliées. Ses ailes immenses accentuent son isolement. Satan symbolise l’homme failli, plongé par la chute originelle dans le dénuement et la solitude, mais aussi la part d’ombre qui sommeille en chacun de nous. Plus encore, Satan s’apparente à l’artiste lui-même, qui par ses œuvres défie le Créateur, mais connaît en retour le doute perpétuel. À l’instar de l’ange rebelle, les artistes romantiques se sentent comme les parias de la société : leur génie supérieur les isole d’un monde qui ne peut les comprendre. Dans un dessin de 1843, Dante composant l Divine Comédie, Feuchère représente le poète dans une posture très similaire. L’œuvre aura une descendance prestigieuse avec l’Ugolin e Carpeaux (Paris, musée d’Orsay) et l Penseur de Rodin Paris, musée Rodin).
La vogue des petits bronzes
On connaît plusieurs exemplaires d Satan, presque tous datés de 1833 (l’année précédant la présentation de l’œuvre au Salon). Le goût pour les petits bronzes se développe dans les années 1830 et le commerce de statuettes d’édition devient florissant. Feuchère, issu d’une famille de bronziers, n’avait pas le culte de l’œuvre originale et il contribua à la vulgarisation de ses créations. Sculptant beaucoup pour les arts décoratifs, il plaça l’exemplaire du Louvre sur une pendule, créa une paire de vases aux chauves-souris pour l’encadrer, pour former une garniture de cheminée.
http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/satan