Un post par ici, au passage...
J'arrive de nouveau à écrire régulièrement. Pas de longs textes, pas toujours sur le même sujet, mais tous les jours ou presque.
Ce texte-ci a été écrit pour
31_jours, sur le thème d'aujourd'hui - Sacrifice. Les personnages viennent des Briseurs de rêves - la version originale de ma fic Negaeri avec laquelle je me débats depuis des lustres.
Adaptation.
Mirai retira le lait du feu, un sourire au bord des lèvres. Dix minutes plus tôt, Amande avait enfoui sa tête entre ses bras croisés et s’était endormie sur la table de la cuisine. Intrigué par cette jolie demoiselle qui lui chipait son siège attitré, Gargouille avait bravé tous les interdits et lui reniflait maintenant les cheveux avec curiosité. Amande sentait un mélange de vanille et de jasmin ; il ne connaissait que l’odeur des cerisiers, de l’herbe fraîchement coupée, et du parfum hors de prix qu’utilisait Mirai.
Sans bruit, Mirai sortit deux mugs blanc et bleu du vaisselier et prépara deux chocolats chaud - trois cuillères de cacao pour elle, deux pour Amande. Et deux doses de sucre, parce qu’Amande aimait le sucré.
Gargouille lui jeta un regard torve comme elle s’asseyait à son tour, déposant une tasse devant Amande, serrant l’autre entre ses mains gelées. On était en hiver, la cuisine était glaciale. Ça ne gênait pas Amande, emmitouflée dans sa montagne de pulls. Ça ne gênait pas Gargouille qui avait une fourrure épaisse. Mais Mirai n’était vêtue que d’un gilet léger et d’un jean trop vieux pour la saison.
Mirai tendit une main vers Gargouille, ignorant l’inquiétant feulement et la courbe soudaine de son dos, et caressa doucement sa fourrure à peu près grise, tirant de temps en temps sur un nœud pour tenter de le défaire. Il se détendit progressivement et finit par se rouler en boule sous ses doigts, ronronnant comme un bienheureux. Mirai leva les yeux de son chocolat chaud, reporta son attention sur Amande. Elle aurait aimé passer sa main dans ses cheveux, aussi, mais c’était une familiarité qu’elle ne pouvait pas encore se permettre. Ça viendrait. Avec le temps.
Pour quelqu’un qui ne parlait pas trois mots de français six mois plus tôt, Amande se débrouillait admirablement bien. Mirai veillait à ce qu’elle aille jusqu’au village deux fois par semaine, et elle savait qu’on l’y appréciait déjà, avec son parler chaotique mais ses manières impeccables. Et elle progressait vite. Bientôt, elle se débrouillerait seule.
Elle n’avait pas l’air triste. Elle n’avait pas le mal du pays. Mirai s’en était inquiétée, au début, et puis elle avait compris. Amande n’avait rien oublié, rien occulté et rien pardonné. Parfois, c’est plus facile de faire semblant.
Parfois, Mirai aurait aimé pouvoir faire semblant. Faire semblant de ne pas voir les futurs. Faire semblant d’avoir eu une enfance normale. Faire semblant de ne pas aimer Christian, faire semblant de n’avoir pas tué Gideon. Faire semblant qu’Amande l’ait suivi par amitié, et pas parce qu’elle avait été piégée, manipulée, privée de tout son libre-arbitre, par Mirai, le jour où Gideon qui aurait dû être l’amour de sa vie avait été lâchement assassiné, parce que Mirai était lâche, quelque part, et qu’elle n’avait pas la force de continuer seule.
Alors elle avait sacrifié Gideon, pour qu’Amande reste avec elle, pour préserver son futur, le seul auquel elle tenait. Et Amande ne lui en voulait même pas, c’était ça qui faisait le plus mal. Quelquefois, Mirai avait envie de hurler, d’arrêter tout ça, de sortir de la vie d’Amande et de ne plus y revenir, jamais. Mais derrière ses paupières, dans un futur si proche qu’elle pouvait presque le toucher, il y avait le visage de Christian. Elle ne pouvait pas y renoncer.
Tant pis, donc. Tant pis pour Gideon. Tant pis pour Amande. Tant pis pour elle aussi, et pour Christian, tant pis pour toute la souffrance qu’elle allait provoquer. Tant pis pour tout ce qu’ils allaient perdre. Tant pis pour la vie.
Mirai ferma les yeux, se laissa entraîner par un autre temps. Elle pouvait déjà sentir le sang le long de sa gorge, les flammes lui léchant la peau. Elle pouvait déjà la rêver, cette mort qui l’attendait au tournant. Bientôt. Après Christian et à cause de lui. Et parce qu’elle l’avait choisie.