La première faille (2)

Jul 29, 2005 18:51

Titre : La première faille (2)
Auteur : Shinia Marina
Timeline : juin 2002, monde Cinq puis Quatre
POV : Cinq

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Harry se sentit mieux après avoir englouti quelques petits pains au lait et bu le thé que Dumbledore, magnanime et ayant vraisemblablement eu pitié des grognements de son estomac vide, avait fait servir sur la table basse devant la grande cheminée.
Le jeune homme soupira. Sur ses genoux, Fumseck quémandait des miettes et Harry lui en donnait avec un certain amusement. Jamais il n’avait vu le phénix d’aussi près. Les rares fois où il était entré dans le bureau de Dumbledore, à Poudlard, avaient été afin de discuter de ses projets d’orientation ou lors de quelque bêtise particulière, jamais pour une visite de courtoisie et certainement pas pour prendre le thé - bien qu’à l’époque, le professeur Dumbledore semblait vouloir se mettre dans la poche chacun de ses élèves en leur proposant quantité de bonbons au citron. Vaguement curieux, il lança un coup d’œil sur le grand bureau et retint un reniflement moqueur en y constatant la présence d’une bonbonnière emplie… de bonbons au citron.
Dumbledore était peut-être devenu Ministre dans son dos, certaines choses restaient immuables.
- Qu’y a-t-il de si amusant ? demanda le vieil homme avec curiosité.
Il n’avait plus rien de menaçant et Harry se demanda comment il avait pu avoir aussi peur de lui un moment plus tôt.
- Les bonbons, sur votre bureau, indiqua Harry en reprenant un petit pain. Je suis complètement perdu et je ne comprends rien à ce qui se passe autour de moi mais il y a quand même certaines choses qui ne changent pas, c’est plutôt rassurant…
Fumseck leva la tête vers lui avec gourmandise et Harry lui tendit un morceau de son petit pain en souriant. Dumbledore leva le nez vers la grande horloge dépourvue d’aiguilles qui trônait contre le mur d’en face et signala d’un ton neutre :
- Il ne devrait plus tarder, maintenant.
Harry lui lança un regard interrogatif auquel Dumbledore ne répondit pas. Le vieil homme avait envoyé un message à quelqu’un par ce que Harry se rappelait être le système de communication interne du ministère et il espérait juste que ce n’était pas un Auror qui irait le mettre aux arrêts pour avoir eu l’audace de pénétrer de manière si cavalière dans le bureau de l’actuel ministre. Tout ce que Harry aurait à dire pour sa défense serait une histoire abracadabrante de portillon de jardin et de maison disparue, et il avait déjà compris que si Dumbledore semblait avoir décidé de le croire, c’était grâce à Fumseck. Mais un Auror n’accorderait sans doute pas la même confiance au familier du vieil homme.
Il engloutit son petit pain comme s’il risquait d’être le dernier avant longtemps et prit le dernier du panier quand la gargouille de l’entrée annonça :
- Monsieur Harry Potter est arrivé.
- Fais le entrer, je t’en prie, répondit Dumbledore sans que Harry ne l’entende vraiment.
Hein ? Mais, mais je suis là ! Comment je peux être devant la porte si je suis là ?!
Il n’eut pas à attendre longtemps. La porte s’ouvrit et il vit avec une impression désagréable dans la poitrine un autre lui entrer dans la pièce. Il lâcha son petit pain qui n’atteignit pas le sol, Fumseck s’empressant de l’attraper au vol.
- Malédiction… souffla-t-il.
- Mordred !! s’exclama l’autre en sortant sa baguette d’un geste habitué pour le mettre en joue. Albus, qu’est-ce que… !
- Bonjour Harry, assied-toi je t’en prie. Tu prendras bien une tasse de thé ?
Le nouveau venu hésita de longues secondes pendant lesquelles Harry fixa avec une certaine crainte la baguette pointée sur lui.
- Albus, qu’est-ce que ça signifie ? finit par cracher l’autre en baissant - enfin - sa baguette et acceptant de venir s’asseoir sur le dernier fauteuil de libre.
Il resta cependant tendu et sur ses gardes ; s’il avait baissé sa baguette, il ne l’avait pas rangé pour autant. Fumseck sauta sur ses genoux et lui tendit le petit pain qu’il avait récupéré juste avant. Il le prit pour le reposer dans le panier sur la table basse qui se trouvait entre eux.
Harry ne put s’empêcher de le dévisager, la bouche et les yeux grands ouverts. Il avait les mêmes yeux verts, le même visage qu’il voyait tous les matins dans le miroir. Ses cheveux étaient plus courts que les siens, mieux soignés, ses lunettes n’avaient pas tout à fait la même forme et sa tenue ne souffrait d’aucune comparaison avec le jeans sale et le pull détendu qu’il portait.
La robe de sorcier, la chemise qu’on devinait dessous et le pantalon étaient d’excellente facture, pour ne pas dire hors de prix. Si Harry avait les moyens de se procurer de tels vêtements, il n’en avait jamais vu l’utilité profonde. A part pour quelques galas auxquels la famille Potter était régulièrement invitée, les occasions de porter ce genre de chose ne se présentaient guères, et de toute manière il ne s’y serait pas senti à son aise.
Son truc c’était plutôt les pantalons de toile solide sous une paire de guêtres de cuir avec des gants en peau de dragon. Bon, évidemment, avec le travail qu’il avait…
Croisant le regard de l’autre, il se rendit compte que celui-ci le fixait de la même manière que lui - en plus discret. Harry cligna des yeux et l’autre fit de même, comme s’il sortait d’une transe identique.
- Fumseck était sur ses genoux… finit par dire l’autre en passant une main absente sur la tête du phénix.
- Oui en effet, répondit Dumbledore. C’est ce qui m’a fait comprendre que ce n’était pas ce dont ça avait l’air.
- Parce que ça aurait dû avoir l’air de quoi ? demanda Harry en reprenant le petit pain que l’autre avait remis dans le panier pour mordre dedans à pleines dents.
Celui-là allait peut-être bien être le dernier, après tout…
- D’un piège de Voldemort, lança l’autre avec une certaine forme de défi dans la voix tout en plantant ses yeux dans les siens.
- De… Voldemort… répéta Harry avec hésitation. Vous savez, j’ai plus l’âge de croire au croque-mitaine, hein…
L’autre écarquilla les yeux sous une surprise et une incrédulité telles que Harry crut qu’il allait défaillir.
- Un CROQUE-MITAINE ??!! s’exclama-t-il finalement en se redressant sur son siège comme s’il avait été frappé par la foudre.
Fumseck s’envola avec un cri de protestation pour venir s’enrouler à nouveau sur les genoux de Harry, qui s’était plaqué contre le dossier de son siège.
- Harry, allons… je suis sûr qu’il y a une explication très logique à tout cela, intervint Dumbledore.
- Mordred, Albus, vous ne voyez pas qu’il se fiche de nous ? Comment peut-on comparer Voldemort à un croque-mitaine, au nom de Merlin ?!
Dumbledore leva les yeux sur Harry qui, du fond de son fauteuil, essaya de lui faire un petit sourire contrit. Pourquoi ce type s’énervait-il ? Il n’y avait que les gosses de moins de six ans - et encore - pour craindre que Voldemort vienne leur botter le train s’ils ne finissaient pas leur assiette !
- Monsieur Potter, et si vous nous expliquiez qui est Voldemort, pour vous ? Ce qu’il représente, ce qu’il a fait ou n’a pas fait… demanda Dumbledore d’une voix douce.
L’autre laissa échapper un reniflement sarcastique.
Harry ouvrit la bouche avec hésitation.
- Heu… j’ai jamais été très doué en histoire, mais… mes parents m’en ont déjà parlé. Quand ils étaient encore à Poudlard, y’a eu tout un foin avec une espèce d’allumé qui s’était autoproclamé Seigneur des Ténèbres et qui voulait purifier la race Sorcière en éliminant tous les nés de Moldus, enfin, ce genre de conneries, quoi, vous voyez ?
L’autre n’avait pas l’air de voir, non. La lueur d’incrédulité au fond de son regard ne trompait pas vraiment.
- Continuez, intervint Dumbledore. Qu’est-il arrivé ?
- Ben, ça coule de source en fait… comme personne ou presque ne voulait le suivre ou l’écouter, il a essayé d’imposer ses idées par la force. Y’a eu trois ou quatre attentats, je crois, et une dizaine de morts, dont la moitié étaient des Moldus. Il a été arrêté, jugé et envoyé à Azkaban.
- Et il y est encore ? demanda le vieil homme, une lueur amusée dans le regard.
- Ben, non… c’est là qu’est tout le ridicule de la chose… en sortant de la salle d’audience du Magengamot, il s’est empêtré dans ses robes et est tombé dans les escaliers. Il s’est brisé le cou. C’est à pleurer de rire, non ? rajouta-t-il après un petit instant, essayant de paraître drôle.
L’autre lui lança un regard irrité mais consentit finalement à se rasseoir, jetant un regard à Harry qui indiquait que lui, il ne trouvait pas ça drôle.
- Arrête de me regarder comme ça, finit par s’insurger Harry. J’ai rien fait !
- Et il n’a pas de cicatrice, Harry, on peut donc subodorer qu’il ignore tout de notre Lord Voldemort, rajouta le vieil homme.
- Parce que ici, il mérite de titre de Lord, ce truc, en plus ? marmonna Harry tandis que l’autre se tournait vers Dumbledore.
- Vous avez une idée très précise de la situation, Albus, alors j’apprécierais assez que vous me mettiez au parfum.
Dumbledore hocha la tête avec un sourire, Harry se demandant jusqu’à quel point le vieil homme pouvait supporter qu’on s’adresse à lui d’une telle manière.
- Monsieur Potter m’expliquait tout à l’heure son problème. Il semblerait qu’il ait passé une porte…
- Un portillon de jardin, en fait…
- … un portillon de jardin, répéta Dumbledore avec un sourire. Et que sa maison ait ensuite disparu de l’endroit où elle aurait dû se trouver.
- Sa maison ? demanda l’autre en haussant un sourcil légèrement incrédule.
- Godric Hollow, indiqua le vieil homme. C’est bien cela ?
- Oui, oui, fit Harry en hochant la tête.
L’autre tourna la tête vers lui avec une incrédulité non feinte, le fixant avec de grands yeux avant de sembler se reprendre quelque peu.
- Godric Hollow est détruite depuis plus de vingt ans, finit-il par cracher d’une voix qui tremblait un peu et Harry ne manqua pas non plus la crispation de ses mains sur l’accoudoir.
- Vingt ans… murmura-t-il en réponse.
Ça expliquait les ruines qu’il avait trouvées, ça expliquait les herbes folles, ça expliquait les morceaux de tuiles et la présence de l’églantier. Et en même temps, ça n’expliquait rien du tout.
- Je… je ne comprends pas… hier j’étais à la maison avec mes parents et ma sœur et mon chien… et aujourd’hui il n’y a plus rien… murmura-t-il en se ramassant inconsciemment sur lui-même comme s’il recherchait de la chaleur.
Fumseck le regarda d’un air interrogateur avant de frotter sa tête contre sa joue. Harry cligna des yeux et fixa le phénix, interloqué par une telle marque de tendresse.
- Tes parents… répéta l’autre avec une certaine douleur.
Il tourna la tête vers Dumbledore qui lui rendit son regard avant de continuer.
- Il semblerait qu’il ait ensuite cherché à me joindre, ne sachant sans doute pas à qui d’autre s’adresser. Il m’a cherché à Poudlard où on lui a dit qu’il avait plus de chance de me trouver au ministère et quand il est entré ici, et bien, je l’ai pris pour toi, Harry, termina le vieil homme avec un sourire bienveillant.
- Et vous allez me dire que c’est une sorte de clone maléfique, c’est ça ? grinça l’autre.
- Et pourquoi ce serait pas toi le clone maléfique, hein ? répliqua Harry sur le même ton.
Ils échangèrent un regard haineux.
- Je pense, intervint Dumbledore avant qu’ils n’en viennent aux mains, que monsieur Potter est passé à travers une porte qui l’a mené dans notre monde, Harry.
- Je viendrais d’un autre monde ? fit Harry en se pointant du doigt.
- Il viendrait d’un autre monde ? fit l’autre en pointant Harry du doigt.
Nouvel échange de regards haineux.
- Ce serait l’explication la plus logique. Après tout il y a beaucoup de théories sur les mondes alternatifs, bien qu’a priori on ne puisse pas passer de l’un à l’autre d’un simple claquement de doigt, fit Dumbledore en se lissant la barbe du plat de la main, l’air inspiré.
Harry cligna des yeux. Un autre monde… pourquoi pas. Alors ici, Godric Hollow n’existait plus et Voldemort…
- Monsieur Potter ?
- Oui ? s’exclama Harry.
Plongé dans ses pensées, il n’avait pas remarqué immédiatement qu’on s’adressait à lui.
- Puis-je vous demander de raconter votre vie ? Afin que nous puissions comprendre les différences entre nos deux mondes…
- Heu, oui… je vois pas trop quoi vous raconter, ma vie n’a rien d’extraordinaire… commença-t-il.
- Ça me changera, grommela l’autre entre ses dents.
- Je suis né le 31 juillet 1980 à 3h08 du matin, à Godric Hollow. Ma mère s’appelle Lily Potter, née Evans, mon père est James Potter, mon parrain s’appelle Sirius Black et mon meilleur ami Ron Weasley… j’ai une petite sœur de 17 ans, Alexandra, et un chien, Titus. Il doit avoir 5 ou 6 ans… rajouta-t-il des fois que ça leur soit utile.
L’autre le fixait d’un air incrédule.
- Et toutes ces personnes sont vivantes, aujourd’hui ? demanda Dumbledore.
- Bien sûr, répondit Harry avec hésitation.
Ça ne voulait quand même pas dire que…
- Dans ce monde, continua le vieil homme d’une voix douce, James et Lily Potter ont trouvé la mort le 31 octobre 1981 et Godric Hollow a été détruite quelques instants après. Harry est le seul à en avoir réchappé.
Harry avait l’impression qu’on venait de lui donner un coup de poing dans l’estomac.
Papa… Maman… ici, ils étaient morts tous les deux. Alex… Alex ne devait même pas exister ! Et… et Ron ? Et Ginny ? Et Charlie ? Et Sirius, Remus et Peter ? Bon sang, et toutes les personnes qu’il connaissait depuis toujours ou presque, tous ses amis, ses camarades de classes, ses professeurs…
Qu’en était-il d’eux, ici ?
Il n’osait pas poser la question.
Bon sang, il voulait rentrer chez lui !! Il voulait retourner là où il avait sa place, serrer sa mère et son père dans ses bras, taquiner Alex, plaisanter avec Ron et revoir ses dragons. Merlin qu’est-ce qu’il voulait rentrer chez lui ! Peut-être que s’il le désirait avec suffisamment de force, le portillon réapparaîtrait là, juste devant lui, entre la table basse et la cheminée…
Il secoua la tête, complètement perdu. L’autre le fixait avec une expression qu’il n’était pas certain d’être capable de définir.
Alors, lui, il était orphelin…
Ce n’était pas lui. Ils étaient différents. Ce n’était pas son monde, ici, il n’était pas chez lui, et il rentrerait bientôt. Dumbledore aurait sûrement une solution pour faire réapparaître la porte, pas vrai ?
- Monsieur Potter ? Pouvez-vous continuer votre récit ?
Harry releva un regard perdu vers le vieil homme.
- Qu’est-ce que vous voulez savoir ? chuchota-t-il.
- Vous êtes allez à Poudlard je présume ? Dans quelle Maison ?
- Gryffondor.
L’autre s’étouffa mais Harry décida de l’ignorer.
- J’ai été Poursuiveur dans l’équipe de Quidditch à partir de ma deuxième année, trop turbulent pour être Préfet… continua-t-il d’un ton morne.
Il voulait rentrer chez lui.
- Et maintenant ? demanda doucement Dumbledore.
- J’ai suivi une formation de soigneur de dragons à ma sortie de Poudlard et je suis en train de préparer une spécialisation de dressage pour les Magyar à pointe, fit-il avec un demi-sourire.
L’autre cligna les yeux et soupira en se prenant la tête entre les mains.
- Plutôt amusant, commenta Dumbledore, mi-figue, mi-raisin.
- Je déteste les coïncidences, Albus, vous devez commencer à le savoir, grogna l’autre.
- Quel genre de coïncidences ? A moins que je n’ai pas le droit d’être mis au parfum… demanda Harry d’un ton un peu ronchon.
Il commençait à en avoir assez d’être sans cesse tenu à l’écart, de ne pas comprendre leurs sous-entendus, de ne rien comprendre du tout.
- Avez-vous rencontré un Magyar à pointes pendant votre scolarité ? Disons, pendant un Tournoi des Trois Sorciers, par exemple… fit Dumbledore, les yeux pétillants.
- Heu, non. Le Tournoi des Trois Sorciers, c’est ce truc inter-écoles ? Il n’y en a plus depuis… à peu près un siècle, je crois…
- Ben voyons, fit l’autre.
Dumbledore étouffa un petit rire.
- Harry était à Serpentard, à l’école, mais il est amusant de noter que le Choixpeau lui avait aussi proposé Gryffondor… un Tournoi s’est déroulé pendant sa quatrième année, auquel il a participé, et lors de la première tâche, il a dû affronter un Magyar à pointes…
Harry mis de côté le fait que son autre lui avait affronté un Magyar à 14 ans - même s’il faudrait qu’il pense à lui demander comment il s’en était sorti vivant.
- A… Serpentard ? souffla-t-il.
- A… Gryffondor ? reprit l’autre sur le même ton. Excuse moi, mais ça me choque sans doute plus que toi.
- Mon père m’aurait tué, marmonna Harry sans réfléchir.
- Mon père, est mort, répliqua l’autre d’une voix glaciale.
Harry ouvrit la bouche, voulut dire quelque chose, mais ne trouva rien d’intelligent. Il cligna des yeux et se mordit la lèvre, gêné.
- Désolé, finit-il pourtant par dire, parce que c’était sans doute la seule chose qu’il puisse dire.
L’autre renifla d’un air sarcastique.
Dumbledore fit un petit bruit de gorge amusé.
- Allons, allons…
Un lourd silence s’installa et s’étendit en longueur. L’autre fixait obstinément les flammes dans la cheminée tandis que Harry regardait autour de lui d’un air gêné et anxieux. Toujours sur ses genoux, le phénix poussa un petit trille mélodieux et il lui caressa la tête d’un air absent.
Sur un meuble en face de lui, une petite horloge indiquait qu’il serait bientôt midi. Les tableaux sur les murs du grand bureau murmuraient entre eux, trop doucement pour qu’il puisse comprendre quoi que ce soit à leurs paroles.
Il avait l’habitude, bien sûr, de ce genre de bruit de fond - les chuchotis des tableaux, le tic-tac d’une horloge, les craquements du bois dans la cheminée - après tout, il avait grandi entre Poudlard et Godric Hollow. Mais en cet instant, avec en face de lui un Dumbledore qui n’était pas celui qu’il connaissait en train de se caresser distraitement la barbe, l’air profondément plongé dans ses réflexions, et un Harry Potter orphelin et Serpentard refusant obstinément de le regarder, le léger fond sonore du bureau ne le rendait que plus mal à l’aise. Car il donnait à l’ensemble un côté beaucoup plus réel et tangible que ce qu’il aurait dû être.
Le gong d’une horloge les fit presque tous sursauter, bien que le bond de Harry n’ait rien à voir avec le léger haussement de sourcil de Dumbledore, et ce dernier cessa alors de passer et repasser sa main dans sa barbe pour soupirer d’un air las.
- Doux Merlin, j’ai bien peur de devoir écourter cet… entretien, messieurs.
Sous le regard interrogatif que lui adressèrent les deux Harry, il précisa :
- J’ai malheureusement certains engagements, en tant que Ministre, auxquels je ne peux guère échapper. Je suis désolé monsieur Potter, mais vous comprendrez que je ne peux pas vous laisser déambuler dans ce monde à votre guise… le visage de Harry Potter est bien trop connu comme étant celui du Survivant, dont le destin est de vaincre Voldemort.
- Et bla, et bla, et bla… marmonna l’autre en tournant à nouveau la tête afin de fixer le feu.
Harry cligna des yeux. Qu’est-ce que c’était encore que cette histoire de destin ? Ignorant le marmonnement de l’autre, Dumbledore se leva en continuant :
- Je vais devoir vous laisser, le devoir m’appelle. Un elfe de maison va venir pour vous conduire à une chambre. Je vous demanderai d’y rester, monsieur Potter…
- Vous voulez m’enfermer ?
- Vous garder à l’abri du danger, en attendant que l’Ordre décide de ce qu’il adviendra de faire de vous.
- L’Ordre ? Mais…
- Cherche pas, tu ne parviendras pas argumenter sur ce point avec lui… le coupa l’autre.
Harry tourna la tête vers lui, interloqué, mais il fixait toujours les flammes d’un air… las. Il avait apparemment l’habitude de se faire dicter sa conduite par Dumbledore. Mais, Ministre de la Magie ou non, celui-ci voulait visiblement l’enfermer, le priver de toute liberté ! Comment pourrait-il retrouver le portillon et rentrer chez lui s’il restait consigné dans une chambre en attendant que cet Ordre statue sur son sort ?
- On se voit plus tard, monsieur Potter. Harry ? fit Dumbledore en se dirigeant vers la sortie de son bureau.
- Je vais rester encore un peu, marmonna l’autre sans bouger de son siège.
Harry entendit Dumbledore passer la gargouille et donner à celle-ci quelques instructions qu’il ne put entendre. Sans doute de ne pas le laisser sortir d’ici…
Il remua sur son siège, mal à l’aise. Si l’autre n’était pas resté il serait sans doute allé fureter un peu dans le grand bureau - enfin, il n’aurait touché à rien, il tenait à la vie - mais il se demandait ce que son double serpentarien lui voulait. L’autre ne semblant pas se décider à prendre la parole, il finit par demander :
- C’est quoi cette histoire de destin ?
Il sut qu’il avait touché un point sensible en remarquant le petit tic nerveux sur la tempe de l’autre. Il ouvrit la bouche, la referma en soupirant et tourna enfin la tête vers lui pour croiser son regard.
- Il y a une Prophétie, annonça-t-il finalement.
Harry cligna des yeux. Voilà qui n’augurait rien de bon pour la suite.
- Et elle raconte quoi, cette Prophétie ? fit-il d’une voix douce en espérant que l’autre ne se braquerait pas trop.
Il ne répondit rien, se contentant de replonger son regard dans le feu.
Et ben, c’est pas gagné…
- Bon, alors je vais essayer de deviner… ça te concerne sûrement de très près, vu ta tête, et j’imagine que le grand Lord Voldemort a quelque chose à voir avec tout ça aussi… commença-t-il avant d’être coupé dans sa tirade.
- Evite de prononcer son nom en public.
- Hein ?
- Moi j’en n’ai rien à battre, mais les gens le désignent sous le terme de Tu Sais Qui, ou le Seigneur des Ténèbres, ou autres dénominations folkloriques. Apparemment, y’en a qui ont peur de le faire apparaître en prononçant son nom…
- Drôle d’idée… dis ?
- Hmm ?
- Pourquoi t’es resté ici ?
L’autre ne répondit rien, se contenant de le dévisager en silence.
- Je sais pas, finit-il pourtant par murmurer. Sans doute par pur masochisme, rajouta-t-il en se levant pour se diriger vers la sortie du bureau sans se presser et sans se retourner.
- Hein ? fit finalement Harry, mais la gargouille avait déjà refermé la porte.

(à suivre)

one-shot, monde 4

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