[Fic] Bonus : Respire un coup et éteins ce mixer

May 24, 2010 17:46

Écrit le 23 mai 2007 pour Dark Ginger sur le prompt dont la fic tire son titre.
Note : si l'univers avait vraiment été écrit, cette fic aurait été reprise pour en faire un "Voyage" à part entière, autour du n°9...



Parfois, dans la vie, vous regrettez de vous être levé le matin. Moi, je suis plus du genre à regretter être entré dans un certain bar un certain soir. Ça fait des années que je me traîne ce boulet-là, ce « si seulement » intercalé entre eux « je vais le tuer », et ça commence à faire long, comme regret à se trimballer, surtout quand vous commencez à perdre la notion du temps. Être baladé d’un monde à l’autre à tendance à faire ça.
Étrangement, le fait que ce regret risque de disparaître d’ici quelques minutes n’aide pas vraiment à améliorer mon humeur. On pourrait croire, comme ça, vite fait en passant, mais là maintenant tout de suite j’ai comme une terrible pulsion de serrer très fort. Très lentement mais très fort. Ce qu’il y a de bien avec Nathan, c’est que d’une façon ou d’une autre, tout est toujours de sa faute. C’est le genre de partage de responsabilité qui me convient.
Ce qui me convient moins, par contre, c’est d’être coincé dans cette espèce d’usine désertée (vous ne voulez pas savoir comment j’en suis arrivé là ; non, vraiment vous ne voulez pas) sur le point de partir en fumée parce qu’un petit malin a cru bon d’installer une bombe sur le générateur principal. C’est le genre de moment dans la vie où le fait d’être vous-même une centrale énergétique ambulante vous fait vous sentir très con. Rapport à l’ironie de la situation et de votre totale impuissance… Qui a dit qu’on pouvait combattre le feu par le feu ? Une belle connerie !
Bien sûr, je pourrais tout simplement sortir d’ici… Je n’aime pas ça, certes, je manque de pratique en la matière, c’est clair, mais il arrive des moments où vous êtes prêts à envoyer valser ces considérations et couper droit à travers les murs. Sauf que…
« Ash… »
Sauf que Dix-Sept est avec moi et qu’il est hors de question que je laisse le gamin derrière.
« Ta gueule, Dix-Sept. Je veux même pas t’entendre.
- Tu devrais…
- Ta gueule, je t’ai dit ! »
Il se tait, se recroqueville contre son mur. J’arrive même pas à savoir s’il est effrayé, il a l’air plus résigné qu’autre chose. Faudra que j’ai une conversation avec lui ; je sais pas ce qu’il a mais il n’a pas l’air bien en ce moment. Mais pour l’heure, je décide de l’ignorer (oui, je me montre optimiste et fais comme si on allait s’en tirer) et de me concentrer sur le problème immédiat. Le générateur vibre comme une cocotte-minute et je vais vous dire une bonne chose, même sans bombe, je n’aurais pas trouvé ça hautement rassurant. Reste que la charge explosive est ma préoccupation principale. Il faut avoir le sens des priorités dans la vie et avec elle au moins, je sais de combien de temps je dispose avant que ça ne fasse boum !
J’ai vu assez de film pour savoir qu’il faut couper l’un des fils (l’arracher devrait tout aussi bien faire l’affaire, pas vrai ?). La question est : lequel ?
« Pas mal, la déco ! J’aime assez ce que tu as fait de cet endroit mais si je peux me permettre une critique, ça manque un peu de lumière… Tu as pensé à faire poser des fenêtres ? Crois-moi, ça vous change drastiquement une pièce, tu serais surpris ! »
Je ne devrais pas sursauter, vraiment je ne devrais pas. Je devrais m’être fait à cette voix dans mon dos qui surgit toujours de nulle part et aux moments les plus (in)opportuns mais… non. Je me fais avoir à chaque fois.
De l’électricité verte au bout des doigts, je pivote pour lui faire face et le fusille du regard tandis qu’il pointe quelque chose derrière moi.
« C’est normal, la fumée, là ?
- Nathan… Bordel mais où tu étais encore passé ?!
- Aleksei Dimitrïevitch Rothkowitz… tout le monde n’est pas oisif au point de pouvoir s’amuser avec l’architecture intérieure ! » me reproche-t-il sur ce ton paternaliste qui me donne envie d’en finir avec lui une bonne chose pour toutes.
Le hic, bien sûr, c’est qu’il sera toujours notre seule issue de secours et qu’il le sait, le chien.
« Tout peut exploser d’une minute à l’autre, Nathan, il faudrait qu’on sorte d’ici rapidement, s’il te plaît. »
Dix-Sept arrive à rester calme avec Nathan. C’est un art que je n’ai pas encore maîtrisé. À moins, comme je le disais plus tôt, qu’il ne se soit résigné. La différence entre nous deux c’est qu’à part la vie, il n’a rien à perdre : il a déjà obtenu ce qu’il voulait, partir, alors que je cherche toujours à rentrer.
« Ouais, faut qu’on se casse et vite fait alors fais-nous ton truc, là, et taillons-nous ! »
Nathan se tapote la bouche de l’index d’un air absorbé.
« On est un peu à l’étroit, ici, il nous faudrait plus d’espace. »
Ou peut-être que Dix-Sept n’est pas si résigné que ça si j’en croit l’inspiration paniquée qu’il vient de prendre.
« Tu ne peux pas nous faire partir à partir d’ici ?
- Le Cercle demande Espace et Inspiration. Allons ailleurs !
- On est coincés ici, Nathan ! »
Il se retourne sur moi avec une expression horrifiée qui sonne faux.
« Tu veux dire qu’on ne peut pas sortir ? »
Retenez-moi…
« Même si on pouvait, on aurait jamais le temps de le faire avant que la bombe n’explose. »
Merci, Dix-Sept.
« Oh… c’est embêtant, commente Nathan après un coup d’œil circonspect au générateur.
- Non, tu crois ?
- Calme-toi, Alexei ! Respire un bon coup et éteins-le, ton mixer ! »
Je l’attrape par le col de son stupide t-shirt. Aujourd’hui, l’inscription dit : « Born to be ME! »
« Et comment je désamorce la bombe, petit génie ?
- Coupe le fil bleu ! fait-il avec un haussement d’épaule. Tu ne sais pas encore que ce n’est jamais le rouge ?
- C’est pas le moment de jouer au plus malin ! Si tu te plantes…
- Mais détends-toi ! C’est pas possible d’être stressé comme ça ! » s’exclame-t-il, avant d’agiter l’index en ma direction et de diagnostiquer : « Toi, tu aurais besoin de prendre des vacances ! »
Ne-pas-le-faire-frire. J’ai encore besoin de lui. Si je me le répète assez longtemps, peut-être que j’arriverai à me convaincre que ça vaut le coup de le supporter.
« C’est facile pour toi de dire ça, tu n’as pas besoin de Cercle pour Traverser. »
Il adresse à Dix-Sept un large sourire sirupeux. Je maîtrise avec difficulté la pulsion de le lui faire ravaler. La bombe doit passer en premier.
« Je te jure que si c’est pas le bleu… »
Une dernière pensée pour Nadja et j’arrache le fil d’un coup sec. Le décompte s’arrête aussitôt.
Soulagement intense (ça vous étonne ?).
Après un moment, le temps de se remettre, je présume, Dix-Sept demande par-dessus mon épaule : « Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?
- On traîne pas dans les parages. Je sais pas combien de temps ce truc va encore tenir avant que la pression ne fasse tout exploser. On va trouver un moyen de sortir tous les deux. »
Il a un rapide sourire mélancolique. Il va vraiment falloir qu’on parle… dès que Nathan se sera de nouveau volatilisé.
« Bon, on y va ? » lance-t-il d’ailleurs sur un ton guilleret.
J’aimerais pouvoir me foutre de tout comme lui…
Je passe mon bras autour des épaules de Dix-Sept et l’entraîne à ma suite.
« Allez, viens, traînons pas ici. »

Nathan marche le nez en l’air dans les couloirs. Dix-Sept et moi nous contentons de tracer droit vers le hall d’entrée.
« Je déteste les ères industrielles », déclare soudain Nathan, comme si ça pouvait nous intéresser. « Toutes ces fumées noires crachées dans le ciel, c’est irrespirable, sans parler du manque d’esthétisme ! Pas étonnant qu’ils n’aient pas plus de fenêtres !
- Pourquoi tu nous as emmenés là, alors ? » maugréé-je, mais mes protestations sont coupées par un petit cri adorateur.
Nathan vient de tomber en pamoison devant un mur. Je n’exagère pas, il le fixe comme s’il était un dieu descendu sur terre ou un idole devant sa groupie. Encore un peu et il va se mettre à sautiller.
« Il est parfait ! Parfait ! »
Il pose les deux mains dessus et le Cercle apparaît. J’en reste comme deux ronds de flan. Même Dix-Sept s’intéresse au phénomène. Jusqu’à présent, Nathan l’avait toujours matérialisé à ses pieds, avec lui au centre.
« On peut Traverser verticalement ?
- Que tu penses étriqué ! Sors de ta boîte ! Si la gravité était dans l’autre sens, ce serai ça le plancher, non ?
- … Peu importe, on s’en fout ! Cassons-nous, j’en ai ma claque de ce monde ! »
Je prends Dix-Sept par la taille et le serre contre moi, m’accroche fermement à lui par son pantalon tandis qu’il se saisit de mon bras. J’ai toujours peur de le perdre en cours de route.
Nous plaçons nos mains libre sur le mur. Nathan prend alors sa voix d’opérateur aérien (ou de chef de gare).
« Au revoir, cheminées dressées dans le ciel, nuages de fumée et étouffante pollution ! Adieu, vacarme incessant et absence dramatique de bons jeux vidéos ! … »
L’habituelle impression de perdre… euh… pied.
« … Bonjour plage de sable fin, soleil radieux et mer à trente degrés ! Vous aviez demandé des vacances ? Compagnie Immrama à votre service ! »
Nous nous écrasons par terre. Seul Nathan atterrit debout. De toute évidence, la gravité fait du favoritisme. J’aide Dix-Sept à se relever (je lui suis un peu tombé dessus) et regarde autour de moi. La description des lieux n’était pas de la publicité mensongère, on se croirait sur une carte postale. Nous nous trouvons au sommet d’une colline, je crois, en tout cas au point culminant des environs. On n’est pas là depuis cinq minutes et le soleil, haut dans le ciel, cogne déjà dur ; Dix-Sept risque de souffrir dans cet environnement.
Nous surplombons une végétation luxuriante, bordée bien plus bas d’une plage gigantesque de sable blanc. Au-delà, la mer à l’infini, turquoise et transparente. Le tout paraîtrait paradisiaque si ce n’était pour l’absence inquiétante de la moindre trace de civilisation. Je n’ai pas l’âme d’un Robinson, Dix-Sept n’a rien d’un Vendredi et j’ai de toute façon toujours détesté le principe des îles désertes. Je pose ma sempiternelle question, où est-on ?, qui veut en réalité dire qu’est-ce qu’on fait là ?, mais une fois encore…
« Putain, Nathan, non ! Reviens ici tout de site ! Tu ne nous plantes pas là pendant je sais pas combien de temps ! Nathan ! Nathan !! »

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