Chapitre 7 : Le mariage
Relecture et correction : Anry
4808 mots
R (nudité, relation sexuelle)
Illustration pour le chapitreChronologie : An 512 de la Cité, Automne.
Les mariages en bonne et due forme sont rares à la Cité. Les couples se font et se défont au gré des envies et des passions, et l'infidélité est souvent tacite. Les enfants sont en général élevés par leur mère et son compagnon, qu'il soit ou non leur père. Il n'est pas rare non plus que le père élève aussi une partie de sa progéniture. Le système des quartiers dans la Cité a de toute façon tendance à regrouper les enfants pour leur assurer une éducation commune. Ainsi, je ne serais pas étonné d'apprendre que c'est Mara qui a véritablement éduqué toute la smala de la partie de la Cité où se trouvait ma chambre.
Mais un mariage, c'est se jurer la fidélité et l'exclusivité au sein du couple devant les Dieux. C'est s'interdire l'opportunité d'aller voir ailleurs si l'occasion s'en présente. Il y a bien sûr des couples, non mariés, qui restent fidèles l'un à l'autre pendant des décennies. Le mariage en tant que tel, en tant que cérémonie, reste peu courant sur le territoire de la Cité. Une telle chose peut surprendre : je sais que dans toutes les communautés, toutes les civilisations que j'ai pu visiter, le mariage est la norme et l'infidélité ne l'est pas. Mais la Cité s'est construite sous la régence du Père, qui remplace dans le cœur des habitants les divinités couramment priées sur ce monde.
Le Père n'encourage pas cette pratique, mais il ne peut guère la juguler. Comment les simples mortels sont-ils censés réagir quand un immense dragon veille sur eux ? Quand il élève à l'immortalité un certain nombre de leurs enfants, quand il contrôle la terre et la roche sous ses griffes et leur assure une Cité stable et en extension constante ? En y réfléchissant, je suis même surpris qu'il n'y ait aucun culte du Père qui se soit développé au fil des siècles. Ceci dit, les Immortels y veillent et la vénération de la Mère et de Lug est encouragée, bien que ce soit avec moins d'assiduité que dans le reste du monde et avec un point de vue assez particulier.
La Cité est avant tout une communauté, même si elle est maintenant si étendue qu'on ne peut plus assurer que ses habitants se connaissent tous. Les conditions de vie dans ces montagnes situées loin au nord ont obligé les premiers citéens à tout partager. Et comme le Père se contrefichait de l'adultère, de la fidélité et des pratiques homosexuelles - contrairement aux autres régions du monde où les religions basées sur l'adoration de la Mère ou de Lug régissent ce genre de choses - il en résulte que la notion de « couple » a finit par devenir franchement vague et soumise à interprétation à la Cité.
Les pratiques sexuelles des citéens ont plus d'une fois, d'ailleurs, provoqué l'incompréhension, voire l'hostilité, de visiteurs étrangers.
Quand j'ai demandé Louvian en mariage, je l'avoue, c'était tout d'abord une façon de parler, venant du fait que j'ai passé plus de temps dans le reste du monde que dans la Cité. Mais elle m'a pris au mot et, tout à fait honnêtement, je n'ai rien contre. Jurer devant les Dieux et le Père de rester avec elle, de la chérir jusqu'à la mort et de ne pas partager le lit de qui que ce soit d'autre de son vivant m'empêchera de prendre mes jambes à mon cou à la première difficulté ou au premier doute.
Et, alors que je devrais avoir la sensation d'être emprisonné par cette décision, alors que le loup solitaire que je suis devrait se hérisser à l'idée de porter le collier de la domestication, c'est avec une sorte d'exaltation que je regarde la prêtresse de la Mère et le prêtre de Lug lier ma main droite à la main gauche de Louvian. Ses doigts entrelacés aux miens tremblent. Je les serre, essayant de me montrer rassurant, caresse le dos de sa main de mon pouce.
Mais ce n'est pas de l'appréhension de sa part : c'est la première neige de l'automne et nous sommes nus, nus devant la Cité, nus devant le monde, jetés en pâture aux éléments comme la première femme et le premier homme devaient l'être. Le prêtre tient un ciboire d'encens dont je sens la chaleur sur ma peau frissonnante. La prêtresse psalmodie sa prière à la Mère, mais je ne l'écoute pas. Je ne l'écoute plus. La neige étouffe tous les sons, nous isole dans son manteau glacial. Un violent frisson me traverse, tente de réveiller quelque peu mon corps qui s'engourdit. Je ne sens plus que la main de Louvian dans la mienne, son bras contre le mien, la cordelette rouge qui nous rattache l'un à l'autre. Son odeur et sa chaleur font comme un halo tout près de moi, si proche et pourtant si inaccessible. Je tourne légèrement la tête vers elle ; tel un reflet dans le miroir, elle fait de même au même moment. Nos regards se croisent, un très court instant.
La prêtresse a terminé. Le prêtre s'avance, accompagné d'un aide qui porte un plateau avec les deux anneaux et les poinçons.
« C'est à présent le dernier moment pour reculer. Renoncez-vous ? »
Les paroles sont rituelles. Lou et moi ouvrons la bouche en même temps pour répondre :
« Je suis nu devant les Dieux et je n'ai qu'une parole : je ne reculerai pas. »
Sa voix tremble de froid et je ne vaux guère mieux.
« À genoux, enfants. »
Alors que je m'exécute, je sens le regard circonspect du prêtre sur moi. Il ne doit pas avoir tous les jours l'occasion d'appeler « enfant » un Immortel qui a dix fois son âge. Nos genoux entrent en contact avec la dalle glaciale et j'entends Louvian étouffer ses claquements de dents. Sa main serre la mienne si fort que je crains que nos doigts ne se brisent. Le prêtre vient se placer derrière moi et la prêtresse derrière Louvian. Chacun tient un poinçon et l'anneau dans les mains.
Dans un parfait ensemble et d'un geste précis malgré le froid, ils percent nos oreilles et fixent nos anneaux. L'oreille droite pour moi, la gauche pour Lou - la droite est le côté de la masculinité, la gauche celui de la féminité, et je me rends compte que j'ignore qui a instauré cette règle. Louvian tressaille ; l'anneau est placé sur le haut de l'oreille et le perçage du cartilage par le poinçon est plutôt douloureux.
Nous nous relevons, frissonnants. Le froid m'anesthésie l'oreille mais ne m'empêche pas de sentir les quelques gouttes de sang qui tombent sur mon épaule ; sur le sol, trois petites gouttes ont creusé la neige.
Enfin, Louvian et moi nous tournons l'un vers l'autre. Malgré la neige elle n'a pas resserré ses bras contre elle, mais elle ne peut s'empêcher de serrer les jambes et de trembler. Ses seins pointent vers moi, leurs aréoles presque bleues de froid, et il me prend l'envie violente de les dévorer pour les réchauffer. Je déglutis et cherche son regard pour m'arracher à leur contemplation.
Yeux dans les yeux, il nous reste la dernière ligne droite avant de pouvoir rentrer nous mettre au chaud.
« Par Lug et par la Mère, lumière source de vie et humus nourricier, commençons-nous ensemble.
- Je suis ton soleil, je continue, seul.
- Et je suis ta lune, me répond Louvian.
- Je suis homme.
- Je suis femme.
- Nu devant les Dieux de ce monde et sous le regard du Père, je jure de t'aimer et te chérir sans conditions et sans détourner mes yeux de toi jusqu'à ce que la terre mère te rappelle à elle.
- Nue devant les Dieux de ce monde et sous le regard du Père, je jure de t'aimer et te chérir sans conditions et sans détourner mes yeux de toi jusqu'à ce que les flammes de Lug te rappellent à elles.
- Nu devant le monde, moi, Tugdual, fils du Père de la Cité, je m'offre à toi.
- Nue devant le monde, moi, Louvian, fille de Délias et de Coret, je m'offre à toi. »
Puis, le temps d'une respiration, sans nous quitter un seul instant des yeux, nous poursuivons en cœur :
« Que les Dieux en soient les témoins, j'accepte le cadeau que tu me fais et promets de t'aimer autant que tu m'aimeras. »
Lou a les yeux brillants et je sens les miens être envahis par des larmes poisseuses de sang. Malgré le froid, malgré la neige qui commence à nous envelopper dans un manteau glacial, nous restons là, immobiles et les yeux dans les yeux. Une voix rauque finit pourtant par nous sortir de notre contemplation :
« Et si on rentrait tous se mettre au chaud, dites ? » nous lance la prêtresse en frottant ses mains parcheminées l'une contre l'autre.
oOoOo
Il fait une chaleur incroyable dans les salles, en contraste avec l'extérieur. On nous recouvre de couvertures bienvenues et je serre Louvian contre moi, frottant ma main libre dans son dos pour tenter de la réchauffer. Je suis aussi gelé qu'elle, mais pour moi ça ne prêtera pas à conséquence ; je verrais par contre d'un assez mauvais œil qu'elle doive terminer la journée avec une pneumonie.
Sonnés autant l'un que l'autre par la chaleur, les odeurs et cette masse humaine venue nous acclamer et nous féliciter, nous nous laissons entraîner jusque devant une gigantesque cheminée. C'est avec gratitude que je me laisse glisser devant le feu, sur le banc recouvert de fourrure installé là à notre intention. Je vois Mara se frayer un chemin et nous glisser d'autorité un verre au contenu fumant entre les mains.
« Buvez ! » ordonne-t-elle avec l'air qu'elle prend pour se faire obéir de son fils Merick.
Lou et moi échangeons un regard complice en nous exécutant. La mixture est chaude et épicée, légèrement alcoolisée, et sa chaleur se répand rapidement le long de mon œsophage jusqu'à mon estomac. Je pousse un soupir de contentement en rendant le gobelet à Mara.
« Merci. J'ai bien cru me transformer en glaçon.
- Si se marier est une telle épreuve, je crois que je commence à comprendre pourquoi ça se pratique aussi peu, fait remarquer Naréda qui vient d'autorité s'asseoir sur la fourrure près de nous.
- Il faisait beau hier, lance Lou en resserrant le pan de la couverture sur elle ; le magicien la dévore des yeux sans chercher à se dissimuler.
- Mais c'est aujourd'hui que vous vous êtes retrouvés à poils dehors pour échanger des serments.
- Naréda, je finis par lancer en tentant de rester sérieux - après tout, cela fait aussi partie du jeu - arrête de te rincer l’œil.
- C'est qu'il mordrait, hein ? fait-il avec un clin d’œil à l'adresse de Lou. Ah la la, quel dommage... »
Croisant mon regard, il n'en rajoute pas. Je n'ignore pas que lui et Louvian ont eu une aventure - ou plutôt plusieurs aventures - il y a quelques années, pendant leur adolescence. Je me découvre une certaine possessivité dont j'ignorais l'existence jusqu'à maintenant. Le magicien lève les mains en signe de rémission avec un sourire au coin des lèvres, avant de se lever d'un bond. Je le vois filer du coin de l’œil en direction du coin de la salle transformée pour l'occasion en cuisine ; une pièce de viande est en train de cuire à la broche dans une cheminée. Je pensais que ce serait un mouton ou un cochon, mais je crois que c'est carrément un bœuf entier... J'aperçois Yamina dans la foule, mais elle disparaît avant que j'ai eu le temps d'attirer son attention pour lui demander. Devant nous présenter à jeun pour la cérémonie, Louvian et moi n'avons rien avalé depuis la veille et je suis affamé.
La chaleur m'assomme, cependant, et je pousse un soupir en m'appuyant un peu contre Louvian. Elle redresse légèrement la tête pour croiser mon regard, un petit sourire au coin des lèvres.
« Jaloux ? articule-t-elle à voix basse.
- Chut », je rétorque, d'un air faussement grognon.
Ce disant, je fais mine de remettre en place la couverture qui lui couvre les genoux de ma main libre. Nous sommes toujours aussi nus et s'il ne faisait pas aussi froid nous n'aurions même pas ces couvertures sur le dos pour tenter de nous dissimuler derrière.
Deux mains se posent sur les épaules de Louvian et viennent passer dans ses cheveux.
« Ma petite fille », souffle Délias avec un sourire où perce la fierté maternelle.
Lou s'appuie en arrière vers elle, tandis que sa mère penche la tête pour voir l'anneau à son oreille. Je suis son regard : l'anneau est plat et assez large, gravé des symboles d'amour et de fidélité. C'est un alliage à base d'argent, mais renforcé d'un métal plus rare pour lui donner plus de dureté. Le mien est normalement identique à celui de Lou. De ma main libre, je viens tâter mon oreille ; le lobe est encore un peu sensible et la sensation du métal froid m'est inhabituelle, mais ça ne saigne déjà plus. Je le fais tourner un peu en grimaçant ; je ne tiens pas à ce que mon oreille cicatrise autour et le bloque complètement.
« Ça te fait encore mal ? demande Lou en me voyant faire.
- Seulement si j'y touche... je cicatrise trop vite pour ce genre de truc.
- De truc...
- Je n'ai jamais porté d'anneau ou de boucle d'oreille avant, je souris en posant ma main sur ma joue.
- À ton âge, je ne sais pas si je dois trouver ça inquiétant ou non, sourit-elle.
- Quoi qu'il en soit, intervient Délias. Si tu rends ma fille malheureuse de quelque manière que ce soit, l'Immortel, tu auras affaire à moi. »
C'est la première fois que la mère de Louvian ose me regarder dans les yeux et me parler en face. Les quelques fois où je l'ai rencontrée perdurait une certaine gêne : le petit ami ne lui posait pas de problème, mais mon statut d'Immortel aurait dû me rendre inaccessible à ses yeux. Elle vient d'une famille nomade et n'a pas grandi à la Cité : pour elle, le Père et les Immortels sont longtemps restés des personnages plus imaginaires et proches du divin que de véritables créatures de chair et d'os.
« Je m'en souviendrai, je souris en retour. De toute façon, je crois Louvian capable de m'arracher bras et jambes si j'ai le malheur de faire un pas du mauvais côté du chemin.
- Et je l'aiderai. »
Je tourne la tête pour croiser le regard de Donovan. Il a l'air le plus sérieux du monde, mais ses yeux brillent de son humour bien particulier.
« L'aider à quoi ? demande Yamina en apparaissant à côté de moi.
- À me découper en morceaux, si j'ai bien compris. Si on en arrive là, ce sera peut-être plus simple de trouver un dragon pour faire le travail à votre place, d'ailleurs. »
Des rires s'élèvent à ma proposition, mais je n'arrive qu'à sourire. J'ai beau essayer d'en rire, les souvenirs de cette période où je n'avais plus ni bras ni jambes et où la douleur de mon corps torturé me rendait fou sont encore trop vivaces et trop réels. La main de Louvian serre la mienne et nous échangeons un regard. Elle sait à quel point le souvenir de mes blessures me tourmente encore. Délias s'est écartée : il y a trop d'Immortels à son goût réunis au même endroit. Cependant, le jeune frère de Louvian est assis à ses pieds et participe volontiers à la discussion. Je n'ai pas vu l'adolescent arriver, et il m'adresse un grand sourire quand nos regards se croisent.
Naréda attire soudain l'attention de toute la salle sur lui de quelques sorts pétaradants. Je m'attends à moitié à ce qu'il fasse un discours, mais il se contente de peu :
« Chers amis, quand on voit le genre d'épreuve qu'il faut traverser - écouter un prêtre et une prêtresse, se balader les parties à l'air dans la neige, et finir à poil devant tous ses amis avec un trou dans l'oreille - on comprend pourquoi il n'y a pas beaucoup de mariages à la Cité. Mais comme toutes les occasions sont bonnes pour faire la fête, et que la viande est cuite à point, je ne vais pas bavasser plus longtemps. Tugdual, Louvian, il serait déplacé de ma part de vous souhaiter une longue vie pleine de marmots, mais de toute façon le bonheur se fiche des années qui passent ou ne passent pas, et profiter du moment présent est une formule qui a fait ses preuves. »
Il s'incline sous les rires et les applaudissements, puis se redresse et se tourne vers l'immense bœuf rôti que Roch, aidé de deux mortels bâtis à son image, amène au centre de la salle.
« Sur ce, je n'ai qu'une chose à vous souhaiter dans l'immédiat : bon appétit ! »
oOoOo
Réussir à s'enfuir après le repas fait partie du jeu d'une telle fête. Pourtant, Louvian et moi n'avons guère eu de mal à nous éclipser. Une fois Donovan retourné au chevet de ses patients - il ne les quitte jamais bien longtemps - et surtout Naréda parti - il n'en a rien dit, mais je le soupçonne de ne pas très bien supporter d'être éloigné du Père - l'entreprise s'est avérée plus facile que je ne l'aurais cru. Yamina et Berik, loin de nous mettre des bâtons dans les roues, nous ont aidé en détournant l'attention et en lançant sans cesse de nouveaux sujets de conversations auxquels nous n'avons pas pris part.
Les deux pièces de notre nouvel appartement ont chacune deux fois la surface de la petite chambre dans laquelle je dormais jusqu'à maintenant. Un feu est mourant dans l'unique cheminée, placée de telle manière qu'elle chauffe autant la chambre que l'autre pièce, dont nous ferons probablement un salon. Elle est vide pour le moment, et c'est d'un pas décidé que j'entraîne Louvian dans la chambre, laissant glisser la couverture qui nous recouvrait vers le sol.
Elle se laisse repousser sur le lit et je suis son mouvement, toujours entravé par la cordelette reliant nos mains, jusqu'à rencontrer ses lèvres. Je me suis rarement montré aussi enthousiaste dans un baiser, glissant ma langue à la rencontre de la sienne, et goûtant ses lèvres qui ont gardé le goût salé de la viande cuite à point. Après un instant de surprise, elle répond avec avidité et sa main libre vient agripper ma nuque. Elle m'attire vers elle, écartant les cuisses pour que je puisse venir m'y installer. Son bassin monte à la rencontre du mien.
« Viens, souffle-t-elle sur mes lèvres d'une voix rauque.
- Attends, je parviens à marmonner. Tout à l'heure, je crevais d'envie de faire ça. »
Et, avant qu'elle ne puisse protester, je me penche vers sa poitrine et happe un de ses mamelons des lèvres et de la langue. Elle étouffe un gémissement tandis que je le suce avec avidité.
« Il faisait si froid qu'ils étaient tout bleus !
- Son petit frère est jaloux », se contente-t-elle de me faire remarquer.
En riant, je m'attaque au deuxième mamelon, laissant ma main sur le premier. Louvian se laisse aller en arrière en soupirant et profite de la caresse quelques instants, mais elle reprend bien vite son idée première. Elle noue ses jambes à ma taille et je sens sa toison pubienne venir chatouiller mon ventre, réveillant le désir qui me tord les reins.
Heureusement qu'on nous a laissé le temps de nous réchauffer, je songe en me reculant légèrement. S'il avait fallu que je l'honore immédiatement après la cérémonie, le froid glacial qui régnait dehors m'avait si bien gelé l'entrejambe que je n'aurais pas été capable de grand chose.
Brûlante est le seul mot qui me vient à l'esprit lorsque je la pénètre. L'idée me vient qu'un brasier doit brûler dans ses entrailles et que mes va-et-vient ne font que l'alimenter. Notre désir est violent et ni l'un ni l'autre n'avons envie de laisser durer. La seule chose qui nous intéresse, pour le moment, c'est la libération. Je fais tout de même un peu attention : si j'éjacule alors qu'elle n'a pas encore joui, elle serait bien capable de me faire regretter cette frustration.
Lou amorce un mouvement pour glisser une main entre nous afin de se caresser en rythme, et grogne quand elle se souvient qu'elle ne peut pas utiliser sa main gauche comme d'habitude. Je souris d'un air goguenard sans pour autant m'arrêter quand elle doit utiliser sa main droite. Elle donne un coup de rein dans ma direction en signe d'avertissement et, ne voulant pas prendre le risque de casser le rythme, j'enterre les hostilités en l'embrassant. Je laisse ensuite mon visage se glisser dans son cou et, quand je sens qu'elle arrive au point de rupture, j'attrape le lobe de son oreille entre mes lèvres, zone que je sais être particulièrement sensible chez elle.
Un gémissement s'échappe de ses lèvres et je la sens se resserrer autour de moi. Ses dents mordent mon épaule tandis que j'accélère le rythme de mes coups de rein. Il ne m'en faut pas plus pour la suivre dans la jouissance et je finis par m'écrouler, l'enfonçant sous mon poids dans le matelas.
Nous reprenons notre souffle tant bien que mal. J'ai le nez dans son cou et son odeur m'enivre. Je laisse courir mes lèvres et le bout de ma langue sur sa peau, mais me recule quand me vient soudain le désir d'y mettre les dents. Je me recule en soupirant et plonge le nez dans la peau laineuse de mouton qui recouvre le lit. Elle bouge un peu le bassin, comme pour reprendre le va et vient, mais cela a pour seule conséquence de me faire glisser en dehors d'elle. Louvian grommelle pour la forme et s'attelle à la tâche de retirer la cordelette de nos deux mains encore liées.
« Qu'est-ce que tu fabriques ?
- J'ai besoin de mes deux mains.
- Pour ? »
Elle ne dit rien et, une fois libérée, me repousse sur le lit pour venir se placer au-dessus de moi. Elle se penche pour m'embrasser mais délaisse bien vite mes lèvres pour déposer un chemin de baisers le long de ma gorge et de ma poitrine, puis se laisse glisser jusqu'à mon aine, ses cheveux me chatouillant le ventre. Je pousse un soupir en laissant ma tête retomber en arrière quand sa langue passe sur le bout de mon sexe. Je me sens réagir à ses caresses et prends le temps de profiter de la sensation de ses lèvres sur moi.
Je repars assez vite, plus vite qu'avant ma régénération, mais en contrepartie je dure moins longtemps. J'ai même eu une période au tout début de notre relation où, tel un adolescent incapable de se contrôler, j'éjaculais précocement sans aucun moyen de me retenir, à la moindre caresse. Nous avions choisi d'en rire, mais ça n'en était pas moins frustrant. Heureusement, ça n'avait pas duré très longtemps.
Sous ses caresses, je suis bientôt à nouveau suffisamment en forme pour remettre ça, mais Louvian vient s'allonger tout contre moi en soupirant, l'air un peu las.
« Déjà fatiguée ? je demande en souriant tout en laissant courir mes doigts vers son entrejambe à nouveau à portée de mes mains.
- Je me... posais une question.
- Oui ?
- Tu ne m'as jamais bu, pas vrai ? »
Je ne réponds pas immédiatement. Je devine ce qu'elle veut me demander et je ne sais pas comment est-ce qu'elle prendra ma réponse.
« Non, en effet, je finis toutefois par répondre.
- J'aimerais que tu me boives. J'aimerais que tu ne boives que moi. »
Ces paroles, ajoutées à l'intensité du regard qu'elle me lance, engendrent une pression dans mon bas-ventre difficile à ignorer. Je déglutis et, la bouche sèche, finis par réussir à répondre :
« Si je te bois, je ne pourrais pas me retenir. Je te lierai à moi. »
Sa main se lève vers son oreille, puis vient frôler la mienne, juste là où se trouvent nos anneaux.
« Nous le sommes déjà, non ? »
Elle a raison.
Évidemment qu'elle a raison.
Et si je ne suis pas capable de comprendre ça, je ne vaux pas mieux qu'un idiot. Les serments échangés, la cordelette rouge autour de nos mains, les deux anneaux, tout cela n'a aucune valeur si je n'accomplis pas la dernière étape de ce que peut être un mariage entre un Immortel et une mortelle. Si mes actes ne suivent pas mes mots, alors je ne suis pas digne d'elle, de l'amour qu'elle me porte et de celui que je lui porte.
Mais le spectre de Nassim est toujours là, toujours à la lisière de mon esprit. Et si quelque chose de lui perdurait en moi ? Et si, non content de m'apparaître sous la forme d'hallucination, il s'en prenait à Louvian par le passage qu'un lien ne manquerait pas de créer ? Je ne suis pas dupe cependant. Je me cherche des excuses, une échappatoire. Parce que je suis cet imbécile qui, par lâcheté, a toujours fui loin de tout attachement et de toute responsabilité. Mes visions de Nassim ne sont que le reflet de ma propre folie, différente de celle qui le consumait, mais tout aussi réelle et vicieuse. Je sais que je dois me détacher, repousser au loin tout ce qui me lie encore à lui.
Et Louvian, elle, est bien vivante et réelle entre mes bras.
« Rien qu'à moi, je souffle tout contre ses lèvres.
- Je ne suis rien qu'à toi. Et toi, tu n'es qu'à moi », dit-elle en venant s'asseoir sur moi, de telle manière que mon sexe vient appuyer contre son aine.
Elle se redresse un peu pour le faire passer sous elle, mais je lui prends le bras d'un geste brusque. Le regard qu'elle me lance n'est ni effrayé, ni surpris. Il est juste brûlant. Elle halète quand d'une torsion j'inverse nos positions et ne me retient pas lorsque je viens nicher mon visage dans le creux de son cou.
« À moi, rien qu'à moi », répète-t-elle d'une voix rauque qui ne fait qu'amplifier mon désir.
Elle pousse un grognement de plaisir quand je la pénètre à nouveau mais, cette fois, je reste au plus profond d'elle tandis que je mords sa gorge largement offerte. Le réflexe habituel, en mordant un mortel, est de fermer son esprit et de ne pas tenter de le toucher. Avec la pratique, il m'est arrivé de frôler l'esprit des mortels que je buvais sans craindre de les lier à moi. Pendant un court instant, j'ai ce réflexe de me tenir à l'écart puis je plonge en elle, quasi littéralement. J'ouvre mon esprit et tente de l'englober toute entière dedans.
Hoel avait eu la maîtrise nécessaire de son propre esprit pour réagir à mon contact. Avec Nassim, c'était indescriptible tant la jouissance de nos deux esprits se mêlant était forte. Mais Louvian n'est ni magicienne, ni Immortelle. Elle n'est qu'humaine, tout ce qu'il y a d'ordinaire du point de vue spirituel. Ce lien a beau me sembler fade, il comble pourtant un vide dont je n'avais pas eu conscience jusqu'à maintenant.
Ce n'est plus moi qui plonge en elle, c'est tout son être qui se déverse en moi par la brèche ouverte de mon esprit. Je ne sais pas ce qu'elle ressent de ce lien qui se forge, ce qu'elle aperçoit de ma mémoire et de mon essence. Les mortels y sont en général peu sensibles, mais qui sait ?
C'est groggy que je m'arrache à sa gorge, le goût exaltant de son sang sur ma langue. Mes joues sont poisseuses de larmes et, au regard alarmé qu'elle me lance, je dois avoir l'air d'un bovin assommé.
« Tugdual ? Qu'est-ce qui t’arrive ? » souffle-t-elle en passant une main sur mes joues pour les essuyer.
Pour toute réponse, je me penche vers elle et l'embrasse, scellant de mes lèvres sur les siennes ce lien dont j'avais tant besoin sans le réaliser avant aujourd'hui.
« Je t'aime, je m'entends souffler sur ses lèvres. Je t'aime tellement. Ne pars pas.
- Je n'en ai pas l'intention, dit-elle, se voulant rassurante sans doute.
- Ne pars pas.
- Je ne partirai pas. Je t'aime Tugdual. Je suis à toi et je le resterai. »
Je crois que le sourire qui me dévore le visage rend toute description de mon état d'esprit inutile. Si l'on pouvait mourir de bonheur, je serais déjà sur mon bûcher funéraire.
Oui. Je sais. Ils sont trop gnangnans pour ma santé mentale à moi aussi.