Texte : Rédemption

Apr 21, 2012 18:43





Rédemption

Elle crie puis la porte claque.

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Pris au dépourvu, la maison est vide, il n'y a plus de cris d'enfants, seul le silence qui semble se moquer de toi. L'angoisse monte. Que vient-il de se passer ? Tu n'arrives même plus à te souvenir de ce qu'elle te reproche. Tu ne sais plus ce que tu as fait de mal. Tu sais juste que tu as mal fait. Tu sais que tu as mal.

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Machinalement, tu allumes une cigarette et tire dessus. Une cendre s'envole mais ne va bien loin. Tristement, elle va reposer sur ce tapis usé par les ans. Vous l'aviez acheté à votre emménagement.

Elle perce la laine puis disparaît ne laissant qu'une marque grisâtre en témoignage de ce moment où tu as tout perdu.

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Courant d'air.

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La maison se vide, il n'y a plus que quatre murs blancs qui semblent prêts à te sauter au cou. Tu as failli. Tout autour de toi te le rappelle. Divorce prononcé, tu lui laisses la maison et emballes tes affaires. Elle te laisse le tapis. Tu l'emballes aussi.

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Tu t'installes dans un studio. Le tapis orne les quelques mètres carrés qui constituent ton salon. Il te nargue et toi tu plonges. Tu ouvres une bouteille et tu te noies. Tu oublies. Tu ne sais plus. Il est la seule preuve de ton existence avec elle alors tu le chéris. Jauni par le transport, il pue la cigarette et l'alcool. Il te ressemble un peu. Toi aussi, tu jaunis, l'alcool t'enlaidit et la cigarette n'est plus qu'une tige qui te tient debout.

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Un homme se présente à la porte. Depuis combien de temps n'as-tu reçu personne ? Depuis quand n'as-tu vu personne d'autre que le marchand de tabac et l'épicière qui te fournit en bouteilles ? Il a une lueur féroce dans les yeux. Ce n'est pas la pitié habituelle. Il te menace. Tu n'écoutes même pas. Et puis, dans son flot de paroles, tu saisis deux mots : Pension Alimentaire. Tu ne peux pas payer. Il te menace encore. Tu soupires et sors un chéquier. Tu signes, il s'en va et tu redoutes le moment où il saura que ce n'est qu'un bout de papier sans provision.

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Tu étouffes, tu as besoin d'air. Tu sors. Le soleil te brûle mais tu marches droit devant. Puis tu tombes. Tu t'affales sur le sol, comme une loque, comme ton tapis. Un enfant passe devant toi. Il a l'âge de ta petite Marie. Il te montre du doigt à sa maman. Elle grimace et le tire. Au bout de la rue, il se retourne encore et il revient en courant. Sa mère crie. Il s'approche de toi, te touche la main, te chuchote quelque chose. Tu ne sais pas ce qu'il a dit.

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Tu rentres chez toi, tu allumes la radio. C'est la panique. Le présentateur est dérouté. Il te semble que des gens pleurent sur les ondes. Tu écoutes pour la première fois depuis longtemps. 11 septembre 2001. C'est la date. Tu écoutes ce qui se dit et tu le regrettes aussitôt. Tu coupes la radio précipitamment, tu vas te coucher. Tu te sens coupable.

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Dans ton sommeil, ils te hantent. Tu vois des visages. Tous ces morts qui te supplient de leur laisser ta place. Tu vis et tu vis mal. Ta vie est triste à pleurer. Tu la gâches. Eux te disent qu'ils avaient encore des choses à faire. Ils veulent que tu meures à leur place. Tu te sens coupable. Tu voudrais pouvoir le faire. Cette pensée te réveille. Tu pleures. Tu n'avais pas pleuré depuis si longtemps. Tu pleures.

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11 septembre 2001, c'est la date. Ta femme est partie, il y a trois ans. Trois années que tu n'as pas vu passer. Trois années perdues, noyées, cuvées. Tu sors de chez toi pour la deuxième fois. Dehors, le silence est étourdissant. Les volets sont fermés. Les rues calmes. Le monde pleure. Tu l'entends sangloter à ton oreille.

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24 septembre 2003, c'est la date. Tu t'es battu contre de nombreux démons. Tu sais qu'ils sont encore là. Ils guettent sur le pas de ta porte tes allées et venues. Ils attendent un faux pas. Ils attendent que tu tombes dans leur bras. Dehors, des cris d'enfants. Il y a une brocante. Tu descends ton seul lot. Il est lourdement ficelé. Dans la cage d'escaliers, on te salue. Tu réponds. Ta voix est rauque, elle n'a pas servi depuis longtemps. Tu te diriges vers le stand de l'épicière. Tu n'achètes rien, tu déposes ton colis et elle te sourit. Tu te souviens de son premier sourire. Tu étais descendu acheter à manger. Rien d'autre. Il n'y avait pas d'alcool sur la caisse. Alors elle t'avait souri.

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Tu la salue et tu remontes chez toi. En bas dans la rue, l'épicière déroule ton seul lot. Il est jauni, usé par les ans et dans un coin, au creux d'une arabesque, une tache grisâtre gît tristement.

original, os, textes, brut

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