Laboratoire n°1

Dec 28, 2009 18:35

Ceci est le résultat d'une petite expérience entre copines: on s'emmerdait, on trouvait la mot "vif-argent" très joli, on s'est dit allons-y. Donc sans jamais se concerter, simplement en fonction de ce que le mot nous inspirait, on s'est mises à scribouiller, en alternance. Au presque-final (parce qu'on médite une deuxième partie), c'est à la fois incompréhensible et étonnamment clair. Et une intrigue est apparue d'on ne sait où! Miracle des miracles. Voilà la chose, la moitié des crédits devant être reversée à Thalie/Cloe Lockless, lovely writing partner:

Vif-Argent

« J’imagine… des éclats de métal saisis par le froid lors de l’éclaboussement… Mais je me trompe.
« Un corps simple, une fois encore morcelé, blanc, le dos nu et les bras étendus dans l’air, tournant - je sais la lame des ciseaux, je sais cet angle de fenêtre au fond, je sais, la lumière est presque celle d’un après-midi où l’on a rabattu les volets.
« Tout commence comme ça - nous rattrape - par un rêve où l’on rêve que l’on s’éveille, et met du temps à se retrouver. »



Des rigoles claires entre les doigts, à serrer entre le pouce et l’index, fuyantes comme des oiseaux ; et l’on se retrouve couvert de coupures invisibles : celles des ongles qui n’ont rien pris, sous la peau quelque chose qui tremble faiblement. Un nœud impossible à défaire - si lisse dans les recoins de ma mémoire, du temps où j’arrivais encore à le toucher ; et je pleure l’absence des rêves oxydés.



« Puis le cri très vif d’une brûlure.
« La théière en fonte bleue crache du thé sur la nappe quand ses mains la reposent, brusques. Elles prennent de jolies nuances douloureuses.
« Elles me brûlent encore quand je la revois accrochée au grillage, les doigts entrelacés au gris, l’odeur de rouille et de feuilles mouillées se pressant sur son visage.
« Ce sont deux scènes où je n’étais pas. »

Il se passe les mains sur le visage. Un temps.



Deux temps, des grains de sable, autant de souvenirs dérobés. Il peint en bleu sur sa bouche un baiser qu’il n’a jamais donné, ou qu’il donnera plus tard. Il n’a pas encore bien décidé.
Dents glacées entre ses lèvres d’où coulent des promesses. Un métal vieilli au creux de tes regards, et des épines de pin répandues un peu partout. Il voudrait en faire des aiguilles pour coudre ses paupières, ses doigts aux siens.
Il y a un serpent lové entre chaque mot qu’il prononce.



« Je me lève et je vais attraper un cadre tout en haut de la cheminée. La photographie - la vitre - est couverte de sable, de sable gris. Je passe et repasse ma main, cela ne part pas. Nous apparaissons sous les traits en couleurs ternes, cheveux coupés et visages rieurs ; mais il fait trop sombre, trop de sable, pour nous voir. Le crissement des cristaux racle mes pensées. »

« - Ce n’est pas nous sur cette photo. »



Pourtant, les sourires et les yeux sont identiques, l’espace d’un instant. Un chapeau que tu n’as jamais porté et dans ma main des ciseaux. Les grains rayent le verre comme des cils mal taillés, le brisent.

Ce n’est jamais silencieux dans ma tête ; une voix qui chantonne un ton trop haut : Adagio with strings. Il imagine son cœur pendu à chaque corde qui vibre.



Céline s’enchaîne dans un châle d’images plus douces à mesure, durcissant plus fausses.

Le voilà qui ouvre la porte et sort, dévoilant le jardin ; du vent fait crépiter des feuilles mortes de soleil sur le perron, la dalle en béton, que la porte essuie comme une main ramassant les miettes - un revers de main lissant trop de plis. Il ne sort pas, reste là - regarde les arbres maigres comme des os, juste ces branches qui craquèlent le ciel ; le reste est coloré.

« Nos voix parlent, aux quatre coins de la pièce, accrochées aux clous inusités se balançant. Des fils... »

Elle joue avec du fil de pêche.



Un jour elle était tombée sur la dalle de pierre. Elle s’en souvient à peine ; il y a simplement deux lignes très minces dans le creux de sa paume, blanches comme de la laine.

Les pins qui s’éparpillent dans un ciel baigné de larmes de petite fille ; ses regards diluent tout à l’aquarelle.

Quand elle s’ennuie, elle aime bien passer des objets tranchants le long des cicatrices : ses ongles, un couteau, le rasoir. Elle ne perce jamais la peau. Souvent il lui arrache l’objet des mains et lui serre les poignets ; elle imagine en souriant la marque de ses doigts sculptée sur ses os.

Elle se demande si c’est lui qui l’a faite tomber.



« Un jour j’ai trouvé un orvet dans le couloir. Nous l’avons mis dans un bocal et Céline l’a relâché.
« Elle est sortie sur le perron, assise sur ses talons, elle regarde le serpent tomber à bouts de bras. Ses bras s’agitent en ciseaux et se tordent, trop vite ; ses bras entourent ses genoux, elle regarde la lumière bizarre de l’après-midi. Je ne vois pas son visage, je vois ses cheveux emmêlés sur l’épaule droite où le nœud a lâché, ses pieds nus dans la poussière et la robe qui les touche. »

Le bocal est resté longtemps sur la cheminée et moi à le regarder - la petite chose se tordait, couleur des élastiques un peu larges, vieux, gomme ou gris passé, épousant les courbes du verre. On aurait pu le garder là longtemps et l’oublier ; mais nous n’allions pas le laisser mourir ?

« Elle a trébuché en se relevant, mais rien de grave. »



Il avait la manie des collections. Souvent il se relevait la nuit pour regarder les objets glissés dans des bouteilles. La bougie brûlait le verre et ses prunelles. "Lacets, couteaux, quelques coquillages, et les rubans de Céline déchirés par nos dix ans". Il ne les sortait jamais, pour ne pas les abîmer.

« Les nains fabriquèrent un cercueil de verre pour la princesse. Tous les êtres de la forêt moururent trois fois avant qu’elle ne prît un cheveu blanc. La pluie fit enfin fondre le verre et la jeune fille eut le teint bleu des noyés au fond du fleuve. »

Un soir Céline rentra dans la pièce et ne trouva plus aucune bouteille. Il avait enroulé quelques mouchoirs autour de ses doigts.

Un faux mouvement.



« Les perles, l’éclat, l’étain, le bruit torrentiel couvrant les cris de l’un, des doigts impatiemment sur le toit, le toit de tôle, pianotent - les perles se dispersent, leur éclat comme des reflets d’étain, la saveur métallique : c’est la pluie, ce n’est que de la pluie, ses rayures magnifiques sur notre paysage

Notre toile de verre fait six mètres sur deux, presque trois, décrochant les rideaux, le joli cliquetis des anneaux

Vif

laboratoire, vif-argent

Previous post Next post
Up