« Au secours, mon éditeur a été racheté ! » par Irène Delse

Feb 13, 2007 11:11


Première pour le blog du Navire : un article d'un de ses auteurs.
En effet, le blog s'ouvre à ses plumes, et à ses collaborateurs, il vous reste donc à suivre les Icones, et les signatures. Pour la première, c'est Irène Delse qui s'y colle, repérez son joli chaton, et ses prochaines interventions


Bon, non en fait. Ce n'est pas vrai dans mon cas, n'allez pas me lancer une pétition de soutien, ce serait parfaitement inutile. ;)

J'avais juste voulu attirer votre attention.

Tout le monde est là ? Oui ? Bien. Ouvrez toutes grandes vos mirettes.

Donc, parfois, dans le monde économique, une entreprise en rachète une autre. C'est banal pour une entreprise qui veut se développer, croître en taille, etc. Google, YouTube. Renault, Nissan. Neuf Telecom, Cegetel. L'UMP, l'UDF (Heuuh, non, là c'est autre chose !)

Bref. Parfois, l'entreprise qui en rachète une autre est un éditeur ou un groupe d'édition. Quand les Éditions du Rocher se portent acquéreur du Serpent à Plume, par exemple. Ou quand Fleurus, au sein du groupe Média-Participations, prend le contrôle de Mango. Ah, ha ! Vous commencez peut-être à voir où je veux en venir ?

Du point de vue de l'auteur, il y a plusieurs choses qui changent lorsque la direction de la maison qui vous édite change. Les gens, d'abord. Il arrive qu'on ait bâti une relation de confiance avec un éditeur ou directeur éditorial (ou une éditrice ou directrice éditoriale, évidemment ; en fait, il y a beaucoup de femmes dans l'édition aujourd'hui), et qu'il faille soudain recommencer avec un nouvel interlocuteur. Ou bien, si les dirigeants restent, on peut se trouver mal à l'aise au sein de la nouvelle culture maison, devant les autres auteurs du catalogue (ce qui était arrivé aux auteurs du Serpent à Plume, qui se découvraient soudain à côtoyer les "œuvres" de Saddam Hussein, publiées naguère par la maison d'édition monégasque), ou avec un ensemble de valeurs, d'amitiés, de pratiques.

C'est ainsi que Denis Guiot, directeur de la collection "Autres Mondes" chez Mango Jeunesse, est sur le point de démissionner : depuis que la direction du groupe Fleurus a refusé, presque au dernier moment, la parution d'un roman de SF qui pouvait être interprété comme critique pour l'Église catholique, afin de "ne pas avoir des emmerdes avec l'actionnaire". L'actionnaire étant Média-Participations, leader français du marché du missel, propriétaire de KTO, Famille Chrétienne, etc. (Voir le précédent billet d'Hélène à ce sujet.)

Le pire, peut-être, pour un auteur, c'est d'être coincé par un contrat dans une situation de ce genre. Un quoi ? Un contrat. D'édition. Vous savez, le contrat d'édition que l'on signe le plus souvent les yeux fermés, tout rose de bonheur d'avoir trouvé à se faire éditer... Du moins au début de la carrière, avant d'être tombé sur un certain nombre de tuiles. À moins que, romantique et bohème dans l'âme, vous prétendiez laisser ce genre de choses sordides aux notaires et aux capitalistes... Dans ce cas-là, mes pauvres agneaux, vous risquez fort, et avant longtemps, d'en baver.

Résumons. Le contrat d'édition est ce qui définit les obligations et droits réciproques de l'auteur et de l'éditeur. S'il est clair, équilibré, honnête, c'est l'assurance que l'avenir de votre petite entreprise est sur de bons rails : l'éditeur a intérêt à faire la promotion de votre livre et à le vendre, et vous aussi. Si par contre il contient des clauses "léonines" pour l'éditeur, des chausses-trappes légales, du flou artistique à interpréter selon le rapport de force du moment, alors l'auteur est désavantagé, souvent d'autant plus gravement qu'il ne le sait pas. Car les auteurs, sauf s'ils sont par ailleurs juristes, ou éditeurs chevronnés eux-mêmes, ignorent souvent ce que signifie les clauses de leur contrat. Bref, prudence pour les clauses permettant de se dégager ― ou non ! ― d'un contrat que l'on ne désire pas voir se prolonger.

C'est là qu'il devient utile de garder un œil sur les conseils des spécialistes. Voyez l'avis de Roger Gaillard, à ce propos, sur le site de l'Oie Plate. Ou les décryptages de Marc Autret au sujet des situations pouvant mener à la résiliation d'un contrat...

Dans le cas d'un rachat, précisément, la plupart des contrats d'édition actuellement en vigueur en France, y compris ceux rédigés sur le modèle SGDL, ne prévoient pas de "clause de rachat" permettant à l'auteur de rompre s'il estime qu'il vaut mieux pour lui ne pas travailler avec le nouveau propriétaire de la maison d'édition. En fait, lors du rachat d'une maison comme Le Serpent à Plume, pas mal de gens ont découvert que le nouveau propriétaire avait tout bonnement acquis leurs contrats d'édition en même temps que les meubles. Les auteurs maison avaient été transférés à l'actif du Rocher de la même façon que les ordinateurs et les stocks de livres.

Cela se passait assez récemment, en 2004. La manifestation des auteurs du Serpent s'est manifestée notamment sur le Net et à travers une pétition. Un mémorable article du Canard Enchaîné, en mai 2005, détaillait l'affaire pour le grand public, ainsi que le rachat d'autres éditeurs par le groupe Editis. À l'occasion du premier Salon des Auteurs, en septembre 2005, l'article de Roger Gaillard tirait la conclusion de ces péripéties : alertez les auteurs ! S'il y avait une clause, une seule, à rajouter d'urgence dans vos contrats présents et futurs, c'est celle qui empêcherait un transfert automatique du contrat au nouveau propriétaire si l'auteur n'a pas donné son accord. Elle pourrait être rédigée ainsi :

« Ce contrat ne peut être transféré ni cédé par l’éditeur sans le consentement explicite de l’auteur ou de ses représentants. »

En fait, c'est ce que j'ai demandé moi-même à rajouter, en décembre 2005, au contrat que j'ai signé avec le Navire en Pleine Ville pour L'Héritier du Tigre. Le courant passe épatamment avec l'équipe actuelle, ce sont des gens formidables à qui je fais confiance pour défendre leurs livres bec et ongles, y compris le mien. Et tant que ce sont Hélène et Jacques-Olivier qui mènent la barque, je n'ai pas l'intention de sauter par-dessus bord. Mais si d'aventure il y avait un écueil, si un flibustier des lettres (frémissons !) se retrouvait maître à bord ? Alors là, stop ! Il serait temps de quitter le navire avec les rats.

Des bêtes intelligentes, les rats.

Un peu moins que les perroquets gris du Gabon, certes, mais quand même. ;)

Tiens, que disait-on, au fait, du temps du Calcre ? Ah, oui : un auteur averti en vaut deux. Diantre, c'est que ça va en faire, alors, des choses à publier !

auteurs, édition

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