souvenirs souvenirs

Mar 19, 2013 19:18

Demain, le monde aura le douteux honneur de célébrer le 10° anniversaire de l'invasion de l'Irak par les Etats-Unis, invasion qui a suivi les attentats du 11 septembre et la guerre en Afghanistan, et entraîné la fin du régime de Saddam Hussein et une déstabilisation du Moyen-Orient, et peut-être les attentats du 11 mars en Espagne.

Mais ce n'est pas exactement de ça dont je veux parler.

Quand j'ai plongé dans la blogosphère, c'est-à-dire il y a plus ou moins 2 ans et demi avec l'ouverture de ce LJ et la lecture intensive de C'est la gêne, plusieurs blogs et posts parlaient du 11 septembre, dont c'était le dixième anniversaire, et de ce qu'ils faisaient ce jour-là. Ce qui les avait marqué, pas marqué. Une manière comme une autre de se souvenir, de rendre hommage, et aussi de se rendre compte du chemin parcouru.

C'est un peu de ça qu'il s'agit.

[LP raconte sa vie et ses souvenirs]Quand les tours sont tombées, j'avais 13 ans, je vivais au Kenya, et j'allais au lycée Denis Diderot de Nairobi, petit lycée qui accueillait, bon an mal an, 400 élèves d'une cinquantaine de nationalités différentes de la petite section maternelle à la terminale.
A l'époque, la télé était dans la chambre des parents, et Maman n'aimait pas trop qu'on la regarde. On ne l'a pas allumée ce jour-là en rentrant de cours. Je n'en jurerais pas, évidemment, mais si on l'avait allumée, on aurait vu, non ? On s'en souviendrait.
J'ai dû faire mes devoirs et dévorer un livre ou deux.
Je crois qu'on a du manger tous les quatre, avec mes frères et ma soeur. Les parents devaient être sortis. Ils étaient très très souvent invités, à l'époque, Nairobi est une ville avec une vie diplomatique et sociale très importante.
Je le sais, parce que je me souviens de Papa et Maman rentrant à la maison, alors qu'il était tard et que j'étais couchée, et ouvrant la porte de ma chambre pour me dire un truc dans la veine du "ma chérie, il y a eu un attentat très grave aux Etats-Unis".

C'est le premier souvenir que je garde. Le tout premier. Je me trompe peut-être, mais je ne crois pas. Et j'ai dû répondre "ok" avant de me rendormir sans trop faire de cauchemars.
Le lendemain au petit-déjeuner, j'ai dû, on a dû demander plus de détails. Un avion dans les deux tours, des milliers de morts... Mais je dois avouer que ça ne signifiait pas grand-chose pour moi. C'est Staline, n'est-ce pas, qui disait qu'un mort, c'est une tragédie, mais que des milliers, c'est une statistique ?

Ce n'est qu'en arrivant à l'école que j'ai vraiment réalisé, je crois. L'une de mes amies était Américaine. Elle, elle avait allumé la télé en rentrant, et elle était restée scotchée devant les images. Elle était terrifiée, paniquée. Elle et sa famille ont d'ailleurs été évacués quelques temps plus tard. Elle n'est revenue que deux ans après.

Voilà. C'est mon souvenir du 11 septembre. J'ai fini par voir les images - des années et des années plus tard. J'ai bien compris que c'était grave. Pas une minute je n'ai pensé aux conséquences, où que le monde avait changé.

Ce que j'appelle la naissance de ma conscience politique n'est apparu que plus tard.

Petite-fille d'un énarque qui adorait l'histoire et me la racontait comme on raconte des contes aux enfants, balottée de pays en pays et de culture en culture, née pour ainsi dire avec la fin du communisme, je pense que j'ai grandi dans un monde optimiste. Je me souviens, quand j'étais petite, on avait un immense livre avec les continents, et il y avait l'URSS, encore. Et j'avais demandé à Maman, "c'est quoi ce pays ?" et qu'elle m'avait répondu "Il n'existe plus".
Comment un pays pouvait-il ne plus exister ?
C'est un de mes plus vieux souvenirs.

Bref, je me perds : j'ai grandi, donc, je crois, dans un monde optimiste. Croissance, emploi, tout ça ne voulait rien dire pour moi, mais ce sont des synonymes de ces années 90 pour le monde occidental, et ça a dû avoir un impact, d'une manière ou d'une autre. Je me souviens, je croyais que la guerre n'existait plus. Même si j'ai vu, je me souviens avoir vu des images de la guerre du Kosovo, lors de notre premier séjour à Paris en 97. Mais c'était loin, c'était l'autre bout du monde, et puis l'ONU s'en occupait, n'est-ce pas ? La guerre n'existait plus, et je croyais profondément au pouvoir des Nations-Unies.

Amie avec des noirs, des arabes, des musulmans, des athées, j'ai aussi compris très tôt, je crois, qu'il ne fallait pas mélanger les idées et les individus, que les amalgames étaient dangereux. Que la haine était au coeur de tout, et fondée très souvent sur la peur. Que les hommes étaient capables du pire, aussi. Avais-je entendu parler du Rwanda ? Oui. Oui, je m'en souviens.
Tout cela de façon inconsciente, évidemment. J'étais jeune.

A Nairobi, le dimanche soir, il y avait toujours du monde à la maison. C'était table ouverte, chacun apportait un plat, et mes parents installaient une grande table à trétaux sur la terrasse. Un soir, on a sorti la télé : c'était les élections, quand même, il fallait qu'on sache qui passait au deuxième tour.

Première estimation : Jacques Chirac premier, Jean-Marie Le Pen deuxième.
"Mais Papa, ils peuvent se tromper, non ?" "A ce stade-là... C'est une question de score, ma puce, l'ordre va sûrement rester le même".

Je savais, bien sûr, qui étaient Chirac et Jospin, j'avais vaguement suivi quelques conversations et m'était vaguement intéressée, mais les débats étaient bien loin de moi. Mais, sans trop savoir ni connaitre, peut-être aussi parce que tout monde tirait la tronche, j'ai eu peur, en voyant le nom et la tête de Le Pen.
J'ai suivi avec passion les manifestations, et le vote suivant. J'ai rêvé de manifester, moi aussi.

J'ai eu un peu honte d'être Française, j'ai eu peur de cette haine que je lisais dans les yeux flippants de ce type. Je me suis demandée comment on pouvait le croire, le suivre, voter pour lui. Est-ce qu'on ne savait pas, pourtant ? Est-ce que l'histoire ne nous en avait pas appris assez ? Est-ce que les gens pouvaient être aussi bêtes ?

Il y a dix ans, j'étais devant les infos à la télé en train de marmonner en boucle "non non non, ils vont pas y aller, ils vont pas oser, y a un veto du Conseil de Sécurité de l'ONU. Non non non non non ils vont pas oser ils vont pas y aller".
J'étais fière d'être Française. Fière d'être représentée par Villepin. Révoltée par la manipulation organisée et l'appel à la haine, parce que c'était plus facile. Parce qu'il y avait du pétrole.
Ils y sont allés quand même. J'en ai peut-être pleuré de rage, à l'époque.

J'ai détesté mon prof de philo de terminale, qui était un pervers jaloux et manipulateur. Mais j'ai aimé la philo quand même, et j'ai été très marquée par deux concepts : "la banalité du mal" d'Hannah Arendt (je n'en ai lu que des extraits mais je suis restée subjuguée) et l'idée d'Hegel que "l'homme est une excroissance de la nature".

Je n'irai pas jusqu'à dire que j'ai compris ce jour-là que l'énergie dirige le monde et que je fais mon master pour ça aujourd'hui. Ce serait super faux. Ce serait tout aussi faux de dire qu'après ça, j'ai lu les journaux, me suis tenue informée, etc.
Non. J'étais jeune, j'avais bien d'autres soucis dans ma vie. Un brevet puis un bac à passer, des amoures malheureuses, des fanfics et des livres qu'il fallait lire...

Mais ces deux événements marquent quand même un tournant pour moi. Au point que je m'en rappelle avec précision. Je me souviens du choc, de la peur, viscérale, instinctive, de ce rejet de la violence que je ressens souvent, de ce désespoir triste devant la bêtise et l'égoïsme des hommes...

Je ne suis pas mieux, non, mais j'essaie.
J'essaie de me tenir au courant, déjà. J'écoute RFI, qui me donne des nouvelles du monde en général et de l'Afrique en particulier, bien mieux que les JT français qui me font hurler chaque fois que je les regarde. Même si j'écoute RFI maintenant parce que je conduis et que ça tient bien compagnie dans la voiture.
Je parle, aussi. Je prends des diatribes véhémentes auprès de mes amis qui n'en demandent souvent pas tant sur des sujets aussi variés que le mariage pour tous, la guerre au Mali, l'importance de l'histoire, le féminisme, la religion, et le dégoût que m'inspire Hutchinson et son choc des civilisations.
Je m'instruis. Outre la presse, il m'arrive de lire des articles wikipedia entiers sur des sujets variés - souvent historiques. Des livres, aussi. J'essaie d'avoir le réflexe de me renseigner avant de juger, surtout quand la situation est forcément compliquée et qu'on essaie de nous faire croire qu'elle est simple. C'est rarement simple, la (géo)politique mondiale.

Et je continue d'espérer, aussi.


Voilà. Désolée si c'était trop long et/ou pas intéressant. J'avais envie de revenir un peu sur ça.

Et vous, vous savez pourquoi vous vous intéressez ? (à quoi que ce soit)

famille, ma petite vie à moi, afrique, question existentielle, mes voyages

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