Auteur : Shali
Titre : Liuna ou la Clef des mondes - Prologue
Disclamers : L'univers de Liuna est l'entière propriété de Shali et d'Eden_misty.
Note : "Liuna ou la Clef des mondes" est publié dans le cadre du Studio amateur Candy Pop. L'ouvrage "Liuna ou la Clef des mondes - La clef du Livre" est disponible pour le VPC sur le site de Candy Pop (cf. mon profil).
- Introduction -
Un homme normal n'aurait pas pu parcourir autant de chemin que lui dans la nuit sans lune tant il faisait sombre. Mais au détour d'une clairière où il s'était arrêté le temps de se reposer un peu, il s’était fait capturer. Maintenant, on le traînait comme un vulgaire criminel. Il était apparemment doué d’une force physique peu commune pour sa maigre stature car quatre hommes s’étaient chargés de l’immobiliser. Il s’était défendu comme un beau diable. Maintenant six gardes armés s’occupaient de le ramener au château où il irait croupir en prison le temps que les autorités décident de son avenir. Il espérait que ces gens ne le mettraient pas à mort en voyant son apparence différente de celle d'un homme normal.
Traînant des pieds et rageant intérieurement, l’étranger se frotta les poignets que la corde blessait. Mais la douleur était plus vive encore et elle lui entaillait la chair par frottement. Les gardes se mirent à rire grassement. Celui qui tenait le lien tira dessus, manquant de le faire tomber. Ils ricanèrent davantage. L'étranger ne s'étonnait pas que les soldats fussent désignés comme étant des imbéciles sans cervelle quand on voyait les six qui l'entouraient. C'en était affligeant pour lui.
Après une courte marche sur une route sombre, une puis plusieurs torches s’élevèrent devant eux : ils étaient arrivés. Il ne fit pas attention à ce que les hommes se disaient mais il sentit qu’on le tirait à nouveau. Il en avait assez. Cette fois, c’était pour entrer dans l'immense château fait de pierres qui se dessinait devant lui. Il n’en avait rien à faire, il n’avait pas le temps de visiter. Il devait fausser compagnie à ses geôliers mais la corde bien serrée le rappela à l’ordre car malgré sa grande force physique, elle était très bien nouée et l'entravait..
Ils se dirigèrent vers un bâtiment, non loin de la tour du château. On pouvait sentir une forte et entêtante odeur de cheval, sans aucun doute les écuries. Un de ses gardiens ouvrit la porte, faisant grincer les gongs avant de le faire entrer. Il y faisait sombre mais cela ne le dérangeait pas puisqu'il voyait clairement dans la nuit. On l'amena dans le fond, vers le box le plus éloigné de la porte. Pourquoi tant de précaution ?
« Entre là dedans, lui intima-t-on en lui donnant un violent coup de pied dans le bas du dos. »
Il lâcha un hoquet de surprise et tomba en avant. Sa tête cogna le sol recouvert de paille. Il serra les dents pour grogner, à moitié sonné. Que pouvait-il faire ainsi attaché et bâillonné ? Il avait peut-être une force supérieure à celle d'un humain normal, il n'en restait pas moins qu'une corde solidement attachée autour de ses poignets était extrêmement difficile à défaire. Il se sentait comme un de ces animaux que l'on met en cage avant le grand festin où il serait limogé. C'était une sensation déroutante et oppressante.
Les portes claquèrent alors que le gardien riait grassement et il lâcha un lourd soupir contre le tissu. Il était enfin seul. Il réussit à se mettre à genoux, ses mains liées devant lui. Ses yeux bouillonnant de rage firent le tour des lieux. Ce n’était pas tout à fait une prison : la forte odeur de crottin le prenait aux tripes, la paille n'avait pas été changée depuis un moment et il n'y avait aucune torche pour éclairer la pièce. Les boxes étaient fermés par de lourdes grilles en acier. Assez étonnant pour garder ses chevaux, sauf si le propriétaire des lieux était un paranoïaque.
L’homme parvint à se mettre contre le mur. Il lui fallait trouver un moyen de s’évader. Il ne connaissait pas les lieux ni les gens qui vivaient dans cet endroit et il espérait que le seigneur de ce château savait reconnaître un elfe sinon il ne donnait pas cher de sa vie avec ses oreilles légèrement en pointe. Il soupira à nouveau. Il n’avait pas beaucoup d’options devant lui et le couteau à l'arrière de sa botte pouvait le sauver mais il n’arrivait pas à l’attraper, les liens coinçant ses mains sur son ventre. Il essaya une fois, deux fois mais retomba sur le côté en se tapant encore la tête contre le sol. Il grogna à nouveau mais resta allongé par terre pour réfléchir.
C’est à ce moment-là qu’il entendit des pas plutôt légers. Il se tendit, les sens en éveil. Ce n’était pas un soldat, il n’y avait pas le claquement de l’armure bien au contraire c’était davantage le bruissement du tissu sur la paille. Il tourna la tête et vit quelqu’un à la grille.
« Es-tu un démon ? lui demanda-t-on. »
La voix fit écho dans le couloir. C’était un homme à n’en pas douter, assez jeune. L’elfe trouva la question idiote : il ne pouvait pas répondre à cause du bâillon. Il gronda et gigota pour essayer de se délier. Il fronça les sourcils quand il entendit un grincement de porte qui s’ouvre et se referme, des bruits de pas et son visiteur était devant lui, à une distance montrant qu’il se méfiait tout de même de lui. Son pas sur la paille était tout aussi léger que dans le couloir dallé des écuries.
Le nouveau venu put alors constater que le prisonnier avait l’apparence d’un humain. La faible lumière ne pouvait lui permettre de définir la couleur de sa peau mais elle paraissait plus mate que la sienne, ses cheveux semblaient clairs. Étrange mélange, pensa-t-il. Il s’approcha doucement et tendit les mains pour défaire le bâillon, les yeux clairs de cet étranger étaient braqués sur lui. Ils étaient beaux, ces yeux, d'une couleur qui faisait penser le garçon à un ciel de printemps, clair et sans nuage. Il descendit le bâillon autour du cou du prisonnier ce qui permit à ce dernier de parler librement.
« Qui es-tu ?
- Manes, répondit le prisonnier en gesticulant un peu. Et toi ? »
Il fixait cet homme qui ne semblait pas avoir peur de lui. Du moins c’était ce qu’il pensait sinon il ne lui aurait pas retiré le bâillon. Bien qu’il fît sombre dans la pièce, Manes voyait parfaitement ce garçon : jeune, sans doute son âge, de longs cheveux roux légèrement ondulés - des cheveux de feu, il n’en avait jamais vu mais l’homme qui l’avait élevé lui en avait parlé un jour - et des yeux verts au milieu d’un visage aux traits fins, pas féminins mais pas complètement masculins. S'il n'avait pas parlé, Manes l'aurait sans doute pris pour une femme. Un étrange tatouage blanc était semblait-il peint sur son œil, il partait d'un peu plus haut que le sourcil et descendait sous l'œil en une bande rectangulaire. Un signe inconnu pour les non-initiés, un signe désignant le rang de prêtre pour les croyants. Manes le trouva mignon même s'il pensait que ce qualificatif convenait davantage à une fille.
Manes, après s'être remis en position assise contre le mur, tenta de récupérer la lame dans sa botte. Mais il n’y parvint toujours pas, les liens le gênaient trop. Il lâcha un lourd soupir de mécontentement. Il en avait assez d'être ainsi attaché.
« Korrigan est mon nom, répondit finalement le jeune homme qui s’accroupit devant lui. »
Il entoura ses genoux de ses bras et posa sa tête dessus. Son regard clair fixait Manes d’une façon étrange comme s’il l’étudiait. C’était étonnant qu’un homme de sa carrure ait mobilisé quatre hommes pour sa capture. Manes n’était pas aussi musclé que certains des gardes. Il n’avait pas l’air si dangereux, pensa Korrigan en le regardant. Il ferma les yeux quelques secondes pour essayer de ressentir une quelconque agressivité émanant de lui mais il les rouvrit et les reporta sur le prisonnier. Rien. De Manes il ne ressentait rien. Cet étranger était vraiment bizarre.
« Quatre hommes ont à peine suffi à t’arrêter, six ont dû te conduire ici, qu’es-tu ? Que viens-tu faire en ce royaume ? »
Sa voix était douce et claire, étonnant pour un homme se dit Manes. Ce Korrigan était décidément un drôle de personnage si on le comparait à ses six camarades rencontrés plus tôt.
« Je ne faisais que passer quand tes brutes me sont tombées dessus, commença-t-il avec rage. Qu’est-ce que tu vas faire de moi ? »
Il releva la tête, ses yeux clairs fixaient le jeune roux. Manes n’avait pas de temps à perdre ici. Il ne devait pas rester dans cette cage. Une trop grande affaire l’attendait.
Korrigan fronça des sourcils devant cet éclat de voix mais il n’était pas dangereuse pour autant. Pourtant, il se mit à penser qu’il n’était pas un guerrier et il ferait bien pâle figure si Manes se montrait violent. Toutefois, il pouvait faire appel à ses pouvoirs pour maîtriser cet homme mais il ne connaissait rien de ses capacités.
« Le roi et son conseiller désirent savoir si tu es dangereux pour nous, répondit calmement le jeune homme. Tu as violé le couvre-feu, mis à mal quatre de nos soldats… sans doute es-tu de ces créatures qui nous attaquent, souffle-t-il sans le quitter des yeux.
- Je ne pouvais pas deviner, je ne suis pas de ton royaume ! répliqua sèchement Manes pour se disculper. Je suis un voyageur. »
Mais son regard était soucieux et il tressaillit. Ces créatures étaient-elles les mêmes que celles qui le poursuivaient ? Étaient-elles déjà ici ? Si c’était le cas, il devrait faire vite. Il leva les yeux sur Korrigan qui se remettait debout, dépoussiérant légèrement sa tunique.
« C’est placardé et crié partout, tout le monde le sait.
- J’évite de traverser les villages à cause de mon apparence, répondit Manes en tirant la tête. En plus je sais pas lire ta langue.
- Pourtant, tu la parles, rétorqua Korrigan d'un air soupçonneux.
- On peut savoir parler une langue sans l'écrire. Regarde les paysans, beaucoup ne savent ni lire ni écrire pourtant ils s'expriment et sont compris, déclara Manes et Korrigan dut avouer qu'il avait raison. »
Il gigota en tirant sur ses liens. La corde autour de ses mains lui faisait vraiment mal. Il demanda à son gardien s’il pouvait le détacher. De toute façon, où pourrait-il bien aller enfermé dans une prison telle que celle-ci ? Korrigan hésita : était-ce une bonne idée ? Il allait peut-être l’attaquer une fois les liens défaits, le prendre comme otage pour sortir de là et s’en prendre au roi. Mais le jeune homme releva ses yeux sur Manes et le sonda une nouvelle fois. Aucune menace bien qu'il semblât si prompt à s'emporter. Korrigan avait toujours suivi son intuition. Il se pencha en avant et détacha ses mains sous le regard stupéfait de son interlocuteur qui ne pensait pas y avoir droit. Manes allait devoir apprendre bien après, au cours de leur long périple, que ce geste était simplement le reflet de l'innocence et de la grande naïveté du garçon. Et c'était cela qui les avait sauvés tous les deux.
D’un mouvement rapide et grâce à la pénombre de la pièce, Manes attrapa et cacha sa lame sous ses fesses alors que Korrigan reculait de quelques pas comme s’il continuait à se méfier de lui. Ses réactions étaient en contradiction avec ses paroles. Manes frotta ses poignets douloureux, il allait avoir les marques un moment encore et sa chair saignait par endroits, ce qui n'arrangeait rien. Mais ce petit homme l’intriguait, c’était un fait. Manes s'assit dos au mur, une jambe remontée contre son torse. Il soupira lourdement en fermant les yeux.
« Alors ? Qu’est-ce que tu vas faire de moi ? redemanda-t-il.
- Moi ? Rien du tout. Les autres, je ne sais pas. Peut-être te tuer si tu leur sembles trop menaçant, avoua Korrigan en haussant les épaules. »
Manes frissonna. Il ne savait pas quoi faire. Il n'était pas chez lui et le temps lui était compté. Il fronça des sourcils quand Korrigan se releva brusquement. Qu'allait-il faire ? La porte s'ouvrit et se referma assez vite. Le garçon était de nouveau dans la pièce avec un seau et du linge.
« Qu'est-ce que... ? »
Korrigan s'agenouilla face à lui et lui prit les poignets. Manes le regarda, la surprise se lisait sur ses traits. Korrigan était en train de soigner sommairement ses poignets meurtris mais pourquoi le faisait-il ? C'était ça que l'elfe ne comprenait pas. Il tressaillit au tissu mouillé touchant sa peau écorchée mais cela lui faisait du bien. Le roux finit par lui bander les mains comme il le put. Manes resta muet. Korrigan avait un visage doux presque enfantin pourtant il émanait de lui quelque chose de mystérieux, presque sacré. Manes se sentait en paix près de ce garçon.
« Tu es bizarre, lâcha-t-il en le fixant. »
La fraîcheur des bandes était agréable sur sa peau irritée par la corde. Il n'aurait jamais pensé à un tel traitement après une si violente altercation.
« Je ne suis pas bizarre ! répondit le roux piqué au vif en relevant la tête fièrement. »
Manes hoqueta et le regarda à nouveau, encore une fois il le trouva... mignon avec son petit froncement du nez dans une moue vexée. Il ne le quitta pas non plus des yeux quand il se redressa. Ses cheveux de feu tombèrent dans son dos comme une cascade. C'était joli. Manes avait envie de les toucher rien que pour voir s'il allait se brûler.
« Je vais revenir avec de la nourriture. »
L'elfe n'eut pas le temps de dire quoi que ce soit que Korrigan était déjà sorti de la pièce. Il y eut un moment de silence où il se sentit espionné avant d'entendre les pas feutrés du garçon s'éloigner.
Manes soupira. Décidément, ce monde était étrange ou tout du moins ce personnage. Il se gratta la tête, perplexe quant à sa rencontre avec ce bout d'homme. Personne, hormis les deux bûcherons qui l'avaient élevé n'avait eu d'attention envers lui. Les seules réactions qu'il suscitait étaient la violence par le jet de cailloux, la haine et le mépris. Et là un homme qu'il ne connaissait pas le soignait et lui proposait même de la nourriture alors qu'il était prisonnier. Mais il y avait plus urgent que de se poser des questions sur cet étrange jeune homme : il devait partir le plus vite possible. Si les créatures dont avait parlé Korrigan étaient celles qu'il pensait, alors le danger était bien plus grand qu'il n'y paraissait.
Tapotant sa lèvre de son index, il réfléchissait à un moyen de sortir. Levant son bras devant lui, il fixa le bracelet : le rouge le dominait d'un peu plus de la moitié, ce n'était pas bon signe. Il ne lui restait donc qu'à peine plus de quelques heures pour trouver la pierre voire même encore moins.
« La poisse ! se gronda-t-il en se tapant le front. »
Peut-être prendre le petit roux en otage et s'en servir comme bouclier ? Après tout, il avait bien l’air bien naïf aux vues de ses réactions ou tout du moins pas très agressif. C'était sans doute sa meilleure chance de se sortir de là mais un bruit incongru le sortit de sa réflexion : il avait faim. Apparemment, avoir entendu le mot « nourriture » avait réveillé son estomac vide depuis la veille. Peut-être qu’attendre le repas que le petit allait lui amener n‘était pas un si grand mal ? Mais il n'avait pas le temps... C'était un cruel dilemme.
Les pas résonnèrent à nouveau dans le couloir et il se leva. Il devait tenter sa chance, le prendre à revers et sortir. Mais son estomac se tordait et criait famine. Il ne pourrait rien sans nourriture. Il regarda son bracelet. Tout allait se jouer dans les secondes qui suivirent. Et ces dernières semblèrent excessivement longues à l'elfe.
La porte s'ouvrit, c'était le moment. Il leva les bras, prêt à se saisir du garçon dès qu'il serait à sa hauteur. Ce dernier apparut, de dos avant de se retourner. Il s'arrêta net devant Manes, le plateau dans les mains et rempli de nourriture.
Ils se regardèrent droit dans les yeux pendant un temps qui leur parut interminable. Korrigan s’était figé, le visage fermé et serrant le plateau.
« Que... fais-tu ? demanda-t-il. »
Manes ne bougea pas et se contenta de le regarder. Il devait avoir l’air fin tout d’un coup. Un rire nerveux remonta dans sa gorge et il s'étira. Quel imbécile il devait faire aux yeux du garçon d'autant plus qu'il perdait sans doute la seule chance de sortir de là.
« Je voulais m'étirer, je n'ai pas l'habitude de rester longtemps attaché ! rit-il. »
Korrigan le regarda d'un air perplexe avant de poser le plateau par terre. Tous deux s'assirent et Manes ne se laissa pas prier et entama le repas avec enthousiasme. Finalement, ce n'était pas plus mal de s'accorder quelques minutes de répit.
« Je ne savais pas ce que tu mangeais alors j'ai pris de tout, avoua Korrigan en croisant les jambes.
- Euh... ben comme tout le monde, de tout, répondit bêtement Manes. »
Il vida le pichet rempli d'eau fraîche et lâcha un soupir de satisfaction. Cela faisait du bien, il courait depuis si longtemps qu'un bon repas était plus que bienvenue. Mais maintenant, il devait partir.
« Quand pourrai-je sortir ?
- Je ne sais pas.
- Vous pouvez pas me garder ici !
- Ce n'est pas moi qui décide.
- Mais je n'ai rien fait ! s'emporta Manes. Je ne suis pas un danger pour ton royaume, je ne fais même que passer. Laisse-moi sortir, je suis pressé.
- C'est au roi d'en décider ! »
Manes releva sa manche et regarda à nouveau le bracelet. Il pesta avant de taper dans le plateau, faisant sursauter Korrigan. Mais ce dernier fronça des sourcils en apercevant le bijou. Il hésita quelques secondes avant de finalement se mettre à quatre pattes pour le regarder. Ses yeux s'ouvrirent de surprise : l'objet sentait la magie mais il ne connaissait pas une telle chose.
« Qu'est-ce que s'est ? demanda-t-il avec curiosité.
- Un sablier. Enfin quelque chose dans le genre. »
Korrigan regarda l'objet avec intérêt. C'était un bracelet tout simple mais un entrelacs d'or blanc courait sur le pourtour et était pratiquement rouge. Sur le dessus, deux pierres brillaient légèrement. Korrigan le trouva très beau mais comment les gardes n'avaient-ils pas vu cet objet ? Sans doute qu'à cause du noir, ils n'avaient rien vu mais il plaça plutôt cela sous le signe de la négligence. Le garçon tendit la main et effleura le bijou. C'était un puissant objet magique. Il frissonna vivement avant de relever les yeux sur Manes.
« Es-tu magicien ? demanda-t-il en fronçant des sourcils.
- Pas du tout. Je ne connais rien à la magie. J'ai juste une mission à accomplir et quand ce sablier aura fini de s'écouler, il sera trop tard. Si ça se trouve, nous ne serons même plus là pour en discuter, annonça Manes d'une voix sèche. »
Ils se fixèrent droit dans les yeux. Le temps sembla suspendu pour un moment qui leur sembla infini. Korrigan finit par fermer les yeux et réfléchit à la situation. Il n'y avait aucune hostilité émanant de cet étrange personnage et l'instinct de Korrigan s'était toujours montré juste. Alors il pouvait lui faire un peu confiance ?
« Réponds à ma question : que sont ces créatures ?
- Je ne sais pas trop... mais je peux te dire qu'elles sont à la recherche de la même pierre que moi et que si elles mettent la main dessus, les mondes seront dévastés. Il n'y aura plus de vie... nulle part.
- Les mondes ? répéta Korrigan en rouvrant les yeux. De quels mondes parles-tu ?
- C'est une vieille légende, je ne la connais pas très bien mais il existe des mondes parallèles. Des univers séparés les uns des autres. Le créateur de ces mondes aurait façonné une clef qui permettrait de les traverser. Ces ombres sont à sa recherche et pour la trouver, il faut réunir des pierres.
- Et toi ?
- Moi, je veux la mettre en sécurité. Je n'ai que faire de me promener entre des univers étranges, mon chez-moi me convient parfaitement mais si je veux y vivre en paix, je dois retrouver la clef des mondes avant ces créatures. »
Korrigan le regarda à nouveau, perdu dans ses pensées. Cette histoire de mondes était rocambolesque, farfelue même mais il ne décelait aucun mensonge. Il ne savait pas quoi faire.
« Que feras-tu si je te libère ?
- Je vais chercher la pierre et je repartirai chez moi.
- Dans ton monde ?
- Oui. »
Le jeune rouquin se releva et tourna la tête vers la porte. Il décida de faire confiance à cet être. Il reprit les liens et fit signe à Manes de se lever.
« Je vais devoir te les remettre et des soldats resteront avec toi le temps que tu trouves ce que tu cherches, déclara Korrigan. Au moindre faux pas...
- Ouais, ouais ! »
Manes se mit debout très lentement afin de placer au mieux la lame pour pouvoir se défaire des liens une fois dehors. Korrigan lui attacha solidement les liens, veillant à ne pas décaler les bandes de tissu qu'il avait placé tantôt.
« Tu trouves ta pierre et tu t'en vas. Les soldats t'escorteront le temps de ton périple. »
Korrigan reporta son regard vert sur l'elfe. Cela faisait seulement sept jours qu'il était arrivé dans ce château en qualité d'observateur. Son maître, Mael, l'y avait envoyé pour qu'il apprenne le fonctionnement du monde extérieur. Un futur Grand prêtre de l'île Sacrée se doit de connaître le pays des rois car nos mondes vivent en harmonie et sans cela, nous serions coupés de tout et de tous. Cette phrase résonnait dans sa tête. Mael savait-il qu'il existait des mondes parallèles au leur ? Il secoua doucement la tête avant d'attraper le bout de la corde et de tirer Manes hors de là. L'elfe se laissa faire gentiment sans rien dire. C'était une chance inespérée de quitter cet endroit.
« Garde ! appela le jeune homme en criant fort. »
La porte des écuries s'ouvrit et un homme portant une lance apparut sur le pas de la porte. Il se mit au garde-à-vous en voyant l'invité de leur roi.
« Que puis-je faire pour vous, monseigneur ?
- Le prisonnier, va chercher huit soldats et qu'ils l'escortent en dehors de nos frontières. »
La voix de Korrigan était ferme, une voix de commandement. Manes sourit alors : ce bout d'homme savait se faire obéir malgré sa frêle apparence. Le soldat s'inclina vivement avant de partir en courant pour chercher ses camarades.
« Sais-tu où est cette pierre ?
- Pas loin d'ici normalement sinon je ne me serais jamais approché autant de tes villages.
- Comment la reconnaîtras-tu ?
- Ce sablier saura me la montrer, dit Manes en haussant des épaules. »
Korrigan se tut et réfléchit à ce que cet homme venait de lui dire. Il finit par tirer sur le lien, une légère pression, pour faire avancer Manes jusqu'aux portes des écuries. Il entendait le cliquetis significatif des armures des soldats. D'une main, il ouvrit la porte et l'air frais s'engouffra dans la structure. Il frissonna. Il vit alors un groupe armé courir à petite foulée jusqu'à l'endroit où il se tenait avec l'étranger.
Manes fronça les sourcils en voyant arriver les soldats, il devait faire vite. Ses liens étaient moins serrés que plus tôt aussi réussit-il à les dénouer. Dès qu'une de ses mains fut sortie, il arracha la corde et la jeta à terre. Il regarda alors Korrigan qui se tourna d'un bond. Mais trop tard, l'elfe le poussa fortement, le faisant ainsi tomber dans le foin et les outils.
« Je suis désolé mais je n'ai pas de temps à perdre, merci ! »
Korrigan ouvrit de grands yeux en essayant de se relever mais il était empêtré. Son bliaud s'accrocha à un clou qui dépassait d'une poutre et Korrigan gronda. Il s'était fait avoir et il regrettait sa naïveté. Il grimaça à ses cheveux emmêlés. Un soldat arriva pour l'aider à se relever et le jeune homme pesta.
« Allez vite à sa poursuite ! s'emporta-t-il.
- Bien sire. »
Les soldats nouvellement arrivés se mirent en chasse. Mais Manes avait disparu. Korrigan se gifla mentalement d'avoir été aussi imprudent. Pourtant Manes lui avait semblé si sincère... Il serra les poings avant de donner des ordres pour que des soldats aillent trouver le roi et le protéger. Korrigan se mit à courir en direction du palais mais il ignorait où Manes allait.
L'elfe n'était pas bien fier du tour qu'il avait joué à ce garçon mais la nécessité l'avait emporté sur le bon sens. D'un geste, il regarda son bracelet : il ne lui restait plus beaucoup de temps. Sur ce même bracelet, en plus de la ligne qui devenait de plus en plus rouge, se trouvaient deux pierres blanches et brillantes dont l'une était une sorte de boussole avec un point lumineux pour indiquer la direction et elle lui montrait où trouver l'objet de ses désirs. Manes s'arrêta d'un coup et regarda devant lui en levant la tête. La pierre était dans cette tour.
Il fit craquer ses doigts et commença son ascension à même le mur. Il ne savait pas ce qui se trouvait dedans aussi jouait-il la prudence. La montée fut plus rapide qu'il ne pensait, son agilité et sa souplesse l'avaient aidé. Aussi arriva-t-il à la fenêtre ouverte. Il régnait dans la pièce un gigantesque capharnaüm. Jamais il n'avait vu autant de livres entassés ; ils envahissaient toute la pièce circulaire. Des objets traînaient de-ci, de-là. Comment un homme pouvait-il vivre dans un tel endroit, se demanda l'elfe.
Il regarda son bracelet et la boussole lui indiquait un établi. Ce n'était ni un bureau ni un plan de travail mais pour Manes, c'était un chantier sur une table à tréteau. Cela lui rappela l'atelier de Magot, le vieil homme qui vivait avec lui. La table regorgeait de grimoires, de parchemins, de creusets, de bouteilles au contenu étrange, d'objets difficilement identifiables. La pièce aurait pu être plus spacieuse sans tout cet encombrement, se dit Manes. Il secoua la tête, il n'avait pas de temps à perdre en comparaison. Il déplaça chaque objet, chaque rouleau de parchemin jusqu'à ce que la boussole se mette à briller plus vivement quand ses doigts touchèrent une vieille pierre polie qui servait de presse-papier.
« Trouvée ! s'écria l'elfe qui attrapa l'objet avec joie. »
Pour une personne normale, ce n'était qu'un vulgaire caillou mais pour quelqu'un qui possédait cette boussole, elle pouvait faire apparaître des symboles étranges sur le dessus de la pierre, une écriture perdue qui lui indiquerait sans doute en temps voulu où aller pour la prochaine étape du voyage. Manes soupira, soulagé. Il ne lui en manquait plus que trois à retrouver sur les six qui formaient la carte. Et une fois assemblées, elles lui montreraient le chemin de la Clef des mondes.
Il mit la pierre dans sa poche bien à l'abri et s'avançait vers la fenêtre pour repartir quand il entendit des cris venant d'en bas. Il se pencha et découvrit avec horreur que des masses informes et noires envahissaient la cour.
« Les ombres, gronda-t-il. »
Il était temps qu'il retrouve cette pierre. Il frissonna violemment et se retourna d'un bond pour en voir deux dans la pièce à à peine deux mètres de lui. Il fronça des sourcils : il ne pouvait pas sortir par la fenêtre car il se ferait vite rattraper, aussi décida-t-il de dévaler les escaliers, il devrait courir sans s'arrêter. Prenant son élan, il fonça avant même que les ombres ne l'effleurent et descendit si vite les marches qu'il dut reprendre sa respiration une fois arrivé en bas.
Une fois arrivé à destination, il ne put que constater l'invasion des ombres : des soldats bataillaient dans le vide pour trancher cet adversaire fait de brume. D'autres courraient avec des torches en appelant la Déesse à leur secours. Le désordre régnait dans cette cour si calme à son arrivée. Manes prit la pierre dans sa main et la serra très fort. Il était temps de partir. Il attrapa de son autre main une fiole et se prépara à l'éclater au sol quand il fut soudainement aveuglé. Un éclair s'abattit juste devant lui et lui fit perdre son orientation. Il ne voyait plus que des éclats lumineux, il gémit de douleur.
« Tu croyais pouvoir t'échapper ! gronda la voix mécontente de Korrigan.
- Laisse-moi, j'ai trouvé ce que je cherchais alors je dois repartir !
- A cause de toi, elles nous attaquent. »
Manes cligna des yeux et sa vue sembla revenir mais très lentement. Il voyait flou. Il entendit Korrigan appeler les gardes. Il prit peur. Il lâcha la fiole qui s'éclata sur la terre et un vortex s'ouvrit. Il recula d'un pas et fut happé.
Moins de deux secondes plus tard, il sentit l'herbe sous lui et voulut se lever quand quelque chose lui tomba dessus et lui coupa le souffle. Des cris se firent entendre puis le silence tomba. Il cligna à nouveau des yeux et tomba nez à nez avec Korrigan. Le garçon était assis à califourchon sur lui, ses mains sur son torse. Il s'était approché de Manes avant de se sentir aspiré par l'étrange passage et maintenant, il était dans le monde de Manes.
« Où... où sommes-nous ? demanda-t-il la peur au ventre.
- Dans mon monde, tu ne crains rien.
- Dans... ton monde ?
- Antalia, oui. Et on devrait partir très- »
Mais il ne put terminer sa phrase car une flèche se planta près de sa main. Il tressaillit : les elfes noires, ces sales femelles prédatrices. Ils venaient d'apparaître sur leur territoire et ce n'était pas bon signe pour eux. Manes tendit la main à Korrigan mais ce dernier semblait hypnotisé par la flèche près d'eux. Une seconde lui entailla légèrement le bras et il siffla de douleur ce qui le ramena à la réalité.
« Allez lève-toi ! ordonna-t-il au garçon. Faut vite se barrer d'ici ! On est sur le territoire des elfes noires, cours vite et ne t'arrête pas.
- Hein ? »
Korrigan ne comprenait rien, il était dans une forêt sombre et trop silencieuse alors qu'une minute plus tôt, il se trouvait dans la cour du roi, essayant vainement de capturer l'elfe pendant l'attaque de cet ennemi d'un autre monde.
Il sursauta quand Manes le poussa à se lever et l'attrapa par la main pour courir. Korrigan voulut fermer les yeux mais le chemin était presque impraticable : des racines sortaient du sol, des cailloux se dressaient sous leurs pieds et les flèches des attaquants fusaient de partout, les effleurant dangereusement. C'était du suicide, pensa-t-il.
« Plus vite, plus vite, gronda Manes le cœur battant.
- Attends, gémit Korrigan qui avait décidément du mal à le suivre. »
Mais ils n'avaient pas le temps d'attendre ; s'ils le faisaient, ils risquaient de mourir ou pis encore. Korrigan lâcha un cri de peur quand Manes fut emporté par un individu sorti de nulle part. Il croisa les mains sur son torse et les regarda se battre, la peur au ventre. Il déglutit difficilement. Il n'aimait pas la violence et cette bataille devant lui n'était pas une bagarre entre soldats ivres. Non, il pouvait bien y avoir un mort.
« Cours ! lui cria Manes en le regardant avant de se prendre un coup et la bagarre reprit de plus belle. »
Korrigan hoqueta mais finit par se mettre à courir le plus vite possible pour s'éloigner de cet endroit. Son cœur battait si vite dans sa poitrine, son sang lui vrillait les tempes et son souffle était rapide, jamais il n'avait senti une telle peur. Dans sa course effrénée, il manqua de tomber, se faisant mal à la cheville, et termina son chemin jusqu'à un trou creusé en rampant au sol. Il se cacha, tremblant de peur, dans le tronc d'arbre et ferma les yeux en se bouchant les oreilles. Ses mains étaient écorchées et sa tenue déchirée par endroits.
Il pria la Grande Mère de le laisser vivre. A aucun moment dans sa fuite, il n'avait pensé à utiliser la magie. La peur lui nouait l'estomac et il ne pensait qu'à fuir, loin de ces êtres. C'était une illusion, pensait-il. Manes était un sorcier et ce monde n'était qu'une hallucination. S'il trouvait la parade, il en sortirait entier et se réveillerait dans la cour du château. Il cria de peur quand une main lui saisit le bras. Il se débattit violemment pour le faire lâcher prise.
« Hey hey, c'est moi ! C'est Manes, dit l'elfe en penchant la tête. Viens, il faut partir. »
Korrigan secoua négativement la tête. Il ne le suivrait pas mais l'elfe était fort physiquement et réussit à le sortir de sa cachette. A nouveau, ils se mirent à courir droit devant eux. Manes ouvrait le chemin en traînant le roux derrière lui. Les flèches avaient cessé de fuser remarqua Korrigan malgré la peur. Il vit alors de la lumière devant lui et en moins de cinq minutes, ils étaient sortis de la forêt pour se retrouver en haut d'une falaise surplombant un immense lac. Le jeune garçon resserra ses bras autour de lui lorsqu'une bourrasque souffla. Il était dans un triste état entre sa tenue déchirée, son visage et ses mains salis par la terre, sa longue chevelure rousse en bataille.
Manes se retourna d'un bond aux bruits qui se rapprochaient d'eux. Il n'y avait qu'une seule chose à faire pour éviter de se faire capturer par les elfes noires : sauter. Il se mit devant Korrigan et lui attrapa les bras en le fixant droit dans les yeux. Korrigan semblait sous le choc après une telle course alors Manes espérait ne pas lui faire davantage de mal en sautant du haut de cette falaise. Il inspira profondément avant de bloquer sa respiration et serra davantage ses mains. Il voulait essayer de rassurer le garçon. Il n'avait jamais sauté aussi haut d'autant plus avec quelqu'un d'autre. Il regarda derrière lui puis l'eau en bas...
« Va falloir que tu me fasses confiance, dit-il. »
Korrigan eut à peine le temps de comprendre que Manes le prit contre lui, l'entourant de ses bras pour le coller contre son torse et sauta quand les premiers elfes noires venaient de sortir de la forêt. Korrigan lâcha un cri de surprise et de terreur à la fois. Il se cramponna à Manes en fermant très fort les yeux. La chute lui parut sans fin bien qu'il eût les yeux fermés. Il avait encore plus peur que lors de leur course d'autant plus qu'il ne savait pas nager et que la peur l'empêchait d'utiliser la magie qui pourrait leur éviter le pire. Pour le rouquin, ils allaient se fracasser contre la surface de l'eau à cette vitesse et cette hauteur. Il pria à nouveau la Déesse tout en s'agrippant fermement à son camarade. Il voyait sa mort arriver à grands pas mais Manes avait confiance bien qu'il ne pût pas le lui dire.
A suivre...