On ne badine pas avec les hommes, I

Aug 07, 2011 21:58


Maintenant il faut courir, jeune fille, car ta douleur si pleine, bien qu'elle éclipse ce soir la traîne majestueuse de la lune, ne saura infléchir l'homme que tu t'es choisi. Pourquoi donc fallait-il que tu sois forte alors qu'il ne peut t'offrir le lumineux auquel aspire ta noble naissance ? Pleure, oui, laisse couler toute cette peine, mais surtout ne te retourne pas, car peut-être alors aurait-il la faiblesse de te poursuivre pour quelques heures que tu croirais éternelles. Fuis, jeune fille, tu n'es pas faite pour cette vie de doute, rejoins le jeune homme qui tout à l'heure te regardait en mettant à tes pieds superbes son pauvre cœur sans défense.



Avait-elle jamais su qu'un autre avait vu la vérité ? S'il avait fallu considérer un seul instant que Dumbledore, tel l'agaçant narrateur omniscient de la plupart des romans moldus, avait encore une fois conçu l'Histoire avant même qu'elle-même la soupçonne, alors la honte aurait si violemment assailli Hermione Granger que le souhait du vieil homme se serait réalisé. Mais ce soir, même les larmes qui tombaient dru de son menton ne purent ramener sa fascination sur terre. Il ne faisait pourtant pas noir, la lune baignait de douceur les bras nus de la femme et le visage amer de cet homme qui ne savait penser qu'après la jouissance.

Personne ne sut comment les choses en virent ici, pas même eux. Il se rappelait vaguement avoir tourné la tête, un jour aussi peu important qu'un autre, et elle était là ; pour la première fois, il se rendit compte avec étourdissement qu'il existait une réalité concrète que l'on nommait Hermione, un être vivant qu'il trouvait attachant et simplement humain. Il fut curieux comme il ne l'était plus depuis son évasion, curieux comme une première fois de découvrir ce qui se cachait derrière l'enchevêtrement complexe de vêtements qui occultaient la peau, ce que couvraient les connexions nerveuses, finalement cette âme, celle-là même qu'on avait voulu lui ravir quelques années auparavant.

Elle se souvenait des disputes dans la caverne et des provisions qu'ils apportaient au fugitif, la détresse qui saisissait son ventre devant le dénuement de cet homme, qui l'atteignait jusqu'au plus profond d'elle-même, jusqu'à la faire pleurer secrètement quand ils rentraient. Des trois enfants, elle fut la plus consciente de la dureté et de la solitude extrêmes dans lesquels il était plongé, et ses petites habitudes enfantines de confort volèrent en éclat quand elle dut affronter quelques heures ce que lui vivait depuis des mois. Sans en avertir quiconque, elle avait ainsi commencé à envoyer des colis par l'intermédiaire des chouettes de Poudlard, en les alternant, sans mot ni indication. Avait-il su que la nourriture ne lui venait pas uniquement de Dumbledore et Harry mais d'elle, cette petite Miss-Je-Sais-Tout qu'il avait émue jusque dans des recoins de sa sensibilité qu'elle ne connaissait pas ?

Il y eut ce jour où elle avait alors seize ans et une explosion du brasier au creux des jambes. Par un miracle inexplicable elle avait réussi à échapper à la surveillance de Molly et à ses ridicules tâches ménagères, peu après l'attaque du serpent, en décembre. Le froid âpre claquait les fenêtres de Londres mais elle n'en avait cure. Elle avait ouvert l'une des grandes fenêtres du 12, square Grimmaurd, s'était incrustée dans le chambranle tandis que sa tête épousait le cadre métallique si froid. Ainsi s'était-elle rappelée Viktor et ses mains qui savaient, ces nuits dont elle n'avait jamais parlé, pas même à Ginny, la chaleur brutale qui s'était emparée d'elle alors qu'elle se perdait dans la férocité en réclamant le corps offert. Oh non, elle n'avait rien dit, surtout pas à Ron ou à Harry, elle se doutait bien que c'en aurait été fini de leur amitié si Ronald l'avait su. La jalousie l'aurait rendu fou, il l'aurait tuée de ne pas s'être donné à lui plutôt qu'à cet étranger qu'il admirait. Elle gardait donc pour elle seule le souvenir des étreintes impatientes sur les tapis, des gémissements qu'il poussait lorsqu'elle le griffait de frustration, frottant son cou contre sa barbe râpeuse d'homme presque formé ; ses lèvres se pressaient quand sa mémoire lui rappelait le torse de Viktor contre son dos, ses morsures d'empressement sur sa nuque et ses mains qui la plaquaient au mur, les hanches furieuses qui tentaient d'aller toujours plus loin et plus fort ; puis les bouquets ouverts sur le ciel et ses cris à elle, la tête en arrière, suppliciée, demandant grâce, la réponse des halètements et des rugissements sauvages. Elle n'avait jamais parlé d'eux ni refait l'amour depuis qu'il était en Bulgarie, mais ce jour d'hiver 1995 elle se souvenait alors de ces quelques instants volés à se sentir satisfaite et momentanément sereine.

C'est ainsi qu'il l'a trouva, les jambes croisées, la tête renversée et les lèvres entrouvertes. La main qu'il tendit se voulait initialement innocente, mais lorsque ses doigts englobèrent son épaule nue, leurs regards n'eurent plus rien de la complicité d'antan. Derrière le visage de Sirius, Hermione vit pour la première fois l'homme sexué et la créature brisée par l'enfermement, elle prit conscience de son besoin désespéré de chaleur et de celle qu'elle pourrait lui offrir, à laquelle il n'avait goûté depuis quatorze ans.

Ils furent devant le lit de Sirius en quelques secondes, il l'avait portée et commençait déjà à retirer son pull, une lueur sournoise de bestialité au fond des yeux. Elle savait son impatience et pouvait sentir sa déchirure en effleurant les cicatrices de son torse, et malgré son envie féroce de le voir jouir et de sentir ses mains s'agripper à elle, elle arrêta le geste de son aîné avant de s'approcher vraiment et de les amener plus près du lit. Pour inaugurer le retour de Sirius parmi les vivants, elle choisit de lui faire goûter la tendresse plutôt que la torture et l'empressement qu'elle avait connus. Ce n'est pas le corps de Viktor et sa vitalité d'athlète, songea-t-elle, ce n'est pas un adolescent insouciant qui appréciera que l'on jouisse de sa chair, c'est un homme brisé qui doit redécouvrir la protection et la douceur d'une femme qui fait plus que se consumer.

- Doucement, Sirius, laisse-moi faire. murmura-t-elle en lui caressant la joue d'une main tendre et si délicieusement lente.

Elle entr'aperçu l'angoisse et l'inassouvissement éclairer douloureusement les yeux de Sirius, et sans hâte, tout comme on embrasse une jeune fille quand vient la nuit de noce, elle se pencha insensiblement sur les lèvres de l'autre, sans bouger d'abord. Le baiser devint progressivement plus impliqué, leurs bouches se découvrirent posément, puis sa main d'homme mûr vint cartographier avec crainte ses reins, tandis qu'elle se lovait contre son torse et sa chemise ouverte. Sans même qu'ils en prennent conscience, le désir physique s'était délicatement évadé par la fenêtre, tout comme ils ne virent pas disparaître une minuscule fêlure dans l'âme de Sirius, insignifiante coupure cicatrisée par l'humanité qu'il croyait perdue.

Désormais lors des repas, ils se voyaient en face, contemplaient la solitude de l'autre et ses différences qu'ils avaient cru insurmontables. Ils s'aimèrent la veille du retour à Poudlard, sans bruit ni précipitation, et en s'aimant ils dessinèrent un fragment de chemin commun. La plénitude d'Hermione la fit princesse, heureuse d'aimer un être et d'en être aimée en retour ; et dans le dos de tous, Sirius se mit à venir en cachette à Poudlard, passant par Pré-au-Lard et ses passages secrets qu'il connaissait sur le bout des pattes. Jamais les membres de l'Ordre ne se rendirent compte de ses absences, pas plus que Parvati et Lavande ne se doutèrent que leur camarade s'enfuyait régulièrement faire l'amour à un fugitif assassin assez vieux pour être son père. Leur chaleur partagée refondait petit à petit l'âme de Sirius qui prenait de l'assurance, dont les gestes se défaisaient par nuance de leur mesure habituelle. Loin de leur première fois, où la langueur de sa pénétration valait mieux que tous ces mots trop utilisés par les autres, il s'enhardissait dorénavant à l'attacher aux rebords du lit de la Salle sur Demande, à la prendre dans la Salle de Bains des Préfets et parfois même à risquer de profonds suçons sur sa gorge et sa poitrine. La possession fut complète et assumée, Hermione revivait de se sentir femme et amante, allant même jusqu'à rire sincèrement des dépits de Ron et Harry à n'avoir personne dans leur vie. Puis le naturel revint au galop, et la chute n'en fut que plus dure. Sirius n'avait jamais connu l'amour autrement que par la chair et la fraternité, et il ne se sentait pas prêt à abandonner la liberté qu'il avait si chèrement reprise.

- Hermione, je veux qu'on arrête. Il n'y a pas d'autre femme, il n'y a que toi et ta générosité, mais je ne peux pas continuer à te faire croire qu'il n'y aura jamais que toi. J'ai besoin de vivre en dehors de toi, tu comprends ?

Il était mort deux jours plus tard, et Hermione crut qu'elle allait le suivre malgré son égoïsme. Elle lui avait tout donné, il l'avait laissée faire sans jamais la prévenir, et elle se haï des semaines durant d'avoir abandonné une partie de son cœur à un séduisant imposteur - elle ne savait plus s'il fallait le détester, ou si c'était également de sa faute.

- Ma chère enfant, je crains que vous n'ayez accordé votre confiance à la mauvaise personne pour la mauvaise chose. Sirius était bon et courageux, mais bien trop épris de liberté pour avoir voulu vous confier ses faiblesses. Avait dit Dumbledore à Hermione le lendemain de la rupture, alors que Sirius avait tenté de lui faire entendre raison, tard, près du lac irisé d'une lune sans limite.

- Professeur, je l'aime et vous le savez, vous l'avez toujours su, n'est-ce pas ? Ne me dîtes pas que vous ne croyez pas aux blessures d'amour, si vous considérez que cela peut être un remède à la douleur du monde.

- Oh, bien loin de moi l'idée de prétendre le contraire, dit-il avec légèreté, mais avez-vous réfléchi un seul instant à tout ce qui peut se passer lorsqu'une jeunesse, comme la vôtre, rencontre l'amertume d'une personne enterrée en elle-même depuis quinze ans ?

Hermione réalisa alors que l'amour et la chair ne sont pas des jeux d'enfants, et qu'en donnant sa vie à quelqu'un qui ne pouvait plus avancer, elle avait perdu son innocence et sa précieuse intégrité. Je ne serai pas long, avait dit Sirius lorsqu'il l'avait vue au Ministère et qu'il voulait la protéger - au lieu de cela, elle ne pourrait garder de lui que ce simulacre d'adieu et de relation.

albus dumbledore, hermione granger, sirius black, viktor krym

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