LES MEDIAS ET JOURNALISTES FRANÇAIS PRÉSUMÉS COUPABLES

Jul 25, 2015 13:27


Serguei JIRNOV, politologue, journaliste, réfugié politique, ancien élève de l'ENA

En juillet il ne se passe presque rien en France. Tout le monde est en vacances. Les médias ne diffusent rien d’original, rien de bon, rien de neuf. C’est l’époque des "rediffs" interminables, des "best of", du vieux réchauffé et resservi, du déjà vu et déjà entendu.

Je profite de cette période intellectuellement morte pour engager une réflexion de fond sur un sujet important.

LES MEDIAS ET JOURNALISTES FRANÇAIS PRÉSUMÉS COUPABLES

Le chemin en enfer est pavé de bonnes intentions.

L’ironie de la vie est telle que les pires catastrophes n’arrivent pas forcément par la mauvaise volonté. Le plus souvent elles arrivent aux gens actifs, sincères et pensant bien faire, mais pas suffisamment compétents et/ou mal formés. C’est le cas de mes collègues, de la plupart des journalistes français.

Les journalistes français, en grande majorité, veulent et pensent bien faire leur métier. Le problème c’est qu’ils ne sont pas suffisamment rigoureux avec la parole et l’écriture, pas suffisamment respectueux des mots et des notions exactes, surtout juridiques, qui peuvent être différentes des notions du langage commun, de la langue parlée tout les jours.

Ils ont entendu dire qu’il ne faut pas publiquement accuser les gens sans preuves. Que nul n’est juridiquement considéré coupable qu’à l’issu d’un procès équitable et lorsque tous les recours juridiques ont été épuisés. Que jusqu’au moment de l’entrée officielle en vigueur du verdict judiciaire définitif, l’accusé doit être considéré comme innocent. Mais ils n'ont pas réfléchi vraiment ce que cela veut dire exactement et quelles conséquences précises cela entraîne pour chacun d'eux dans le quotidien de leur métier.

La présomption d'innocence dans les médias français.

Il suffit d’ouvrir un journal français, d’allumer un poste de radio et de télévision, de se connecter à l’Internet, et l’on lis et entend tout le temps, partout et systématiquement : le meurtrier PRÉSUMÉ, le violeur PRÉSUMÉ, le cambrioleur PRÉSUMÉ, le terroriste PRÉSUMÉ, etc.

Personne en France ne fait plus attention à ce que chaque fois que le mot "PRÉSUMÉ" soit employé, écrit ou prononcé par un journaliste, diffusé par un média dans ce contexte précis, une faute juridique grave est commise. Voire un délit. Aux yeux de la loi.
Les journalistes français pensent bien faire dans le fond, mais se trompent dans la forme ne sachant pas faire correctement. Ils utilisent la plupart du temps le mauvais mot - PRÉSUMÉ. Ou, plus exactement, ils utilisent un bon (correct) mot dans un mauvais (incorrect) contexte, à mauvais escient. Juste un seul mot correct mal employé! Mais cela change tout. Radicalement!

On a l'impression que dans toutes les rédactions françaises tout le monde a débranché le cerveau, que les auteurs des textes ne comprennent pas ce qu'ils écrivent et que ceux qui les lisent aux antennes des télévisions et sur les ondes des radios, répètent comme les perroquets sans cervelle une connerie.

Pourtant c'est très simple. Réfléchissez deux secondes.

Nul ne peut être à la fois deux choses contradictoires et opposées. Nul ne peut être présumé coupable et présumé innocent à la fois. Donc, le "présumé" meurtrier (violeur, cambrioleur, terroriste, etc.) dans la bouche et sous la plume des journalistes ne peut plus (en même temps) être un présumé innocent, comme oblige la loi. Dans toute logique (qui a du mal à se faire comprendre par les journalistes), le "présumé" meurtrier (violeur, cambrioleur, terroriste, etc.) est automatiquement présumé coupable! Ce qui, de la part des journalistes qui l'affirment et des médias qui le diffusent, constitue un délit au regard du droit international et français.

Le mot généralement inapproprié "PRÉSUMÉ" (acquit d’avance, jusqu’à preuve du contraire décidée par une cour de justice) est systématiquement employé dans les médias français à la place des mots corrects "SUPPOSÉ" (soupçonné, hypothétique, soi-disant, possible, prétendu, probable, apparent ; etc.).  Voilà le problème!

Les journalistes devraient dire : le meurtrier supposé, le violeur supposé, le cambrioleur supposé (soupçonné, hypothétique, soi-disant, possible, prétendu, probable, apparent, etc.) Et jamais "présumé". Jamais de la vie professionnelle d’un journaliste parlant des affaires juridiques et judiciaires! Car pour la loi il n'existe qu'une seule et unique présomption - celle de l'innocence. Et aucune autre!

J’en conviens, la linguistique générale française n’est pas forcément claire, limpide et lisible dans ces définitions. Elle peut même embrouiller les esprits. Il suffit de consulter les dictionnaires de référence. Le Petit Larousse défini correctement le "présomptif" (du latin praesumptus, pris d’avance), mais qualifie la "présomption" (du latin praesumptio, conjecture) comme "opinion par laquelle on tient pour vrai, pour très vraisemblable, ce qui n’est que probable". Donc, quasiment l’inverse de ce que comprend et sous-entend la justice française, en particulier, et celle du monde entier civilisé, en général, lorsqu’elle parle de la présomption d’innocence.

Le mot "présumé" (acquit d’avance, jusqu’à preuve du contraire décidée par une cour de justice) est systématiquement mal employé en France par les journalistes dans les comptes rendus des enquêtes et procès, juridiquement, c'est-à-dire dans le jargon professionnel juridique et judiciaire, car il n’est pas du tout un synonyme de "supposé", "prétendu", "soupçonné", "hypothétique", "probable", etc., comme il peut l'être dans le langage courant.

La justice a volontairement décidé de réserver dans ces textes et principes, d'associer l’emploi de la notion "présumé" (acquit d’avance, jusqu’à preuve du contraire rendu dans une décision officielle et définitive d’une cour de justice) exclusivement avec la notion : "innocent". Et quiconque qui fait autrement, commet un délit au regard de la loi. Néanmoins pratiquement tous les journalistes en France commettent cette faute extrêmement grave de langage. Tous les jours. Systématiquement. La plupart du temps. En entraînant avec eux dans l’erreur le grand public.

Et personne en France ne semble plus le remarquer ni s’en préoccuper.
- Ni les politiques.
- Ni le Conseil constitutionnel, ni le Conseil d’État, ni le ministère de la justice, le Parquet ou le Conseil Supérieur de la Magistrature.
- Ni le CSA et autres organismes professionnels de contrôle des médias.
- Ni tous les enseignants et les formateurs dans les écoles de journalisme et de droit.
- Ni l’Académie française et les professionnels de la linguistique.

En France, chaque jour et à plusieurs reprises, la loi sur la présomption d’innocence est violée par les journalistes au vu et au su de tout le monde. Et personne ne réagit. Personne !

Donc, ils sont tous présumés coupables de la violation systématique de la présomption d'innocence (ou du recel et de la complicité par négligence) de tous les accusés et soupçonnés de France, car les journalistes commettent un flagrant délit publique qui n'a pas besoin d'être confirmé autrement.

Il a fallu que ce soit moi, un journaliste et linguiste étranger, amoureux de la langue française et du droit, qui alerte les autorités françaises, les médias et l’opinion publique de la violation généralisée en France de la présomption d’innocence par toute la caste journalistique dans un climat général de laisser-aller.

Par mauvais emploi du bon mot  "PRÉSUMÉ".

Voilà, moi, j’ai alerté. Qui comprendra la gravité de la situation et fera respecter la loi ?

France, juillet 2015

Les annexes pour mieux comprendre le sujet:

La présomption d'innocence dans le droit international.

La présomption d'innocence, telle qu'entendue actuellement dans la plupart des pays d'Europe, se fonde sur l'article 11 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 de l'ONU qui la formule de la façon suivante :
"Article 11. Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées.»

La présomption d'innocence est également reconnue à l'article 14-2 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, à l'article 48 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi qu'à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

La présomption d'innocence dans le droit français.

Le principe est affirmé en France par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 (auquel fait référence le préambule de la constitution actuelle) :
«… tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable...»

Il est décliné dans l'article préliminaire du code français de procédure pénale :
"III. - Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d'innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi." (introduit par la loi française du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence)

Le Code de procédure pénale prévoit également, dans son article 304, le rappel de ce principe aux jurés d'assises lors de leur prestation de serment :
«Vous jurez et promettez [...] de vous rappeler que l'accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter.»

L'article 9-1 du nouveau code civil, crée en 1993, dispose que :
"Chacun a droit au respect de la présomption d'innocence. Lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, ordonner l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, sans préjudice d'une action en réparation des dommages subis et des autres mesures qui peuvent être prescrites en application du nouveau code de procédure pénale et ce, aux frais de la personne physique ou morale, responsable de l'atteinte à la présomption d'innocence."

Ainsi, la personne qui s'estime victime d'une atteinte à la présomption d'innocence peut assigner son auteur devant le tribunal afin d'en obtenir sa cessation ainsi que la réparation des préjudices subis.
La diffamation telle que définie par la loi sur le Liberté de la Presse du 29 juillet 1881 en son article 29 alinéa 1er comme :
"Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation.
La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés."

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