TOTALITARISME MILITAIRE DE POUTINE : VERS QUELLE NOUVELLE GUERRE?

Dec 23, 2019 12:00


TOTALITARISME MILITAIRE DE POUTINE : VERS QUELLE NOUVELLE GUERRE ?
Published on December 23, 2019
Sergueï  JIRNOV (SergeyZHIRNOFF)
Colonel de réserve, ex-espion de carrière (Service des illégaux du KGB et SVR), politologue, journaliste, consultant médias, TV



Début octobre 2019 mon père m’a informé que le commissaire militaire de l’arrondissement Nord de la ville de Moscou m’a envoyé une convocation écrite me mandant en tant qu’un commandant de réserve du Ministère de la défense de me présenter devant ses yeux le 25/10/2019 à 09h00. C’était une chose inhabituelle, car à partir de l’âge de 55 ans j’ai dû passer de la réserve à la rentraite (1) et, résidant en permanence en dehors de la Fédération de Russie, je suis, en principe, exempt des appels pour les stages de formation continue ou vérification de la mobilisation des officiers supérieurs de la réserve (2).
Cela m’a poussé à réétudier la loi fédérale n°53 pourtant sur les obligations militaires pour envoyer juridiquement se promener ce brave colonel qui, de toute évidence, voulait encore me chercher des poux. Mais cette étude et quelques recherches collatérales m’ont fait découvrir les derniers changements législatifs, administratifs et logistiques russes qui m’ont paru assez curieux et inquiétants pour me pousser à écrire ce petit article.
Totalitarisme et militarisme ambiant russe.
A l’instar d’Hitler avec anschluss de l’Autriche ou l’annexion des Sudètes tchèques en 1938, après la sale guerre de la minable marionnette poutiniste Medvédev en 2008 contre la Géorgie, le marionnettiste Poutine, revenu au Kremlin, a initié et mené en 2014 l’annexion criminelle de la Crimée ukrainienne et une agression militaire directe à l’Est de l’Ukraine : dans les régions frontalières de Donbass et Lougansk.
Ce conflit géopolitique purement international et même idéologique interne russe est présenté par la propagande poutiniste comme une sorte de « guerre civile » ukrainienne : entre les « braves » russophones de l’Est et les « fascistes » ukrainiens de Kiev.
Ce qui est faux car si les « séparatistes » russophones ukrainiens existent bien, dans la majorité des cas ils ne sont que les petits criminels locaux sans aucune envergure choisis pour servir de « couverture » et prétexte à Poutine, tout comme les allemands ethniques à Hitler en Tchéquie, Pologne, France, Belgique et Autriche avant la Deuxième guerre mondiale. Ces « séparatistes » sont organisés en formations armées illégales, soutenus, manipulés, armés, dirigés et fournis en passeports par la Russie afin de mener une mutinerie armée criminelle contre le pouvoir ukrainien central légitime.
Et les prétendus « volontaires civiles » qui viennent de Russie, avec l’équipement de guerre lourd et sophistiqué (chars de dernière génération, avions, hélicoptères, batteries antiaériennes, missiles, explosifs, moyens modernes de communications, etc.) fourni de toute évidence par l’Etat de Poutine (malgré le cynisme évident et la provocation des démentis formels ridicules du régime), pour combattre aux côtés des bandits russophones ukrainiens, sont en réalité et dans la plupart des cas les personnels réguliers, de carrière ou réservistes, des services spéciaux russes ou du Ministère de la défense. Et cela - selon la propre loi militaire de la Russie - la loi fédérale russe modifiée n°53 du 28 mars 1998 portant sur les obligations militaires de la population et le service militaire, avec les modifications entrées en vigueur en janvier 2019.
En effet, juridiquement, tout citoyen russe de sexe masculin (et les femmes qui possèdent une formation et une profession militaires) entre 15 et 45 ans au minimum (voire jusqu’à 70 ans pour certains), qui n’est pas officiellement déclaré un handicapé physique ou mental, et qui n’est pas détaché dans un des services spéciaux russes, appartient physiquement au Ministère de la défense de Russie, tel sa « chose », son « serf » - se trouve dans l’état de servitude légale dans une des 8 catégories humaines :
  • Pré conscrit (de 15 à 18 ans) - tout mineur mâle apte, obligatoirement recensé deux fois à 15 et 16 ans, rattaché formellement à partir de 17 ans révolus aux forces armées qui, en attendant l’appel sous les drapeaux à sa majorité, est placé sur les lieux de sa résidence permanente, d’études ou de travail sous le contrôle formel des commissariats militaires territoriaux jusqu’à sa majorité, et qui suit une formation militaire de base, obligatoire et régulière, de quelques heures ou jours sur ses lieux d’études ou de travail.
  • Conscrit (de 18 à 27 ans) - tout jeune majeur mâle apte qui n’est pas encore libéré de l’obligation légale du service militaire obligatoire de 12 mois, parce que bénéficiant d’une exemption temporaire (certaines études supérieures, certaines obligations ou dispositions familiales, certaines professions ou certains emplois), formellement placé sur les lieux de sa résidence permanente, de travail ou d’études sous le contrôle des commissariats militaires territoriaux, en attendant l’appel sous les drapeaux.
  • Objecteur de conscience ou un handicapé en aptitude partielle (de 18 à 28 ans) - jeune majeur mâle qui n’est pas encore libéré de l’obligation légale du service obligatoire auxiliaire ou civil en remplacement du service militaire régulier obligatoire et placé, en attendant, sur les lieux de sa résidence permanente, travail ou études sous le contrôle des commissariats militaires territoriaux.
  • Appelé - toute personne de 18 à 27 ans en train d’exécution de son service militaire obligatoire en tant que soldat ou gradé dans les unités militaires en Russie ou à l’étranger.
  • Elève de collèges et lycées militaires (écoles secondaires Souvorov et Nakhimov), élève-officier des écoles militaires supérieures (de 7 à 24 ans) - les jeunes en formation pour les carrières militaires.
  • Militaire de carrière - un professionnel de guerre sous le CDI (25 ans minimum).
  • Militaire contractuel - un professionnel de guerre sous les CDD de 1, 3, 5 ou 10 ans renouvelables.
  • Réserviste du Ministère de la défense ou d’un Service spécial fédéral en détachement - tout homme apte et valide (de 27 à 35-45 pour les hommes de rang, voire jusqu’à 65-70 ans pour les plus gradés) au-delà des 7 catégories susmentionnées, placé sous le contrôle permanent des commissariats militaires sur les lieux de sa résidence permanente.

La réserve militaire totalitaire russe
En France, servir dans la réserve militaire est un choix. En dehors duquel, tant qu’un homme français ne demande pas une aide sociale ou une allocation à l’état, il est libre de faire ce qui bon lui semble, dans la limité de la légalité générale et du respect de l’ordre public, et il n’intéresse éventuellement qu’une seule administration - fiscale, au cas où ses revenus ou ses possessions immobilières seraient imposables.
En Russie, être dans la réserve du Ministère de la défense c’est une servitude permanente, une obligation légale en deçà de toute autre activité militaire régulière ou professionnelle, à laquelle seuls les enfants jusqu’à 15 ans, les vieillards et les femmes civiles (pas celles qui ont été formées pendant leurs études à la chose militaire et classées aptes au service sous les drapeaux) ont la chance d’échapper directement. Mais ils ne le sont jamais réellement : quand le fils, le frère, le mari, le papa ou le grand-père se trouve dans la servitude militaire permanente de l‘Etat russe, toute la famille en souffre les conséquences.
Donc, les hommes en Russie de 15 à 45 ans, voire jusqu’à 70 ans, dans leur vie civile normale ne sont pas libres de faire ce qu’ils veulent, de se déplacer et de disposer librement d’eux-mêmes sans une autorisation du Ministère de la défense, qui les menace comme une épée de Damoclès. Ils sont de ce fait les prisonniers en sursis de l’Etat russe, en liberté conditionnelle et surveillée pendant la plus grande partie de leur vie active et de force de l’âge. Et cela conditionne forcément la vie de leurs enfants, épouses et parents âgés.
Dans cette longue période de servitude contrainte, leur vie professionnelle ou privée peut être interrompue, bousculée, changée de force par le Ministère de la défense à n’importe quel moment et ils n’ont aucune possibilité légale d’y échapper, au-delà de quelques rares cas d’exemptions prévus par la loi militaire. Sous la coercition de la justice et la menace des poursuites pénales pour la désertion.
La dénonciation systématique, la recherche judiciaire et les poursuites pénales et administratives des personnes voulant échapper à l’obligation de recensement, comptabilisation et contrôle de toutes les personnes potentiellement mobilisables par les commissariats militaires sont officiellement prévues par les dispositifs législatifs écrits et organisées partout dans le civil en Russie : par la justice, la police et les services de renseignement, par toutes les administrations fédérales, par les collectivités territoriales, l’état civil, les entreprises, les écoles, les universités, les comités locaux de gestion des habitations, les hôpitaux et l’administration pénitentiaire. Ceux parmi eux qui ne veulent pas dénoncer et poursuivre, sont poursuivis à leur tour. Cela ne se passe pas dans les livres sur la lointaine période stalinienne révolue mais en Russie actuelle qui prétend être un pays heureux, libre, pacifique et civilisé.
C’est pourquoi cette Russie de Poutine doit toujours être considérée et classée non seulement comme un état militariste mais surtout comme un état totalitaire. Et ce totalitarisme et militarisme traditionnel russe d’Etat a été renforcé par Poutine à partir de 2015, même par rapport à l’ancienne époque soviétique stalinienne et post-stalinienne.
Par le passé, les périodes de formation des réservistes étaient d’un mois tous les 3-5 ans. Et la plupart du temps, ces périodes de formation militaire continue n’étaient même pas effectives mais seulement potentielles. Rares étaient ceux que le Ministère de la défense rappelaient de temps en temps sous les drapeaux afin de les faire jouer un peu à la guéguerre. Dans les unités régulières, ses réservistes civils âgés ont reçu un sobriquet moqueur de « partisans » parce que l’armée les équipait des vieux uniformes de l’époque stalinienne et parce que ils détonnaient physiquement par leur âge face aux jeunes et beaux appelés de 18-21 ans portant les équipement plus modernes.
La réforme militaire poutiniste de 2008-2020 qui finit sa troisième phase, entre autre chose, a apporté des modifications significatives dans le statut et la formation continue des réservistes militaires.
L’Oukase présidentiel n°370 du 17 juillet 2015 et surtout le nouvel article 51.2 de la loi fédérale n°53 entré en vigueur à partir du 1ier janvier 2019 a divisé l’ancienne réserve militaire en deux groupes (c'est-à-dire tous ceux qui ne font pas le service miliaire mais restent sous le contrôle militaire territorial de 18 à 70 ans) : la réserve humaine contractuelle mobilisée active (мобилизационный людской резерв) et la ressource humaine militaire potentiellement mobilisable (мобилизационный людской ресурс). 
Pour la deuxième (classique) catégorie des réservistes les stages militaires de formation continue ne peuvent être organisés plus souvent que tous les 3 ans et pas plus longuement que 2 mois à chaque fois, la totalité des stages de formation miliaire des réservistes ne pouvant excéder 12 mois durant toute la période de service dans la réserve (de 27 à 45-55 ans) (art. n°54, paragraphe 3). Tout en sachant que les rappels impromptus pour les stages dits de « vérification de la mobilisation » peuvent intervenir à tout moment et sans aucune limite, indépendamment des stages dits de « formation » (art. n°54, paragraphe 4).
Mais pour la nouvelle catégorie de réservistes, introduite par les nouvelles dispositions (VIII.1 articles de 57.1 à 57.8) de la loi modifiée n°53 à partir de janvier 2019, tout change. Maintenant ils doivent conclure un contrat formel signé avec le Ministère de la défense (ou un autre service fédéral : FSB, SVR etc.). Pour eux, les stages deviennent réguliers et mensuels, à raison d’un mois cumulé par an, les pertes en salaires remboursables par une allocation versée du budget militaire de l’Etat. Le premier contrat dans cette nouvelle réserve peut être signé pour la durée de 3 ans avant l’âge de 42 ans pour les hommes de rang, sergents et sous-officiers de la réserve, 47 ans pour les officiers subalternes de réserve, 52 ans et 57 ans pour les officiers supérieurs de réserve.
Qu’est-ce nous prépare Poutine ?
Сes changements législatifs dans la réserve militaire russe signifient en gros que le régime de Poutine doit être considéré actuellement non seulement comme militariste et totalitaire mais également comme celui en état de guerre permanente et préparation d’une nouvelle agression internationale.
Et cela, en plus du fait que 30% du budget annuel de l’Etat est dorénavant affecté au ministère de la défense, aux services spéciaux et aux programmes de réarmement accéléré des forces armées russes.
Ces changements posent beaucoup de questions …
  • Poutine ne veut-il pas présenter actuellement les réductions planifiées et réalisées des forces armées russes de 1,2 millions de personnes en 2008 à 845 mille en 2014 et des officiers de 300 à 150 mille - parce que l’économie russe très faible et entièrement dépendante de la rente des matières premières ne pouvait pas supporter le poids d’une machine de guerre trop lourde - comme une erreur idéologique de sa marionnette Medvédev qui en réalité ne faisait que ce que le marionnettiste Poutine lui ordonnait ?
  • L’agression militaire poutiniste en Ukraine depuis 2014 n’a-t-elle pas provoqué le nouveau besoin d’accroître la machine de guerre conventionnelle de Russie sans augmenter officiellement les effectifs des Forces armées régulières, éveiller les réticences dans le monde et provoquer de nouvelles sanctions internationales ?
  • Ces nouveaux « réservistes » actifs et contractuels ne sont-ils pas destinés à grossir les rangs des formations militaires illégales des prétendus « volontaires » russes et des soit disant « séparatistes » russophones ukrainiens sur le front à l’Est de l’Ukraine ?
  • La récente création de la « réserve humaine » permanente et contractuelle militaire ne cache-t-elle pas en réalité une préparation d’une nouvelle agression militaire extérieure de Poutine ?
  • Et si oui, contre qui cette fois-ci ? La Biélorussie ? Les pays baltes ? Les pays de l’Europe de l’Est ? Ou la Finlande et l’Europe de l’Ouest ? Les pays du Caucase ? Le Kazakhstan ? Voire l’Iran ou encore la Chine et le Japon ?

Mais comme on dit, parfois le malheur est bon.
Dans le cadre précis de l’annexion de la Crimée ukrainienne par la Russie en 2014 et de l’agression militaire russe à l’est de l’Ukraine depuis 2014 qui est présentée par la propagande du régime de Poutine comme un conflit interne de l’Ukraine, une sorte de « guerre civile d’indépendance » des « séparatistes » russophones ukrainiens contre le pouvoir central de Kiev, le totalitarisme militaire interne de l’Etat russe, sacré par la loi militaire modifiée n°53, se retourne contre Poutine en Ukraine dans deux aspects purement juridiques :
Tout citoyen russe mâle apte entre 15 et 45-50 ans (voire 55-60 ans pour les ancien officiers supérieurs et 65-70 ans pour les anciens officiers généraux) même en civil, sans armes ni uniformes, qui se retrouve dans la zone de cette guerre doit être systématiquement et automatiquement considéré non pas comme un « volontaire », « milicien » ou « civil » mais comme un personnel régulier militaire russe (pré conscrit, conscrit, appelé, militaire ou réserviste du Ministère de la défense), selon les définitions de la propre loi militaire russe n°53. Sauf si la Russie présente officiellement les preuves juridiques de la recherche judiciaire de ladite personne en tant qu’un déserteur militaire pour son jugement, condamnation et l’emprisonnement.
Tout ancien ou actuel citoyen ukrainien mâle apte entre 15 et 45-60 ans, porteur d’un passeport russe délivré aux russophones séparatistes des prétendues « républiques » de Donetsk, Lougansk ou Novorussie, même en civil, sans armes ni uniformes, qui se retrouve dans la zone de cette guerre, doit être systématiquement et automatiquement considéré non pas comme un « volontaire », milicien ou civil mais comme un personnel régulier militaire russe (pré conscrit, conscrit, appelé, militaire ou réserviste du Ministère de la défense), selon les définitions de la loi militaire russe n°53. Sauf si la Russie présente les preuves juridiques de la recherche judiciaire de ladite personne en tant qu’un déserteur militaire pour son jugement, condamnation et l’emprisonnement.
Quand Poutine parle des prétendus « volontaires » russes qui « à leur propre initiative » partent en Ukraine combattre aux côtés des « séparatistes » russophones, sans en avertir l’énorme machine administrative, judiciaire, policière et militaire russe qui les contrôle partout et en permanence, c’est juste de la science fiction. C’est juste du foutage de la gueule des gens qui ne connaissent pas les réalités russes.
Le simple fait de partir de son domicile au-delà de deux semaines, même pour une destination en Russie, sans avertir au préalable le commissariat militaire et sans laisser une nouvelle adresse, pour tout homme civil entre 18 et 45-65 ans apte au service militaire constitue automatiquement le délit pénal équivalent à la désertion. Ainsi les 12 mille « volontaires » russes se trouvant dans la zone des combats de l’Est de l’Ukraine soit s’y trouvent avec l’autorisation du Ministère de la défense russe, soit doivent être sous les mandats judiciaires russes de recherches et d’amener. Puisque la Russie ne demande pas aux autorités ukrainiennes ou séparatistes l’arrestation et l’extradition de ces citoyens russes, cela prouve automatiquement l’implication directe de l’Etat russe et de son Ministère de la défense dans le conflit en Ukraine.
Ainsi les derniers changements législatifs russes entrés en vigueur à partir de janvier 2019 et la définition juridique russe de la réserve militaire du Ministère de la défense extrêmement large et totalitaire sont finalement très handicapants pour Poutine lui-même et son régime qui mène, comme tout le monde le sait, une agression militaire ouverte en Ukraine.
Parce qu’ils ouvrent une voie juridique pour les poursuites de Poutine et son régime devant le Tribunal pénal international pour les crimes de guerre et leur condamnation pour une implication directe militaire d’Etat russe dans les affaires internes de l’Etat souverain ukrainien sur son territoire légitime.

France, Décembre 2019

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Avec un léger retard, je veux enfin partager une très bizarre et extraordinaire nouvelle avec mes lecteurs, admirateurs et abonnés:
J'ai été promu colonel de réserve en Russie !


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