FIN DE L'ETAT DE GRACE DU PRESIDENT MACRON

Jul 20, 2017 12:17


Sergueï JIRNOV, politologue et analyste politique

La démission forcée du chef d’état major des armées sonne la fin de l’état de grâce du président Macron.

АВТОРСКИЙ ПЕРЕВОД НА РУССКИЙ: КОНЕЦ МЕДОВОГО МЕСЯЦА ФРАНЦИИ И ПРЕЗИДЕНТА МАКРОНА




Le candidat Macron avait l’impression de marcher sur l’eau depuis un an. Et le début du mandat du président élu Macron faisait penser à la même chose. Pourtant la logique politique universelle implacable n’a pas changé : tout homme de pouvoir ne peut que descendre dans l’opinion publique, le pouvoir use, le pouvoir change les gens.

Emmanuel Macron a beaucoup de talents. C’est incontestable. Mais la première grande faute qu’il a commise assez rapidement, quasiment immédiatement à la prise officielle des fonctions, c’est de croire qu’il a été élu grâce à ses talents, en reconnaissance de ses talents et que le peuple lui a donné la carte blanche. Il a commencé visiblement à surestimer ses talents et l’estime du public envers lui en oubliant que l’opinion publique le plus souvent est jalouse des gens talentueux et que le grand public se détourne des héros aussi rapidement qu’il peut venir les adorer auparavant. Même le grand général de Gaulle, créateur de la 5ième République a fini par être démissionnaire et abandonné par l’opinion.


Dans la configuration politique française depuis assez longtemps il y avait un espace vacant et une demande des français pour un mouvement dit « transpartisan » ou « apolitique » ou « non idéologique » ou en dehors des clivages traditionnels gauche-droite. Cette demande se basait sur les échecs cumulés des partis traditionnels, sur l’autisme systématique du pouvoir élu de gauche ou de droite, sur la fatigue émotionnelle des gens envers les hommes politiques anciens et les traditions françaises dépassées.

Cette place était depuis longtemps occupée par le Front national de la famille Le Pen. Non pas en reconnaissance de ses prétendues qualités et forces mais faute de mieux. Car, en réalité, l’extrémisme frontiste lié à la « fachosphère » et le rejet des règles républicaines gênait la plupart des gens « normaux », en dehors des rangs limités des militants convaincus d’extrême droite.

Une droite traditionnelle déboussolée s’est trompée grossièrement sur la sociologie et les motivations du vote protestataire de la société française. Cette droite trop politicienne, populiste et opportuniste s’est trompée sur l’offre adéquate. En oubliant la leçon historique du fascisme en Allemagne et en Italie : l’extrémisme ne peut pas être durablement le refuge de tout un pays et de toute une nation, l’extrémisme mène à long terme à la catastrophe, à la perte.

Une partie de la droite « conventionnelle » ou « traditionnelle » en perte de vitesse, en commençant par Sarkozy et en finissant par les fillon, ciotti et autres wauquiez, a cherché à chasser sur les terres défendues de l’extrémisme. Au lieu de se pencher vers le centre plus équilibré et une nouvelle offre centriste innovante.

« Si je peux te donner un conseil : oublie que t’as aucune chance ! Fonce ! On sait jamais, sur un malentendu ça peut marcher. » - disait le prétendu grand spécialiste des réussites amoureuses Jean-Claude Dusse dans le best-seller « Les bronzés font du ski ».

Macron a eu le flair de trouver très opportunément cette place vacante, de sentir ce vide, de repérer cette attente de la société et de foncer en faisant une nouvelle offre politique à la société française. Et, surtout, de se trouver au bon moment et au bon endroit. C’est pour ça qu’il a été élu. Parce que son offre politique nouvelle et opportuniste répondait le mieux à la demande momentanée de la société française. Et non pas, comme il pouvait le croire, grâce à ses talents (nombreux et indéniables) et ses convictions politiques (en réalité, inexistantes). C’était, en quelque sorte, un malentendu entre la société et Macron.

Parce que Macron a joué juste l’opportunisme pragmatique mais l’attente globale de la société française est beaucoup plus complexe et, surtout, plus contradictoire. Cette amourette opportuniste ne pouvait qu’être de courte durée. Sur un malentendu on peut avoir une petite aventure mais jamais une union durable.

La plus grande faute de Macron était de faire semblant de faire une proposition publique globale qui avait la prétention d’être une grande et profonde révolution de la vie politique (d’où le titre de son ouvrage clé de la campagne présidentielle) mais qui, en réalité, n’en était pas une. Le candidat Macron semblait proposer à la société de réformer la 5ième République de fonds en combles, pour la rendre plus efficace et plus juste. En réalité le président Macron a juste recommencé de ressortir de la naphtaline la République jupitérienne poussiéreuse sous le vieux modèle de 1958 du défunt général de Gaulle.

La courte lune de miel entre les amants a duré du 7 mai au 19 juillet 2017. Pendant cette lune de miel le président élu a déjà commis beaucoup de fautes stratégiques en faisant les petites victoires tactiques ou en traînant les pieds et espérant que tous les problèmes allaient se résoudre tous seuls.

Le président Macron a eu raison de prendre vite la décision de mettre la dépouille de Simone Veil et de son mari au Panthéon mais cette victoire tactique a été aussi vite oubliée puisque Macron n’a pas su aller vite jusqu’au bout et organiser ce transfert immédiatement. Il a préféré traîner les pieds en ajournant la cérémonie à l’automne et a perdu de vitesse. Une future cérémonie n’aura plus le même impacte médiatique car la nouvelle déjà consommée n’en est plus une dans le monde actuel très rapide.

Le président s’est imposé avec la nouveauté de son discours le 3 juillet devant du parlement réuni en congrès à Versailles, avant le discours traditionnel du premier ministre au palais Bourbon le 4 juillet. Mais cette victoire tactique macronienne n’avait aucun sens stratégique dans les yeux de peuple qui n’a même pas daigné regarder ce discours présidentiel en directe, diffusé au milieu d’après-midi  quand les gens « normaux » actifs travaillent, les jeunes font leurs études et les retraités « normaux » regardent leurs séries télévisuelles policières habituelles ou les talk-show amusants.

Ce que tous ces gens ont retenu des discours déformés du président et de son premier ministre, abondamment commentés et critiqués par les médias et l’opposition, c’est que beaucoup de promesses électorales allaient être repoussées aux calendes grecques.

Le président s’est imposé devant les médias et les journalistes avec les règles extrêmement psychorigides de sa communication. Mais cette victoire tactique du président Macron a mis fin à une avancé stratégique du candidat Macron qui était très ouvert aux médias et qui les habitués à une ouverture moderniste. Cette tentative de la maîtrise de la politique de communication a été vécue à l’extérieur comme le virage à 180° : de l’information libre à la propagande gouvernementale.

Donc, la prétendue nouvelle politique macroniste de ne pas faire de commentaires s’est vite révélée parfaitement démagogique : le président agit et ne commente pas. En même temps, le président Macron a bel et bien créé les pages Facebook et le compte Twitter en commentant abondamment l’actualité (plus de 4414 messages postés depuis le 7 mai 2017 - si c’est ça agir et se taire, on sait plus ce que c’est que l’action et le silence radio !).

En même temps, la fuite de Macron des micros et caméras au milieu des scandales liés aux membres de son équipe et de lui-même (la fameux voyage aux USA) paraissait non pas comme une réelle volonté de mettre fin aux pratiques douteuses de communication des présidents Hollande et Sarkozy, aux liens incestueux entre le pouvoir politique et la presse connivente, mais comme les tentatives de la nouvelle équipe Macron de cacher la vérité gênante aux français.

De toute façon, les absents ont toujours tort. En désertant volontairement le champ de batailles médiatiques le président a perdu en initiative, en courage et en pédagogie. Puisque souvent dans notre monde actuel il ne suffit pas de faire quelque chose mais il est obligatoire de l’expliquer et de le commenter devant les médias pour le rendre plus lisible et compréhensible. En se retirant unilatéralement du champ médiatique, le président jupitérien y a laissé toute la place à ses critiques et adversaires.

Par sa volonté jupitérienne, il aurait dû virer du gouvernement Richard Ferrand lui-même et tout de suite, dès le début du scandale immobilier, mais le Jupiter a préféré parler de la présomption d’innocence et attendre tranquillement la fin des législatives pour s’en débarrasser. Le Dieu tout puissant n’a pas viré Ferrand mais l’a juste mis dans le placard doré en le propulsant à la tête du groupe parlementaire de la « République en marche ». La société française a très bien vu, compris et enregistré cette faute stratégique de Macron mais n’a pas réagit immédiatement. Ce qui a été, à tort, pris par Macron pour une victoire tactique.

Macron a eu tort stratégiquement en laissant l’initiative de présenter la loi symbolique sur la moralisation de la vie politique au ministre de la justice Bayrou, fraîchement impliqué dans le scandale d’emplois soupçonnés fictifs et de magouilles supposées avec les fonds européens. Bien évidemment, la présomption d’innocence était en faveur de la personne physique Bayrou, mais le soupçon pesait déjà fortement sur l’homme politique et la personne morale de son parti. Cette prétendue grande et symbolique réforme de Macron était corrompue et compromise dès le début, quoi qu’il en dise. Et le peuple se souvient longtemps des symboles.

Par sa volonté révolutionnaire, Macron a dû virer immédiatement du gouvernement François Bayrou et les deux autres ministres du Modem, mais le Jupiter n’a pas su montrer son courroux légitime et attendu par le peuple. Il a préféré attendre la fin des législatives et parler de la présomption d’innocence. Le Jupiter n’a pas compris que le peuple en avait ras le bol de cette prétendue présomption d’innocence des puissants. Le peuple n’a pas réagit tout de suite et le Dieu élyséen a mal interprété ce silence momentané en le prenant pour le consentement muet.

En revanche, lorsque le chef d’état major des armées a très légitimement critiqué les orientations budgétaires du chef des armées, le Jupiter n’a pas tardé de lui remonter les bretelles. Du point de vu de la subordination militaire et de la discipline institutionnelle Macron avait parfaitement raison. Mais dans les yeux du peuple et des militaires il a perdu en légitimité et en justice.

Parce que il est vite devenu injuste en voulant être trop légal. Et parce n’ayant pas fait son service militaire et étant trop jeune, Macron déjà n’avait aucune légitimité militaire. Ce n’est pas en montant 2 ou 3 fois dans un sous-marin ou sur un véhicule de l’armée lors des défilés ou en s’exhibant aux côtés d’un détestable clown américain sur les Champs-Élysées qu’on devient un vrai chef des armées respecté face à un général qui a obtenu son grade sur les champs de vrais combats. Et sa visite sur la base d’Istres en compagnie du nouveau chef d’état major des armées, le général François Lecointre prenait les allures d’une piètre opération de comm’ d’un mauvais élève après le couac grave avec le professeur.

La belle machine macronienne qui vite commençait à perdre de sa superbe virtuelle face aux réalités de l’exercice du pouvoir, s’est cassée sur l’épisode du général Pierre de Villiers. Et le peuple qui ne disait mot, s’est souvenu tout de suite de toutes les fautes stratégiques du Jupiter dans les deux mois précédents. L’état de grâce s’est terminé bien avant les 100 premiers jours du quinquennat Macron.

Contrairement à la volonté de Macron de rompre avec les mauvaises habitudes des présidences Sarkozy et Hollande et de relancer la vielle machine politique française, c’est la même chose qui l’attend très probablement : il pourrait éventuellement être apprécié pour sa politique internationale mais va être détesté pour ses réalisations intérieures, sa personnalité brillante mais contradictoire et sa politique contestée, malgré tout le capital de sympathie qu’il pouvait gagner auparavant comme candidat à l’élection présidentielle.

Paris, Juillet 2017.


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