Auteur : Jaaku.
Etat : série, en cours.
[2008.12.09 - 2009.02.07]
Double Croche, Chapitre III
Quand Ruyan s'éveilla ce matin-là, Gabriel était déjà parti depuis longtemps. Le jeune garçon aurait pu se sentir apaisé d'avoir bien dormi, seul, ou quoi que ce soit, mais comme à son habitude, il ne pensa rien, sinon que c'était encore une journée qu'il n'aurait pas mérité de connaître.
Il mit de longues minutes à se relever. Il avait laissé son regard voguer lentement dans la pièce qu'il commençait à connaître. Son plafond blanc, ses rideaux verts sombres tirés sur une trop petite fenêtre. Le canapé de tissu pourpre sur lequel il était lui-même étendu. La table basse de verre transparent, aux armatures métalliques. En face de lui, une petite télévision surmontant un meuble bon marché en bois de hêtre. Plus loin, à sa gauche, la porte qui menait à la cuisine. Il n'y avait jamais mis les pieds, aussi il ne savait pas de quoi elle avait l'air. Il n'en apercevait que le carrelage blanc. A sa droite, la batterie électronique de Gabriel trônait, telle une reine immobile. Elle attirait aussitôt le regard, masse imposante dans un si petit espace. On sentait immédiatement qu'elle avait une grande importance pour le jeune homme. Ruyan se retourna doucement pour regarder derrière lui. Deux placards, l'un noir, l'autre brun, masquaient le mur d'en face. Ils étaient remplis de CDs, de disques, d'objets divers de décoration, de livres, pour ce qu'il en voyait de celui qui ne possédaient pas de porte en sa partie droite. A droite, la porte fermée qui donnait sur sa chambre, puis celle des toilettes et de la salle de bain, certainement. Le sol de la pièce principale était fait de linoleum, un mélange de marron clair et de jaune pisse. Il paraissait ancien et n'avait sûrement pas coûté cher. Les murs étaient recouverts d'un papier peint jaunâtre.
Rien n'était apparié dans cet appartement. Pourtant, la variété des styles et des objets reflétait une certaine harmonie, un eccléctisme de goûts et de couleurs, un certain effort d'aménagement avec de la récupération et des meubles à prix réduits. Chez Gabriel, tout était tranquille, à l'image de lui-même. On ne pouvait pas s'y sentir mal à l'aise.
Ruyan, qui ne pensait pas vraiment à toutes ces choses, aperçut alors, posé en évidence sur la table basse en face de lui, un petit paquet de linge plié que surmontait une feuille pliée en quatre. Elle lui était sûrement destiné, aussi il la prit et la déplia lentement.
« Comme tu le vois, je suis déjà parti. Je t'ai posé des vêtements à moi pour que tu puisses te changer. J'ai pris les plus petits que j'ai pu trouver, j'espère qu'ils t'iront. N'hésite pas à te servir dans le frigo si tu as faim. Tu peux aussi allumer la télé.
A ce soir,
Gabriel »
Il posa le message à côté du linge plié, s'en empara, et se dirigea vers la douche, machinalement. Il passa beaucoup plus de temps dans la salle de bain que la veille. Il resta longtemps devant le miroir, observant son corps dans des vêtements qui n'étaient pas les siens, qui sentaient une odeur de lessive inhabituelle. Il se sentait un autre ainsi. Presque purifié. Comme si...
Alors il remonta son regard vers son visage, retrouva ses yeux noirs et légèrement bridés, ses lèvres pincées. Non, il était toujours lui-même. L'horrible personnage qu'il était ne le quitterait jamais. Il ne fallait pas se faire d'illusions. L'espace d'un instant, il avait presque cru être en paix avec lui-même. Encore une méchanceté de plus. Il n'avait pas le droit de penser qu'il puisse échapper à son destin.
Il quitta la pièce plus vite qu'il n'y était entré, fermant la porte comme s'il voulait enfermer un démon. Le sien.
Il passa le reste de la journée prostré sur le canapé, immobile, ressassant sans cesse les mêmes idées noires.
Quand Gabriel rentra chez lui le soir, ce fut un soulagement. Non pas qu'il s'inquiétait de ce que devenait l'adolescent -un peu tout de même- mais il était curieux d'en connaître un peu plus sur lui. Maintenant qu'il avait le temps. Et un peu plus d'énergie. S'étant couché très tôt la veille, il avait récupéré de son manque de sommeil et se sentait plus actif.
Il espérait sans vraiment y croire, il fut déçu : Ruyan n'avait pas bougé. N'avait pas allumé la télévision. Etait installé sur le canapé, jambes repliées, tête légèrement penchée, regard vite. Il tourna cependant son minois vers lui lorsqu'il entendit le bruit de la clef dans la serrure. Gabriel lui sourit.
-Me voilà.
Il enleva son manteau, son écharpe, ses gants et ses chaussures, trempés par la pluie qui tombait en crachin au-dehors, tout en monologuant.
-Il fait un de ces temps dehors, je ne te raconte pas. Heureusement que tu es resté là. Il a plu presque toute la journée, je ne serais pas étonné qu'on ait bientôt de la neige. Enfin, je travaille à l'intérieur, alors je ne me plains pas. Imagine les pauvres gars qui ont un travail d'extérieur, ça ne doit pas être marrant tous les jours.
Il était d'humeur joviale, ce soir-là. C'était le week-end, il allait pouvoir se reposer, et il avait de la compagnie. Certes, une compagnie pas très causante, mais c'était une compagnie quand même. Le jeune homme avait l'habitude de toujours voir le côté positif des choses, ce qui était d'une grande utilité dans bon nombre de cas. Notamment celui-ci, où ce n'était pas le moment de perdre les pédales.
-Et toi, qu'est-ce que tu as fait de ta journée ? demanda-t-il tout en n'attendant aucune réponse. Je vois que tu as lu mon petit mot de ce matin, ajouta-t-il avec un sourire. Il t'a plu ? Sûrement puisque tu as pris ta douche et que tu portes mes vêtements. Attends deux secondes, je vais mettre tes affaires dans le panier de linge sale. Je suppose que ça ne te dérange pas ?
Les deux prunelles noires et profondes de l'adolescent ne lui répondirent rien d'agressif, aussi il prit ceci pour un « oui » ou un « je m'en moque » et s'exécuta. Il n'eut pas de mal à trouver les affaires en questions, celles-ci étant restés en désordre sur le sol. Il s'autorisa un sourire.
Il eut le bon réflexe, avant de verser les habits dans le panier, de fouiller les poches pour ne rien mettre de précieux dans la machine à laver. Conscient de l'impolitesse de cette démarche, il jeta un coup d'oeil derrière lui, rapidement, mais Ruyan ne pouvait pas le voir d'où il était placé et il devait s'en moquer.
D'une des poches il extraya un téléphone portable dernier cri. Le modèle que plébiscitaient tous les adolescents normaux soucieux de leur image.
Le jeune homme n'hésita que quelques secondes avant d'empocher l'appareil, discrètement. Il lui vint à l'esprit que peut-être il était éteint, alors il ne pourrait rien faire. Il le sortit, l'ouvrit, et le remit dans sa poche. Il était bien allumé et contenait assez de batterie pour tenir au moins deux jours. Cela lui laissait le temps de faire quelque chose. Trouver des informations sur le jeune garçon, notamment un numéro de téléphone utile. Tout le monde possédait le numéro de téléphone de ses parents, et souvent le notait « Maman » ou « Papa ». Ce n'était pas bien difficile à trouver. Ainsi il pourrait appeler sa famille, comprendre le problème de ce petit bonhomme, et, pourquoi pas, aider à le résoudre ? A moins que ce ne soit un drame de famille auquel il ne devait absolument pas être mêlé.
Dans tous les cas, il verrait bien. C'était la meilleure des solutions. Cela ne ferait sans doute pas plaisir à l'adolescent, mais lui ne pouvait le garder indéfiniment chez lui. D'une part parce que ça famille devait s'inquiéter, et qu'il comprenait parfaitement quelle atrocité ce pouvait être pour une mère que de n'avoir aucune idée d'où est et de ce que fait son enfant. D'autre part, car il était majeur, l'adolescent mineur, et qu'il risquait d'avoir de graves problèmes si on découvrait qu'il l'hébergeait chez lui sans l'accord de personne. Oui, à tout point de vue, il fallait faire quelque chose.
Mais il allait tenir sa promesse, et s'occuper de lui en attendant. Il fouillerait son téléphone portable dans sa chambre, au calme, juste avant de dormir.
Il lança les vêtements sales dans le panier, puis revint dans le salon.
-Tu as mangé aujourd'hui ?
Il lui suffit de jeter un coup d'oeil sur Ruyan et un sur l'évier. Pas de vaisselle sale, pas de trace d'eau, et un regard fuyant. Non, il n'avait rien mangé, et pas bougé de la journée.
-Ce n'est pas bien, le rabroua-t-il gentimment. Tu veux devenir squelettique ? Allez, je fais à manger, et tu seras bien obligé d'y passer. Et puis, ce n'est pas comme si ma nourriture était dégoûtante. Je fais la cuisine, ce soir. Tu viens m'aider ?
Il attendit quelques instants que le garçon se lève, mais rien. Il se contentait de l'observer. Il poussa un léger soupir et insista encore.
-Tu ne veux pas ?
Apparemment non. Il fit un petit sourire d'excuse, et dit, avant de se détourner pour préparer un plat digne de ce nom tout seul :
-Ce n'est pas grave. Mais si je prépare quelque chose que tu n'aimes pas, bien fait pour toi !
Il s'affaira aux fourneaux durant de longues minutes, l'esprit à la fois occupé par son dîner que par la situation actuelle pour le moins incongrue. Trop de questions restaient sans réponse.
Gabriel était partagé entre l'inquiétude face à l'état du garçon, le découragement face à son attitude, la culpabilité de s'être embarqué dans une affaire aussi compliquée et risquée, et l'espoir, ce foutu espoir qui lui dictait qu'il pouvait faire quelque chose et qu'il n'allait pas laisser ce pauvre gosse dans la panade.
La bienveillance de Gabriel ne lui avait jamais attiré des problèmes, ou du moins il n'avait jamais considéré que c'en était. Combien de fois des êtres un peu opportunistes en avaient-ils abusé ? Trop de fois pour le compter. Mathieu, un de ses meilleurs amis, le grondait toujours gentimment. Il lui disait souvent : « Il arrivera un jour où on te prendra plus que ce que tu ne peux donner, juste parce que tu n'as pas su poser de limites. ».
A l'heure actuelle où, pour seulement la seconde fois dans sa vie, Gabriel se sentait dépassé par les évènements, le conseil de son ami sonnait comme une sentence. Il ne savait pas où étaient ses limites, il ne les avait jamais testées. Allait-il accepter l'inacceptable, sans s'en rendre compte ? Allait-il se laisser noyer par le flot des évènements, sans s'en apercevoir ?
Il secoua violemment la tête, comme si cela pouvait mettre de l'ordre dans ses idées. Il était perdu, trop perdu. Il avait...
Il avait un peu de mal à se faire à cette idée, car elle n'était pas venue souvent en lui.
Il avait besoin de se confier à quelqu'un. Il avait besoin de l'aide de quelqu'un.
D'ordinaire, c'était à lui qu'on demandait de l'aide. Il était calme, posé, pragmatique, optimiste. Tout arrive, dans la vie, tout arrive. Encore une fois, ce n'était que la seconde fois de son existence.
La première... Il n'avait pas vraiment envie d'y penser, mais puisqu'il en était là... La première, c'était bien sûr lorsque Anna était morte.
Il avait d'abord été partagé entre l'horreur et l'incrédulité. Il s'y attendait, pourtant, mais il reçut la nouvelle comme un coup de fouet. La stabilité de son petit monde s'écroulait brusquement. Il s'était alors senti tomber dans un abime dans fond, sans possibilité de se rattraper... Il plongeait lentement vers les enfers en regardant vers le bas, vers le fond, vers l'obscurité, sans avoir le réflexe de lever les yeux et d'apercevoir les mains qui se tendaient... Il était si seul, si perdu...
Et puis des mains l'avaient aggripé. Oh non, pas celles de ses parents. Ils étaient bien assez occupés avec leur malheur pour soutenir le sien. Non, ces mains-là appartenaient à trois personnes qui restaient depuis dans son coeur avec la mention spéciale « Très importants. Ne jamais laisser tomber. » : il s'agissait de Mathieu, Hélène, et Cora. Trois amis à qui il devait son salut.
C'était vers eux qu'il devait se tourner. C'était à eux qu'il parlerait, quand il en aurait un peu le temps. Et un peu plus d'informations.
Il frissonna. Il n'arrivait plus à se débarrasser des désagréables souvenirs qu'il avait fait remonter jusqu'à sa conscience. Quelle idée de penser à sa soeur maintenant ! Ce n'était vraiment pas le moment.
Ces souvenirs... Les sentiments qu'il avait ressentis... La sensation de s'enfoncer immanquablement dans le néant... Tout cela lui rappelait quelque chose. Etait-il possible que l'adolescent, lui aussi, ressente cela ? Avait-il déjà touché le fond ?
Quoi qu'il en était, Gabriel était persuadé que rien n'était irrattrapable. Il doutait que l'attitude de l'adolescent soit du à la mort d'un être cher. On ne fuyait pas, dans ce cas, pas comme ça. Mais...
Non, il ne pouvait pas se comparer avec le jeune garçon. Il lui fallait comprendre sans amalgamer.
Il ne sut pas très bien comment il put préparer son repas correctement avec toutes ces préoccupations moroses, le fait est qu'il présenta le résultat quarante minutes plus tard, avec un enthousiasme un peu forcé.
-Rôti de porc et pommes de terre sautées, agrémentés de basilic, accompagné d'une salade avec tomates, jambon, gruyère et noix ! Qu'en dis-tu ?
Ruyan aurait-il parlé qu'il aurait pu s'extasier -pour une fois qu'un garçon savait correctement cuisiner, hein. Mais il était mauvais public, et bien que le jeune homme le sache pertinemment, il se sentit déçu lorsqu'il ne reçut aucune réponse en retour. C'était sur ses épaules, et sur les siennes seulement, que reposait la responsabilité de l'ambiance, de la discussion... de tout. S'il n'avait pas eu l'habitude d'être seul, il se serait ennuyé.
Malgré son mutisme, l'adolescent fit honneur au repas, l'avalant jusqu'à la dernière miette. Il sembla alors que son regard exprimait de la reconnaissance tandis qu'il posait ses couverts sur son assiette vide.
C'est pendant qu'il faisait la vaisselle, seul dans la pièce tandis que, comme à son habitude, l'adolescent restait prostré sur le sofa, qu'il eut soudain une idée. Il jeta un coup d'oeil rapide à sa montre. Elle indiquait vingt-heure quarante-sept. C'était juste, mais possible.
Il expédia sa tâche plus vite que l'éclair, et, l'air de rien, retourna près de Ruyan pour lui annoncer :
-Je viens de me souvenir que je dois absolument rapporter quelque chose à un copain. Je n'en ai pas pour longtemps. Navré, mais c'est très urgent. Ne bouge pas, d'accord ?
Sans attendre une réponse qui ne viendrait pas, il fila dans sa chambre, attrapa son sac à dos, y mit le premier objet qui lui venait sous la main -de toute façon, personne n'allait vérifier si cet objet disparaîtrait de son sac ou non-, enfila ses chaussures et son manteau, puis sortit avec un dernier sourire.
Le pas rapide, il tourna l'angle de la rue, avant de s'arrêter net et de vérifier par un rapide coup d'oeil par dessus son épaule qu'on ne pouvait l'apercevoir de la fenêtre du salon.
Son plan avait marché comme sur des roulettes. Restait maintenant à fouiller un peu ce téléphone.
Il le sortit de sa poche et l'observa quelques instants. Un Samsung noir, banal, apparemment neuf. Il ouvrit le clapet. Cinq appels en absence. Deux d'un certain Mathieu -il sourit- et trois d'un Rei. Le portable était en mode silencieux. Gabriel se doutait bien que l'adolescent n'y avait pas touché depuis trois jours. Avait-il activé ce mode volontairement pour avoir la paix, ou bien avait-il simplement oublié ? La seconde hypothèse était plus plausible, sinon il l'aurait simplement éteint.
-Ca ne sert à rien de réfléchir à tout ça, marmonna-t-il dans sa barbe, mécontent de s'éparpiller.
Il para tout de suite au plus pressé, autrement dit chercher un quelconque indice. Tout d'abord dans les textos reçus. Il ne trouva rien qui puisse l'aiguiller. Des potins sans importance, des demandes de devoirs, des rendez-vous pour aller au cinéma... Tout ce qu'il y avait de plus normal pour un adolescent de quinze ou seize ans. Il n'avait pas l'air d'avoir de petite amie. Rien qui puisse supposer qu'il y ait eu un quelconque problème.
Il s'attaqua alors au répertoire, et trouva bien vite ce qu'il cherchait. Il eut le choix entre « maison », « papa » et « maman ». Ignorant sa situation de famille, il décida d'appeler chez lui.
Sa main trembla légèrement, mais il appuya fermemnt sur la touche d'appel. Alors que s'égrenait lentement les sonneries, il lui sembla que son coeur cognait dans sa poitrine à l'en meurtrir. Ses mains devinrent moites et il respira lentement dans une vaine tentative de se détendre.
« C'est le moment de vérité », se dit-il, « calme-toi, tu dois paraître irréprochable. Zen, zen, zen, Gabriel. »
Il faillit perdre ses moyens lorsque la sonnerie s'interrompit et qu'une voix d'homme fit : « Allô ? ».
-Allô ? Bon-bonsoir monsieur ! se rattrapa-t-il précipitemment. Je suis navré de vous déranger à une heure pareille ! Je m'appelle Gabriel Gessert, j'ai... enfin, je voulais vous prévenir qu'un jeune garçon de votre famille s'est réfugié chez moi, et...
-Quoi ?!
Gabriel eut soudain l'impression qu'un orage venait de tomber sur la communication téléphonique. Soudain extrêmement mal à l'aise, il poursuivit d'une voix beaucoup moins assurée :
-Oui, j'ai emprunté son téléphone car vous ne sembliez pas au courant... Il ne veut pas me dire où il habite... J'ai pensé que vous prévenir était la meilleure chose à faire...
-Vous devez vous tromper, il n'y a pas de jeune garçon ici !
Gabriel en resta scotché sur place.
-Mais... Mais enfin, ce n'est pas possible... C'est dans son répertoire...
La voix de l'homme était tendue à l'extrême. Il mentait, le jeune homme le sentait.
-Ecoutez... Je me fous de ce que deviens Ruyan ! Faites-en ce que vous voulez !
-Je... Vous vous en fichez vraiment ?
-Je viens de vous le dire, maintenant, excusez-moi, mais j'ai à faire ailleurs !
Gabriel tenta alors le tout pour le tout et s'exclama précipitemment :
-Non, attendez ! Attendez ! Il est mineur, vous ne pouvez pas le laisser !
Un blanc, à l'autre bout du fil.
-Monsieur ?
L'homme dit enfin, et Gabriel qui crut qu'il avait sa dose de surprise pour la journée en resta coi :
-Vous ne voudriez pas le garder ?
-Heu...
-Vous avez l'air de ne pas vouloir l'abandonner à son sort, c'est que vous y tenez, non ? Vous accepteriez contre de l'argent ?
-Ecoutez, monsieur... Ce ne serait pas pour l'argent... Enfin... Excusez-moi, vous me prenez de court... Co... comment pouvez-vous me demander une chose pareille ?
-Vous êtes majeur ? Vous avez un logement à vous ? enchaîna l'homme à l'autre bout du fil sans tenir compte de la surprise de son jeune interlocuteur.
Gabriel répondit deux fois oui.
-Soit vous le prenez, et je vous verserais mensuellement une bonne somme d'argent jusqu'à sa majorité, soit vous le laissez dans la rue et il finira dans un orphelinat ou n'importe quoi.
-Dans ce cas... Je suppose que je devrais dire oui ?
-C'est vous que ça regarde, que ça implique.
-Puis-je au moins connaître la raison de votre différend, si je dois m'engager à une responsabilité aussi importante ? hasarda le jeune homme, à qui il semblait que les événements s'écoulaient à une vitesse folle, tant que son cerveau n'arrivait pas à suivre.
Un ange passa. Le jeune homme tentait de mettre de l'ordre dans sa tête, de rattraper la folle course de la conversation, de trouver un sens à tout cela. Cela paraissait absurde, insensé. Un père ne pouvait pas...
-Pouvons-nous nous rencontrer le plus tôt possible pour clarifier tout ça ? Je vous dirai ce que vous voulez savoir à ce moment-là, mais au téléphone... C'est un peu délicat...
-Je comprends, monsieur. Demain vous irait-il ?
-Parfait. Passez chez moi vers 14h.
Gabriel récita mentalement plusieurs fois l'adresse que l'homme lui transmit. Il semblait sûr de lui.
-Merci, à demain, monsieur Gessert.
-A demain...
Il eut à peine terminé sa phrase que son correspondant raccrocha. Lentement, son bras retomba le long de son corps, sans lâcher le précieux téléphone. Il se laissa choir sur le sol, hébété, réalisant à grand-peine ce qui venait de se dérouler.
« ... C'est quoi ce délire ? »