Et une nouvelle partie de Delirium Cordia, parce que ça fait longtemps, et parce que j'ai pas respecté mes bonnes résolutions de reprendre ce texte plus régulièrement... ! Désolé !
Kei et Isao vont faire un peu plus connaissance, et ça va être l'amûr fou entre ces deux là, je vous le dit !
Titre : Delirium Cordia
Personnages : Isao est un de mes OC et Kei appartient à
graindecafe Musique d'accompagnement : Delirium Cordia - Fantomas - 74 min
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La mine du crayon de Kei cassa, faisant onduler le trait qu’elle s’efforçait pourtant de tracer droit. Elle jura intérieurement contre cette camelote que l’école leur mettait à disposition. L’équipe organisatrice se foutait vraiment d’eux ! Elle souffla sur les particules de graphite pour qu’elles n’adhèrent pas sur la feuille et ne fassent plus de dégâts qu’elle n’avait déjà fait. Elle jugea son croquis. C’était pas mal, même si l’enchevêtrement de courbes, de lignes droites, de fenêtres de toutes sortes et autres pièces architecturales indéfinissables rendait la tâche impossible. C’était véritablement une forme de torture d’avoir imposer un tel exercice à des non initiés. D’ailleurs, elle se demandait si des initiés n’auraient pas eu, eux aussi, des envies de suicide en voyant un tel ensemble architectural. Son concepteur devait être à moitié fou, ou complètement, pour avoir pu imaginer quelque chose de la sorte !
Si elle voulait continuer, elle devait cependant gommer ce trait disgracieux qui bigarrait la feuille. Et pour cela, elle devait bien se l’admettre, elle devait demander à son binôme de la lui remettre…
Nous y voilà, de toute façon il aurait bien fallu que l’on s’adresse la parole à un moment ou à un autre…
- « Oi, tu m’passes la gomme »
Isao l’ignora. Elle se risqua un coup d’œil et vit que forcément, avec le casque sur les oreilles, et la musique à un volume sûrement plus que raisonnable pour qu’avec un peu d’attention elle le perçoive, il n’avait pas pu l’entendre. Il le faisait vraiment exprès. C’était une chose qu’ils s’évitent et fassent tout pour ne pas se parler, mais de là à se couper du monde et l’ignorer ostensiblement… Cela commençait sérieusement à l’irriter !
Kei se leva. Elle aurait voulu hurler pour qu’il l’entende, mais cela aurait impliqué que tous les élèves, la prof, et sûrement les habitants alentour l’entendent, et cela la mettrait plus que mal à l’aise. Elle pouvait gérer sa timidité fasse à une personne, surtout si elle voulait lui prouver qu’elle n’était pas ce qu’il croyait (et elle doutait qu’il ait remarqué qu’elle était une fille, vu toute l’attention qu’il lui portait) mais face à un nombre conséquent de personnes, elle se refermerait comme une huître. Elle opta donc pour une solution beaucoup plus brutale qui aurait pour conséquence une véritable rencontre frontale qui n’aurait rien à voir avec leur échange presque cordial de l’autre jour.
Debout derrière Isao, elle le regarda dessiner. Sa tête bougeait légèrement de manière rythmée, tout comme l’un des doigts qui retenait le carnet. Elle se demanda comment il faisait pour à la fois se concentrer sur le croquis et battre la mesure. Son esquisse n’était pas terrible, mais il semblait vraiment concentré sur sa tâche, ce qui la surpris. Elle pensait vraiment qu’il y mettrait toute sa mauvaise volonté. Il s’était peut-être laissé prendre au jeu, comme elle. Mais ce n’était pas une raison. Ils devaient travailler en binôme donc il devait rester attentif si jamais elle devait communiquer avec lui. Comme pour demander le partage du matériel… Elle s’accroupit légèrement derrière lui et lui leva d’un geste rapide les écouteurs.
***
Isao sursauta lorsque son cocon sonore se fissura. Cela le déstabilisa un instant, le temps qu’il retrouve la perception de la réalité qui l’entourait.
- « Tu m’passes la gomme »
Il se retourna et vit Masamune, debout derrière lui, son casque dans les mains. Il avait osé. Ce mec avait osé lui ôter son casque, couper une nouvelle fois la musique qu’il écoutait. Il venait de signer son arrêt de mort. Isao se releva brusquement et lui arracha des mains le casque. Ses crayons roulèrent sur le sol sans qu’il n’y prête la moindre attention.
- « Alors là mec, t’as fait ce que tu n’aurais jamais dû faire. Je t’avais pourtant prévenu. »
Il poussa Masamune pour le provoquer. Jamais personne n’avait osé faire ce qu’il venait de faire, et cela l’énervait passablement. La colère brillait dans ses yeux.
- « Soit tu veux jouer avec moi, soit tu es juste trop con, mais dans les deux cas, t’es un homme mort. »
- « ‘tain qu’est ce que t’es nerveux comme mec, je t’ai juste demandé une gomme ! t’avais qu’à pas m’ignorer en faisant ton autiste avec ton putain de casque ! »
- « Putain mais y’a d’autres moyens de demander une gomme, et y’a d’autres gens autour de toi qui se seraient faits le plaisir de t’en filer une. Merde à la fin, j’ai aucune envie de faire cet exercice à la con, encore moins avec un débile comme toi ! Oublie moi ! »
Il le poussa plus violemment, dans une flaque d’eau qui n’était pas là auparavant. C’était petit, mais c’était la seule chose qu’il avait trouvé pour ne pas utiliser sa magie directement sur son ennemi du jour.
- « Maintenant tu dégages ! »
Il le foudroya du regard. Il le fixa ainsi, immobile, toute sa colère brûlant dans ses yeux noisettes. Il voyait pleinement son visage, et cela ne faisait qu’augmenter sa fureur. On l’avait dupé, et cela renforçait sa colère. Ce gamin avait un visage trop féminin pour un garçon, même androgyne. Les formes que ses vêtements mouillés mettaient en relief ne permettaient plus le doute. Masamune n’était pas un gars mais bien une fille. Une fille. Qui l’avait défié, et qui s’était foutu de lui. Il ne ferait aucune différence, le genre de son adversaire lui importait peu. Un ennemi était un ennemi. C’est tout. Elle avait une tâche de vin autour de l’œil gauche, caractéristique qu’il avait pu entre apercevoir lors de leur première rencontre. Elle avait des cheveux blonds cendrés coupés à la garçonne, ce qui pouvait porter à la confusion puisqu’elle ne faisait rien pour mettre en avant sa féminité. Dans son regard, il pouvait lire à la fois la colère, l’appréhension et l’incompréhension. Elle ne s’était pas attendue à ce qu’il la pousse comme cela. Il s’en fichait. Il voulait juste qu’elle dégage de son périmètre vital, sinon, il doutait pouvoir encore rester aussi calme.
***
Kei pouvait sentir une forte concentration de magie émaner d’Isao. Sa fierté lui disait de riposter, mais son instinct de survie lui disait de s’exécuter. Elle sentait une telle violence en lui qu’il serait suicidaire d’insister un peu plus. Son équilibre était instable et dans l’immédiat, elle ne voulait pas une confrontation qu’elle pouvait perdre, avec des conséquences qu’elle ne pouvait estimer.
Elle se releva sans émettre le moindre signe de protestation, remit ses vêtements mouillés en ordre, et ramassa sa casquette qu’elle prit soin d’ajuster correctement sur sa tête. Elle osa lui darder un regard accusateur, mais s’en tint là. Tout en restant sur ses gardes, elle ramassa ses affaires de dessins (et en profita pour récupérer le matériel dont elle avait besoin, ça lui éviterait d’avoir à le lui redemander), marqua une pause, et partit dans la direction la plus opposée d’Isao.
Ce mec était complètement malade. Il avait des réactions disproportionnées par rapport à la réalité, et elle ne comprenait pas pourquoi. Elle avait senti sa magie, une forte concentration de magie, et elle avait quelque chose de dangereux. Elle n’avait pas forcément apprécié le coup de la flaque d’eau, mais elle préférait ça à ce qu’il aurait pu faire si elle avait refusé d’obtempérer. Ce mec était juste fou, et elle voulait s’en éloigner le plus possible, ne plus avoir affaire à lui… Mais elle ne pourrait pas, pas dans l’immédiat.
Tout ça pour une gomme, c’était absurde. Elle enfonça encore plus sa casquette sur sa tête pour dissimuler sa colère. Elle en avait fini pour aujourd’hui du croquis. De toute façon elle avait presque fini son travail, il ne lui restait qu’à corriger les traits erronés et ça suffirait pour ce qu’il leur restait à faire. S’ils pouvaient le faire… Rien que d’y penser son estomac se noua. Pourraient-ils vraiment continuer à travailler ensemble et à ne pas se menacer avec les cutters lorsqu’ils commenceraient la maquette ? Elle avait au moins la matinée pour tempérer la situation, juger de l’humeur de son binôme et voir dans quelles mesures ils allaient pouvoir continuer. Elle espérait surtout qu’il se calmerait d’ici là, et elle ne tenterait pas une troisième fois, involontaire ou non, de lui ôter son casque des oreilles. Si cela pouvait le tenir tranquille, elle s’en accommoderait.
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Tapie dans l’ombre, la créature de délectait de ce spectacle. Elle se nourrissait des sentiments mauvais : la colère, la haine, la rage, mais aussi la tension, l’oppression, la peur ou encore l’angoisse. Elle les avait longuement observé. Hier déjà, lorsqu’ils étaient tous venus, elle les avait senti. Une odeur peu commune, surtout la fille. Elle adorait cette odeur, cela réveillait ses instincts de chasse endormis. Elle avait attendu leur retour, impatiente, alléchée. Elle les avait regardé s’ignorer avec intérêt. Et elle avait tressailli de joie lorsque le garçon avait poussé l’appétissante jeune fille dans la flaque qu’il avait créée. Ils étaient très intéressants, autant l’un que l’autre. Lui pour son verbe et sa magie, et elle pour la délicieuse odeur qu’elle dégageait chaque fois que l’autre la poussait un peu plus dans ses retranchements. La créature passa sa langue dégoulinante de bave acide sur ses lèvres hideuses. Cela avait réveillé sa faim, une faim primaire, vorace. Mais elle voulait d’abord jouer avec sa proie, son petit bouquetin, pour la rendre encore plus alléchante.
La créature regarda la confrontation et le dénouement final avec une délectation non dissimulée. Les effluves de magie du garçon l’enivraient, tout comme les sentiments de peur et d’incompréhension de son petit bouquetin. Cela lui redonnait des forces, alimentait son désir. Elle poussa un gémissement de plaisir lorsque le garçon, avec une violence manifeste, ordonna à sa proie de quitter les lieux. Mais elle fut quelque peu déçue que celle-ci s’exécute plutôt que de répliquer. Cela enlevait de la saveur à l’action. Cependant les sentiments négatifs et la magie qu’elle pouvait percevoir étaient très forts, et commençaient à saturer l’air, rien que pour son bonheur. Elle suivit du regard celle qui partait, jusqu’à ce qu’elle la perde de vue. Puis elle regarda l’autre, immobile, essayant de contenir son surplus d’adrénaline magique en serrant les poings. Puis, une fois calmé, rassembler ses affaires, jurer quelques paroles à l’encontre du petit bouquetin, réajuster son casque sur les oreilles, et recommencer à dessiner, assis précisément là où il était avant que la situation ne tourne à la déclaration de guerre ouverte.
Elle se passa à nouveau la langue sur ses lèvres noires. Voilà qui la mettait en appétit, un besoin qu’elle n’avait pas ressenti depuis... bien trop longtemps pour s’en souvenir. C’était bien la première fois depuis tout ce temps que quelqu’un réveillait ses sens et la sortait de sa léthargie profonde. Avec cette odeur enivrante, qui restait suspendue à ses narines, et ce goût de peur et de colère légèrement salé qui pétillait sur ses papilles. La créature étira ses pattes monstrueuses, agita sa queue recouverte de pustules suppurantes. Chacun de ses os craqua dans un bruit sordide. Tout son corps reprenait vie grâce à son petit bouquetin et à son vilain compagnon. Et tout ce qu’ils avaient produit de négatif, la magie de l’un, les sentiments de l’autre, lui avait donné assez de force pour mettre son corps monstrueux en branle. Elle en avait fini de cette vie immobile, tapie dans l’ombre, à observer le va-et-vient incessant de tous ces humains ennuyeux. Elle avait parfois senti des sorciers, mais rien de bien intéressant, juste des êtres insignifiants comparé à ces deux là. Elle avait absorbé assez d’énergie pour quitter sa tanière et commencer sa chasse. Elle pouvait enfin quitter ce lieu obsolète où elle s’était retrouvée prisonnière, qui n’existait ni dans le monde magique, ni dans le monde humain. La magie de la Maison de la Chouette était désormais bien trop désuète pour la retenir lorsque l’air était saturé d’humeurs malignes, ceux la même qui la faisait vivre. Et rien ne pouvait lui ravir son petit bouquetin. Elle l’avait vu la première, il était donc à elle, rien qu’à elle.
La créature se mit en mouvement, lentement, très lentement. Elle huma l’air, prit une profonde inspiration, et se mit à suivre l’effluve savoureux que sa proie laissait derrière elle à son passage. Elle aimait tellement son odeur qu’il lui serait facile de la pister n’importe où, dans ce monde comme dans l’autre.
Oh oui, elle la pisterait partout.
Sa chasse pouvait commencer.