[Nécrophiles Anonymes] Extrait surprise du tome 4 !

Nov 29, 2015 18:59

Bonjour à tous ! :D

Je vous avais promis des compte-rendus de salon, que je n'ai pas eu le temps de faire (mais Lambesc, c'était génial de chez génial, je vous en reparlerai, promis, et le Hero Festival aussi !)... pour me faire pardonner, que diriez-vous de lire en avant-première le début du tome 4 des Nécrophiles Anonymes ? ^w^

Pour ceux qui sont tentés, c'est ci-dessous ! Attention : extrait relu mais non corrigé, c'est donc une version non définitive et en aucun cas validée par les éditeurs. Vous êtes prévenus ;-)
Ce tome 4 est narré par Népomucène Lemercier, qui reprend la parole après Bob puis Van Hellsing... et cela se passe après le tome 3, donc gare à ceux qui ne l'ont pas lu : l'extrait contient, et ce, dès les premières lignes, des spoilers MAJEURS de la fin du tome 3 ! Là aussi, vous êtes prévenus !

Mais si ne vous craignez ni les fautes éventuelles voire très probables, ni les spoilers de la fin du tome 3... je vous invite à poursuivre.
En vous souhaitant une agréable lecture,

Cécile.

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L’île aux Démons

® Cécile Duquenne


La nuit de notre séparation remontait à quatre ans, six heures et vingt-sept minutes. Pris dans la tourmente de mes analyses noctambules, je n’avais même pas remarqué le passage du temps, jusqu’à ce que je lève enfin la tête de mes tableaux statistiques et autres cartes du monde, toutes barbouillées de traits noirs reliant entre eux divers points rouges. Il était désormais assez tard - ou tôt, selon le point de vue - pour que je me passe de dormir cette nuit ; de toute manière, Nicolas et Gabrielle m’attendaient au bureau pour huit heures tapantes, afin de tenir notre habituelle réunion du lundi matin. J’imaginais qu’il n’y aurait une fois de plus rien de nouveau à y apprendre : le Roi William et sa cohorte de fidèles assassins avaient enlevé tel ou tel vampire, lequel ne s’était pas manifesté sur le réseau « Alerte Nocturne » ce weekend, et dont le nom s’ajouterait à la longue liste de disparus partis rejoindre les rangs des sujets d’expérience du Roi Fou.

Bob avait été le premier d’entre eux, et je n’avais même pas eu l’occasion de lui dire adieu, ni de lui promettre de tout faire pour le retrouver et l’éloigner des griffes de son créateur. J’aurais voulu lui jurer de le ramener à son véritable « moi », celui que je connaissais, aimais et chérissais. Au bout de quatre ans de traque et d’espoirs déçus, je redoutais de retrouver un corps vidé de son supplément d’âme, irrémédiablement changé, bafoué. Qu’était-il devenu ? Que faisait-il en cet instant ? Où se trouvait-il ? Si j’avais disposé de ne serait-ce que d’une réponse ou d’une piste, mon cœur en aurait été rasséréné pour un instant, avant de retomber dans le maelstrom de doute et d’angoisse qui tournoyait au creux de mon ventre.

Poussant un soupir empreint d’autant de fatigue que de lassitude, je repoussai la chaise à roulettes en arrière, appuyant les mains sur le vaste bureau qui, jadis, appartenait à Abraham Van Hellsing. Suite à sa trahison, Gabrielle n’avait pas supporté l’idée d’habiter seule dans le Vagabond, et j’avais donc emménagé à bord du zeppelin dès la semaine suivante. J’avais accepté sans même la remercier, car je savais qu’il ne s’agissait pas vraiment d’un service : nous partagions notre solitude. Certes Gabrielle avait Nicolas, mais son ami ne pouvait pas remplacer son frère dans son cœur, pas plus que je ne le pouvais d’ailleurs. Néanmoins, nous étions parvenus à une forme de compréhension mutuelle : elle et moi partagions l’amertume du deuil de la confiance trahie, de la perte d’un être cher, et nous préférions rester seuls ensemble que seuls tout court. La stabilité du résultat de ce qui au départ représentait une équation humaine plutôt déséquilibrée entre deux anciens ennemis - l’un mortel et nécrophile, l’autre immortel et nécrophobe - étonnait tout notre entourage et continuait de faire jaser dans les bureaux de la Police des Affaires Surnaturelles où je travaillais désormais avec Gabrielle et Nicolas. Cela jaserait tant que j’habiterais ici. En effet, Nicolas passait le plus souvent pour le naïf amant cocufié par l’ancien préposé à la Morgue reconverti en membre de la police scientifique après avoir repris ses études, terminé major de promotion pour son Master de criminalistique en Analyse et Contrôle, et passé du premier coup le concours d’ingénieur de la Police Technique et Scientifique en toxicologie. Ma rapide montée en flèche m’avait permis d’intégrer la P.A.S. au cours de l’année finale de mon master, laquelle s’effectuait en alternance. Dès le début et pour la première fois de ma vie personnelle comme professionnelle, l’on m’avait attribué le rôle de celui qui réussissait tout ce qu’il entreprenait. Nos collègues de travail n’avaient aucune idée de la raison profonde qui m’avait poussé à entreprendre ce changement radical - quitter ma région natale, mon poste de travail, tout ce que je connaissais. Ils ne savaient pas que j’avais perdu ma raison de vivre, et si je voulais me donner les moyens de la retrouver, il fallait que je devienne quelqu’un de brillant.

Bien entendu, je n’ignorais pas que je devais en partie mon succès à l’absorption quotidienne du sang de Bob, qui avait été prévoyant, comme toujours. La nuit de notre première union de sang, où il avait fait de moi son calice, il s’était prélevé un demi-litre d’hémoglobine qu’il avait répartie en petites fioles - une dose pour chaque soir à venir. Au début, il effectuait ces prélèvements une fois par mois afin de me constituer une réserve pour les trente nuits à venir, puis, face à la montée en puissance du Roi William, il avait préféré constituer des réserves plus importantes.

Hier soir, j’avais bu la dernière de ces doses, l’ultime goutte d’un sacrifice qui symbolisait l’un des plus beaux dons qu’un ami puisse faire à l’élu de son cœur : sa vie, littéralement, la force vive qui l’animait chaque nuit.

Grâce à Bob, j’étais plus résistant et plus puissant qu’un humain normal ; certes moins fort qu’une créature surnaturelle, mais capable de leur tenir tête pour quelques courtes minutes, ce qui me laissait généralement le temps de songer à quelque produit inflammable à leur jeter à la figure, ou à tout autre moyen de mettre fin à leurs nuits. J’étais également plus vif d’esprit, plus pragmatique et moins émotif dans ma manière de penser, puisque l’apport de sang d’immortel m’imprégnait également d’une sérénité relative quant à ma résistance aux chocs, aux maladies et aux blessures. Je n’étais pas éternel, toutefois, je m’avérais mille fois plus résistant, fort et charismatique qu’auparavant.

En fait, j’étais tout cela et bien plus encore ; mais jamais je ne serai véritablement le calice de Bob, étant donné les circonstances dramatiques dans lesquelles nous nous étions séparés.

Un doute m’effleura soudain : avais-je bien absorbé la dernière ampoule de sang dilué dans sa solution de conservation ? L’habitude se transformait vite en lassitude et, plus d’une fois, j’avais confondu un soir avec un autre. Fébrile, je me dirigeai vers la console qui dissimulait le minibar où je stockais mes produits personnels, ainsi que quelques échantillons en attente d’analyse et dont le bureau ne soupçonnait pas l’existence. Pour la plupart, il s’agissait de fluides prélevées sur des cadavres abandonnés par les suivants du Roi William et que la P.A.S. brûlait de manière systématique, de peur de reproduire la crise d’il y a quatre ans - plus connue sous le nom de « Semaine Sanglante. » Nous devions ce charmant surnom aux médias diurnes qui, pour notre plus grand malheur, s’étaient emparés de l’histoire des vampires-zombies dévorateurs sans pour autant découvrir dans quelles sortes de ténèbres les sombres racines de cette affaire s’enfonçaient.

Le minibar laissa échapper des fumerolles de vapeur blanche. J’attendis que celles-ci se dispersent puis plongeai la main vers le container bleu, que j’ouvris d’une main tremblante. Les petites fioles vides tintinnabulèrent en s’entrechoquant. Mon regard tomba sur l’une d’elles, encore pleine, et je sentis comme une vapeur chaude s’envoler de mon cœur fendu par le milieu. J’avais oublié de prendre la dernière dose. Dans mon esprit choqué, cela revenait à avoir oublié Bob, alors qu’il aurait dû occuper chaque seconde de mes pensées. Et il le faisait, puisque j’avais passé ma soirée et ma nuit à élaborer des liens entre les différents endroits où les vampires avaient été enlevés et certains massacres commis, cherchant désespérément à en retirer un schéma qui me permettrait d’établir ne serait-ce qu’un périmètre grossier où pouvait se trouver la cachette du Roi William. Lui et ses créatures n’étaient guère discrets, mais cela ne nous empêchait pas d’être encore et toujours distanciés.

Nous attendions une ouverture, un indice qui ne venait jamais.

Et aucun signe de Bob depuis le jour de sa disparition…

Mes doigts grelottaient comme si la température avait brutalement chuté. Délicatement, je m’emparai de la fiole, craignant de la faire tomber à cause de mon émoi. Ridicule, comme réaction. Rien ne variait de l’ordinaire : j’allais l’ouvrir, verser le liquide dans un verre de jus d’orange ou un thé ou un café, et l’avaler d’un trait ou presque. Et ensuite…

Ensuite, je ne recommencerai pas. Je ne disposais plus de sang. Que se passerait-il ? Mon organisme supporterait-il ce sevrage ? Peut-être sombrerais-je dans la folie, peut-être que je ne vivrais pas pour les trois cents prochaines années comme Bob l’avait promis au soir de notre première union, ni même pour les trois années à venir. Chaque soir que je prenais ma dose, je savais me rapprocher de l’inéluctable ; j’avais eu trop peur des conséquences sur mon corps et mon esprit pour stopper l’absorption tant que je disposais de réserves, et maintenant que je me trouvai au seuil de ma potentielle fin, la vérité me pénétra avec autant de rapidité et de détermination qu’un shot d’adrénaline.

J’allais mourir.

Aujourd’hui était le dernier matin de ma vie. J’entrais dans une ère de survivance où les nuits m’étaient comptées. Il ne s’agissait plus seulement de retrouver ma raison de vivre, mais également celle de survivre. Si je ne retrouvais pas Bob dans les mois qui venaient, ou mieux, les semaines, j’allais sûrement dépérir à petit feu.

Les doutes que je tâchai de tenir à distance depuis quatre ans, six heures et trente minutes m’assaillirent de plus belle. Cette fois, ils s’engouffrèrent dans la brèche. Bob n’avait pas bu une seule goutte de mon sang depuis ce soir fatal, je n’étais donc plus son calice, ni lui mon « délice », comme il se plaisait à le susurrer, goûtant presque autant le jeu de mot que le liquide qui coulait dans mes veines. L’analogie s’arrêtait là, elle avait pris fin avec notre dernier échange de fluides vitaux : j’avais partagé les émotions et les sensations fortes que ressentait mon ami au cours des brèves semaines de bonheur qui nous avaient été accordées par le Destin, mais depuis notre séparation brutale, je ne ressentais plus rien. Pas même un écho déformé de sa peur ou de son désespoir. Cette absence m’avait plongé dans la perplexité, puis l’inquiétude. Ce soir, enfin, je basculai dans le désespoir : Bob était-il mort ? Devenu fou ? S’il n’avait pas encore sombré dans la folie, serait-ce le cas lorsque je passerai progressivement l’arme à gauche ? Jusqu’à quel point étions-nous encore liés, sur le plan physiologique et mental ?

Glissant directement le contenu de la fiole entre mes lèvres, je renversai la tête en arrière. Des larmes brûlantes cascadèrent jusqu’en bas de mon cou, mouillant le col de ma chemise.

Ce n’était qu’une nuit banale, me répétai-je, pas la dernière.

Une nuit banale.

Comme les précédentes, en somme.

A suivre...

écriture, necrophiles anonymes

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