Le titre de cet article peut sembler étrange, mais attendez d'avoir fini de le lire, et vous comprendrez où je souhaite en venir...
Note : cet article est une réflexion personnelle, un retour d'expérience, de mon expérience. Ne l'envisagez surtout pas comme un mode d'emploi, ou une vérité qui serait vraie pour toutes les séries. La sérialisation mériterait bien plus que ces quelques 2000 mots d'article, du type une étude poussée, mais le temps me manque...
Dans la vie d'un auteur, l'écriture prend une place particulière, pas seulement dans son coeur, mais aussi dans l'organisation de ses journées/semaines. Certains auteurs écrivent un peu chaque jour, d'autres sélectionnent des plages horaires disséminées sur leur semaine, d'autres quand ils le peuvent (et parfois pas souvent)... bref, chacun fait comme il le veut et, aussi, comme il le peut. Ceux qui comme moi ont le luxe de pouvoir choisir quand ils veulent écrire, s'installe assez rapidement un rythme, plus ou moins régulier, mais un rythme quand même. Personnellement, je tâche d'écrire tous les jours. Je n'y arrive pas forcément, dans le sens où je ne produis pas toujours quelque chose que je puisse conserver, mais je m'installe invariablement à la table de travail. Même si je n'écris pas tous les jours, en fait, j'essaie quand même de me mettre en situation d'écriture tous les jours. Et si possible, aux mêmes heures.
Quel rapport avec la sérialisation ?
J'y viens...
Tous les conseils ne sont pas bons à prendre, mais il en est un qui m'est particulièrement précieux. Deux en fait, mais allons-y dans l'ordre...
Ecrire tous les jours.
Je ne sais plus qui est l'auteur de ces bons mots, excellents même, mais peu importe au final. Ce précepte est excellent. Soyons honnêtes : il ne fonctionne pas avec tout le monde, pour des raisons de rythmes personnels comme expliqué plus haut. Mais pour moi, il marche, et du tonnerre !
Faire le plus important en premier.
Ca, c'est une amie auteur à moi qui me l'a donné, et sincèrement, je ne la remercierai jamais assez pour ce précieux conseil ! Le matin, je me lève, je déjeune et... je fais le plus important en premier, c'est-à-dire écrire en ce qui me concerne. Je m'y mets, une heure, deux heures, et après... j'avise. Si j'ai le temps, je continue, sinon, je passe à la suite du programme de ma journée !
Ecrire en premier lieu le matin permet de ne pas continuellement remettre l'écriture au lendemain, notamment à cause des obligations du quotidien. C'est applicable pour les gens qui ont un travail à horaires fixes, aussi. Imaginez, si vous le pouvez, de vous lever 30 minutes plus tôt afin de vous octroyer 30 minutes d'écriture... vous êtes frais et dispo (plus ou moins, dirons certains ^^) et vous n'avez pas encore dépensé votre énergie au travail. Bref, c'est parfait ! Et 30 minutes, c'est peu, mais sur 5 jours de la semaine, ça représente 2h30 quand même, et ce n'est pas rien...
Bon, tout ça, c'est bien beau, mais quel rapport avec la sérialisation ??? J'y viens, j'y viens :D
En écriture, et ce, de manière générale, il est conseillé de ne jamais s'éloigner trop longtemps du texte.
La régularité est donc la base d'une écriture sereine. Maintenant que nous sommes d'accord sur ce point, je vais vous dire pourquoi : parce que votre état d'esprit au moment de poser les mots détermine (en partie et de manière parfois totalement inconsciente) l'état du texte. Par "état du texte", j'entends "rythme du texte".
Mais surtout parce que quand vous écrivez une série, que vous la faites publier, alors vous mettez le doigt dans un engrenage : celui de la régularité. Régularité du rythme de publication, répétition des motifs d'un épisode à l'autre... et tout ça conditionne votre rythme d'écriture ! Pour publier régulièrement, il faut écrire régulièrement. C'est simple à dire, mais à accomplir... je vous jure que c'est la croix et la bannière. Dans le cas de Foulards Rouges, ma saison 1 était entièrement écrite, je n'ai donc pas eu ce problème. Mais pour ce qui est de Purespace, j'ai signé le contrat avant d'avoir écrit la série, et nous avons publié les épisodes quasiment dès après qu'ils aient été écrits puis corrigés. Allez écrire un épisode, même de 10 000 mots, qui se tienne en un mois top chrono, tous les mois pendant plusieurs mois !! Vous allez vite tirer la langue d'épuisement (moi ça a été le cas). D'autre part, outre le rythme à tenir pour des questions éditoriales, il y a aussi quelque chose qu'on oublie avant de se lancer : les incohérences d'un épisode à l'autre ne pourront pas être effacées. Si vous dites un truc en épisode 1, et un autre en épisode 3, le lecteur va s'en rendre compte, et vous ne pourrez pas le corriger... car ça a été publié, et c'est désormais gravé dans le marbre !! Et ces incohérences sont principalement générées par un rythme d'écriture peu régulier. Quand on garde un contact régulier avec son texte, son univers, nous maintenons une sorte d'état d'alerte qui évite de générer ces bourdes littéraires. Vous me comprenez mieux ?
De plus, sur ce type de rythme d'écriture, où la publication suit immédiatement, vous ne pouvez donc pas, non plus, changer d'avis sur tel ou tel point de scénario : vous devez vous y tenir. Un point c'est tout. Et si votre scénario ne tient pas debout... pas de pression, surtout !! ^^
Passons à un aspect plus technique de la sérialisation.
Dans un roman, chaque chapitre constitue une étape vers la résolution (ou pas) de l'intrigue, bref, vers le final romanesque.
Dans une série, déjà, on parle d'épisodes. Pas par simple frivolité, mais parce que la nature d'un épisode diffère énormément de celle d'un chapitre. En vrac, voici les différences majeures qui me viennent à l'esprit :
- Un épisode est calibré côté format : il possède une longueur type qui restera à peu de choses près la même pour toute la saison de votre série. Un chapitre, lui, peut varier en taille. Certains auteurs diront qu'ils tâchent de conserver une taille égale entre les chapitres, mais c'est leur choix. Dans un roman, on a ce choix. Dans une série... non, pas vraiment. Vous êtes contraint de conserver le même calibrage, à peut-être 1000 ou 2000 mots près (et encore, selon la taille globale et le contenu de l'épisode, vos lecteurs ressentiront peut-être la différence).
- Du fait de ce calibrage obligatoire, un épisode possède un rythme interne propre, indépendant du reste de la saison, alors qu'un chapitre dépend du rythme interne au roman. En d'autres termes, votre épisode possède un début, un milieu et une fin ; il est doté d'une mini-intrigue interne, plus ou moins visible. Dans Foulards Rouges, le lecteur ne perçoit pas nécessairement ces mini-intrigues, mais pourtant, elles existent (cf annexe n°1). On ne devrait pas penser la tension par bonds, d'un épisode sur l'autre, mais d'un épisode dans l'autre. Comme une chaîne, où chaque maillon n'existe et n'a d'utilité que parce qu'il est lié à un autre.
- La répétition : on répète le calibrage d'épisode en épisode, mais aussi le rythme, mais surtout les motifs profonds de l'histoire : chaque épisode, s'il peut reprendre là où le précédent s'est arrêté, doit surtout copier le propos du précédent tout en y ajoutant des nuances. Une évolution précise de la cohérence interne, d'un épisode à l'autre, est donc impérative. Pour reformuler, là encore, disons que chaque épisode est à la fois la répétition et la variation du/des précédents. C'est-à-dire que la répétition est un marqueur de la sérialisation (pour moi, du moins, s'entend ^^). Dans un roman, on a tendance à éviter la répétition : on préfère l'évolution (notamment parce que la plupart de nos romans contemporains sont quasiment tous des romans d'apprentissage (qui s'ignorent le plus souvent), mais ceci est un autre débat ^^). Dans une série, s'il y a bel et bien évolution, cela s'insère nécessairement dans une dynamique de répétition. L'évolution est la nuance qui change tout. Vous me suivez ? :) Si vous avez du mal, les annexes 1&2 vous éclaireront sûrement ^^
- Un épisode de série peut être scénaristiquement dépendant du reste, alors qu'un chapitre s'inscrit nécessairement dans un enchaînement global dont il est dépendant. Dans une série, si vous vous éloignez de vos personnages, ou de la situation; le lecteur va quand même vous suivre car il sait que l'épisode comportera une fin satisfaisante. Qu'il sera un récit dans le récit. Il vous fera confiance grâce au principe de sérialisation, qui veut qu'on développe un thème/un univers et non spécifiquement une intrigue unique. Dans un roman, les mécanismes de cohérence interne dépendent davantage du scénario/fil rouge que du thème que vous développez. (cf annexe n°2)
- Cela m'amène à l'aspect selon moi fondateur de la fiction sérielle : la capacité multiple d'une série, c'est-à-dire à plusieurs approches. Un roman peut être polyphonique, ou à voix multiples, ou avec différentes approches transversales, mais c'est plus rare, car ce principe nécessite une grande souplesse du récit, une capacité d'éclatement que le roman ne possède pas toujours selon l'histoire qu'il raconte. Tandis que la série, elle, déplie l'intrigue d'une manière sensiblement différente. On parlera de fiction sérielle quand le récit permet une auto-réflexivité, c'est-à-dire des voix et contre-voix, des approches différentes, parfois opposées.
Pour résumer, les marqueurs de la sérialité sont les suivants :
- Episodes calibrés, tous à peu près de même taille ;
- Rythme interne propre à chaque épisode (qui peuvent être indépendant).
- Le plaisir de la répétition et de l'ajout de nuances au thème général du récit.
- Le récit dans le récit.
- L'aspect auto-réflexif et l'approche multiple.
On peut sûrement en rajouter, mais pour l'heure, je ne vois que ceux-là.
Cela peut sembler idiot de le préciser, mais une série nécessite un rythme de publication, tout simplement parce que la sérialisation est une dynamique. Dynamique dans laquelle le lecteur doit trouver sa place, car il a lui aussi son rôle à jouer : l'effet d'attente et d'anticipation participe grandement à la qualité d'une série. Elle influence également sa bonne réception (ou pas) par le public (une trop grande coupure peut tuer une série).
On parle alors de programmation des épisodes, de périodicité, et la mémoire du lecteur, et je dirais même des lecteurs, crée un jeu, un lien affectif entre lui et la série : "je t'attends... et tu ne me décevras pas" ! Certes, cela se constate aussi entre les différents volumes d'une série de romans... mais l'effet de cette attente est tout à fait différent selon que l'on parle d'une trilogie ou d'une série en trois saisons de 7 épisodes chacune (et donc 21 épisodes au total, avec ses "pauses" lectures obligatoires entretemps !). Cela donne l'impression d'un récit sans fin, avec un plaisir qui continue dans l'attente de l'épisode suivant. Lire une série provoque des mécanismes d'attentes qui diffèrent du roman, de la trilogie, etc. car il y a un échange entre le lecteur et la série.
Une prof de fac a dit un jour devant moi : "Lire, c'est vivre de manière augmentée." Je trouve ça très vrai, surtout quand on sait que, psychologiquement, le cerveau reçoit la lecture comme une expérience propre, à part entière, existante. Alors, ainsi, quand on regarde la sérialisation du point de vue du lecteur, l'expérience de lecture est encore enrichie : le fait de lire enrichit l'expérience personnelle du lecteur, mais l'effet d'attente aussi ! L'expérience de la lecture est donc double : sensorielle mais aussi spectatorielle. Plus ce double effet est réussi, plus le lecteur accrochera, et mieux la série sera reçue :)
Vous savez donc pourquoi, maintenant, quand on aime une série, on en veut toujours plus : parce que l'attente fait littéralement partie du plaisir et de l'expérience, et parce que vous, spectateur/lecteur, êtes aussi acteur de la sérialisation ;-)
En résumé, tout simplement, on peut dire que c'est comme en musique : les silences ont autant d'importance que les notes !
Pour aller plus loin :
Etoile filée (cet article m'a beaucoup aidée à "nommer" des concepts que j'avais pressentis sans réussir à les définir moi-même, je rends à César ce qui lui appartient ^^).
La sérialisation n'est donc pas le seul fait de l'auteur : elle appartient également au lecteur, qui n'est pas un simple récepteur : il influence et guide le récit, par la réception qu'il en fait, et ce, grâce au rythme de publication si particulier de la série. Et son rythme de travail aussi : si l'on suit le modèle télévisuel américain (difficilement applicable à l'écriture, j'en conviens), on devrait produire une saison par an, donc produire la saison suivante pendant que le lecteur lit la précédente, ce qui n'est pas sans influence sur la création... l'auto-réflexivité est donc double, et c'est ce que je compte aborder dans un prochain article :-)
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Annexe n°1 : les mini intrigues épisode par épisode dans Foulards Rouges (attention... spoileeeers ^^)
- A) Lara rencontre Renaud ; B) hésite et se re-confronte à son existence misérable sur Bagne ; puis C) accepte de participer à l'évasion, même si sa décision n'est pas encore consciente.
- A) Lara se soigne ; B) participe à la mise en branle de l'évasion, puisqu'elle vacacher l'argent ; puis C) reviennent à l'Hacienda qui est prise d'assaut.
- A) Les Foulards Noirs attaquent ; B) Lara affronte à la fois les Foulards Noirs, l'idéologie de son père ; C) les Foulards Rouges gagnent.
- A) Lara, Renaud et cie vont récupérer un vaisseau pour s'évader ; quand B) ils sont attaqués par les Foulards Noirs et résistent ensemble ; mais C) Lara se fait enlever par les Foulards Noirs.
- A) Lara est prisonnière ; B) Lara en apprend plus sur l'ennemi ; C) Lara s'échappe.
- A) Lara et Renaud veulent récupérer le vaisseau ; mais B) le véritable ennemi leur tombe dessus ; et C) ils volent un vaisseau à cet ennemi et s'évadent !
- A) L'évasion de Bagne en elle-même ; B) le trajet vers la Terre ; C) L'arrivée sur Terre.
Annexe n°2 : un épisode = une étape = un développement (spoilers)
- D'un point de vue terre à terre :
- Lara envisage de s'évader.
- Lara accepte de s'évader (mais à contre-coeur)
- Lara comprend la nécessité de s'évader.
- Lara s'intègre au groupe d'évadés de manière définitive (des liens sont tissés).
- Lara s'évade d'une prison "intérieure" : elle embrasse désormais l'idée de l'évasion.
- Lara met (enfin) tout en oeuvre pour s'évader.
- Evasion.
- D'un point de vue thématique et non scénaristique :
- Lara est seule. Elle se croit forte. Elle ne l'est pas, car elle se complaît dans le renoncement.
- Lara est accompagnée. Elle se croit forte. Elle ne l'est pas. Elle reste passive.
- Lara est accompagnée. Elle se croit forte. Elle le devient grâce à sa conviction qui grandit. Reste encore passive.
- Lara est accompagnée. Elle se croit faible à cause de cela. Elle est en fait devenue plus forte qu'elle ne l'a jamais été, parce qu'elle est véritablement prête à se battre pour obtenir ce qu'elle veut.
- Lara est seule. Elle est forte. Elle s'évade (yaaaaah, KICK SOME ASSES GUUUUURL !) (ahem)
- Lara est accompagnée. Elle est encore plus forte. Elle participe activement à l'évasion.
- Lara est accompagnée. Elle est sûre et consciente de sa force. Elle mène l'évasion avec Renaud.
(donc oui, pour ceux qui s'interrogeaient, le thème de Foulards Rouges n'est pas la liberté, ou la résistance, mais la façon dont une personne peut se libérer d'elle-même, de ses illusions et de ses faiblesses)