Je n'aime pas beaucoup cette fic, mais elle était écrite, et si je ne la postais pas, je n'avais rien pour le thème facultatif du mois, alors... Pour le thème "J'ai froid", et parce que cet épisode m'a un peu traumatisée. ^^;;
Titre : Corps de glace
Auteur :
flo_neljaFandom : Mushishi
Personnage : Yahagi (épisode 24). Et je lui invente scandaleusement une famille.
Rating : PG-13
Disclaimer : La compagnie s'appelle Artland, je crois. L'auteur du manga d'origine est Yuki Urushibara.
Avertissements : Spoilers épisode 24, donc. Peut-être bien OOC, je ne suis pas sûre.
Ma chère soeur,
La récolte a été bonne cette saison, j'espère qu'il en est de même chez vous. Comment va Sakio ? J'ai hâte de recevoir une de tes lettres.
J'ai hésité longtemps avant de me résoudre à tout te dire. On m'a toujours appris qu'il ne fallait pas se plaindre ; mais nous sommes nées de la même mère, avons couru dans les champs ensemble, nous avons couru dans la rivière, nous avons passé des nuits blanches à coudre en chantant, et c'est moi qui te tenais la main pour la naissance de Sakio, aussi je me dis que si quelqu'un acceptera de m'entendre, c'est bien toi.
Tu me demandes si ma santé est bonne. Je peux vivre encore longtemps, mais je suis frappée par une maladie qui me fait beaucoup souffrir. Accepteras-tu d'en entendre le récit ? Accepteras-tu de me conforter dans mes résolutions ? Accepteras-tu d'être celle qui me soulagera de ma douleur en la partageant ? Déjà, il me semble que coucher les mots sur le papier me fera un peu de bien.
Je ne peux rien raconter à aucun des villageois, car pour eux je dois être forte, cela les effraierait sans doute de connaître mes faiblesses. Et je ne veux pas en surcharger le mushishi qui m'a enseigné le moyen de rester en vie. Même si je me demande parfois si je ne lui en suis pas plus reconnaissante pour les villageois que pour moi, je ne veux pas que cet homme juste ait de regrets par ma faute.
Oh, me diras-tu, qu'est-ce qui est si grave ? Un mushi qui se nourrit de chaleur a élu domicile dans mon corps, et depuis, j'ai froid, j'ai toujours froid. Ce n'est rien, penseront certains. Peut-être le penseras-tu aussi.
Et pourtant, te rappelles-tu ces veilles, à l'heure la plus froide de la nuit, où nous ne sentons plus nos pieds, et où les quelques heures à venir avant l'aube nous semblent plus longues qu'une vie ? Te rappelles-tu cette fois où la glace s'est brisée et où tu es tombée dans le lac ? J'ai connu des blessures, et toi aussi. Celles qui saignent, les douleurs de la maladie, et la faim, et les blessures du coeur, et toi tu as connu celles de l'enfantement aussi, et tu me dis qu'elles étaient terribles, mais l'une d'entre elles est-elle plus terrible que ce froid, quand on sait que cela n'aura jamais de fin, qu'aucun feu ni aucune chaleur humaine ne peut le dissiper ? S'il y en a une qui est pire encore, c'est la soif, et si un mushi était en train de pomper l'eau de mon corps, je crois que je me laisserais mourir plutôt que de prendre un remède.
J'ai froid. J'ai parfois l'impression que par cette aura de gel, je ressens avec plus de précision chacun de mes organes, comme si mon corps était vraiment fait de glace et devenait transparent. Chacune de mes cellules me rappelle sa présence, bleue, cristallisée, mortelle. J'ai l'impression que de petites stalactites de glace me transpercent l'intérieur du corps. Comme si je devenais si fragile, qu'une chiquenaude suffirait à me briser, mais aussi si froide que n'importe quelle consolation qui me toucherait devenait elle-même paralysée et inutile.
J'ai été fière, et j'ai été généreuse. Aider ceux qui en avaient besoin me remplissait de joie. C'est pour ça que je vous ai quittées, pour aller dans ce village où coule une rivière de vie, où ils avaient besoin d'un Mushishi. Me l'as-tu suffisamment reproché ? Tu avais raison, je crois. Parce que maintenant, cette joie même ne m'arrive plus qu'à travers une lourde couche de neige, et pourtant, alors même que je voudrais abandonner, le sens du devoir me transperce comme un pic. Ce sont des menteurs, ceux qui disent que la glace est insensible. Elle ne laisse pas passer les joies, mais elle avive les peines.
Et quand je suis seule et que je laisse libre cours à ma douleur, je n'en tire aucun soulagement, parce que mes larmes sont comme des glaçons d'une froideur plus mortelle encore que celle de ma peau.
Quand je me rends utile, je me dis que j'ai raison de m'accrocher encore, de refuser de devenir ce cadavre gelé que je suis déjà. Encore ce printemps, j'ai soigné un enfant qui avait vraiment besoin de moi, et je réalise alors quel serait le prix de ma mort.
Je ne te demande pas de cautionner mes faiblesses, ma soeur. Au contraire, si tu le peux, dis-moi que je dois lutter, et que cette envie de vivre que l'orgueil ne me donne plus, l'amitié fraternelle puisse me l'accorder. Tu le vois, à quel point ma fierté est morte, à quel point je n'aurais jamais pu écrire cette lettre humiliante, avant.
Mon corps est glacé, mais mon coeur ne l'est peut-être pas. Je t'en prie, ma soeur, si tu le peux, réponds-moi, accorde-moi un peu de ta compassion, que tes mots me réchauffent là où les feux les plus brûlants ne portent pas.
Yahagi