Fic - 10 choix - Gravity Falls - Bill/Ford

Jun 05, 2016 10:32

Titre : De l'autre côté de l'éternité (partie 2)
Auteur :
flo_nelja
Fandom : Gravity Falls
Personnages : Bill/Ford
Genre : Romance dark
Résumé : C'est une cruelle surprise qui attend Ford après sa mort. Peut-être aurait-il dû s'y attendre. Peut-être s'y fera-t-il, même si c'est la dernière chose qu'il voudrait.
Rating : R
Disclaimer : Tout appartient à Alex Hirsch
Nombre de mots : ~15000 (La partie 1 est ici)
Avertissements : Spoilers sur toute la série. Beaucoup de mention de mort (vu le sujet), et un gros avertissement pour romance malgré des comportements abusifs. Ecrit pour le thème "Eternel" de
10_choix.



Depuis qu'il est ici, Ford s'est dit que son sort était terrible. Qu'il voulait connaître une mort réelle et définitive, dès que possible ; et même que c'était sa première motivation.

Maintenant qu'il a en main un elixir qui aurait peut-être cet effet, il se prend à hésiter.

Il n'est pas aussi prisonnier qu'au premier jour. Il peut aller visiter Dipper et Mabel maintenant ; il semble même avoir plus de facilité pour les trouver que pour voir n'importe quoi d'autre. Peut-être Bill avait-il raison sur le fond. Peut-être une forme vestigiale de culte des ancêtres est-elle impliquée ici. Si c'est le cas, il est possible que sa potion ne marche plus quand personne ne se souviendra de lui, mais il a peut-être le temps de prévoir autre chose d'ici-là.

Bien entendu, il regrette de ne pas pouvoir leur parler, les aider. Il a tenté de posséder divers objets comme il pouvait le faire sous forme astrale, mais c'est impossible. Cela doit être pareil pour Bill. Il voudrait au moins pouvoir leur faire savoir qu'il est là, avec eux.

Et puis il se rappelle que s'il pouvait communiquer avec eux ils lui poseraient probablement des questions sur sa situation, sur ce qui lui est arrivé après sa mort. Certaines choses ne peuvent pas se dire, mais à certaines personnes on ne peut pas mentir non plus.

Il imagine leur réaction à la vérité, et il rit amèrement. Dipper aurait honte de lui, il en est certain. Mabel en rirait peut-être, comme à une plaisanterie absurde. Elle aurait raison. Ce n'est rien de plus.

Mais non, ils ignorent tout de ce qu'il est devenu, et s'il disparait, ils n'en sauront rien et il ne leur manquera pas, pas plus que maintenant.

S'il pouvait seulement tester ce breuvage sur quelqu'un d'autre ! Mais Bill a déjà manifesté clairement son désagrément avant même de savoir les risques, et sur toutes les créatures qu'il pourrait invoquer cela aura exactement l'effet qu'il imaginera, totalement inutile donc. Même la composition est une sorte de devinettes sur des affinités. Vraiment, tout ceci est de la magie, et n'a plus rien à voir avec la science.

Et s'il le gardait pour plus tard ? Un jour où il sera vraiment las de survivre en ce monde ? Non, il ne pourrait pas supporter d'ignorer s'il a vraiment une porte de sortie, de douter toujours.

Que peut-il lui arriver de pire s'il boit ? Disparaître ? Ne pas disparaître ? Rien de bien terrible.

Est-ce que cela compte comme un suicide, quand on est déjà mort ?

Quand il porte la coupe à sa bouche, c'est plus parce qu'il veut savoir, que parce qu'il veut vraiment s'effacer.

Quand Ford se réveille, il ne voit ni n'entend rien. Il a l'impression d'être enseveli dans un nuage très doux. Puis il tente de bouger, et le nuage se révèle une prison, la soie de l'acier, emprisonnant ses jambes et ses bras, et il comprend où il est.

S'il avait réfléchi aussi rapidement qu'à son ordinaire, il aurait compris qu'il avait échoué au moment exact de son réveil, en comprenant toutes les implications.

"Bill," murmure-t-il. Il ouvre les yeux, en ne distingue qu'un enchevêtrement de tentacules noués autour de lui, partout. Est-ce que ce Bill fait quand il dort ? Ah non, c'est vrai, ici ils ne dorment pas.

Il tente de reconstituer rapidement s'il se rappelle quelque chose, avant que les souvenirs s'enfuient comme les bribes d'un rêve. Déjà, il ne lui reste plus que l'impression très vague de tomber, comme on s'endort, puis une lente disparition de tous ses sens... et d'un coup une sorte de nausée, l'impression de se sentir déchiré, une douleur qui ne le réveillait pas...

Un instant, il pense que c'est lui qui a failli mourir, comme la Bête dans le conte auquel il pensait l'autre jour. Mais Bill ne lui dira pas qu'il l'aime, non. Il ne peut plus lui mentir, c'est la meilleure idée que Ford ait eue peut-être, même si une partie de lui a envie d'entendre ce mensonge-là.

"Bill." dit-il. "Que fais-tu ? Laisse-moi me lever." Il néglige la petite voix dépravée qui lui rappelle combien il a envie de se tordre dans l'étreinte de ces tentacules, de se frotter contre eux, impuissant. Ce n'est pas le moment.

"Tu as essayé de me quitter."

La voix de Bill vibre de fureur et presque de haine, rappelle à Ford des souvenirs terrifiants qui s'étaient à-demi estompés. Il frissonne. Est-ce de la peur ? En tout cas, ses entrailles sont devenues froides comme de la glace.

"Je... ce n'était pas aussi personnel dans ma tête, mais je suppose que c'est vrai." réussit-il à bafouiller. Cela va-t-il à l'encontre du pacte par lequel il a promis à Bill de ne plus le repousser ? Il ne s'est jamais posé la question.

"Tu es à moi, A MOI !" Les tentacules se ressserrent, pas à l'étouffer, mais rendant sa respiration oppressée, haletante. "Si tu recommences... je laisserai le maelström effacer tes souvenirs, cette fois. Et quand tu reviendras à moi - parce que rien ne brisera notre lien - tu ne seras plus que l'ombre de toi-même. Je ferai de toi mon jouet. Même sans te mentir, je te ferai oublier que tu as le moindre pouvoir ici, je te ferai tout accepter. Alors, ne me quitte plus jamais !"

Et Ford sait, grâce à leur pacte, que chaque mot est vrai. Il sait qu'il est prisonnier ici, sans aucun espoir. Il sait aussi que Bill l'a sauvé, en quelque sorte.

"Tu aurais pu le faire dès cette fois." murmure-t-il.

Bill est tenu de dire la vérité, mais pas de répondre, surtout quand ce n'est pas une question.

Comme ce sentiment est malsain. Ford triomphe intérieurement que Bill ait choisi de le garder, plutôt que... plutôt que quoi ? Une version à moitié effacée de lui-même, vide. Ce serait de la compagnie pour le démon, ce serait sa victoire, mais il n'a pas laissé faire... il veut tout de lui... Pourquoi Ford se sent-il si bien, alors qu'il ne peut pas s'enfuir, qu'il ne peut pas même bouger ? Peut-être ce que Bill appelle le maelström était-il froid. Les tentacules semblent l'envelopper d'une chaleur affolante, et le désir de Bill...

Il doit encore être troublé par cette expérience. Il ne ressent pas les choses comme d'habitude. Il a envie de nouer ses bras autour de ceux du démon, de s'y enfouir comme dans un coussin.

Dis-moi que tu me veux, pense-t-il, mais les mots ne passent pas ses lèvres. A la place, il interroge Bill.

"Tu parles du maelström." dit-il. "Tu en sais plus que moi. Qu'y a-t-il après la mort ? Qu'y a-t-il dans le chaos ?"

(Bien sûr, il repense à Stan.)

"Rien !" s'exclame Bill. "La disparition complète et définitive de tes souvenirs, de tout ce qui est toi ! Tu aurais dû me demander avant. Rien n'est pire que le néant."

"Je ne pense pas." murmure Ford.

"Ne parle pas de ce que tu ne connais pas !"

"Tu n'y connais rien non plus !" répond Ford, piqué. Encore moins que lui, sachant qu'il ignore depuis combien de temps Bill existe. Pour sa part, il a techniquement connu le néant avant sa naissance. Il peut imaginer bien pire que de disparaître.

Je préfère largement le néant à l'éternité avec toi, aurait-il dit il y a encore peu de temps.

Mais les mots qui s'échappent de sa bouche sont : "Je préfère largement le néant aux sentiments que j'ai pour toi !"

Le nuage de tentacules se déforme un peu, et d'un coup l'oeil de Bill est tout près de son visage, la pupille étrécie, d'excitation ou peut-être de panique.

"Quels sentiments ?" demande-t-il.

"Je ne te déteste plus..." répond Ford, gravement. Il vient juste de réaliser que c'est vrai. S'il n'a plus peur de Bill, peut-être a-t-il peur de cela.

"Ce n'est pas un sentiment !" s'exclame Bill. "C'est une absence, c'est proche du néant, justement !"

Ce n'est pas le néant. C'est très loin de cela, c'est quelque chose dont l'intensité le brûle. Mais Ford ne peut pas l'expliquer avec des mots.

"Dis-moi," dit Ford, "si j'étais revenu sans mes souvenirs, cela aurait-il encore été moi ? Ou quelqu'un d'autre ? Ou rien ?"

Bill semble hésiter un instant.

"Pas toi." dit-il. "Je te dis, tu serais effacé, même s'il reste quelque chose qui s'appelle une âme et est pour toujours lié à moi. Quelqu'un d'autre. Mais avec du potentiel pour être toi, et peut-être quelques restes de souvenirs. Je lui aurais appris qui tu étais, Sixer. Je lui aurais donné envie de te ressembler."

"Arrête." dit Ford. "C'est répugnant." Mais c'est ce que Bill veut. Lui faire peur, le dissuader de recommencer. Il y réussit très bien.

"Depuis quand je suis l'expert sur ça ?" soupire Bill.

"He bien." répond Ford sur un ton qu'il essaie de rendre raisonnable et détaché, "tu as tué beaucoup de personnes, n'est-ce pas ? On doit bien apprendre des choses sur la mort de cette façon ?" Il réfléchit. "Et... les clones que créait ma photocopieuse ? Ils étaient moi, mais en papier ? Ou quelqu'un d'autre ?"

(Il se rappelle cette fois où Bill dans son corps a enlacé un de ses clones ; et comment l'image de Ford voulait si désespérément lui donner du plaisir. Comment alors que le sperme faisait fondre ses entrailles en boue de papier, il s'est décomposé en murmurant que cela en valait la peine. Ford a été hanté par cette image, s'est demandé s'il serait allé aussi loin. Oh, combien il était malade d'amour.)

"Les clones étaient toi," soupire Bill, "mais sans âme individuelle, juste des copies de la tienne, qui retournent à toi à la fin."

"Mais sans me ramener leurs souvenirs."

"Je t'ai dit. L'âme est une imbécillité. Les souvenirs sont ce qui font que tu es toi."

"Tu n'as pas refusé la mienne, pourtant." murmure Ford.

"Je me souciais peu de qui tu étais, à l'époque, juste de ce que tu pouvais faire pour moi."

Un frisson glacé meurtrit le coeur de Ford. Il l'a mérité. Il pose les questions, il lui a refusé le droit de lui mentir. Il a envie de se serrer contre Bill pour se réchauffer, de frotter son nez, sa joue contre les tentacules qui l'enserrent. Il se retient. Il est toujours dans un état second, pense-t-il. Il le regrettera plus tard.

"Ne veux-tu pas mourir aussi ?" demande-t-il. "Tu as dit que cette dimension était insupportable. Que tu ne voulais plus y être."

"J'ai dit aussi que cela pouvait être pire. Je suis vivant, et tu es à moi, même si je n'ai rien d'autre."

"As-tu de l'espoir ? Imagines-tu que quelque chose pourrait arriver pour rendre ce monde meilleur pour toi, n'importe quoi ?" Les dieux sont peut-être faits pour l'immortalité, même si Ford se demande comment ils peuvent la supporter. Mais Bill aime le chaos, déteste l'immobilité. Ford ne peut l'imaginer satisfait ici. Tôt ou tard il s'ennuiera de ce monde minuscule, il s'ennuiera de lui, et c'est normal.

"Oh Fordsy, tu sais ce que je vais demander..."

Ford rougit malgré lui. "Tu ne devrais pas y croire. Je veux dire, autre chose. Tu as le temps. Vas-tu rassembler ton pouvoir ? Pouvoir communiquer avec le monde extérieur, l'influencer ? Essayer de passer un pacte avec quelqu'un d'autre ?"

"Qui sait ? Tu crois que j'ai l'expérience de perdre, que cela m'arrive tous les millénaires ? Peut-être, effectivement, rencontrerai-je un jour une nouvelle personne, une à laquelle je pourrai mentir. Ou peut-être l'humanité sera-t-elle détruite avant, qui sait ? Tu préfèrerais ? Tu serais jaloux, n'est-ce pas, si je passais un pacte avec quelqu'un d'autre, qui m'adorerait comme un dieu. Tu aurais peur que je t'abandonne encore..."

Ford découvre avec effroi qu'il serait effectivement jaloux, désemparé - pas au point de souhaiter la fin de l'humanité, bien évidemment ! Il s'est habitué à l'attention de Bill. Il s'est habitué au besoin que le démon a de lui. Oh, il est tout aussi égoïste que Bill, aussi frustré de compagnie.

"Ne t'inquiète pas," soupire Bill, "je n'y crois pas vraiment. Ce n'est pas ce que j'ai attendu pendant toutes ces années." Il lui caresse la tête. "Et n'utilise pas ces idées pour t'absoudre de me laisser."

Ford se mord la lèvre. Il n'avait pas réalisé, mais oui, c'est probablement ce qu'il faisait.

"Ne t'inquiète pas, mon Fordsy. Tu seras toujours spécial pour moi. Je continuerai à t'embrasser autant que tu le veux, pour toujours." Et il le serre encore un peu plus fort. Ford ne peut pas s'empêcher de savourer la sensation.

Il sait que Bill pense ce qu'il dit, mais cela ne veut pas dire que c'est vrai. Mais le problème est de son côté. Cela ne devrait pas être important.

"Ne veux-tu pas détruire ce monde ?" demande-t-il à Bill. Cela fait trop longtemps qu'il tourne autour de la question, que la conversation l'emporte là où il ne veut pas aller.

"Avec toi et moi dedans ?"

"C'est le principe, oui. Ne m'as-tu pas expliqué à quel point tu aimais les détruire ? Comment tu avais libéré le tien, et comptais faire de même pour le mien ?"

"Et tu t'y es obstinément opposé."

"Ma famille y vivait. Qu'attendais-tu ?"

"J'ai détruit mon monde, Fordsy, avec ma famille dedans."

Ford frissonne un instant.

Ce n'est pas ce dont il voulait parler. Cela ne lui sert à rien. Mais il éprouve une toute nouvelle curiosité pour cela. Il veut comprendre Bill.

"Raconte-moi." murmure-t-il. "S'il te plait. Ce que tu peux dire. Ce que tu veux dire."

Les tentacules noués autour de Ford s'ébranlent en une lente convulsion qui revient sans doute à hausser les épaules.

"Rien de spécial !" répond Bill d'une voix désinvolte. "Ma dimension était la pire qu'on puisse imaginer pour un triangle avec un peu d'imagination, et quand j'ai rencontré des extérieurs... eh bien, je leur ai demandé s'ils avaient une porte de sortie. J'ai eu non seulement la liberté mais des pouvoirs tout à fait raisonnables, et tout ce que j'ai eu à faire est d'offrir les vies de tous mes compatriotes. On pourrait dire que j'ai eu le beurre et l'argent du beurre."

"On... pourrait le dire." murmure Ford, choqué. Puis, comme il a l'habitude de repasser les phrases de Bill dans sa tête, y cherchant des doubles sens. "Est-ce ce que tu dirais, toi ?"

"He, ils seraient morts de toute façon." répond Bill, désinvolte. "Je suis un exilé partout, mais... c'est moi qui l'ai voulu."

"Il y a donc dans ce monde pire que toi. Il y a des créatures qui confèrent des pouvoirs aussi terribles que les tiens." Ford frissonne. "Les as-tu revus ?"

"Non ! Pires que moi, peut-être, mais avec une meilleure étiquette. Une fois que le marché est conclu, hop, personne pour me suivre chez moi... ou plutôt chez les voisins. J'ai essayé de les appeler quand ton frère m'a tué... et je ne sais toujours pas s'ils ont répondu ou pas. Si je serais... encore plus mort ou pas."

C'est moi qui t'ai tué, pense Ford, moi qui ai appuyé sur la gâchette. Il pense aussi, à retardement, que Bill n'a probablement pas les pouvoirs pour détruire cet univers-ci, pas plus que lui.

"S'ils étaient là," pense Ford à voix haute, "cela marcherait-il encore ? Me sacrifier pour t'enfuir ?"

"Je ne ferais jamais cela !" s'exclame Bill, sa voix dure à nouveau. "Tu es vraiment stupide pour un génie !"

"Probablement..." murmure Ford. Il aurait cru qu'ils pourraient obtenir ainsi ce qu'ils voulaient tous les deux.

Il faudra, à un moment, qu'il s'extirpe des bras de Bill. Cela devient trop naturel, trop doux, sans même qu'il ait l'excuse du désir. Mais il a encore une proposition à faire. "Et si nous pouvions détruire cette dimension, ou la fuir ?"

"Le maelström autour, toutes les chances. C'est non. J'aime être prisonnier aussi peu que toi, mais je ne partage pas ton goût pour la mort, je ne comprends pas, je n'approuve pas."

"Je voudrais expérimenter encore." reprend Ford. "Je voudrais voir si on peut résister au maelström, le traverser en gardant ses souvenirs."

"Oh, quelle bonne idée !" se moque Bill. "Expérimenter sur qui ?"

"Sur moi, bien entendu. Mais j'aurais besoin de ton aide. Et nous pourrions peut-être quitter cet endroit tous les deux."

Il frissonne en disant cela. Il ne voit pas d'autre choix. Mais cela voudra dire faire confiance à Bill, au moins un peu - et cela veut dire potentiellement le relacher sur le monde. Il ne devrait pas faire cela. Il devrait trouver un moyen de l'abandonner (cela ne marchera pas). Il devrait le supplier de le laisser mourir (il ne sait même pas si Bill le pourrait). Il devrait se sacrifier et rester avec lui pour toujours pour protéger les univers. Si c'est comme en cet instant, ce ne serait pas si mal.

Mais il ne veut pas renoncer.

Le corps de Bill lui semble briller d'une étrange lumière.

"J'ai dit que j'aime comment tu penses, mon petit génie ?" répond le démon en lui caressant les cheveux, toute moquerie disparue de sa voix. Ford ferme les yeux et essaie d'oublier le passé et le futur.

"Tu dois promettre. Par un pacte." insiste Ford. "Sinon, jamais je ne te laisserai entrer dans ma tête."

Il a déjà bu la potion qui est censée améliorer sa mémoire, avec laquelle il a obtenu de très bons résultats sur des exercices mnémotechniques simples.

"D'accord, je n'effacerai rien qui puisse changer tes sentiments sur moi. Promis."

"Ni sur ma famille." insiste Ford.

Bill soupire. "Dis-moi ce que je peux effacer, ce sera plus court."

"He bien, puisque tu insistes," répond Ford d'un ton moqueur, "j'ai lu un livre intitulé The Bell Curve qui était abominable. Si tu pouvais m'en enlever tout souvenir... J'aurais bien dit Twilight aussi, mais malheureusement il est hors-pacte, il faut partie des livres qui me font penser à toi."

"Et que vais-je avoir en échange ?" demande Bill. "C'est un pacte, après tout ?"

"Tu pourras tout voir ! Tout de mes pensées, mes émotions les plus intimes ? Est-ce que cela ne vaut rien, pour toi ?" Il a pris à Bill sa capacité à mentir. Il ne le regrette pas, mais c'était important pour lui. Le moins qu'il puisse faire est de lui offrir sa vérité en retour.

"Bon, bon..." soupire Bill en serrant sa main.

Ford se sent comme fatigué un temps. Il ne peut pas dormir, pourtant. Il essaie de ressentir la présence de Bill, mais rien ne le rappelle l'ivresse de lui ouvrir son esprit qu'il ressentait autrefois, ni l'effroi quand il entrait dans ses rêves, après.

"Ai-je réussi ?" demande-t-il quand le démon réapparaît devant lui.

"A toi de me dire. Te rappelles-tu un livre appelé The Bell Curve ?"

Ford se gratte la tête. "Jamais entendu parler."

"Eeeeet je vous présente notre perdant de la semaine, Stanford Pines ! Quoique, d'après ce que tu me disais, et ce que j'en ai effleuré, tu devrais être reconnaissant d'avoir oublié cela. Alors, combien de temps pourrons-nous continuer ce petit jeu ? Combien as-tu lu de mauvais livres dans ta vie ? Beaucoup, je suis un nerd, et même pas omniscient pour savoir à l'avance s'ils en valent la peine ! C'est bien ce que je pensais."

"Suffisamment. J'espère. Sinon, je te fais confiance pour en inventer."

"Tout ce que je peux inventer est meilleur que le meilleur livre humain !" proteste Bill en riant.

"Alors ?" demande Bill. "Quels souvenirs as-tu de Da Vinci Code ?

"Je ne vois même pas de quoi tu parles." grogne Ford.

"Et un échec de plus ! On finira bien par arriver à cent. Encore que, on devrait compter comme ça ? C'est idiot, j'ai huits doigts, tu en as douze. On devrait arriver à quatre-vingt-seize ! Et si on inventait de nouveaux mots pour les nombres ? Nous en sommes à l'essai pantoufle..."

Ford pouffe de rire, tente de le dissimuler avec sa main.

Soudain, il ne se rappelle plus ce qui le faisait rire.

"Que s'est-il passé ?" demande-t-il. "Tu devais entrer dans ma tête, c'est ça ? Effacer le souvenir d'un livre ?"

"Da Vinci Code. Et surprise ! Je l'ai fait ! Quand tu ne regardais pas !"

"Je me rappelle parfaitement, pourtant. Avec les enfants de Jésus et Marie-Madeleine..."

"Sixer, tu as réussi ! Je l'ai effacé et c'est toujours là ! Tu es brillant ?"

"Sérieusement ?"

"Yep ! Je ne peux plus te mentir, tu te rappelles au moins de ça ? Comment tu as fait ?"

"Cette potion-là... elle n'augmente pas la mémoire. Au contraire, elle la bloque, on oublie tout ce qu'on a appris pendant ce temps. Mais je me suis dit, si cela fixe tellement l'esprit qu'on ne peut rien effacer non plus..."

Bill se colle contre sa poitrine, noue ses petits bras autour de sa nuque, cligne de l'oeil contre sa gorge, le caressant doucement de ses cils. Ford rougit sauvagement.

"Laissons tous les effets se dissiper." dit-il d'une voix hachée. "Pour éviter toute interférence. Et ensuite... il sera temps de voir si le maelström peut faire pire que toi.

"Tu as dit que tu m'avais ramené à temps la dernière fois." dit Ford d'une voix qui tremble un peu. "Cette fois, je te demande de ne pas le faire. S'il peut... rester quelque chose de moi, c'est mieux. Mais ne me ramène pas trop tôt. Sinon je n'aurai aucun moyen de savoir si l'expérience est concluante."

"Tu sais ce que je ferai si tu échoues." rappelle Bill.

"Oui. Je sais." répond Ford en frissonnant. Cette expérience a plus d'enjeu que quand il pensait que la mort était le pire qui pouvait lui arriver.

"Tu as intérêt à être aussi génial que tu en donnes l'impression." poursuit le démon d'un ton buté.

"He bien, si ce n'est pas le cas, tant pis pour moi et tant mieux pour toi." rétorque Ford, irrité.

"Tu crois que je voudrais que tu échoues ?"

"C'était ton idée, n'est-ce pas ? Avoir une marionnette à ma place..."

"Je t'ai dit ce que je ferais, je ne voulais pas que tu m'abandonnes ! Oh, et puis je ne joue plus à ça ! C'est ridicule !"

"Quoi ?" demande Ford, interloqué. "Mais tu m'avais dit..."

"Je le pensais à ce moment ! Et je n'ai pas passé de pacte ! Cela ne compte pas comme mentir. Je peux bien changer d'avis, tu changes d'avis tout le temps ! Si je décide de te ramener avant que ta mémoire soit effacée, je le ferai."

"Bill," dit Ford doucement. "S'il te plait. Nous avions décidé cela ensemble. Tu veux partir d'ici autant que moi. Bien sûr, nous pouvons reporter à plus tard, mais en passer par là est nécessaire. Aie confiance en moi."

"POURQUOI veux-tu partir, toi ? Rappelle-le moi ?"

"Je veux..." Ce n'est plus la présence de Bill qui le désespère. Il s'y est fait. "Comme tu l'as dit toi-même. Je veux pouvoir interagir avec le monde. Je veux avoir un effet. Tu m'as dit que j'étais brillant, mais ici, que puis-je faire avec mon intellect ?"

"Pour l'instant, tu es juste en train de résoudre le mystère de la vie après la mort et de l'éternité." se moque Bill.

Ford sourit malgré lui. "Tu marques un point. Mais justement, est-ce possible de ne jamais savoir si cela marche vraiment ? Et personne n'en profitera. Que vaut mon esprit si je ne fais rien avec, si je ne change pas le monde ?"

"Tu m'as changé, moi ! Tu m'as fait tomber amoureux de toi !"

"Quoi..." articule péniblement Ford, le souffle coupé.

"Quoi ?" demande Bill, semblant aussi surpris que lui.

Il y a un long silence, mais Ford parle le premier.

"S'il te plait, laisse-moi un instant."

"Mais Fordsy, le fait que..."

"Je ne peux pas te forcer." interrompt Ford d'une voix tendue. "Mais s'il te plait. Si tu comprends ce que tu m'as dit - si ces mots ont le même sens pour moi que pour toi - alors accorde-moi un peu de solitude. Sans raison. Juste parce que je te le demande."

"Je voulais..."

Puis Bill s'interrompt, et disparait.

Ford se met à hurler et à pleurer en même temps. Des larmes lui dégoulinent sur le visage, lui coulent du nez, plus vite qu'il ne peut les essuyer avec le dos de ses mains. Il pourrait invoquer un mouchoir s'il le voulait ; il l'a oublié.

Il s'effondre à terre, ou peut-être s'est-il couché exprès, pour frapper son visage contre le sol dur, pour ressentir la douleur quand il cogne de ses poings.

Il pensait - il s'était convaincu que Bill ne pouvait pas aimer, pas du tout, que c'était un démon. Mais pourquoi - pourquoi maintenant alors qu'il est trop tard - et cela veut dire qu'à l'époque... il ne peut plus se réconforter avec une impossibilité. C'est juste lui qui n'avait pas été assez. Il veut mourir, il veut disparaître, plus que jamais, pour ne plus ressentir ce regret.

Il se griffe les poignets, se griffe le visage. Cela l'apaise un peu, ou peut-être est-ce juste le temps qui passe, qu'il a oublié de mesurer. Son coeur battait si vite que cela aurait aussi bien pu être plusieurs éternités.

Une fois qu'il est calmé, il repense à l'ancienne proposition de Bill.

Laisse-moi entrer dans ton esprit et y changer tes sentiments et tes souvenirs. Et je te rendrai heureux à nouveau.

Bien sûr, il a refusé avec horreur. Cela aurait été comme de mourir. Abandonner ce qu'il est, ce en quoi il croit. Mais est-ce que mourir n'est pas ce qu'il cherche maintenant, une fin meilleure que le désespoir qu'il ressent en ce moment ?

Il deviendrait quelqu'un d'autre, mais il donnerait à cette personne - qui serait, d'une certaine façon, le gamin qu'il était à vingt-cinq ans - l'amour réciproque et heureux qu'il désirait plus que tout au monde. Est-ce si mauvais ?

Bien sûr, Bill l'avait manipulé, à l'époque, pour détruire le monde. Mais le démon avait l'air aussi de tenir à sa reddition. Accepterait-il, en échange, de ne plus le pousser à détruire des univers habités, peut-être de ne plus essayer de le faire lui-même ? Si oui, Ford aurait rempli sa mission, n'est-ce pas ? Il l'aurait arrêté, comme il se l'est promis.

Alors, pourquoi ne pas se laisser tomber amoureux, au fond du gouffre ? Pourquoi l'idée continue-t-elle à le révolter, encore maintenant, quand elle leur donnerait à tous les deux ce qu'ils disent chercher ?

Cela ne marcherait pas, se dit-il. Bill peut dire la vérité en ce moment, mais il se lassera vite. Ce n'est pas une issue. Pourquoi a-t-il l'impression de le regretter ?

Que veut Ford exactement ? Quelle est la meilleure fin qu'il puisse imaginer tout en restant lui-même ? Pourquoi n'a-t-il pas de réponse à cette question ?

Et aucune ne vient, alors qu'il reste étalé à terre, sur le sol dur, sous un ciel sans soleil.

Soudain il pense à Bill. Non, c'est une mauvaise façon de dire. Ce n'est pas comme s'il avait pensé à autre chose tout ce temps. Il pense aux sentiments de Bill, et à la façon dont il a dû prendre sa réaction. Qu'a-t-il pu croire ?

"Bill !" appelle-t-il.

Pas de réponse, ce qui est logique, si Bill non seulement l'a laissé tranquille mais ne l'a pas observé pendant tout ce temps. Si c'est le cas, Ford lui en es reconnaissant.

Bill ne méritait pas cela.

Ou plutôt, ce qu'il venait de dire ne méritait pas cela. Ford pourrait se moquer de lui-même à loisir, et Bill ne s'en privera probablement pas. Il est resté digne, le coeur brisé, quand Bill l'a trahi. Il est resté sarcastique quand Bill l'a physiquement torturé et maintenant, il s'effondre, pour cela seulement. Il ne pouvait pas garder un semblant d'équilibre éternellement, quand il était toujours au bord du précipice.

"Tu peux revenir !" crie-t-il inutilement. "Je suis désolé."

Si Bill écoute et fait semblant de ne pas le faire, ou s'il a entendu mais ne veut pas sembler être à sa botte... Ford ne s'offenserait plus de cela. Il ne veut juste pas qu'il pense qu'il est tout seul.

Comment Bill faisait-il pour le trouver quand il s'isolait, dans ce monde sans consistance ? C'était en pensant l'un à l'autre, n'est-ce pas ?

Il se concentre sur Bill. Il ferme les yeux, et lui envoie le même message, dans sa tête. Il n'est pas certain de savoir comment faire. Il imagine le retrouver, où qu'il soit...

"Yellow, Fordsy ! Tu t'es fait attendre !"

Il est rassuré en entendant cette voix désinvolte, même si après ce qui vient de se passer, il n'est pas certain que ce soit sincère. Devrait-il demander ce qui s'est passé ? Ou laisser Bill en parler quand il voudra.

"He, tu t'es fait mal !" Bill volète vers lui, pose les mains sur les griffures de son visage. Ford sent qu'il essaie de modifier l'univers pour les effacer. Il pourrait aisément l'arrêter ; c'est son corps, et s'ils se battent pour le maîtriser, c'est lui qui va gagner. Mais il n'a pas de raison de l'en empêcher, et ses griffures guérissent peu à peu.

"Pourquoi t'es-tu fait ça ?" demande Bill. "Tu aurais pu me frapper plutôt. Tu aimes ça, pas vrai ? J'adore aussi. Vraiment, ça aurait été mieux pour nous deux."

Ford sent le sang monter à ses joues. Il ne veut pas savoir comment Bill peut penser cela. Même quand il aimait Bill de toute son âme, il n'aurait pas voulu... n'aurait pas proposé...

"Je vais te serrer dans mes bras, Stanford Pines," dit Bill, d'un ton toujours léger. "A quoi devrais-je ressembler ?"

Il prend son apparence humaine habituelle. Il prend un instant l'apparence de Stan, et Ford a un sursant d'incompréhension. Puis il redevient un triangle, et vraiment, il n'a pas besoin de s'amuser ainsi.

"Comme tu voudras." répond Ford. Puis, pour être sûr. "Pas mon frère, tout de même."

Il ferme les yeux, ouvre les bras. C'est la texture habituelle de la peau de Bill qui se serre contre sa peau. En triangle, mais presque aussi grand que lui. Ce sont ses mains qui se nouent dans son dos, dans son cou, autour de sa taille. Il se laisse aller, se laisse porter, frotte sa joue contre sa peau.

"J'ai envie de t'embrasser." dit Ford. "Est-ce que... est-ce que ce serait jouer avec tes sentiments, ou..."

Bill ricane. "Ne te préoccupe pas de ça, Fordsy. Tu ne sais même pas à quoi jouer avec des sentiments ressemble."

Ford n'attend pas plus d'invitation, et pose ses lèvres sur la peau du démon, laisse une traînée de petits baisers, se déplaçant vers sa paupière. Pourquoi cela lui semble-t-il si étrange ? C'est loin d'être leur première fois.

Mais il n'arrive pas à se rappeler la dernière fois où c'est lui qui a embrassé Bill, et pas le contraire.

"Tu m'aimes aussi." dit Bill. Ce n'est pas une question, mais le ton est légèrement incertain.

"Je suis désolé." répond Ford en secouant la tête. Il n'arrive pas à croire qu'il l'est réellement. Peut-être est-ce un des facteurs pour ses larmes tout à l'heure. Parce qu'il voudrait pouvoir retrouver la force avec laquelle il ressentait dans sa jeunesse, et peut-être que la honte l'en écrase.

"Mais tu n'as jamais aimé personne d'autre après moi ! Je te regardais !"

Ford frissonne. Il ressent toujours un certain malaise à ce sujet. Mais il n'a jamais cru que sa relation avec Bill pourrait avoir quoi que ce soit de normal. C'est une des illusions auxquelles il a échappé.

"Je n'aurais pas forcément montré..."

"Et j'ai regardé dans ta tête, dans tes souvenirs, il n'y avait personne."

Peut-être que tu m'as juste dégoûté de l'amour en général, pense Ford. Mais il ne le dit pas. Ce serait cruel. Et ce n'est qu'une idée, même pas une théorie. Il n'était pas le genre à tomber amoureux, même avant.

"Reste avec moi ici," dit encore Bill. "Pour toujours. Je n'ai besoin de rien d'autre, je crois."

"Tu crois." remarque Ford. "Mais tu te lasseras."

"Si tu me laisses entrer dans ma tête pour te rappeler tes anciens sentiments, Fordsy, je te laisserai entrer dans la mienne. Tu pourras faire en sorte que mes sentiments durent toujours. Tu pourras faire de moi tout ce que tu veux. C'est ce que vous appelez le mariage, je crois ? Mais en mieux !"

Oh, ce sentiment dérangeant de puissance qu'il a quand Bill se propose de s'offrir à lui ainsi. Il se demande un instant si c'est ce que Bill ressentait quand lui... non, il n'aime pas le tour que prennent ses pensées.

"Tu pourras me faire ressentir du remords pour ce que je t'ai fait..." plaide Bill - bien sûr il ne connaît pas cela, et Ford ricane un instant de sa propre délicatesse.

"Me laisserais-tu faire en sorte que tu ne veuilles même pas détruire les univers ?" demande Ford. Il n'arrive pas à croire à son avidité, quand tout ceci est pervers d'un bout à l'autre.

"Mais nous resterions ici, Sixer. Je suis un dieu, et je serais à toi. Tu sais que tu le veux."

Bien sûr, il y a une part de lui qui se consume d'envie d'accepter. Il y a les restes de son amour de jeunesse, et ceux de son désir de vengeance, et son envie de disparaître. Et même s'il essaie de s'en défendre il veut toujours Bill, de façon alarmante. Je serais à toi. Ces mots le font trembler de quelque chose qui va bien plus profond que le désir ou la rancune.

Mais tout ceci est dans le passé, et Ford veut croire, contre toute raison, qu'il a encore un avenir.

"Je vais partir." dit-il. "Je vais tenter de quitter cette dimension en gardant mes souvenirs, comme prévu. Je..."

Je ne te laisserai plus me toucher jusqu'à ce que tu m'aies laissé essayer, pense-t-il. Il n'a pas envie d'aller jusque-là. Il s'extirpe cependant de l'étreinte de ses bras, doucement.

"J'ai besoin de savoir si j'ai raison." conclut-il.

Il aura toujours besoin de quelque chose d'autre dans sa vie. Il ne peut pas avoir juste Bill, il ne peut plus, il ne pourra plus jamais. Ses sentiments sont confus, mais cela, il le sait.

"Et moi, je ne veux pas que tu reviennes comme une coquille vide. Je ne veux plus. Tu es tout ce que j'ai."

Ford frissonne.

"Je ne le veux pas non plus !" répond-il honnêtement. "J'ai juste confiance dans le fait que cela peut marcher, que cela en vaut la peine."

"Vraiment ? Tu te crois génial à ce point ?"

Ford s'apprête à répondre, mais apparemment c'était une question rhétorique. Bill poursuit déjà. "Si tu veux tenter le grand saut, donne-moi de tes drogues, et je pars avec toi."

"Mais..." C'est maintenant que Ford a envie de protester, de dire que cela doit encore être testé, que ce n'est pas certain. Mais ce serait hypocrite de sa part, n'est-ce pas ?

Il hoche la tête.

"Si nous ne revenons pas ici," dit-il, "alors laisse-moi un peu de temps, pour... me préparer. Je te préviendrai, je te le promets."

"Le plus tard sera le mieux, Sixer !" s'exclame Bill joyeusement, et Ford devine bien qu'il espère que ce sera jamais.

Il y a plusieurs choses que Ford voulait faire.

Tout d'abord, il va encore une fois visiter Dipper et Mabel, en sachant que ce serait la dernière fois. Ils n'étaient pas là quand il est mort. Il ne les a pas vus pleurer à ses côtés ou faire semblant de sourire. Il a mieux que cela quand il les observe sans qu'ils puissent le voir, sans rien pour entacher leur joie.

Ce jour-là, c'est une réunion de famille, et l'aînée de Mabel va avoir un enfant bientôt.

"Je n'arrive pas à croire que je vais être un grand-oncle !" s'exclame Dipper. "Je suis trop jeune pour ça !!" et Mabel rit, et lui offre d'autorité un pull-over rouge tricoté main. Bien sûr, elle savait parfaitement ce qu'il allait dire.

"Je tricotais déjà quand j'étais plus jeune que toi !" dit-elle d'un ton faussement vexé au petit ami de l'enfant de Dipper, qui s'interroge sur le lien entre les grand-mères et les pelotes.

C'est une bonne journée, et Ford n'aura pas de regrets que ce soit la dernière fois.

Que lui reste-t-il d'autre ? Il relit tout ce qu'il a noté en termes de souvenirs. Il en avait déjà oublié une partie. Il espère que cela servira à quelque chose, que ce n'est pas un dernier rappel avant que tout soit effacé. Il ne reviendra plus ici. Cela ne fait même pas un an, et il pensait à y passer l'éternité...

Il relit avec émotion les passages sur Stan. D'après ce que dit Bill, sa mémoire a déjà été effacée, et il connaît déjà ce qu'il y a après. Que ce soit une autre dimension, ou une réincarnation dans le monde qu'il connaît, à une époque ou à une autre, en humain ou pas...

Stan a vécu cela, et il ne sait pas qu'il sait. Il ne le saura jamais même si Ford le croisait par hasard. Peut-être que cette idée d'effacer les mémoires à chaque passage est une bonne idée. Il y a des pertes qui s'accumulent. Ford veut juste...

Il veut vérifier si c'est possible au moins une fois. Il ne veut pas vaincre la mort pour être immortel, juste pour savoir si c'est possible, et il veut, si son âme est vraiment liée à jamais à celle de Bill, savoir pourquoi.

"Sixer !" Il y pensait juste, et bien sûr le triangle l'interrompt au bout de quelques dizaines de pages seulement. "Veux-tu que je te dise comment des dinosaures ont failli devenir intelligents et inventer la première machine à voyager dans le temps ?"

C'est peut-être la dernière fois qu'il se rappelle sa vie, mais c'est peut-être aussi la dernière fois qu'il profite du savoir incommensurable de Bill, et l'ordre n'est pas très important. "Certainement." dit-il. "J'aimerais bien."

Bill sait raconter, on ne peut pas nier cela. Il est en train d'expliquer comment la Time Police est remontée dans le passé pour altérer génétiquement les bras des tyrannosaures parce qu'ils n'auraient pas eu de menottes assez grandes sinon, et Ford se demande si c'est la dernière fois qu'ils parlent ainsi.

Il prend la petite main de Bill entre ses doigts. Le triangle semble grandir, et bientôt leurs doigts s'entrelacent. L'histoire continue, et Bill se vante d'avoir personnellement aidé quelques dinosaures à s'évader vers le vingt-quatrième siècle.

"Ils devraient réapparaître dans pas trop longtemps. Ca serait amusant à voir."

Ford voit très bien que Bill essaie de le manipuler pour ne pas tenter son projet tout de suite, pour attendre pendant un temps qui peut-être lui semble honnêtement court. Mais cela ne lui déplait pas.

Il porte la main de Bill à sa bouche et l'embrasse. Le démon se fige en pleine phrase.

"Désolé." dit-il. Il aimerait être certain de ce qui le pousse vers Bill depuis qu'il lui a confessé... il ne pense pas que ce soit pour le blesser, plus maintenant, mais c'est peut-être ce qu'il fait.

"Ne sois pas désolé une seconde." ordonne Bill.

Son autre main caresse la joue de Ford, glisse juste derrière le lobe de son oreille, à un endroit qui le fait frissonner Ford tout son corps. Il lui faut combattre le réflexe d'incliner la tête en signe de soumission, de lui offrir sa nuque si sensible.

"Dis-moi ce que tu veux." lui murmure Bill. "Dis-moi ce dont tu as besoin."

Ford prend le temps de réfléchir alors que Bill lui caresse le crâne en mouvements circulaires, ébouriffant ses cheveux.

"Je voudrais..." dit-il, "je voudrais juste te dire au revoir."

"Vraiment ? Juste ça ?" se moque Bill.

Ford sourit. "Pas seulement, sans doute." Mais en réalité, il se sent bien, il n'a besoin de rien. Il sait que Bill peut l'assaillir de sensations, lui faire éprouver des désirs violents. Ce n'est juste pas ce qu'il a choisi de faire.

Bill lui caresse les lèvres. Ses doigts s'introduisent en lui quand Ford ouvre la bouche.

"Me veux-tu, Stanford Pines ?"

C'est la première fois que Bill lui demande, réalise Ford. Depuis très longtemps.

"Oui." répond-il solennellement.

Bill claque des doigts, et ils ne sont plus assis dans de l'espace solidifié, mais sur un lit, un grand lit confortable aux draps blancs et brodés.

Ils n'ont pas besoin de dormir ici, et Ford n'en a pas utilisé un depuis longtemps.

Bill l'allonge sur le lit, et lui enlève lentement ses vêtements, effleurant sa peau trop tendrement et trop peu à chaque fois, plutôt que de les faire disparaître ou de les déchirer. Ses mains devenues plus grandes couvrent tous son corps, une langue explore le torse de Ford...

"Que veux-tu ?" demande encore Bill, d'une voix plus urgente.

Les mots s'échappent de la bouche de Ford. "Dis-moi encore que tu m'aimes."

"Je t'aime, Stanford Pines." répond le triangle d'une voix qui rayonne de satisfaction. Ford aurait envie de pleurer à nouveau, mais sans le désespoir de la dernière fois. Plus une nostalgie, un regret de ne pas pouvoir répondre avec les mêmes paroles. "Je t'aime et je ne sais toujours pas comment tu as fait, comment j'ai fait. Je trouvais ça stupide. Je me trouve toujours stupide. Mais les choses les plus idiotes sont souvent les meilleures, n'est-ce pas ?"

Il joue toujours avec le corps de Ford. Une douce chaleur se répand par frissons dans tous son corps, s'enfonce de plus en plus profond sous sa peau.

"Crois-tu que c'est la dernière fois ?" demande-t-il.

"Je ne sais pas."

"Je ferai tout ce qui te plaira." dit Bill. "Et je ne demande même pas à entrer dans ta tête, cette fois ! Dis-moi seulement ce que tu veux le plus. Dis-moi ce que je dois faire, à quoi je dois ressembler, tout ce que tu voudras."

Ford rougit. C'est une question sérieuse alors, pas juste un jeu.

"Je voudrais... je voudrais être serré contre toi, pouvoir te sentir contre moi partout." dit-il d'une voix hésitante. "Et je voudrais te faire... te donner du plaisir. Est-ce que je peux faire cela ? Sans te faire mal ? Sous ta forme humaine si c'est nécessaire, ou n'importe quelle forme ? Je me moque de ce à quoi tu ressembles. Cela n'a jamais vraiment compté."

La voix de Bill est haut perchée, surexcitée. "Oh oui je peux faire ça, Sixer."

Il se déploie, s'enveloppe autour de lui. Son corps, ses mains, ses langues sont partout, tout ce qui existe dans l'univers de Ford. Oh, ces caresses paresseuses entre ses cuisses qui le rendent fou...

Ce n'est pas la première fois que Bill le fait virevolter à la pointe du désir, depuis qu'ils sont ici, mais c'est la première fois qu'il ne ressent pas cette honte, cet avertissement déplaisant au fond de son coeur, qu'il se sent émotionnellement comblé.

Le corps de Bill est pressé contre son visage. Il sort sa langue, le lèche doucement.

"Oh oui !" s'exclame Bill. "Oui, nous pouvons faire cela." La consistance en est étrange, plus douce qu'à l'ordinaire, et Ford embrasse et lèche comme s'il voulait le dévorer. Bill gémit et tremble contre le corps de Ford et contre ses lèvres et contre chaque centimètre carré de sa peau.

Il n'oublie pas que c'est la fin, et il n'oublie pas qu'il n'aime plus Bill ; presque pas.

Après, quand Bill est redevenu un petit triangle dans ses bras, il sent une question non posée dans son regard. Il ne sait pas quelle elle est. M'aimes-tu ? Acceptes-tu de rester avec moi dans cette dimension pour toujours ? Il répond, pourtant, en secouant doucement et tristement la tête.

Ils boivent ensemble, solennellement, la potion qui doit fixer leurs mémoires à ce moment précis, qui fera en sorte que le maelström n'efface qu'une copie.

"Je ne sais pas combien de temps dure la transition." explique Ford. J'en ai mis trop plutôt que pas assez. Nos souvenirs reviendront plus tard, peu à peu, après des années peut-être. Si le système est correctement fait, quelle que soit l'issue, ils ne nous manqueront pas." Il explique dans les détails, pour cacher sa nervosité.

Ce n'est pas encore irréversible. Cela le sera dans quelques instants.

La seconde potion est celle qui les tue, qui les fait quitter ce monde pour passer dans l'entre-mondes que Bill appelle le maelström.

Ils boivent ensemble, lentement.

Puis Ford se sent tomber.

Ce monde existera-t-il encore, maintenant que plus personne n'y habite ? Et si oui, cela restera-t-il éternellement théorique, abstrait, ou sera-t-il un jour découvert par quelqu'un qui verra ce qu'ils y ont laissé ?

Non, ce n'est pas le moment de s'abandonner à la rêverie. Il cherche Bill du regard, ne le trouve pas. Il se maudit silencieusement. Ils n'ont pas testé cela. Serait-il possible qu'ils soient déjà séparés ?

Il ne voit rien, n'entend rien. Alors il essaie de se rappeler la douleur qui l'écartelait, quand Bill l'a rappelé.

Le démon peut-il encore lui faire cela ? Et si, comme il le disait, leur lien est réciproque, Ford peut-il le faire aussi ? Il se concentre, essaie de trouver cela en lui.

Cela lui fait moins mal que la dernière fois, et il a l'impression d'aller contre le courant, à grande vitesse. Il se heurte contre une des arêtes de Bill, et réalise alors qu'il ne voit presque plus. A tâtons, il attrape quelque chose qui se révèle être un des pieds de Bill, la ramène contre lui. Le démon lui saisit les cheveux.

"Je ne te vois pas !" crie-t-il.

"La voix de Bill lui parvient, très faible." Moi je te vois et je t'entends. Ce n'est pas la peine de crier. Je dis ça juste pour t'informer, bien entendu, et pas parce que cela me déplait. De toute façon, je suis en train de mourir. A côté, tout semble une bonne nouvelle."

Les courants semblent essayer de les séparer, mais ils s'accrochent fermement l'un à l'autre. Est-ce que cela change quelque chose, se demande Ford, ou est-ce qu'il a juste envie de rester ainsi le plus longtemps possible ? Il a envie de se retrouver dans le même monde que Bill, réalise-t-il, à la même époque. Il a envie de lui parler à nouveau, après.

"Hey, si nous restons ainsi," lui dit Bill comme pour répondre à sa question, "il est possible que nous naissions ensemble. Qu'en penses-tu ? Frères jumeaux, Sixer ?"

"J'ai déjà un jumeau que personne ne remplacera jamais !" s'exclame-t-il presque automatiquement, outré. Et puis, plus doucement. "Et puis ce serait de l'inceste."

"Ou la même personne !" s'exclame Bill. Ford doit tendre l'oreille pour l'entendre, pourtant, et déjà il ne le sent presque plus dans ses bras. "Toi dans ma tête, moi dans la tienne, comme je voulais. Ton intelligence et la mienne, ton ambition et la mienne, dans le même corps. Ha ha, le monde n'a qu'à bien se tenir !"

"Tu ne sais vraiment pas ?" Ford a l'impression qu'un vent violent et glacé lui souffle aux oreilles et couvre les sons, sauf qu'il n'entend pas le vent non plus, et qu'il a si froid qu'il ne ressent plus les engelures.

"Comment je saurais ? Mais en fait, ce sera la surprise. J'aime bien les surprises. Je l'avais un peu oublié. Dis, tu as parlé d'inceste, cela veut dire que pour toi nous serons encore ensemble ?"

Ford a certainement supposé trop. Ils ne seront plus seuls au monde. Il aura d'autres possibilités. Bill aura d'autres possibilités.

"Oh je voudrais, je voudrais." dit Bill. "Et toi ?"

Ford suppose que la question est plus sérieuse qu'il n'y paraît et son coeur bondit dans sa poitrine.

"Bill." dit-il. "Tu voulais réveiller mes anciens souvenirs, et je voudrais que tu saches que tu n'auras plus jamais mon adoration, ni ma soumission, ni ma confiance inconditionnelle. Je sais qui tu es. Nous ne reviendrons jamais en arrière."

Ford essaie de serrer Bill plus fort dans ses bras, de ressentir sa présence.

"Mais il est possible que je tombe amoureux de toi, juste différemment. Comme un égal." avoue-t-il enfin. "Ce n'est pas la même chose, et tu ne voudrais pas forcément cela."

La voix de Bill hurle comme dans le lointain, même s'il est certain de ne pas l'avoir laché. "Tu sais, Sixer, que j'oublierai tout de ça, que tu oublieras tout, parce que nous avons bu cette maudite potion pour fixer nos mémoires ! Tu ne peux pas me faire ça ! C'est trop important !"

Ford sait bien qu'ils vont oublier. C'est pour cela qu'il peut se permettre de se l'avouer, de lui avouer. Il ne dit pas cela parce qu'il veut s'attacher Bill avec des liens d'espoir. Il le dit parce qu'il vient de le comprendre, et que, comme dit Bill, c'est important.

Suffisamment pour qu'il puisse le retrouver en lui une seconde fois.

Peut-être que Bill lui parle encore. D'une certaine façon, il l'espère. Mais il n'entend plus rien, ne voit plus rien, ne ressent plus rien.

"Hey," dit-il, au cas où Bill l'entendrait encore. "Tout va bien."

Il continue à parler, jusqu'à ce qu'il ne se rappelle plus ce qu'il dit, ni à qui il parle, ni ce que veut dire exactement exister, et à quoi ressemblent les mots, et ce qu'est le temps.

Pourtant ses bras ne lachent pas prise, et il a encore en lui une étincelle d'espoir bien après en avoir oublié le nom.

Cette entrée a été crosspostée au http://flo-nelja.dreamwidth.org/558300.html. Commentez où vous voulez.

comm:10_choix, genre:dark, fandom:gravity falls, *fic, genre:yaoi/slash

Previous post Next post
Up