"Le siècle des lumières", par Alejo Carpentier
Roman, environ 460 pages, centré sur les effets et les conséquences de la Révolution Française dans la mer des Caraïbes (Guadeloupe, Guyane, et on voit aussi un peu Cuba et Haïti). Les trois personnages principaux sont Victor Hugues (la personne réelle qui a ramené en Guadeloupe le décret de l'abolition de l'esclavage et la première guillotine, les deux ensemble résument l'administration de Robespierre d'une façon frappante qui me fait rire jaune), et Esteban et Sofia, deux adolescents cubains proches de Hugues pour qui cette histoire prendra la forme d'une initiation, ou d'une destruction, selon la façon de le voir.
J'ai beaucoup aimé. Le style d'écriture est très riche, les images et les symboles très beaux, les idées intéressantes, en particulier une vision de la Révolution Française inhabituelle, avec une étude du racisme ambiant. Mais aussi des remarques très intéresssantes sur la politique, la religion, la nature, et tous les thèmes effleurés. J'ai appris des choses. Victor Hugues est charismatique, même si on a souvent envie de le baffer, et les émois d'Esteban et de Sofia sont très vrais et très humains, même s'ils ne me les rendent pas spécialement sympathiques (pas antipathiques non plus, je vais plutôt observer avec un intérêt distant, oh, leur crise d'adolescence est adorable). Les romances me laissent froide, par contre. Cela arrive souvent.
"Norse Code", par Greg Van Eekhout
Environ 300 pages, roman de fantasy urbaine dans le monde de la mythologie nordique. Le Ragnarök arrive de nos jours. Il n'y a pas eu d'été depuis trois ans, et les dieux, plutôt que d'attendre les héros tombés au combat pour se battre dans leur camp, font des tests génétiques pour déterminer les meilleurs guerriers et les font, hum, mourir héroïquement sans leur accord. L'héroïne, Kathy, a été recrutée comme Valkyrie sous le nom de Mist pour faire ce sale boulot. Mais elle voudrait descendre dans Helheim pour rechercher sa soeur, Lilly, victime d'une fusillade.
Au début, on pense que cela va être un mélange entre le monde moderne et les mythes nordiques. Puis, au fur et à mesure, on réalise que c'est totalement une fanfiction sur la mythologie nordique, et que la partie humaine est presque secondaire. C'est concentré sur des dieux peu connus, avec peu de légendes - Hermod et Hodr surtout, mais aussi Vidar, Vali, Modi et Magni, etc - ce qui permet à l'auteur de se lacher sur l'interprétation tout en restant in character. Sa description de Helheim est intéressante. Et les magouilles et conspirations entre dieux sont vraiment sympa. C'est manifestement l'arc qui l'intéressait le plus : Mist et Lilly sont sympathiques mais ne gagnent jamais de profondeur, la romance est globalement cliché, l'étude sociale de la terre sous le Ragnarök, que ce soit le côté post-apocalyptique ou le côté les gens sont traumatisés d'apprendre quelle religion obscure était l'unique vraie, est vraiment mal géré. Ou volontairement négligé, selon la façon de le voir, mais personnellement, je trouve que c'est un problème, en particulier pour la façon d'interpréter la fin.
"Contes de sorcières", par Sophie de Meyrac
Livre de contes, environ 340 pages. Une petite introduction sur l'histoire et la philosophie de la sorcellerie occidentale, puis une collection de contes.
Les contes sont bien choisis et beaucoup plus diversifiés qu'on aurait pu le croire à l'introduction. L'Asie, l'Afrique et l'Amérique ne sont pas négligés. Il y a aussi de très belles illustrations, et le livre est bien présenté.
Par contre, je dois avouer que je n'aime pas du tout comment l'auteur raconte. C'est souvent tellement elliptique que c'en est décousu, et à côté de ça elle explique parfois de la symbolique qui aurait pu rester implicite, retirant au lecteur ses choix d'interprétation. L'auteur s'éloigne souvent beaucoup de ses sources, donnant une version originale du conte, mais j'ai l'impression qu'elle y fait souvent coller ainsi ses idées sur la nature de la sorcellerie, je ne sais pas si c'est fait exprès. Il y a beaucoup de phrases nominales très courtes, beaucoup de points d'exclamations. Plusieurs phrases sont gardées en VO pour la couleur locale avec notes de traduction, ce qui n'est vraiment pas mon trip. Tous ces derniers points, je pense, marchent beaucoup mieux à l'oral. L'auteur est une conteuse, après tout. Mais voilà, cela m'a un peu gaché la lecture de contes qui sont très chouettes.
Une mention particulière (positive) pour un conte persan, "Le jardin maléfique", qui commence par une séance vraiment cauchemardesque où le prince manque se faire manger par des démons, se fait secourir par des gentilles personnes... qui se trouvent être aussi des démons qui veulent l'amener dans leur antre, et ce plusieurs fois de suite, il manque péter un cable et on le comprend.
"Amarante - La faune et la flore d'Atlantis", par Una Woodruff
Un artbook d'environ 130 pages, acheté sur une brocante parce que ce n'était vraiment pas cher (on sent que c'est l'été ^^)
le début est consacré à la biographie fictive de la botaniste du 17e siècle qui aurait visité la civilisation perdue de l'Atlantide et décrit ses plantes, les cent dernières pages sont consacrées à de très beaux dessins - et à des coupes et dessins techniques - des créatures d'un monde où les animaux poussent sur les arbres. Cela donne des dessins
comme ça ou
comme ça. C'est très réussi et très original, même si cela peut devenir répétitif sur la durée (aussi, squicker les gens qui sont dégoûtés d'avance par le concept d'insectes poussant sur les arbres ou de rongeurs qui sont des tubercules). L'histoire d'introduction, elle, est assez banale, mais ce n'est pas l'intérêt.
"The Secret History of Moscow", par Ekaterina Sedia
Roman de fantasy urbaine, environ 300 pages. Au début de l'histoire, des moscovites apparemment normaux commencent à se transformer en oiseaux, et au cours de leurs enquêtes, un policier déçu par le gouvernement pour lequel il travaille, un peintre de rue alcoolique et une femme récemment sortie de son hôpital psychiatrique passent dans un autre monde secret, sous Moscou.
Le résumé - et le début, et les critiques - peuvent faire penser à Neverwhere, mais en fait, pas tant que ça. Déjà, parce que le monde souterrain n'est pas seulement celui des légendes. Il est celui de tous ceux qui ne se trouvent pas de place dans le monde. C'est le cas de certaines divinités slaves quand le christianisme a triomphé en Russie - celles qui ont refusé de se battre jusqu'à la mort - mais en fait, dans ce monde, on rencontre surtout des humains, qui avaient la mauvais opinion politique, ou, si on remonte plus loin, la mauvaise ethnicité, la mauvaise religion, personne avec la mauvaise orientation sexuelle, c'est dommage, et qui essaient de mener une vie tranquille - leur face de cette histoire de métamorphose en oiseaux les surprend aussi.
Et en fait, à peu près la moitié du livre, sur le total de page, est formé des backgrounds des gens - et quelques créatures surnaturelles - qui expliquent comment ils sont venus dans ce monde, et l'auteur a suffisamment de compétence pour que le scénario avance en même temps, mais pas vite, et... en fait ça ne m'a pas gênée parce que c'est le sujet du livre, l'histoire secrète de Moscou, non pas celle de sa magie comme on le laisse entendre au départ, mais celle de ses exclus. En fait, cela m'a même beaucoup plu. Je suis fan de la Russie, après tout.
Le scénario en lui-même, quoique tout à fait agréable à lire, peut sembler un peu décevant, pas vraiment épique, avec quelques trous non expliqués, quelques motivations de personnages un peu légères. Ceci dit, depuis que j'ai fini, certains de ces passages m'ont fait faire "mais bien sûr !" après un peu de reflexion. Donc il est possible que ce soit plutôt de la subtilité - et un intérêt secondaire - plutôt que de l'incompétence de la part de l'auteur. C'est ce qui m'est arrivée pour la fin douce-amère que j'avais trouvé décevante au début - on est passés si près d'une happy end qui aurait été crédible - et je n'ai réalisé que plus tard pourquoi elle ne pouvait pas être possible. Leur adversaire était un démon de la malchance, après tout, et Galina n'avait pas encore payé.
Aucun personnage humain ne m'a particulièrement marquée, mais j'ai aimé les suivre, et j'ai aimé ce qu'ils représentaient, malgré un très mauvais feeling initial pour Galina. J'aime les passages où les personnages ne connaissent pas très bien les contes russes et essaient de deviner à partir des versions qu'ils connaissent, les adaptations en téléfilms communistes. Et je ne me lasserai jamais d'avoir Koschei en Token Evil Teammate qui se fout de la gueule de tout le monde. ^^
"Le baiser de la femme araignée", par Manuel Puig
Roman pratiquement tout en dialogues, environ 340 pages, reconseillé par... la conscience collective des fans de slash ? He bien cette conscience collective a bien raison !
Cela se passe en Argentine, un homosexuel condamné pour corruption de mineurs est mis dans la même cellule qu'un prisonnier politique, et pour passer le temps, il lui raconte les films qu'il voyait quand il était jeune, et leur relation évolue peu à peu, on apprend des choses... et je n'ai rien d'intelligent à dire, mais c'est vraiment très, très bien fait, et je le recommande. La façon dont les films leur rappellent des bouts de leur vie, puis plus tard, la façon dont certains aspects de leur vie rappellent les films, c'est très bien pensé, mais il n'y a pas que ça, la relation est super-émouvante, vraiment.
"Robespierre", par Bertrand Solet
Biographie, environ 150 pages, prêté par
petite_dilly, édité dans la collection Messidor/La Farandole, qui est une collection pour enfants qui dépendait vaguement du parti communiste. Et qui édite parfois de très bons trucs, je ne veux pas en dire du mal, mais sur un sujet controversé comme celui-là, j'étais là, houla, ça va être objectif et pas du tout simplifié, encore. ^^
Disons que ça aurait pu être pire.
Je veux dire, le bouquin est clairement sympathique à Robespierre, mais ça n'essaie pas de cacher ses défauts de caractère, ça présente certaines rumeurs, en précisant que c'en est, positives comme négatives, et c'est assez drôle de voir un bouquin de gauche raler contre Robespierre pour toutes les mesures sociales qu'il n'a pas prises. ^^ (C'est terrible, quand on lit sa politique, c'est l'équivalent de nos jours d'un socialiste modéré, ce qui est pas mal avant que le socialisme soit inventé, mais voilà, c'est amusant qu'il n'y ait plus que l'extrême-gauche qui en dise du bien de nos jours).
Et puis c'est arrivé à l'arrestation des Girondins, et j'étais là, QUOI, tu ne crois pas que tu aurais pu y passer un peu plus de temps, et le justifier un peu moins, et...
Je ne dis pas que le livre est là seulement pour excuser Robespierre. Ca ne justifie pas la Terreur, (heureusement!), au contraire. Ca tente quand même de réhabiliter Robespierre mais surtout en présentant, à côté des passages qui sont vraiment sa faute, ceux où il n'est pas responsable et a essayé de stopper la mécanique qu'il avait lancée, sans succès. Mais quand même, les Girondins et les Hébertistes auraient mérité une présentation plus longue de leur point de vue (Les Indulgents y ont droit, eux).
Et à côté de ça, il y a parfois des passages de pur bon sens où on est là, oui, c'est bien de mettre des évidences, parce que personne ne le fait ! (Exemple : l'annexe sur les morts de la Terreur, oui, bien sûr, ça varie selon un facteur 10 selon la façon de compter ! Genre, les morts de Vendée, selon si on compte tout le monde, seulement les royalistes, seulement les gens massacrés sans armes ou exécutés, etc, on n'obtient pas le même nombre du tout et toutes ces possibilités sont valables si l'auteur dit ce qu'il compte, merci de le rappeler !)
Bon. Hum. C'était cool à lire, en fait. Au niveau humain, je pense vraiment que c'est assez proche de la réalité. La description du 9 Thermidor était détaillée et intéressante. En fait, les faits ne sont pas trop déformés (il y a quelques points dont je crois qu'ils sont historiquement douteux, mais l'auteur cite ses sources, ça vient clairement d'autres biographies historiquement douteuses), j'ai juste un problème avec l'évaluation de leur importance relative (et certains des trucs les plus mesquins, comme les lois sur les étrangers ne sont pas mentionnés du tout). Je ne donnerais pas ça à un enfant pour lui donner une idée du personnage comme source première. Mais s'il en a déjà une idée très négative véhiculée pour d'autres raisons, ça peut contrebalancer de façon intéressante.
"Contes des sages au fil de l'eau", par Paul André
Un livre de contes acheté sur une brocante, environ 180 toutes petites pages avec beaucoup d'illustrations, des tableaux, des images d'Epinal, quelques extraits poétiques, et des "contes" qui sont surtout une série d'anecdotes semi-réalistes sur la vie des gens qui vivent sur leurs bateaux (beaucoup) ou au bord des rivières (un peu) avec une morale en bonus. C'est même un des buts avoués du livre, donner des sortes de leçons de vie. Personnellement, je préfère quand les contes racontent une histoire, et j'ai souvent l'impression qu'on me méprise quand on m'indique de façon lourde une morale qui aurait dû être implicite, donc de ce point de vue, j'ai été un peu frustrée. Mais par contre, au niveau découvrir les détails de la vie quotidienne des gens qui vivent dans les bateaux, c'est très intéressant, et du point de vue artistique, la mise en page est très réussie.
"Titus d'Enfer", par Mervyn Peake
Roman, 570 pages, "Titus Groan" en VO, et en fait tous les noms propres sont traduits aussi, je sens que ça va être pratique, ça, quand je lirai le tome 2 que j'ai en anglais chez moi. C'est le premier tome d'une saga de fantasy qui en compte 3 et aurait dû en compter plus, l'auteur est mort depuis longtemps, ça ne sera jamais fini, je suis prévenue. Surtout étant donné l'impression d'inachevé que laisse le premier tome, argh, c'est un peu inquiétant.
Cela se passe dans une immense forteresse, au début ça fait presque claustrophobe, mais en fait elle est si grande, avec ses forêts même à l'intérieur, qu'on a l'impression de ne jamais finir de l'explorer. Les comtes locaux n'ont d'autre rôle que de remplir une foule de rituels dont tout le monde a oublié le sens. Outre ça, chacun des membres de la famille s'enferme dans ses hobbies et ne communique pas.
Et puis un jour nait le petit prince héritier, le Titus du titre (ce livre ne contient pas ses aventures, il a un an et demie à a fin). A peu près en même temps, un marmiton arriviste décide d'échapper à son destin (pratiquement toutes les charges sont héréditaires) et d'arriver au pouvoir. Et là... disons que les choses vont changer.
Alors : j'adore le style d'écriture. L'auteur est peintre, et ça se voit. Il fait magnifiquement les descriptions. Il peut décrire une scène comme vue à travers une goutte d'eau qui déforme, et ça ne fait pas gratuit.
J'aime tout ce qui a l'air complètement absurde dans les rituels, qui se déforment, qu'on essaie de respecter même quand ils ne veulent rien dire, et jusqu'où ça peut aller (oh, la tête de veau !).
Les personnages... ils sont très forts au niveau symbolique, peut-être trop pour qu'on ressente leur humanité - parfois oui, très fort, mais d'autre fois, ils repassent du côté de l'image belle mais abstraite. Ils m'intéressent, mais je ne peux pas dire que je les aime. Le méchant... ha, il est bien quand on aime les méchants bien horribles et très manipulateurs, et ensuite on se rappelle avec effroi qu'on avait de la sympathie pour lui au début. Très réussi, mais pareil, je ne peux pas dire que je l'aime.
"Le 9 Thermidor", par Emmanuel Berl
Environ 150 pages, livre d'histoire, dans la catégorie "l'histoire par l'image", autant dire qu'il n'y a pas beaucoup de texte - non, je médis. En tout cas, ça trainaît sur une étagère de mon grand-père, et je me suis dit, tiens, je vais lire ça pour commémorer le 27 juillet/9 Thermidor, cette année. Interrompons-nous dans nos lectures courantes !
Au début, ça commence par expliquer les causes lointaines d'une façon qui approche un peu, sans en être vraiment, du "ça leur pend au nez depuis qu'ils se sont coupé du peuple en tuant les hébertistes", puis ça présente tous les membres du Comité de Salut Public de l'époque, puis ça présente le dernier mois avec Robespierre qui s'était engueulé avec tout le monde, et enfin, la fin, 8, 9 et 10 Thermidor. Les nombreuses illustrations promises sont parfois un peu décevantes - elles sont de qualité, mais plus sur la révolution en général que cet événements précis, on les a souvent déjà vues. On a tous les événements, jour par jour puis heure par heure, et quelques théories de l'auteur pour expliquer, pour réfléchir, pour aller plus loin. Certaines sont très intéressantes. D'autres me laissent plus dubitative. Mais globalement, je suis contente de l'avoir lu.
(Oh, et puis : on m'a fait remarquer récemment que souvent, dans un bouquin historique parfaitement sérieux sur la révolution, l'auteur devient lyrique quand il parle de Saint-Just, et celui-là est tout à fait représentatif à ce niveau. ^^ et j'ai même une vague guerre de ship avec l'auteur, qui insiste sur le fait que Robespierre et Saint-Just étaient fachés à la fin et préfère son amitié avec Le Bas ; je comprends les indices qu'il voit, mais je ne suis pas certaine qu'ils soient concluants. Le principe de voir ça comme une shipwar m'a fait bien rire, ceci dit.)
"Contes des Amériques", illustré par Pascal Goudet
Un tout petit bouquin, six contes, une trentaine de pages, mais je le mentionne quand même dans les lectures parce que même ainsi, il a réussi à m'intéresser : à part le cinquième, les contes sont plutôt originaux, et ils réussissent à être à la fois pour enfants et à avoir des images mentales assez dérangeantes et frappantes, dont un démon avec des pattes de vautour qui fait du brainwashing, un mur rempli de visages qu'on peut essayer comme des masques, ou un homme qui se fait dévorer toute sa chair par des monstres mais survit en tant que squelette.
Progression : 48/52
"Risques de lecture" : Le siècle des lumières, Norse Code, The Secret History of Moscow, Le baiser de la femme araignée, Titus d'Enfer -> 23/26
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