Intéressant comme les différentes affiches d'un film peuvent être trompeuses. Des affiches lumineuses, où le visage d'Emily Browning, ses yeux, sa bouche, ses cheveux...montrent une beauté à la Boticelli, éthérée et sophistiquée.
En fait, c'est un monde gris, ouaté, silencieux, à l'image de l'éprouvante scène d'ouverture qui introduit cette violence toujours sous-entendue. Les mots y sont mécaniques, ritualisés, quand ils sont prononcés (on pourrait faire un compte des scènes « bis repetita »). Ou bien la parole est tout simplement interdite.
Quelle est l'histoire ?
Lucy est étudiante (mais en quoi ?) et survit grâce à des petits boulots (femme de ménage, rat de laboratoire, responsable des photocopies dans un bureau), dans une ville australienne non définie.
Lucy rend visite à son ami (?) Birdman. Et déroule avec lui un rituel glaçant et mortifère.
Lucy offre son corps à pile ou face ou prononce avec franchise des propositions qu'aucun homme ne refuserait, tout en conservant ce visage angélique et sage, comme si esprit et corps avaient appris à fonctionner séparément.
Lucy brûle sereinement l'argent gagné lors d'une ces risibles orgies.
Lucy vend son corps endormi à des vieillards à la fois pathétiques et violents.
Un homme l'aime. Un autre la hait. Celui-là la méprise. Cet autre l'ignore.
Les femmes qui l'entourent sont implaccables.
Tous, sans exception, l'utilisent.
Lucy est incroyablement seule. A peine vivante. Sans ambition. Sans envie.
Je ne peux pas dire que j'ai aimé le film. Mais ce n'est pas pour autant un film vide, ou vain. Et il n'est certainement pas « nul » ou « ridicule ».
Je dirais que son plus gros défaut est d'être un excellent sujet de conversation ou de réflexion, mais un très mauvais moment de cinéma !
Ce qui est « amusant » : la volonté affichée de vouloir désacraliser un conte de fée, de le rendre plus réaliste...et son échec évident ! Car plus Lucy s'enfonce dans cet univers codifié et vide, plus le film s'éloigne de la réalité.
J'ai bien entendu adoré Emily Browning (Sucker Punch) qui prouve, une fois de plus, qu'elle peut sauver n'importe quel film par sa présence, et la justesse de son jeu. Elle est véritablement impressionnante.
J'ai aimé la beauté formelle du film, belles images, beaux plans, lenteur. On sent que c'est un film pesé, sous-pesé, calculé, réfléchi. Oserais-je dire... pesant ?
J'ai, curieusement, beaucoup aimé le personnage du Birdman. Non pas qu'il soit...aimable. D'une certaine manière, il est tout aussi odieux que tous les hommes qui utilisent Lucy. Mais la façon dont il est joué, son opacité, sa détresse étaient fascinants à regarder.
Parfois, le film parvient à un but (son but ?) : une atmosphère glauque, clinique, glaciale qui relègue le spectateur en position de voyeur, tout en rendant impossible la moindre empathie.
J'ai aimé la dernière scène et son ironie : la belle au bois dormant éveillée par un baiser...mais pas de Prince Charmant : la destruction méthodique de l'illusion et du rêve, où le désir de mort l'emporte sur celui de la chair.
Mais franchement, certaines scènes étaient à mourir d'ennui. Le monologue du premier vieillard est à la limite du ridicule. Long. Impossible de comprendre l'enjeu de la chose. Eveiller la pitié du spectateur ? Justifier ses actes ? Nous endormir nous aussi, peut-être...? On a envie de lui arracher la langue, histoire d'en finir au plus vite.
Pour dire les choses poliment : on s'en fout de savoir pourquoi ces riches vieillards payent une fortune pour jouer impunément avec le corps d'une femme. Il n'ont pas à avoir honte, leur répéte-t-on...Un peu plus, on y croirait presque !
Dommage également le ratage de la scène du dîner où Lucy sert le vin telle un maître d'hôtel expérimenté...en porte-jaretelle, à un groupe de vieillards et vieillardes entourées de femmes à demi-nues.
Agacée aussi par l'usage forcené de l'élipse et du non-dit. Le refus de l'explication visuelle ou orale quand elle aurait été nécessaire, ce qui rend finalement impossible de raconter une histoire. Trop de mystères limitent l'intérêt.
Enfin, je n'ai jamais été fan de Flaubert, et j'ai eu l'impression horripilante de voir à l'écran la mise en pratique de son ambition « Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c'est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait par lui-même sur la force interne de son style. » Donc, bravo pour le style, mais l'histoire et les personnages sont oubliés.
Et j'aime les histoires !
On peut apprécier ce film à condition de ne pas se tromper. Il n'a rien d'érotique. Ou de sensuel. Le corps y est surexposé, mais de façon désincarnée (au sens propre du terme). Et ce n'est pas non plus un thriller (sérieusement ! J'ai lu cette expression « thriller érotique » dans une critique de Libération !). Et ce n'est certainement pas un film social, militant contre ou pour la prostitution (accusation tellement ridicule qu'elle ferait rire si elle n'avait pas été officiellement prononcée !). C'est avant tout un exercice de style.
La bande-annonce :
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