Queimada - Gillo Pontecorvo

Mar 01, 2013 22:17

Pour ma première critique sur cette communauté, je me permets de débuter par un de mes films préférés, un de ceux que je regarde religieusement chaque année avec une fascination sans cesse renouvelée. M’sieurs, dames, j’ai l’honneur et le plaisir de vous présenter :

Queimada
de Gillo Pontecorvo - 1969 - titre VO « Burn ! »
avec Marlon Brando, Evaristo Marquez…



De quoi ça parle ?

Nous sommes aux alentours de l’année 1845 sur une petite île esclavagiste des Caraïbe du nom de Queimada (mot qui signifie « brûlée » en portugais et jamais nom n’aura été mieux choisi) dominée par le royaume du Portugal et l’exploitation de la canne à sucre. Sir William Walker, agent de la couronne britannique, débarque sur l’île avec mission de la faire passer sous le contrôle économique de l’Angleterre. Pour cela, quoi de plus efficace qu’une bonne petite insurrection qui lui permettra de faire zigouiller les dirigeants et de bouter le Portugal hors de l’île sans se salir les mains ? Mais pour déclencher une révolte, il faut d’abord lui trouver un leader, un homme assez fou ou assez brave pour galvaniser les esclaves et les pousser à prendre les armes.

Cet homme, sir William Walker pense l’avoir trouvé dans la personne de Jose Dolores, un jeune esclave noir assoiffé de liberté mais peu instruit dans l’art de mener une guérilla. Walker va donc lui mettre un fusil entre les mains, lui apprendre à s’en servir et à tuer pour la cause sacrée de l’abolition - cause dont l’agent britannique se moque comme de sa première chemise, bien entendu. La révolte éclate et l’île est libérée de la domination portugaise sous l’œil satisfait et rapace de l’Angleterre. Tout pourrait se terminer au mieux dans le meilleur des mondes, mais les intérêts de la couronne britannique sont choses changeantes ; et viendra le jour où ils cesseront de coïncider avec ceux des esclaves libérés et où Walker reviendra sur le devant de la scène, non plus pour aider son ancien protégé mais pour le conduire à sa perte…





Aboliçao ! Aboliçao !

Il y a des films qui vous font l’effet d’un coup de poing dans le plexus. Ils ne sont pas parfaits (vous en connaissez, vous, des films parfaits ?), mais dégagent une telle force, une telle puissance qu’ils marquent durablement l’esprit. J’ai découvert « Queimada », il y a quelques années, et il a aussitôt fait une entrée fracassante dans mon top 10 des films qui déchirent leur race. Chacun ses dadas : personnellement, l’un des miens porte sur l’Histoire de l’esclavage et son abolition. Par son originalité, son scénario brillant, son interprétation grandiose et son pessimisme mordant tempéré d’humanité, « Queimada » se détache majestueusement du lot et reste pour moi l’un des films les plus beaux et les plus pertinents réalisés sur la question.

Le principal point fort du film (outre son casting sur lequel je gagatiserai à loisir plus tard) réside dans un scénario particulièrement habile, dépourvu de tout manichéisme. Contrairement à la plupart des films sur le thème de la libération des esclaves, « Queimada » ne prend pas fin avec la révolte des opprimés. Au contraire, celle-ci a lieu dès la première partie du film, celui-ci se centrant principalement sur ce qui suit : que se passe-t-il après le victoire ? A quel prix faudra-t-il payer cette liberté déjà si couteusement gagnée ? A qui profitera réellement le sang versé ? Pas au plus brave, ni au plus vertueux, on s’en doute, mais à celui qui se montrera le plus roublard et le plus impitoyable. A ce jeu pervers de manipulation et de mensonge, les anciens esclaves, analphabètes et ignorants de toutes les réalités du monde européen, seront cruellement désavantagés…

Pour conter cette pénible lutte, Gillo Pontecorvo a opté pour une mise en scène toute en sobriété. On lui a parfois reproché son absence de lyrisme, mais je pense personnellement que l’aspect quasi-documentaire de l’image ne fait qu’accentuer le réalisme de l’intrigue et rendre celle-ci d’autant plus poignante. Surtout que le film ne manque pas de beaux moments épiques, comme cette marche solennelle des esclaves sur la plage de l’île en direction de la capitale qu’ils s’apprêtent à libérer.



Deux hommes, deux mondes

« Queimada » c’est aussi - et peut-être avant tout - le face à face entre deux hommes, chacun incarnant deux conceptions du monde antinomiques, sir William Walker et Jose Dolores : l’homme blanc et l’homme noir, l’oppresseur et l’esclave, le manipulateur et le manipulé, le mercenaire cynique et le libérateur idéaliste… Toutes les scènes qui les confrontent sont d’une force effarante. Le choix même des deux acteurs principaux semble fait à dessein pour accentuer ce contraste : d’un côté Marlon Brando, acteur mille fois célébré, et de l’autre Evaristo Marquez, un quasi-débutant.

Et c’est là que je m’apprête à perdre toute objectivité. Car Marlon Brando y est tout simplement fan-tas-ti-que.

Avant de découvrir ce film, je savais de façon théorique que Brando était un grand acteur : tout le monde, presse comme public, semblait s’accorder dessus donc c’était probablement vrai... A la fin de « Queimada », j’étais définitivement transformée en groupie. Dans le rôle de l’agent britannique maître ès manipulation, il livre une performance remarquable, toute en subtilité et en ambiguïté. Bien que dépourvu de scrupules, haïssable et même carrément méprisable dans certaines situations, il n’en rayonne pas moins de charisme à chaque scène et parvient à susciter admiration et répulsion mêlées. L’évolution de son attitude vis-à-vis de Jose Dolores est absolument fascinante, passant du mépris sardonique à une sympathie réticente qui laissera finalement la place à une admiration mêlée d’une pointe de haine et d’un complexe d’infériorité croissant.



En face de lui, Evaristo Marquez fait presque pâle figure - sans mauvais jeu de mots. Heureusement la puissance du scénario et des dialogues compense sans peine sa performance honnête sans être transcendante. Il parvient tout de même à dégager une certaine innocence grave qui contraste avec la morgue de l’agent britannique.

Et on finit par la BO d’Ennio Moriconne. En soit « Queimada » aurait déjà été un film superbe, poignant et cruel, mais le talent de Moriconne ajoute à tout cela une note mystique absolument magnifique. Franchement, que demande le peuple ? XD

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En espérant vous avoir donné envie, les gens…

esclavage, aventure, historique, drame

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