De Sang et de Sable - Prologue

Nov 01, 2009 19:10

PROLOGUE

La pièce est plongée dans l’obscurité.

Il ne veut pas ouvrir les yeux.

Une partie de lui est en colère, folle de rage d’être aussi faible, d’avoir dû forcer ses propres alliés à l’encager dans son propre domaine. L’autre partie se noie, désespérée, et tente vainement de se raccrocher à des lambeaux de haine devenus trop ténus pour exister.

Il veut mourir.

Lui rendre ses ailes.

Et la retrouver, la tenir dans ses bras, lui percer le cœur - il l’aimait elle, il haïssait l’Autre, il est partagé en deux, son esprit aussi, il se sent devenir fou… L’Autre était elle, elle était devenue l’Autre… Et lui, qui est-il, son chevalier ou bien sa Némésis ? Quand il se regarde, il porte la trace de son amour dans son dos, et sur son cou, la marque de la servitude. Son corps ne lui appartient déjà plus.

Il a mal. Linoa est morte. Il ne peut pas l’accepter.

Linoa, Linoa, Linoa… Ses yeux plein de tendresse, ses mains douces, son corps accueillant et chaleureux… Il ne peut pas l’oublier, c’est impossible, il avait juré - il était son chevalier, il avait accepté de la suivre, de la protéger, même contre l’entière humanité… Détruire le monde, il l’aurait fait, pour elle.

En revanche, lui…

Sa raison vacille. Craque. Lever une main contre lui est sacrilège. Il est censé le protéger de sa vie, il en a fait le serment !

« Non, » dit la Voix. « Tu as fait cette promesse à Linoa. Pas à ce monstre. Squall, mon brave lion, reprend toi. »

La Voix est froide et sans timbre, et il sait qu’elle lui est familière, mais il ne peut plus faire l’effort de la reconnaître. La Voix le titille sans cesse dans sa tête, se jette contre sa garde quand il pense avoir enfin retrouvé la paix. Son ancre qui lui rappelle qu’il se noie.

Non. Il ne peut pas céder. Linoa est morte. Morte, morte, morte… Elle n’existe plus, même si vicieusement, l’Autre lui glisse le contraire.

Il ouvre alors les yeux. Une main tendue en avant…

**

« Squall ? »

Par réflexe, Seifer prit dans la sienne la main tendue vers lui. Les yeux gris entrouverts étaient ternes, presque sans vie. Il eut envie de lui dire « Tu es pathétique, mon pauvre Squall. » A la place, il garda le silence et l’aida à se rouler sur le ventre pour dégager ses ailes froissées. Un cadeau de Linoa, ce simulacre d’attributs angéliques, et bizarrement presque pas déplacées dans le dos de son chevalier.

Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais les mots moururent dans sa gorge avant de pouvoir se former. Il n’oubliait pas, délicatesse ou subtilité n’étaient pas dans son crédo, au contraire. Il avait juste envie d’insulter Squall pour le faire bouger. Le provoquer en duel pour lui offrir quelques nouvelles cicatrices. Et l’humilier, juste un peu, et retourner le couteau dans la plaie histoire de ne pas être le seul à avoir mal.

Il tenait à la vie, alors il se tut. Derrière la vitre, Quistis l’observait, un reflet dansant sur ses verres, et il savait qu’elle n’hésiterait pas à le traîner en cour martiale à la moindre syllabe inconvenante. Salope frigide.

Du coup, il ne savait pas trop quoi faire… Mr Grand Chef Suprême de la BGU était amorphe et ignorait sa présence pourtant habituellement tant détestée… Il n’avait pas le droit de le tancer, ni de le frapper… En plus, il ne sentait pas à sa place au chevet de son rival, surtout que pour une fois ce n’était pas lui qui l’avait propulsé dans un lit d’hôpital. Il se sentait stupide à le regarder sans savoir quoi dire, incapable de susurrer les hypocrisies que les autres tenaient tant à ce qu’il délivre.

Quoi, un « Squall, mon pote, t’inquiète, t’es pas le seul con à te faire trifouiller le cerveau par une vile Sorcière » allait franchement le consoler, vous pensez ? Seifer retint un petit reniflement méprisant. On l’avait traqué, retrouvé, plus traîné presque à genoux à son ancienne maison, tout ça pour leur pauvre commandant tombé en morceaux quand sa petite copine s’était révélée être un monstre.

C’était ta petite copine aussi, lui rappela la petite voix embêtante dans sa tête, susnommée raison et tempérance. Il ne l’écoutait jamais. En plus, le fait qu’elle ait été son ex-petite copine rajoutait toute une dimension qui séparait grandement sa situation de celle de Squally-boy. Lui, il en avait plus rien à foutre de Linoa, à part peut-être la pointe de nostalgie qui le prenait vaguement de temps à autre quand il se sentait un peu seul dans le taudis qui lui servait de planque. L’autre ado pré-pubère, lui, était fou amoureux de la sorcière, et en plus… Il était son chevalier.

Peut-être que seul un autre chevalier pouvait comprendre ce que ce terme englobait. Le mot était mal choisi, d’ailleurs. Marionnette. C’était déjà plus proche de la réalité. Une poupée faite de chaire et de sang manipulée par des fils invisibles, ne laissant aucune place au libre arbitre. Un retournement de cerveau phénoménal. Il avait été la marionnette d’Ultimecia, il savait de quoi il parlait. Et les autres aussi savaient qu’il savait. D’où la traque et le retour à la maison en fanfare, trainé par la peau du cul dans les couloirs du centre d’entraînement volant. Un come-back glorieux pour Seifer Almassy…

Et tout ça pour…

« Si tu te décidais à bouger tes fesses, Squall ? Tu vas pas me dire que t’es tombé si bas que la seule option qui te reste c’est de te rouler en boule pour verser toutes les larmes de ton corps ? »

S’il était entièrement franc avec lui-même, la situation l’énervait. Le type qui lui avait foutu est dérouillée monstre quelques mois plus tôt était devenu ça, ce faible d’esprit, aisément manipulé et manipulable. Comme tu l’as été, dit la petite voix, et pendant un bref moment Seifer envisagea de se fracasser la tête contre un mur, juste pour la satisfaction perverse de la voir crever avec lui.

« Ta gueule, Seifer… »

La voix de Squall avait perdu de son tranchant et ne s’élevait qu’au rang de murmure, mais c’était un premier pas satisfaisant. Peut-être qu’il restait du Squall dans cette caboche malmenée. Incapable de réprimer un rictus moqueur, Seifer se pencha sur la forme allongée.

« Alors princesse, on pense pouvoir se contrôler ou on garde ces jolies chaînes encore un moment ? »

C’était ce qui l’avait choqué quand il était entré dans la pièce, aux premiers abords. Il avait pensé trouver Squall dans l’infirmerie, dans le lit qui portait presque son nom vu le nombre de fois qu’il était venu l’occuper. Mais Quistis l’avait conduit dans le sous-sol. Il ignorait que l’endroit avait été transformé en centre de recherche depuis que Norg en avait été chassé. Squall était détenu - oh ironie ! Le commandant de la BGU était détenu dans sa propre base ! - dans une pièce placée sous protection magique censée empêcher l’utilisation de sortilèges. On lui avait pris sa gunblade. Et par précaution,  des longues chaînes accrochées aux murs encerclaient ses bras et jambes, au cas où il lui prendrait l’envie irrépressible de se jeter contre la vitre teintée qui constituait un des pans de la pièce. Un peu trop parano, les Seeds ? Il n’avait tenté d’exterminer qu’Irvine, après tout. Pas la peine d’en faire tout un plat.

Squall ne répondit pas. Le pauvre garçon semblait totalement sonné, et puis, avec ses plumes froissées, on aurait plus dit un oisillon tombé du nid plutôt que le fier chef suprême d’une élite de mercenaires. Franchement. Pourquoi Seifer perdait-il son temps ?

Peut-être parce que l’humanité était sur le point d’être annihilée.

Et depuis son dernier check, il était encore un être humain. Dans le mauvais camp.
Ca se tenait.

« Bon, mon beau pigeon, c’est pas que j’ai que ça à faire moi… »

En vérité, si, il avait que ça à faire, et c’était une des raisons pour lesquelles il n’avait pas cassé du Seed pour prendre la poudre d’escampette  Il soupira.

« Etre contrôlé par une Sorcière. C’est très difficile de résister, à vrai dire, tellement dur que c’est normalement impossible, mais on va dire que t’as les circonstances de ton côté. Tu n’aimes visiblement pas l’idée de zigouiller les Seeds que tu diriges. Mais je vais te dire, j’ai pas confiance, si on te retire ces chaînes dans cinq secondes t’es dehors et il y a un trou dans ce joli mur. On va donc te garder ici bien au chaud… »

Il regarda Quistis. Elle fronçait des sourcils mais elle n’avait pas son fouet de sado dans les mains, ce qui voulait dire qu’il n’avait encore franchi aucune limite. Ca ne tarderait pas. « ... et tu vas nous expliquer ce qu’il s’est passé, mon cher Squall. J’espère avoir ta collaboration, parce que ça m’embêterait de devoir aller piquer une batterie et des pinces électriques dans les tréfonds de notre chère école. »

Cette fois, Quistis frappa contre la vitre. Il ne pouvait sérieusement pas la sentir. Il leur rendait service, et ils lui mettaient des bâtons dans les roues. Aucune reconnaissance. Il décida de l’ignorer et de commencer son interrogatoire.

« Où est Linoa ? »

Silence.

« Où est-t-elle ? Tu es son chevalier. Je sais que tu peux sentir sa présence. Dis-nous, qu’on en finisse, Squall… La fille que tu connaissais n’existe plus. Elle veut tous nous buter. Ton devoir, tu sais, le truc qu’Edea n’arrête pas de nous rabâcher ? - c’est de l’arrêter. Allez, sauver le monde, tu commences à avoir l’habitude non ? »

« Tu ne sais même pas de quoi tu parle, Seifer… »

**

Ils ne comprenaient rien. Ils étaient tellement loin de la réalité que ça lui faisait mal, mal de se dire qu’il était probablement le seul à appréhender toute l’horreur de la situation. Son cœur battait trop fort dans sa poitrine et sa vision était encore floue, mais il avait presque l’impression d’avoir repris contrôle.

Presque.

C’était comme marcher sur un fil. Il pouvait basculer dans le vide à tout instant.

Pourquoi avaient-ils appelé Seifer ?

Il ne pouvait pas sentir ce type.

Ses idées étaient plus claires, comme si le voile anesthésiant qui leur était tombé dessus s’était dissipé. La douleur était toujours là. Son cœur allait éclater. Bom, bom. Une bombe à retardement qui devait être désamorcé, lui dit son esprit redevenu lucide. Ignore, et pense.

« Linoa est morte, » dit Squall.

Des faits, un ton monocorde, factuel. Aucune place pour des sentiments comme désespoir ou affliction. Trouver la logique derrière les mots :

« Linoa est morte, et ce n’est pas elle la Sorcière qui me contrôle. »

Les visages livides qui se tournèrent vers lui étaient le reflet du sien, derrière son masque d’indifférence. Ignore, et pense. La survie est un instinct de l’homme, qui surpasse tout autre reflexe ou volonté. C’est un automatisme que rien ne peut éliminer. Se suicider, désirer mourir, c’est tenter d’assurer la survie d’un souvenir perdu du passé. Celui de Linoa survivra. Il en fit le serment, une fois encore.

« Foutage de gueule, » cracha Seifer.

Ses doigts indélicats lui agrippèrent les cheveux pour le forcer à le regarder sans les yeux, mais il pouvait toujours courir. Son attention était tournée vers Quistis, figée derrière ce mur en verre, qui venait de comprendre, l’effroi dans les pupilles, et…

« Irvine, » dit Squall. « Il… »

Est-ce qu’il l’avait tué ? Il refusait de se souvenir. Sa gunblade avait frappé le sniper, et son corps avait décrit un arc de cercle dans les airs - yeux ronds, bouche figée dans un cri inarticulé… Ignore, et pense. Il n’avait pas fait les vérifications d’usage. Il avait pu survivre.

Quistis confirma ses pensées.

« En vie. Sorti du coma il y a quelques heures. »

La vague de soulagement qui le submergea le surprit. Il était encore capable de ressentir. Mais les coins de son esprit s’effilochaient, son équilibre vacillait, il ne pouvait pas tenir plus longtemps. S’en tenir aux faits.

« Irvine sait ce qu’il s’est passé. Linoa est morte. Un autre a pris possession de son corps. Il n’est pas de notre monde, tout comme Ultimecia n’était pas de notre temps. Il… »

Sa voix tremblait. Il se haïssait de laisser une telle preuve de faiblesse voir le jour alors qu’il n’était pas seul. Seifer le regardait bizarrement, et il le détesta, lui aussi. Et qu’est ce qu’il foutait là ?

Fuis, fuis, FUIS !

Son corps réagit d’abord, avant même qu’il ait assimilé l’alerte. Instinctivement, ses ailes se replièrent autour de lui, formant un cocon protecteur. La pièce se mit à trembler, comme si le vaisseau avait soudainement rencontré un obstacle. Les sirènes s’enclenchèrent immédiatement.

« Nous sommes attaqués ! » cria Quistis, la main crispée sur son oreillette. «Ennemis encore non identifiés, la BGU a été déviée de sa trajectoire initiale. Nous sommes encore à quelques heures d’Esthar. Qu’est ce qu’on doit faire, Squall ? »

Et elle demandait ça à lui ? Fuis, fuis, fuis ! l’exhortait la Voix dans sa tête, mais c’était impossible. Et il pouvait le sentir dans ses tripes à présent, l’Autre approchait. Il était là, et s’il retrouvait Squall, lui ne répondrait plus de rien.

Sa décision était prise.

Ses idées n’étaient de toute façon pas assez claires pour essayer de trouver une autre option.

Il agrippa le bras de Seifer. Si lui le détestait aussi, c’était parfait. Peut-être que le destin avait bien fait les choses. Le blond tenta de se dégager, mais il le tenait fermement. Il força son attention.

« Si je perd contrôle quand il arrivera, tue moi. Dégaine Hyperion maintenant, et prépare-toi. »

Il ne saurait probablement jamais ce que Seifer voulut lui rétorquer, la fureur dans les yeux, et il ne s’en préoccupait pas.

L’Autre arrivait, l’Autre était là, sa tête lui faisait si mal, les murs tremblaient, se dilataient, et puis soudain -

Hyne, il détestait ce rictus amusé.

« Mon chevalier, » dit Sephiroth.

Et tout explosa.

ff8, ff7, fic, de sang et de sable

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