On se souvient rarement d'un rêve, et rarement des détails, sauf à la rigueur
de vagues détails, juste après s'être réveillé.
Celui-là m'a donné envie de vous le raconter en brodant un peu
pour recréer tous les détails et supposés implicites,
qui semblent évidents durant le rêve, et indicibles après.
C'est l'histoire d'un jeune couple glamour
qui a tout pour être heureux mais ne l'est pas.
Les jeunes mariés sont venus s'installer dans une petite maison
au sein d'une banlieue bourgeoise, dans l'Amérique des années cinquante.
L'homme, viril mais peu expansif, (à la Russel Crowe?)
a un métier commercial plutôt bien payé
mais très stressant et l'obligeant à s'absenter fréquemment,
pour des périodes de temps parfois extensibles. (Commis voyageur?)
La femme, une brune à la beauté insolente et fragile tout à la fois,
sans famille ni amis, vit par et pour son mari, gardant le foyer.
Quand son mari téléphone pour dire par euphémisme
qu'il ne pourra sans doute pas rentrer ce soir,
elle comprend littéralement qu'il y a une petite chance qu'il rentre,
et prépare un somptueux dîner d'accueil, devant lequel elle s'endormira.
Le jour suivant, son mari doit rentrer, mais est en retard.
La porte sonne; elle s'empresse de l'ouvrir,
mais c'est un collègue de travail du mari qui est venu rendre visite
pour parler boulot, le mari n'étant pas rentré la veille.
Comme le mari est censé arriver imminemment, il propose de rester l'attendre,
et la femme, décontenancée, ne sait pas refuser.
Elle retourne aux fourneaux de sa cuisine américaine (à droite de la scène)
cependant que côté salon, le visiteur lui tient la jambe (à gauche);
il lui parle d'abord de son mari, ce qu'elle écoute,
mais embraye sur le travail en général, ce qui la rase profondément,
puis il parle de lui-même en particulier, se mettant en avant,
ce qu'elle n'écoute même pas, obnubilée par la montre;
enfin, voyant qu'elle a l'air délaissée par son mari,
il tente un peu de sonder le terrain,
mais cela passe au-dessus de la tête de la ménagère,
qui devient obsédée par son mari,
regarde sans cesse la porte du couloir d'où son mari peut émerger
(à gauche du milieu de la scène),
et l'horloge qui indique l'heure qui passe
(montre ronde murale dans le coin cuisine? ou horloge au salon?),
et se concentre nerveusement sur des légumes à découper,
cependant que le baratin du visiteur lui paraît un enfer.
Le visiteur s'aperçoit que la femme est distraite
et ne fait même plus la cuisine correctement;
il se lève pour l'aider, mais aussi pourquoi pas devenir plus entreprenant;
c'est alors qu'on entend la clef de la porte d'entrée tourner.
Le monde s'arrête, cependant qu'on entend quelqu'un
poser son manteau et sa valise.
Après un court moment qui paraît bien long,
le mari apparaît enfin dans l'embrasure de la porte;
il voit sa femme et marche vers elle avec a un sourire sobre,
elle, radieuse, s'essuie les mains
et s'extrait avec empressement du coin cuisine.
Il commence une phrase (d'excuse sans doute), par chérie,
mais est interrompu par son collègue, qu'il n'avait pas vu,
au moment ou ils se rejoignent.
L'homme touche sa femme d'un geste affectueux mais retenu
qui veut dire de patienter, et se tourne vers son collègue,
qu'il emmène dans le couloir pour le congédier poliment mais fermement,
malgré les tentatives du collègue pour s'incruster.
Lui, a une idée très stricte de l'intimité, qu'il ne veut surtout pas partager;
Elle, ne s'aperçoit que de la retenue du geste, qui la décontenance,
et voit alors le collègue comme un obstacle entre elle et son mari.
Le mari claque enfin la porte.
Elle s'évanouit, s'écroule, et on entend le mari se précipiter
avec un chérie? inquiet.
La femme est au lit.
Un médecin qui vient de l'ausculter dans son sommeil, la borde,
et vient dire au mari qu'il n'y a rien de grave.
Le mari a dû s'occuper de la cuisine,
et repasse le linge qu'il a sorti de la machine et séché;
il paie et héberge parfois un jeune garçon du voisinage
pour l'aider à veiller sur sa maison durant ses voyages d'affaire,
cependant que sa femme reste alitée.
Le mari, qui n'est pas expansif, ne sait pas dire à sa femme qu'il l'aime;
silencieusement, mais stoïquement,
il lui reproche de faillir à ses tâches ménagères pourtant légères.
La femme sombre dans la névrose, sent que son mari lui échappe,
en cherche la cause dans tout obstacle immédiat entre son mari et elle,
et voit un ennemi en toute personne qui parle à son mari en sa présence.
La jeune fille du pasteur, qui s'inquiète de ce couple glamour,
devient à ses yeux une rivale dangereuse;
le collègue entreprenant, qui revient en l'absence du mari
pour courtiser la femme rétablie, devient un sujet de haine.
La femme, de plus en plus névrosée, se conduit de plus en plus bizarrement,
ce qui fait que son mari se montre de plus en plus froid,
et crée un cercle vicieux.
Il vient à la femme des idées criminelles envers ses ennemis supposés,
cependant que le mari, qui contient son stress en silence,
ne sait plus quoi faire.
Il contemple le divorce, ce dont il parle avec sa seule confidente,
la jolie voisine, durant une conversation que sa femme entend.
Pendant ce temps, Le voisinage jase.
Le couple, par son manque de sociabilité, s'était mis à l'écart:
l'homme occupé et individualiste paraît hautain,
et la femme, aux idées fixes, ne se mèle pas aux clubs de ménagères.
Du coup, les mégères du coin ne pardonnent pas à la femme
sa beauté qui ne laisse pas leurs maris indifférents,
et une voisine vamp ne pardonne pas au mari de lui être indifférent.
Toutes ces voisines,
à commencer par la mère du jeune garçon,
qui a des nouvelles de seconde main,
colportent des rumeurs selon lesquelles la femme tromperait son mari
avec ce collègue de bureau qui vient si souvent la voir;
seule la fille du pasteur affirme son incrédulité envers de telles horreurs.
Ces rumeurs parviennent finalement aux oreilles du mari
(qui entend les dénégations de la jeune fille à qui il vient rendre visite?).
Il ne veut pas y croire, mais devient soupçonneux,
et bientôt, une discussion avec son collègue tourne presque à l'altercation;
mais celui-ci, qui a vite renoncé à poursuivre cette fausse cible
et s'est tourné avec succès vers d'autres maîtresses moins rétives,
se moque bien du mari et de sa folle de femme.
À la suite d'un incident où la femme se blesse,
alors qu'elle en voulait à sa rivale supposée,
le médecin revient visiter le couple.
Après avoir examiné la patiente,
il explique au mari ce que coûteront les soins;
Le médecin s'aperçoit que le mari doit serrer la ceinture
pour le payer, et qu'il va devoir casser sa tire-lire pour le reste des soins.
Il rassure le mari en proposant de le payer plus tard,
et en disant que la femme a surtout besoin de repos.
Mais il tente de mettre le mari sur la bonne voie, et ajoute
qu'elle a surtout besoin de beaucoup d'amour.
Le mari affirme qu'il lui a déjà donné tout ce qu'il a.
Le médecin ne dénie pas, mais lui demande si elle, elle le sait?
Car les femmes n'ont pas la même manière de comprendre l'amour que les hommes,
et qu'il faut lui faire savoir à sa manière à elle.
Le mari, qui est fier, n'est pas près d'accepter les conseils
du premier venu, ni même du second.
Le médecin sait qu'il déborde de son rôle,
c'est pourquoi il ne s'avance que prudemment.
Le mari lui demande ce qu'il sait de tout ça.
Le médecin raconte qu'il est veuf.
Il ne regrette rien de tous les moments qu'il a passé avec elle;
ce qu'il regrette, c'est tout ce qu'il n'a pas su donner à sa femme
du temps où elle vivait encore.
Le mari fait venir sa confidente pour une raison très importante.
Elle, qui est secrètement amoureuse, et sait que le mariage bat de l'aile,
croit qu'il s'agit d'une annonce de divorce et d'une déclaration d'amour.
Quand ils se rencontrent, il s'inquiète auprès d'elle
de ce qu'attend une femme qu'on aime,
et écoute, très attentif.
Elle est décontenancée, mais croit encore être l'objet de cette question.
Elle lui répond qu'une femme veut qu'on lui montre qu'on l'aime.
Il demande si chacune des choses qu'il fait pour sa femme
n'est pas un témoignage de son amour.
Elle se rend alors compte que le mari aime toujours sa femme.
Elle le conseille tout de même,
le visage du mari s'éclairant d'espoir,
cependant que le sien propre se résigne au second rôle.
Ce n'est pas en la remplaçant à la maison qu'il réparera leur couple;
il la rend inutile, il se fatigue, son travail s'en ressent,
les finances du couple s'amenuisent,
ce qui augmente la charge de travail à faire soi-même, etc.;
c'est au contraire en la mettant en valeur, en la laissant faire,
en la complimentant de ses efforts et de ses résultats
(quitte à faire de gentilles propositions d'amélioration pour l'aiguiller),
en étant tendre avec elle,
en lui consacrant du temps,
en ne s'absentant pas plus que le nécessaire,
en prévenant clairement de ses départs et de ses retours,
en rentrant à l'avance si possible, mais surtout jamais en retard,
quitte à se donner de la marge,
en étant transparent pour elle;
de plus, et c'est le plus important,
sa femme doit être son premier confident,
auquel il ne cache rien;
aussi, dernière chose, il ne doit pas avoir d'amie secrète.
À la fin, le mari reconnaissant l'embrasse (sur la joue)
et la quitte joyeux, cependant que les yeux encore amoureux de la belle
font couler quelques larmes sur son demi-sourire;
puis, elle se lève satisfaite de la leçon qu'elle a apprise aujourd'hui.
Dans une dernière scène, la femme se lève de son lit,
et a diverses idées folles, contre sa rivale, contre son mari,
contre elle-même, voire complètement disjonctées.
Ces idées sont suggérées, par la réaction de la femme à divers objets
associés à ces personnages et à des tâches ménagères.
Au cours de ce monologue quasi silencieux,
elle saisit un ustensile coupant (ciseaux tranchants?).
Elle s'en sert contre des fleurs offertes (à elle, durant son sommeil)
par la rivale (elle croit qu'elles étaient destinées à son mari).
Elle le serre fort dans sa main quand elle voit
à travers la fenêtre son mari qui accourt.
Puis, prise d'un sentiment d'impuissance et d'infériorité,
elle tourne les ciseaux contre elle-même.
Elle est interrompue par le mari, qui arrive dans son dos,
en criant qu'il l'aime;
elle se retourne, en cachant l'arme dans son dos.
Il l'enlace et l'embrasse, avec abandon;
elle s'apprête à utiliser l'arme contre lui;
mais enfin, elle laisse tomber l'arme et pleure de joie dans ses bras.
Bon, voilà pour cette histoire à l'eau de rose
que j'ai complétée à partir des scènes dans mon rêve
et du contexte passé et futur implicite durant leur déroulement:
la femme qui attend son mari et importunée par le collègue
(scène jusqu'où remontent mes souvenirs du rêve);
le mari qui fait le linge et s'enferme dans un schéma de devoir accompli;
la femme alitée puis rétablie mais oisive,
de plus en plus névrosée dans son devoir inaccompli;
le collègue séducteur;
une jeune femme qui console le mari en tout bien tout honneur;
la femme jalouse;
la solution qui me vient à l'esprit.
L'histoire se passait dans film dont je suis tantôt l'un des spectateurs,
tantôt l'un ou l'autre des personnages, tantôt l'auteur.
Restait à assembler les pièces du puzzle.
Le résultat n'est sans doute pas original.
En fait, j'ai peut-être déjà vu un film ou plusieurs sur un tel sujet,
il y a longtemps.
J'ai aussi pu réagir contre Mort d'un commis voyageur
du gauchiste-absurdiste Arthur Miller récemment
retourné au zéro qu'il était,
que j'avais dû étudier en première,
et qui m'avait déjà parue absurde à l'époque
sans que je puisse alors déterminer l'essence subtile du Mal sous-jacent.
Mon actualité sentimentale a fait le reste.
Au final, si vous avez des pointeurs sur des oeuvres antérieures,
- films ou livres - qui décrivent déjà cette histoire,
ou des commentaires sur l'histoire elle-même
et sur la vérisimilitude ou non des principes psychologiques sous-jacents,
je suis preneur.