Auto-analyse

Jan 23, 2004 18:26


Comme vous pouvez le constater au fait que je passe mes nuits à vider mes fonds de tiroirs sur mon blog, je suis dans une phase de grosse déprime. Beuh. Ne lisez pas la suite, c'est personnel.

Je vous avais dit de ne pas lire, et vous lisez quand même! Faut dire, la ficelle était grosse; si je ne voulais vraiment pas être lu, je n'écrirais pas. Ou alors pas ici. Ainsi, le message ne lisez pas veut plutôt dire lisez, mais avec indulgence. Parce qu'au fond, j'ai peur de votre regard, et de ce que je l'imagine être; j'ai trop intégré en moi-même le regard critique imaginaire d'autrui. Perfectionnisme qui me donne une rigueur extrême dans la pensée rationnelle, et une inconsistence extrême dans toute action. Ainsi, cette apparente interdiction n'est qu'un exhibitionnisme hypocrite, une franchise qui n'ose s'assumer qu'au second degré. Une façon de brûler le navire du silence honteux dans lequel je m'enferme. Une thérapie publique, parce qu'il faut vraiment être fou pour aller voir un psy. Un appel à l'aide destiné à moi-même, car je sais que nul autre ne peut me guérir.

La déprime, ça ne tient à pas grand chose. Ou plutôt, après que le mal principal se soit accumulé (à savoir, la procrastination sur ma thèse), un rien fait déborder le vase. Une grosse distraction en sortant boulot, je rate le train, j'attends le dernier train; arrivé à la gare, je ne trouve pas ma voiture où je l'avais garée le matin; on m'aurait volé cette poubelle roulante? Arg. Non, je me souviens enfin que j'avais raté de justesse le train le matin, et que j'étais allé au boulot en voiture, que j'ai donc oubliée au Luxembourg (et ce n'était pas la peine d'attendre le dernier train). Je rentre en taxi. Il fait très froid. Je procrastine. Je passe une nuit blanche. Je rate le bus pour prendre le train le jour suivant, jour de grève. Plus de procrastination. Emacs refuse de marcher sur le PDA sur lequel je veux écrire ma thèse dans le train. Procrastination. Je ne remplis pas mes obligations personnelles, professionnelles, familiales, amicales, ni rien. Davantage de procrastination. je me fais le point avec une ex petite amie et me rend compte de quel piteux conjoint je faisais, pour elle comme pour les autres. Procrastination. Je passe encore une nuit blanche. etc.

Ce n'est pas exactement de la dépression à proprement parler. La dépression, c'est de se focaliser sur le mal passé; c'est regretter tout ce que l'on a pas fait et aurait dû faire. J'ai donné dans la dépression étant plus jeune, mais jamais de façon extrême, et j'ai appris à ne plus le faire: en effet, une telle focalisation est de l'ordre du cognitif, je sais y remédier par une méthode appropriée -- mon problème n'est pas d'ordre cognitif. Non. La procrastination n'est pas exactement de la dépression; elle est le symptôme d'un problème d'ordre décisionnel, qui se traduit en une attitude de fuite. Je fuis. Au pire, je perds du temps à me gaver d'informations inutiles, ou à rêver sur ce que je pourrais faire pour m'en sortir ou une fois sorti. Au mieux, je fuis dans davantage de connaissances utiles ou semi-utiles, que j'acquiers par la réfléxion ou par la lecture, mais avec un fenêtre d'attention fort réduite. Mon problème est donc non pas une focalisation sur le mal, mais au contraire une défocalisation sur le bien. Le Nerd Attention Deficit Disorder, certains diront, mais dans mon cas, dans une version particulièrement improductive.

La fuite, c'est trouver des activités périphériques, non prioritaires. La développer jusqu'au point où elle pourrait devenir aussi intéressante que les activités principales, mais pas plus; se bloquer sur un point gênant, et abandonner l'activité actuelle pour trouver une autre activité, encore plus secondaire. Accumuler ainsi de nombreux projets dont chacun est à un chouya de devenir vraiment intéressant; et avoir ainsi l'embarras du choix. Parfois, suite à un stimulus extérieur, un de ces projets sera effectivement terminé; mais il en reste assez en souffrance, sans parler de la suite logique du projet terminé, pour donner lieu à la remise à plus tard de nombreux projets entre lesquels je ne choisis jamais vraiment. Ainsi, que fuis-je? Le choix. La responsabilité de ce choix. La fermeture des autres alternatives connues que tout choix comporte, l'ouverture de nouvelles alternatives certes mais inconnues. Une peur viscérale d'assumer sa liberté. Paradoxal pour un érudit de la liberté, un haut défenseur de la liberté et de la responsabilité? Pas tant que ça: ma passion intellectuelle pour la liberté a été grandement (mais pas seulement) motivée comme entreprise d'auto-analyse pour conjurer mes propres démons.

Diagnostiquer, c'est bien; mais quels remèdes proposer? Chez d'aucuns, dont le problème est cognitif, le diagnostic suffit à enclencher une dynamique corrective. Mais mon problème n'est pas directement cognitif, et pour moi le diagnostic n'est pas remède. S'il suffisait de dire qu'il serait bien de faire quelque chose pour le faire, s'il suffisait de décréter j'ai décidé que pour l'avoir effectivement décidé et s'y tenir, alors je serais guéri depuis longtemps. Mais non, ça ne suffit pas. J'avais écrit il y a longtemps à propos de systèmes informatiques que la simulation d'action n'était pas l'action, et était à la fois un outil conceptuel supérieur permettant d'explorer des territoires inatteignables par l'action, et en même temps, un outil boîteux qui ne peut rien faire seul, et qui a besoin d'être en fin de compte effectivement relié à capteurs et d'actuateurs dans le monde réel pour servir à quoique ce soit.

Il me faut donc apprendre à agir -- et surtout, à décider, à m'engager effectivement. Cognitivement, cela veut dire planifier le bien futur, en prenant donc en compte le mal passé mais en se focalisant sur les actions correctives. -- ce qui nécessite et d'y réfléchir pour l'organiser, et de prendre des décisions dans lesquelles on s'engage. Mouais. Facile à dire. Une chose est de réfléchir, de lire, de connaître; autre chose est de se décider vraiment et d'agir. J'ai lu ce bouquin sur la procrastination qui donnait des recettes qui ont l'air sensée pour sortir de la procrastination. Et je suis sûr qu'il y en a de non moins censées dans celui d'Albert Ellis que j'ai déniché chez un bouquiniste de Metz (passant devant, je n'ai pas pu m'empêcher d'entrer), peu avant de voir une recommandation de son approche sur la page de Walter Block. Mais encore une fois, cette connaissance du remède n'est pas application du remède. Et je procrastine même dans la mise en place de cette solution. De la connaissance à l'engagement, il y a un pas que je n'ai jamais su franchir.

Allons, finie la séance d'auto-psychanalyse. Je me lève, je quitte le clavier, je vais prendre une douche, dîner, et reprendre un rythme de vie normal. (Ouais, on dit ça, encore un truc à deux balles: le dire pour m'inciter à le faire. Ça n'a pas marché dans le passé, mais peut-être que ça contribuera à faire pencher la balance du bon côté.)

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